Rétropédalage (Mai 1903)

lundi 4 décembre 2017, par velovi

Par Perrache, Revue du Touring-Club de France, Mai 1903

Au cours de ces deux dernières années un certain nombre de cyclistes ont fait l’essai du rétro-pédalage. Aucun d’eux n’a-t-il eu de déception  ? Je ne me suis pas bercé, je l’avoue, un seul instant de pareille illusion.

Beaucoup essayent la rétro par simple occasion, sans se préoccuper le moins du monde de placer la selle à la demande de leur taille, à peine s’accordent-ils un parcours de cents mètres en plaine pour apprendre à pédaler rétro, et les voilà lancés à la conquête d’une côte dure. Au bout de dix minutes ils reviennent bien convaincus qu’ils ont tout vu, tout compris et naturellement abandonnent.

Quoi d’étonnant  ? Trouveriez-vous un seul débutant dans le cyclisme qui, à bicyclette, n’abandonnerait pas lui aussi, essoufflé, ruisselant, énervé après ses quatre premiers tours de manège ?

Sans doute, quelques-un font des essais moins sommaires, mais s’attardent, s’égarent dans des recherches vaines, faute d’avoir des idées nettes sur ce que peut et par la suite sur ce que doit donner le rétropédalage.

Des divers articles publiés à ce sujet, le public semble n’avoir guère retenu que la conclusion générale et sous cette forme assez vague  : la rétro monte mieux les côtes que la directe.

Naturellement, suivant son tempérament, sa tournure d’esprit, disons même sa manie, chacun interprète ce qualificatif à sa façon  : mieux.

Or, aujourd’hui, qu’elle est la manie la plus commune, la plus enracinée  ? C’est celle de demander à la bicyclette de la vitesse, encore de la vitesse, rien que de la vitesse.

Cette manie, nous la devons au sport cycliste qui, depuis longtemps tombé au rang de réclame commerciale, n’hésite pas à recourir aux trucs les plus abracadabrants pour faire croire à la réalité de progrès imaginaires. Voici quinze ans que les records s’élèvent à pas de géant, à la joie délirante des bons badauds de vélodromes. Et cependant, chose cocasse, nos fameux géants de la route, abandonnés à leurs moyens sur 100 kilomètres, fournissent encore en 1903 la vitesse du brave Terront sur son tricycle modèle 1888, sans billes ni pneus et développement 4m10  !

Quoi qu’il en soit, sous l’influence du milieu ambiant le plus souvent, le premier point que se propose de tirer au clair un débutant rétro est  : la vitesse en côte. Aussi, à peine habitué à sa monture, se lance-t-il sur une montée qui lui est familière et il constate avec douleur  : même temps, même essoufflement, même fatigue générale.

Pourquoi, diable, tourner rétro  ?

Je le dis sans ambages, jamais la rétro n’a eu la prétention d’aller plus vite, du moins au sens dans lequel les coureurs interpréteraient la chose, c’est-à-dire de rendre possible une vitesse au train plus grande.

Je crois, d’ailleurs, m’être expliqué très nettement à ce sujet dans la brochure  : La bicyclette rétro-directe, et, jusqu’à nouvel ordre, je conserve ma manière de voir. Je dirai cependant que je suis sollicité à en changer par les indications de M. de Viviant, très fort cycliste amateur, qui, après plusieurs essais de vitesse, croit fermement à la supériorité de la rétro.

Quel est donc l’avantage de la rétro  ? Tout simplement de rendre réellement pratique la montée des côtes à petite allure. Je m’explique. Un cycliste non entraîné, et c’est la catégorie de beaucoup la plus intéressante parce que la plus nombreuse, marche à son allure naturelle, en plaine et sans vent, à la vitesse de 20 kilomètres à l’heure. Admettons ce chiffre que quelque-uns trouveront peut-être, et non sans raison, encore un peu fort.

À la vitesse 20 la résistance est de 2 kilos. Le produit de cette résistance par l’espace parcouru dans l’heure représente le travail mécanique fournit par le cycliste et qui est ici de 40 tonnes-mètres à l’heure.

