Cyclo-tourisme (G. Clément, Février 1922)

lundi 22 juin 2020, par velovi

Par Gaston Clément, Revue du Touring-Club de France, Février 1922

Pédalez par plaisir et non par amour-propre. De toutes parts, dans cette revue même, on semble accorder quelque crédit à la soi-disante décadence du cyclo-tourisme. On en parle trop pour qu’elle soit réelle, et l’heure n’est pas encore venue de prononcer son «  arrêt de mort  ».
Il y a toujours beaucoup de cyclo-touristes, considérant que chaque cycliste est plus ou moins touriste  : aussi bien celui qui, de temps à autre, fait une promenade avec le vélo dont il se sert chaque jour pour se rendre à son travail ou à ses affaires  ; aussi bien le jeune sportsman, coureur enragé utilisera quelquefois sa monture de course pour une randonnée d’agrément  ; aussi bien le véritable cyclo-touriste rayonnera autour de sa demeure le plus souvent qu’il pourra et fera chaque année un ou plusieurs voyages au long cours.
Comme bien des genres de tourisme, plus que tout autre peut-être, c’est un sport d’isolé. À toute heure, en tous endroits, le vélo est toujours prêt à aller aussi loin que le veut la fantaisie de son cavalier, dans les villages les plus reculés, les plus inaccessibles. Avec lui, pas de tribulations d’horaires, de caprices de cochers ou de chauffeurs. Avec lui, on passe partout, on fuit les routes encombrées, poussiéreuses, pour se faufiler par de jolis chemins pittoresques, frais, bien ombragés.
Rien d’étonnant à ce qu’on rencontre peu de cyclo-touristes. Ils ne font pas de bruit, ne sont jamais par groupes très denses, partout à leur heure, et ont tous des itinéraires variés. Ils peuvent circuler par milliers dans une même région sans que cela s’aperçoive beaucoup.
Ces considérations s’appliquent également au tourisme pédestre, qui se caractérise comme celui à bicyclette, par les mêmes avantages. Cet isolement, cette dispersion, cette liberté qui font le charme de ces modes de tourisme, c’est aussi leur point faible, et il appartient au Touring-Club, d’unir, de grouper ceux qui les pratiquent, les réunissant ainsi toujours plus nombreux sous un même drapeau.
Plus que jamais, en raison des difficultés actuelles de la vie, nous avons le devoir d’appeler l’attention de tous ceux qui aiment la nature vers la pratique de la marche et de la bicyclette, et, pour celle-ci, c’est bien le moment de redire avec Pierre Giffard qu’elle est un bienfait social.
Cette Petite Reine, qui tient si peu de place dans votre logis, personnifie la liberté, la gaieté, la santé, le délassement moral et physique, et tout cela économiquement.
On croit trop qu’il faut une préparation physique très sérieuse. Objectant que le temps leur fait défaut pour s’entraîner, tous ceux qui ont une situation sédentaire et ne peuvent prendre que quelques mois ou quelques semaines de vacances, diront qu’ils ne sont pas en état de pédaler. Les dames, surtout, seront hostiles à cet exercice.
Nous affirmons, une fois de plus, que toute personne en bonne santé, sachant monter à bicyclette, peut affronter une excursion, et même un long voyage sans préparation physique et l’accomplir sans fatigue anormale.
Pour cela il faut toujours s’inspirer du fameux conseil de M. de Vivie  : «  Pédalez par plaisir et non par amour-propre  », et aussi de la théorie de cet autre apôtre du cyclo-tourisme, M. de Baroncelli  : «  Voyagez lentement.  » C’est-à-dire ne jamais faire plus que ses forces. Ne pas forcer dans les côtes.
Le plus grand tort que l’on puisse faire à la véritable vulgarisation de la bicyclette, c’est de la considérer uniquement comme un engin de vitesse. C’est logique pour l’outil du sportif ; c’est moins important pour, celui du touriste, qui la plupart du temps doit avoir pour maxime  : «  La vitesse, c’est l’ennemi  » et recherche une monture qui lui permette de voyager confortablement.
On fait des déplacements lointains, on engage des dépenses pour visiter une région qu’on ne connaît pas. Quels souvenirs aura-t-on si elle est parcourue à 25 kilomètres à l’heure. Est-il besoin de faire beaucoup de kilomètres pour voir beaucoup de choses, et surtout les bien voir. Prenons un cyclotouriste sur l’itinéraire Paris-Rambouillet par exemple, en supposant qu’il le fait pour la première fois. S’il veut voir très sommairement ce qui est intéressant sur le parcours  : le Bois de Boulogne, Saint-Cloud, Versailles, le Château, les Trianons, Dampierre, les Vaux de Cernay, sa journée ne sera-t-elle pas bien employée, et cependant il n’aura couvert qu’une cinquantaine de kilomètres.
