Leçon de chose (1901)

jeudi 14 décembre 2017, par velovi

Par le Dr Mathieu, Le cycliste, 1901, republié en 1951, coll. pers.

La Direction du Touring-Club ne pouvait être mieux inspirée, pour donner le coup de grâce aux préventions qui englobaient, naguère encore, dans le même dédain les freins et la roue libre, qu’en organisant ce concours de freins des 17, 18 et 19 août dernier, qui fut, de fait et par les conditions mêmes imposées aux concurrents, un concours de freins de roue libre.
Cette décisive leçon de choses était nécessaire pour démontrer, par une série d’épreuves éliminatoires rigoureuses, qu’il existe déjà d’excellents freins de ralentissement et d’arrêt, permettant de s’abandonner en toute sécurité, et sur toutes les pentes, au charme de la roue libre, à cette double et délicieuse sensation de repos et de vitesse à laquelle on ne sait plus renoncer une fois qu’on l’a connue.
On conçoit du reste l’importance capitale du frein dans la bicyclette de montagne à roue libre ; il en est, pour ainsi dire, la clef de voûte.
L’organe de l’embrayage et du désembrayage automatique (c’est-à-dire exclusif de la roue folle, qui n’est qu’une erreur) n’exige pas lui-même une si grande perfection. Ses divers genres, à cliquets, à galets ou à billes, n’offrent pas, dans leur fonctionnement, des différences telles quelles aient pu servir de base sérieuse au concours de «  free wheel  » qui eut lieu, l’année dernière, en Angleterre et qui dut être, pour les poids lourds, le plus beau jour de leur vie.
Le concours de freins, dû à l’initiative éclairée du Président du Touring-Club était évidemment le seul rationnel, pouvait seul donner les résultats pratiques qu’on est en droit d’attendre.
M. Ballif y a trouvé l’occasion de se rendre compte de visu — dans la merveilleuse descente du col du Lautaret à Grenoble — de ce qu’on peut gagner avec la roue libre et un frein sur jante à serrage fixe et continu  : soixante kilomètres consécutifs sans donner un coup de pédale  !
Il y a apparence que la cause est entendue pour lui ; ce qui ne l’empêche pas d’admirer comme il convient la virtuosité de «  jarrets qui luttent à rebrousse-poil  » contre toutes les descentes, sans le secours d’aucun frein.