Ce travail caractérise essentiellement l’activité des combustions musculaires et, par suite, l’échauffement général du corps et la quantité d’acide carbonique, déchet des combustions, qui doit être éliminé par les poumons. C’est donc de lui que dépendent à la fois la sensation de chaleur, de congestion, que nous éprouvons pendant la marche et le rythme de notre respiration.

De sorte que dès que l’on dépasse le train de 40 t-m, on voit nécessairement, fatalement, s’exagérer, en même temps, la congestion, la sueur, l’essoufflement.

Le seul remède est de s’entraîner, c’’est-à-dire, grâce à des exercices méthodiques, d’accroître la puissance à la fois du cœur et des poumons.

C’est là ce que font les coureurs qui arrivent à marcher normalement au train de 60 ton.-mèt. Mais l’entraînement restera toujours une suggestion profondément ennuyeuse et, en tout cas, fort peu pratique pour le plus grand nombre. De sorte que, rationnellement, on ne saurait guère assigner au moteur humain moyen une puissance de travail supérieure à 40t.-m.

Pour monter les côtes avec autant d’aisance que l’on marche à 20 en plaine, il faudrait ne jamais dépasser ce train de 40, par suite abaisser d’autant plus là vitesse que la résistance de la machine, c’est à dire que la pente est plus grande.

Voici le tableau des vitesses convenant à chaque pente pour un train constant de 40 tonnes-mètres  :

Pente 4% 5% 6% 7% 8% 9% 10%

vitesse en km 9’58 7,2 5,5 5 4,3

De telles vitesses sont-elles réalisables avec la rotation directe  ? Assurément oui pour les pentes moyennes de 4,3 et 6%. Mais au delà la difficulté va croissant avec la pente, et la raison, est facile à comprendre.

Le passage de l’angle mort ne peut se faire aussi aisément dans du 10% que dans du 5% que si l’élan de la machine reste le même dans les deux cas. Or, la force qui tend à ralentir, croissant avec la pente, la vitesse de marche devra elle aussi croître avec cette pente.

La chose étant évidemment irréalisable en pratique, le cycliste prend alors d’instinct une solution mixte. C’est ainsi que j’ai constaté sur moi-même, pendant dix ans de voyage en montagne, que ma vitesse automatique était de 7,5 à l’heure dans les côtes dures, et cela quelle que fût la pente. Or, déjà dans du 7% on est ainsi conduit à un travail de 48 tonnes-mètres. Dans le 9%, on dépasse 60. Aussi pour tout cycliste non entraîné sérieusement les rampes à 9%, et au-delà ne sont-elles vraiment plus franchissables de façon pratique, même avec un petit développement.

La course du Tourmalet en est une preuve. Sur vingt-cinq coureurs ayant des développements compris entre 2m70 et 3m30, quatre seulement ont pu monter la côte entière, au premier tour, sans marcher à pied. Ces quatre d’ailleurs, ont largement usé du droit qu’ils avaient de se reposer sur place car leurs temps ne les classaient pas en tête. Les vingt et un autres ont marché en moyenne sur 4360 mètres. Qu’aurions nous vu, non pas avec des coureurs très entraînés, mais avec des touristes quelconques  !

Grâce au rétropédalage, au contraire, toutes les vitesses indiquées au tableau sont réalisables, sous la simple réserve de savoir pédaler rétro.

Je citerai à l’appui les expériences que j’ai faites à ce sujet dans une côte du Mont-d’or lyonnais, celle dite de saint-romain  : 3050 mètres à 7,5%, route étroite, caillouteuse, à pente variant entre 6 et 9%.

Avec 3m80 direct, je n’ai jamais pu réussir à passer la côte entière sans arrêt. Avec 3 mètres direct, au contraire, je passe toujours, mais ce n’est certes pas avec le sourire, et le temps moyen pris sur une dizaine d’essais, à mon train normal de route, oscille autour de 24 minutes, vitesse à l’heure  : 7,5. Travail à l’heure  : 53. Depuis deux ans j’ai repris ces expériences avec deux rétros développant 3m63 et 3m20. Avec l’une et l’autre machine, mon train normal correspond à la vitesse 6,2. Travail à l’heure 42.

