Par Emil Zola, rapporté par Le Cycliste, source anthologie Le Cycliste, cahier 15, mai-juin 1971
Si un jour j’ai une fille, dès ses dix ans je la mettrai sur une bicyclette pour lui apprendre à se conduire dans la vie. Que ne voit-on de ces grandes filles, élevées dans les jupons de leurs mères, qui ont peur de tout ; à qui on défend toute initiative ; dont on n’exerce ni leur jugement, ni leur volonté ; ne sachant traverser une rue, paralysées par la crainte d’obstacles... Mettez-en une, toute jeune, sur un vélo, et lâchez-la sur les routes. Il lui faudra alors ouvrir les yeux pour voir autour d’elle ; il lui faudra éviter les cailloux du chemin, tourner à propos et dans le bon sens... Une voiture arrive au galop de son cheval : tout de suite, sans attendre, il lui faudra se décider. N’y a-t-il pas là un continuel apprentissage de la volonté ; une admirable leçon de conduite et de défense ?... Et celles qui éviteront les cailloux, vireront à propos, sauront aussi, dans la vie sociale comme sentimentale, franchir les difficultés, prendre le meilleur parti... Toute l’éducation est là : savoir et vouloir. Et puis, la culotte qui délivre les jambes ; les excursions en commun mêlant et égalisant les sexes ; toute la famille, père, mère, enfants, profitant à satiété des bains d’air et de clarté pris en pleine nature — notre mère commune — tout en faisant un exercice salutaire ; et cette force, et cette gaieté neuve qu’on se remet à puiser en elle ; tout cela, c’est l’heureuse conquête que permet la bicyclette, l’irremplaçable !