Cet exemple est à peu près toujours le cas en voyage, surtout dans les régions montagneuses où le paysage varie à chaque tournant de la route. La Corniche de l’Estérel qui relie Saint-Raphaël à Cannes comporte 45 kilomètres de routes faciles. Ce serait de la barbarie pour un touriste, de la faire en deux heures. On peut y employer facilement une journée entière.
On voit donc bien que le kilométrage horaire ou quotidien en matière de tourisme est une chose secondaire.
Ceci posé, étant admis qu’on est décidé à se promener, à voir, à regarder, quels sont les cyclistes qui ne peuvent parcourir 15 à 20 kilomètres le matin, autant l’après-midi, et voilà déjà pour commencer, même pour les plus modestes pédales, un très joli ruban de route.
Quarante kilomètres  ! Pour un sportif c’est bien peu, c’est peut-être ridicule, et cependant pour un touriste, c’est quelque chose de suffisant, nous venons de le démontrer.
Peut-être le cycliste bien entraîné, raillera-t-il et ironiquement laissera-t-il entendre que la paresse préside à un tel emploi du temps. Laissez-le dire, vous savez que c’est la sagesse  ! Et puis, après une semaine ou deux, ces étapes de 30 ou 40 kilomètres pourront être facilement doublées  ; car l’entraînement sera venu.
Ceci n’est pas de l’utopie  ; ce n’est pas non plus de la théorie, nous en avons tous les jours la preuve. Nous recevions ces jours-ci une lettre de notre collègue técéfiste, M. M., artiste peintre, décrivant les itinéraires de ses voyages annuels. Celui de 1921 comportait 1.482 kilomètres  ; traversait 13 départements. Il fut effectué du 29 mai au 25 juillet, de Mâcon à Clermont-Ferrand, en passant par Bourg, Ambérieu, la Grande-Chartreuse, Grenoble, Le Galibier, Briançon, La Vallouise, Gap, Aix, Martigues, Aigues-Mortes, Lunel, Toulouse, Gaillac, Figeac, La Cave, Beaulieu, Salers, Le Puy Mary, Murât. Notre collègue était accompagné de Mme M. Or, ces fervents cyclo-touristes sont respectivement âgés de 67 et 63 ans, et ne font de la bicyclette que depuis 1914. Depuis cette date, tous les ans, après neuf mois de vie sédentaire, ils partent ainsi, sans préparation spéciale, parcourent la France en tous sens par étapes quotidiennes, de 40 à 70 kilomètres, travaillant tout le long du chemin à des études ou croquis, et munis des bagages nécessaires pour ne manquer de rien. Le bagage de M. M. pèse 23 kilos, celui de Mme, 9 kilos.
Nous pourrions citer beaucoup d’autres exemples  ; il n’y en a pas de plus éloquent que celui-ci pour démontrer bien mieux que les exploits sportifs de nos plus célèbres champions, combien le cyclo-tourisme est accessible à tous, à toutes et à tous les âges.
Est-ce à dire que nous sommes hostiles à toute idée de préparation physique. Ce serait ridicule. On ne vulgarisera jamais trop la pratique des sports, surtout à l’usage des jeunes. Et notre théorie, par des voies différentes, amène à ce résultat.
Si nous nous adressons à nos jeunes camarades, ce sera seulement pour leur dire de modérer leur ardeur, en matière de tourisme. Cent à cent vingt kilomètres quotidiens seront un jeu pour eux, c’est bien suffisant pour se rappeler les paysages et les villes traversés. Et s’ils prennent plaisir à faire de la route, non pour le kilométrage, mais pour l’intérêt de la nature et des choses, ils pédaleront toute leur vie.
Dans le cas contraire, ils auront vite délaissé le cyclisme.
Comme conclusion, on voit que, suivant les forces physiques, l’emploi du temps du cycliste peut varier de 30 à 120 kilomètres par jour. Il y a place pour tous les idéals  ; le cyclo-tourisme est donc bien à la portée de tous.
À dessein, nous n’avons pas parlé des vélos, estimant en principe (en principe seulement) que tous, quels qu’ils soient, permettent plus ou moins la pratique du cyclotourisme. On en faisait bien il y a cinquante ans avec des vélocipèdes Michaux.
Dans la réalité il est indispensable, pour excursionner confortablement, de choisir ou d’aménager judicieusement sa monture.
C’est obligatoire pour le cycliste non entraîné. Ceci est une autre question dont nous parlerons dans un prochain article.

G. CLÉMENT, Membre du Comité de Tourisme cycliste et pédestre.


Voir en ligne : Gallica

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