Voilà bien la preuve, me direz-vous, que la rétro va moins vite. Distinguons  : avec 3 mètres direct je marchais à 7,5, fournissant le travail 53, mais ce n’était certes pas pour mon plaisir, je vous assure, et j’arrivais en haut ruisselant, par les temps chauds, et en tout cas nettement essouillé en toute saison. 53 était trop fort pour moi.

Avec la rétro, au contraire, plus de point mort qui me talonne, j’en prends alors à mon aise  ; ma vitesse baisse, c’est bien vrai, mais j’arrive frais et dispos et je continue ma route sans arrêt.

J’ai d’ailleurs fait quelques essais de vitesse, avec modération, car tout cela n’est guère de mon âge, et comme cette côte de Saint-romain me paraît aujourd’hui absolument enfantine, je me suis imposé d’un bout à l’autre de tenir le guidon d’une seule main. J’ai fait ainsi successivement les temps de 22, 20 et 19 minutes, mais bien entendu, en soufflant et suant en conséquence.

M’aurait-il été possible d’aller plus vite encore en direct  ? J’avoue que la question m’a paru absolument oiseuse. D’ailleurs, tant que l’on ne me pousse pas absolument à fond pendant les semaines et alternativement avec les machines à comparer, on ne saurait arriver à une conclusion ferme. Je laisse donc à d’autre le soin de trancher la question.

Enfin, l’été dernier, j’ai entrepris sur cette même côte de rechercher la plus faible vitesse qu’il est possible, grâce à la rétro, de donner pratiquement sur un long parcours.

Avec une seule main au guidon je monte en 34 minutes. Vitesse 5,4. Avec les deux mains, étant plus maîtres de la direction, je puis ralentir encore et j’arrive à 40 minutes. Vitesse 4,6. Le jour de cet essai il faisait 26° à l’ombre, et pendant toute la montée j’avais systématiquement tenu la bouche fermée pour ne respirer que par le nez. J’avais d’autres part mesuré au départ le nombre de pulsation.

Quelle surprise, en arrivant au sommet, de constater le calme le plus complet  ! Les pulsations, restant à peine perceptibles, s’étaient accrus de onze  ; respiration aussi lente qu’au départ. Enfin, c’est à peine si, malgré la chaleur ambiante, j’étais en légère moiteur.

À quoi riment, me direz-vous, de pareils essais  !

À prouver qu’avec la rétro on est maître absolu de son allure  : grâce à elle point n’est besoin de s’entraîner pendant trois mois afin de doubler la puissance de son moteur ; enfin on peut, sans se transformer en martyr, au milieu du jour et au cour de l’été, aborder le sourire aux lèvres de dures côtes de montagne.

je crois, pendant un récent séjour à Royat, en avoir donné la preuve à toute une caravane de cinq cars d’Auvergne, transportant une centaine de touristes au Puy-de-dôme par la côte du col de Ceyssat, la terreur des cyclistes clermontois. C’était dans les premiers jours de septembre, à 9h30 du matin  ; chaleur torride.

L’aimable dame d’un de mes amis, qui était dans l’une des voitures, m’ayant, par compassion sans doute, offert un éventail, j’en ai profité pour faire la montée à l’allure des cars, tout au plus du 5 à l’heure, en m’éventant énergiquement de façon continue.

Après une heure de montée, halte de dix minutes au hameau de Fontanas pour laisser souffler les chevaux. Là, je suis entouré par quarante touristes qui me pressent de question.

«  Mais, monsieur, vous semblez vous moquer absolument des côtes. Vous savez bien que vous avez passé 500 mètres à 9%. Où diable vous êtes-vous procuré pareille machine  ? Pas à Paris, bien sûr  !  »

«  Oh non, MM. les grands constructeurs, hélas  ! en sont encore aux célérifères de courses de 8 kilomètres, développement 7 mètre avec des pneus de 32. Comme je n’aime que les machines pratiques, je me passe de leurs services. À vous d’en faire autant.  »

Ainsi donc, la rétro permet la montée des côtes à allure très lente et de la sorte l’essoufflement disparaît comme par enchantement. Mais encore faut-il abaisser suffisamment sa vitesse, et c’est à quoi parviennent assez difficilement les débutants. J’en ai fait souvent l’observation.