GENDE ANGLAISE

Le concours de free wheel que je viens de rappeler était surtout un divertissement public. On s’explique mal qu’il ait pu servir de prétexte à cette assertion extraordinaire, que la «  petite île  » a été dès le commencement et qu’elle redevient «  notre initiatrice dans les choses du cycle  ».
Ce bluff a été relevé en son temps, de main de maître, pour ce qui touche à la plupart des perfectionnements de la bicyclette. Il n’est pas douteux que nous sommes très loin d’avoir rien à envier sous ce rapport, à nos voisins d’Outre-Manche.
Quant à ce qui concerne les débuts de l’industrie cycliste, la nouvelle génération, moins bien informée, pourrait se laisser abuser par tant d’aplomb. J’en appelle aux anciens pour donner un coup de lanterne en arrière et en finir, une bonne fois, avec cette légende, abracadabrante, que persistent à vouloir accréditer, même chez nous, ces initiateurs à bon compte, utilitaires de race, qui ne ratent jamais une occasion de prendre leur bien partout où ils trouvent celui d’autrui.
Ils ne peuvent ignorer pourtant que l’initiateur par excellence des choses du cycle fut le serrurier Michaux, lequel, avec sa pédale à manivelle coudée, créa le premier vélocipède.
Ils savent tout aussi bien que le premier organe périodique du nouveau sport est né en France, puisque ce fut, précisément, grâce à sa rapide diffusion dans les deux mondes avec les américains, faire main basse (en les démarquant au besoin) sur les nombreux brevets d’invention pris en France avant la guerre de 1870.
Nos revers, il est vrai, les favorisèrent à point. Il leur fut loisible de se livrer à une fabrication intensive et, sans perdre de temps en de longs et coûteux essais, garder ainsi beaucoup d’argent. Time saved is money gained.
Le compte ne serait pas long à établir de la part qui leur revient dans les progrès importants qui marquèrent cette première période de l’histoire du cycle. Mais je veux seulement revendiquer ici l’origine française de la roue libre, à la naissance de laquelle j’ai pour ainsi dire, assisté et dont j’ai suivi les développements successifs avec un intérêt particulier.
La meilleure preuve que l’invention originelle du système dit «  à repos sur les pédales  » leur a complètement échappé, c’est qu’ils ne se la sont point appropriée. Il n’apparaît même pas qu’ils eussent eu, de la roue libre, une idée quelconque, ni alors ni à aucun moment, jusqu’à l’époque contemporaine.
Et pourtant elle marche depuis trente-deux ans. J’en suis d’autant plus sûr que je marche dessus depuis ce temps-là, ayant commencé quelque vingt-cinq ans avant qu’ils ne l’eussent appelé free wheel, — un nom qu’ils cherchent à franciser dans l’espoir fallacieux de nous faire avaler la couleuvre de leur priorité.
C’est là un fait brutal, contre lequel ne saurait prévaloir leur énervante prétention de découvrir tous les jours l’Amérique. Libre à eux de plaider l’infériorité de l’ancienne fabrication sur la moderne. Cette Lapalissade ne changera rien à la postérité — d’un bon quart de siècle — de tous leurs free wheel sur la première roue libre automatique, qui fut adaptée en France à l’ancien bicycle par Barberon et Meunier et brevetée en 1868.
Il convient de prendre date, en restituant à chacun son dû. Qu’on me permette donc de rappeler brièvement en quoi consistait ce système.
A gauche  : une roue à rochet, faisant corps avec l’axe fou de la roue motrice et entraînant celle-ci dans la marche ordinaire — ou «  simple marche  » — au moyen d’un cliquet à rochet fixé à l’extrémité du moyeu.
A droite  : un jeu d’engrenages et une courte chaîne de Vaucanson, donnant la «  double marche  », c’est-à-dire un développement double, par le mouvement des pédales en arrière.
Qu’on se servit de la simple façon absolument automatique, par le seul fait de l’arrêt et du repos des pieds sur les Pédales. En sorte qu’on pouvait, avec un peu d’habitude, pratiquer le lâche-mains en toute ou de la double marche, le désembrayage se faisait d’une circonstance.

Et c’est ce qui rendait ce système bien supérieur au système Roux, autre bicycle à deux systèmes, mais à roue folle, avec lequel on ne pouvait, soit suspendre ou reprendre le mouvement, soit passer d’un développement à l’autre qu’aux prix de manœuvres continuelles.
Ces deux bicycles étaient, comme on le voit, les exacts pendants des deux systèmes de bicyclettes à changement de vitesse, les unes à roue libre et les autres à roue folle, qu’on rencontrait l’année dernière au Salon du Cycle.
N’est-il pas curieux de trouver réunis, dans cet ancien «  véloce à double marche et à repos sur les pédales  », la vraie roue libre et ces deux autres auxiliaires de la bicyclette de montagne  : la polymultiplication, qui gagne chaque jour du terrain, et la marche en rétrograde, appelée à rendre — entre certaines limites — comme l’ont démontré M. Perrache et M. de Vivie, de notables services dans les montées. Est-il besoin d’ajouter que l’ingéniosité de la «  Rétro  », par exemple, ne peut être en rien diminuée par la constatation de la découverte et de l’application de son principe au vélo de 1868  ?
Cette application était d’ailleurs prématurée, en raison de l’insuffisance des ressources qu’offrait alors la mécanique. Cette «  double marche  » au moyen d’engrenages ne pouvait, même réduite à une proportion moindre, que nuire au succès de la partie vraiment géniale et pratique de l’invention de Barberon et Meunier. Il était, heureusement, facile de l’en séparer. Et cette exonération n’était pas seulement une simplification ; elle me permit de répartir également, à droite et à gauche, la transmission du mouvement, au moyen d’un double encliquetage, de dimensions réduites.
(à suivre)

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