Dès qu’ils attaquent une côte dure je les vois la tête basse, accrochés à leur guidon, pédalant rageusement. C’est en vain que vous les invitez à ralentir, ils ne vous écoutent pas.

Ceci s’explique. Des années de pratique ont associé dans leur tête une certaine allure à ure certaine vitesse pente  ; dès qu’ils ralentissent ils se croient perdus. Il faut bien dire aussi que, souvent insuffisamment exercés, absorbés par l’effort à faire sur la pédale dans des conditions nouvelles, ils ne songent plus à travailler correctement, c’est-à-dire à prolonger absolument à fond l’action du pied.

L’angle mort, dans ces conditions, n’étant plus que partiellement masqué, la vitesse très réduite devient difficile.

Je ne saurais donc trop recommander aux débutants de s’exercer à monter le plus posément possible des côtes très dures. C’est à mon avis l’unique moyen d’arriver à comprendre immédiatement le coup de pédale  : c’est là, d’ailleurs, que l’on se rend compte, de façon indiscutable de l’immense supériorité de la rétro.

Voyez ce qui s’est passé pour le petit développement. Son avantage dans les côtes n’en est plus discuté aujourd’hui. Que d’années cependant il a fallu pour en venir là  ! Et cela simplement parce que la comparaison avec le grand développement était faite presque toujours sur des pentes moyennes et courtes où des champions grâce à une prodigieuse mais bien absurde dépense, arrivaient à faire douter d’une chose pourtant évidente.

Ainsi n’avons-nous pas vu au concours du T.C.-F, dans le premier passage du Tourmalet, des développements compris entre 4m40 et 5m25 tenir brillamment la tête sur une côte dure de 18 kilomètres.

Si donc on veut éviter de tomber dans les mêmes errements, si l’on tient à gagner du temps, ce n’est pas dans du 7, 8 ou 9% mais dans du 13% que devra se trancher la question de suprématie dans les côtes entre la rétro et la directe.

Je ne sais ce que la directe a la prétention de faire sur pareil terrain  : peut-être l’ignore-t-elle elle-même. Quant à moi je remarque qu’à la vitesse 4,5 dans une côte à 15 %, le travail à l’heure n’est que de 59t.-m. d’ailleurs, comme je l’ai indiqué plus haut, cette vitesse reste pratique sur la rétro, grâce à la suppression complète de l’angle mort. D’autres part, nous savons que les coureurs sont capables de fournir 60 t.-m pendant des heures entières. J’en conclus que la rétro pourra sûrement, pendant des heures entières, monter du 15% à 4,5 à l’heure.

Je dirai même que pour pareille épreuve il sera loisible au coureur d’éviter tout effort musculaire sérieux, en baissant suffisamment son développement, ce que la rétro permet utilement, sans limite pour ainsi dire.

Avec 2m20, par exemple, dans du 15, l’effort moyen tangentiel à fournir à la pédale est de 28 kilogs. C’est beaucoup en rotation directe  : 28 correspond, en effet, à une montée à 10,5% avec développement de 3 mètres. C’est relativement très acceptable en rétro, car le pied, actionnant la pédale sur un parcours nettement plus grand, peut fournir le même travail, avec une pression effective moindre de 2% environ.

Pour ma part, j’ai eu maintes fois l’occasion de donner sans peine 28 pendant des kilomètres dans des côtes à 10% avec 3m20.

Je me propose d’ailleurs, d’expérimenter à fond ce développement de 2m20 qui, ajouté à une machine ordinaire à deux vitesses, spécialement établie dans ce sens, et développant, par exemple, 3m80 et 5m25, constituerait un incomparable outil de tourisme en montagne.

Avec 2m20 au train de 40 t.-m. que supportent normalement mes poumons, je pourrais monter du 10% à 4,5 à l’heure, à mon allure naturelle et, par suite, pendant des heures. D’ailleurs, la pression sur la pédale n’étant que de 19,3 kilos, je sais par expérience qu’il me sera loisible, sur bon sol tout au moins, d’abandonner le guidon d’une main, de façon constante et sans gêne aucune.

Au train de 50 t.m., qui ne m’essouille qu’à la longue, à un degré vraiment gênant, je passerai du 12,5% à cette même vitesse 4,5.

Enfin au train de 60t.-m. qui, je l’avoue, m’étouffe en 10 minutes, je pourrais franchir un passage de 750 mètres à 15%, limité par la gêne de mes poumons, mais non par l’effort musculaire qui restera toujours acceptable. Tout cela, me direz-vous, n’est qu’un rêve. Certes non. Habitant une région où pullulent les côtes à 10, 12 et 15%, j’ai pu maintes fois, déjà dans mes promenades journalières, étudier mon moteur sur pareil terrain.

Voici la côte de Saint-rambert à Saint-cyr, par la Croix-des-ormes  : 265 mètres à 14% bon sol, j’ai eu jadis la naïveté de la tâter avec 3 mètres direct  : J’ai toujours été repoussé avec perte. Au bout de 60 à 80 mètres au plus, il me fallut capituler, les jambes cassées, étouffé par la vitesse. Maintenant, je la passe à tout propos sans jamais la moindre défaillance, non seulement avec 3m20, mais même avec 3m65, ce qui réclame une pression sur la pédale de 44 kilos. Mais il me faut, bien entendu, surveiller sérieusement ma vitesse. À 6 à l’heure, j suis époumoné en deux minutes  : à 5, au contraire, aucune complication et je poursuis ma route sans aucun arrêt.

Voici la côte de Couzon. Elle débute par 1100 mètres à 12% en moyenne, variant de 9 à 14  : sol assez bon. Au delà elle devient de plus en plus mauvaise avec une pente de 9 à 11 % sur 1200 mètres.

Maintes fois je me suis mis dans des états indescriptibles avec 3 mètres en direct, et néanmoins je n’ai jamais pu en franchir plus de 600 mètres. Or, avec 3m20 rétro je passe sans arrêt les 2300 mètres en 31 minutes . vitesse 4,5, je ne dirai pas en flânant mais sans autre gêne que celle due au très mauvais état du sol.

Ces essais et bien d’autres faits autour de mon domicile sont assurément probants, mais ils demandaient à être corroborés par l’expérience définitive du voyage en montagne. C’est ce que je me suis empressé de faire en ma qualité de touriste.

Je n’ai certes pas à compter des exploits extraordinaires, ayant pour règle invariable de marcher au plus huit heures par jour, et me contentant d’êtres comprises entre 80 et 100 kilomètres, suivant le terrain.

Je dirai cependant que si depuis 10 ans je poussais bien rarement ma machine dans les côtes, grâce à son développement de 3 mètres que j’ai été seul à pratiquer pendant des années, je ne la pousse plus du tout aujourd’hui, et je n’ai certes pas renoncé à la montagne malgré mes 52 ans.

Je constat même qu’à la fin d’une étape, une côte dure ne me paraît guère plus pénible qu’au début. Je dois, sans doute, ralentir quelque peu sans m’en douter, et les muscles, constamment arrosés d’un sang bien épuré par des poumons non surmenés, conservent indéfiniment leur vigueur.

Au cours d’un voyage en juin dernier, j’ai visité le massif de l’Aigoual, qui m’avait échappé jusqu’ici à deux reprises par suite d’accidents de machine. Beaucoup de touristes connaissent cette magnifique région, mon itinéraire intéressera peut-être.

Parti de saint Jean-du-Buel après déjeuner, je monte à Dourbis, Lespero, puis je descends sur Valleraugue pour coucher au vigan.

Le lendemain, montée à Camprieu par la vallée d’Aulas, déjeuner à Camprieu, montée à l’observatoire. coucher à Camprieu.

De camprieu, descente à Trèves  : montée à Lanuejols. Déjeuner à Meyrenis. Coucher à Saintes-Enimie.

Ceux qui connaissent le terrain ne m’accuseront certes pas d’éviter les côtes. Près de Lanuejols, en plein Causse Noir, j’ai fait la rencontre d’un cycliste rarissimal axis en pareille région.

Il poussait sa machine dans une côte de 7% environ, lorsque je le double sur ma rétrodirecte (dév. 4m80 et 3m05). Il m’interpelle au passage. « Monsieur, vous faîtes du rétropédalage  : oh dites-moi ce que vous en pensez  ? Je connais un peu la question. » «  Ma foi, j’ai déjà deux années de pratique, et je vous avoue que je m’étonne moi-même tous les jours. Ainsi hier, j’ai monté du Vigan à Camprieu avec un unique arrêt de trois minutes pour prendre du café à la baraque Ribaud. Ce matin je viens de Camprieu par Trèves, et j’ai fait toute la côte en matin  : vous savez cependant qu’il y a deux passages de 1000 à 15000 mètres, à plus de 10%.

Il reste rêveur, puis me dit  : «  Tiens, on m’avait dit que les rétro-directes ne marchaient pas  !  »

Cette réponse, je l’ai déjà entendue bien souvent. elle est évidemment le fruit de cette sourde campagne d’inertie dirigée depuis deux ans contre la rétro par l’immense majorité des constructeurs.

Ces Messieurs pour qui naturellement tout changement de modèle est un gros souci, attendent pour construire d’y être absolument forcés par la demande.

Afin de retarder le moment fatal où il faudra enfin se décider à faire quelque chose, ne fût-ce que copier les autres, ils s’ingénient à égarer le client par des balivernes .il parait que le rétropédalage fait très mal aux genoux. Il faut deux ans pour apprendre, on va beaucoup moins vite, le tirage est énorme, etc,etc..

Et le client confiant écoute naturellement son fournisseur.

Mais revenons à notre cycliste, me montrant sa machine  : « J’ai acheté il y a un mois cette hub two speed qui développe 6 mètres et 4m40. Je monte les côtes à pied plus que jamais  ! Et combien de temps durera-t-elle  ?  »

La montée cesse, il se remet en selle et nous roulons côte à côte pendant quelques kilomètres. Puis se présente un imposant raidillon.

«  Pardon, mais il me faut encore mettre pied à terre. Jamais je n’ai pu rester ici en selle plus de 25 mètres ( il habite la région). Songez qu’il y a bien du 15%.  »

«  Vous exagérez, il me semble et je crois plutôt à 12%. Mais marchez à votre allure, bien tranquillement, je me charge de vous suivre.  »

Et je monte paisiblement le roidillon, tout en causant à son côté.

Arrivé au sommet  !

«  Eh bien, suis-je essoufflé  ? Ai-je l’air d’avoir poussé un instant  ? Croyez-vous maintenant que j’aie pu monter les côtes de Trêves, car évidemment vous m’avez pris pour tartarin quand je vous ai dit la chose tout à l’heure.  »

Et il éclate de rire. Bientôt il faut nous séparer, car nos itinéraires divergent. Il prend soigneusement en note l’adresse du constructeur de ma machine, s’informe du prix qui lui paraît plutôt gênant,puis regardant tristement son outil  : « Il faudra bien que je m’en débarrasse. » Je souhaite que cet article tombe sous les yeux mon compagnon de route du Causse Noir.

S’il veut bien affirmer par quelques mots la véracité de mon récit, je lui aurai donné une leçon de choses qui sans doute ne sera pas perdue pour d’autres.

Je conclus  : la rétro n’est pas une machine à records. Réduite cependant à ce rôle elle saurait vraisemblablement défendre ses chances.

Sa spécialité est de permettre à un cycliste de force quelconque de monter très aisément les côtes moyennes, et de façon toujours pratique les côtes même très dures.

Le cycliste qui veut se rendre nettement compte du progrès réalisé par le rétropédalage doit naturellement apprendre d’abord à pédaler correctement, puis choisir surtout comme terrain d’expériences des pentes d’autant plus fortes qu’il est lui-même plus entraîné.

Perrache

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