Col des Grands Bois

mardi 31 mai 2022, par velovi

Pour rejoindre la vallée du Rhône à partir de Saint-Étienne, le col des Grands Bois fut emprunté nombre de fois par Paul de Vivie. Aujourd’hui appelé col de la République, c’est là qu’est honorée sa mémoire par une stèle, inaugurée en 1931. Il y est mentionné comme apôtre de la polymultipliée, après de nombreuses tractations entre ses deux disciples rivaux dans la production de dérailleurs  : Raimond et son modèle Le Cyclo, Panel et sa marque Le Chemineau.

C’est aussi là que MM. Albert Raimond, J. Frédéric Boudet et Jules Barellon créèrent la Journée Vélocio en 1922. Dans le «  Forez Sportif  » du 13-5-22, Paul de Vivie en soulignait l’esprit  :
«  Cette journée, dont le «  Forez Sportif  » a bien voulu me faire le parrain ne sera pas un concours, encore moins une course  ; elle sera une éclatante démonstration, par le fait de cette vérité incontestable et pourtant encore trop méconnue, ignorée même, du grand public  : Que la bicyclette peut être pratiquée, je ne dis pas impunément, mais ou contraire avec profit pour la santé, par tout le monde, depuis l’âge le plus tendre, jusqu’à la vieillesse, et qu’en outre elle peut rendre de grands services pour le transport de personnes ou de colis de poids moyens, soit à l’aide de tandems ou triplettes, soit au moyen de dispositifs convenables fixés à une machine ou sur des roues supplémentaires.  »
Le Cycliste, 1947, p. 181
Ce rendez-vous a été interrompu seulement pendant la seconde guerre mondiale et la récente crise sanitaire. Elle fêtera son siècle en 2022.
Lorsqu’il prenait le train en retour de randonnée, il s’arrêtait souvent à la gare de Saint-Vallier pour rentrer par ce col (parfois il finissait aussi sa vélochée à Givors, cette fois pour finir en train). La neige était fréquente en haut du col, jusque mars parfois.

AU PIED DE LATE, 1922

«  Que de souvenirs évoque en nous ce col des Grands-Bois, dont la modeste altitude de 1.165 mètres n’a rien d’impressionnant, mais qui s’est toujours trouvé sur la route et au début de nos grandes randonnées à bicyclette et à tandem  ! Pour les Stéphanois, enfermés derrière une montagne froide, battue par les vents sauvages de l’Ouest, ce col, ligne de partage des eaux, c’est la délivrance, la porte ouverte sur l’Orient. D’un côté, les brumes épaisses de l’Océan glauque  ; de l’autre, les clairs horizons de la mer bleue et, devant soi, les grands cols des Alpes françaises, le Parpaillon, l’Izouard, le Galibier, le Petit-Saint-Bernard et tant d’autres qui nous ont toujours attirés et qui attireront toujours les adeptes de l’École stéphanoise quand, parvenus au sommet de la montagne, ils n’ont plus qu’à se laisser aller à toute allure, pendant 36 kilomètres, dans la belle vallée du Rhône. Que de fois nous l’avons franchie pour aller vers les Alpes, vers la Côte d’Azur, par delà la frontière même, poser des jalons que dépasseront certainement les cyclotouristes de demain, mieux entraînés, mieux outillés aussi  ; car, sous le double rapport du perfectionnement de l’homme et de l’outil, des progrès sont réalisés chaque jour.
Voici quelques-uns de ces jalons que nous recommandons à l’émulation de nos successeurs et qui datent déjà de dix à quinze ans  : de Saint-Étienne au col du Rousset et retour, 320 kilomètres en 17 heures  ; de Saint-Étienne à Marseille, 310 kilomètres en 15 petites heures, ce qui donne une vitesse commerciale de plus de 20 à l’heure, dépassée dans une autre étape de Saint-Étienne à Flassans, 361 kilomètres en 17 h. 10  ; de Saint-Étienne à Nice, 500 kilomètres, tantôt en 24 h. tantôt en 26 heures. Toutes ces étapes et combien d’autres exigeaient l’ascension préalable des 600 m. d’altitude du col qui va s’abaisser demain sous des centaines de pédales et que nous avons passé à toute heure du jour et de la nuit et en toute saison.  »
Vélocio, «  Au pied de la côte  », Le Cycliste, Mars-Avril 1923, p.26-27, Source Archives départementales de la Loire, PER1328_14

DE SAINTTIENNE À CANNES ET RETOUR PAR LES MAURES ET L’ESTÉREL, 1900

«  Je me mis donc en route au clair de la lune à deux heures moins le quart, loin de m’attendre à la désagréable surprise que me réservait la traversée des grands bois. Le temps était très beau  ! et la route très bonne jusqu’à Planfoy  : mais sur le plateau elle commença à se gâter et, à peine entré sous bois, cela devint quelque chose d’inénarrable. En pleine obscurité, sans lanterne, la lune ne m’éclairant que par rares intervalles, tantôt je m’enfonçais dans une boue épaisse, tantôt je tressautais sur des ornières congelées et j’entendais la glace se rompre sous moi.
Bien que la montée soit faible, j’avais repris 3m,30 et, malgré tout, je fus à plusieurs reprises forcé de mettre pied à terre, le plus souvent dans la boue gluante, à demi gelée, où j’enfonçais jusqu’aux chevilles.
Des chars de buttes embourbés, abandonnés là par leurs conducteurs, encombraient les bas côtés de la route et à plusieurs reprises je vins me heurter à ces obstacles imprévus  ; mais j’allais si lentement que ces rencontres ne tiraient pas à conséquence.
Enfin, grâce à Dieu, je sortis des bois sans encombre et retrouvai après ces trois kilomètres de boue un sol ferme et roulant. Je pris mon développement de 6 mètres et me laissai descendre sans trop de hâte, car la pâle clarté qui nous vient de la lune est parfois dangereuse et ne nous laisse voir l’obstacle que lorsque nous sommes dessus.
À la croix de l’Aye la descente devenant très forte, j’attachai mon frein afin de n’avoir pas à contre-pédaler et j’arrivai ainsi sans mésaventure à Bourg-Argental (28 kilom.) à 4 heures, fort en retard sur mon temps habituel, qui est de 2 heures à peine.
Après Bourg je pus activer mon allure et le jour commençant à poindre, je pris mon développement maximum, si bien qu’à 4 h. 55 j’étais à Andance (53 kilom.).  »

[...Au retour...]
«  Notre voyage est à son terme  ; nous filons vivement sur Avignon par la route la plus directe que le mistral nous rend parfois facile, parfois pénible. L’Isle-sur-Sorgues me laisse comme d’habitude une impression de fraîcheur malgré sa poussière de plâtre  ; une dernière montée à Châteauneuf-de-Gadagne et nous sommes en vue du Château des Papes. À midi et demi nous entrons dans la ville, une heure après, le train nous emporte jusqu’à Saint-Rambert-d’Albon, d’où nous rentrons entre dix et onze heures du soir à Saint-Étienne par la voie habituelle, Andance et Bourg-Argental. Pendant que nous nous réchauffions au beau soleil de la Provence, il avait plu dans nos montagnes de sorte que la traversée des grands bois que j’avais trouvée détestable en partant, fut épouvantable au retour. Par deux fois mon compagnon fut obligé de mettre pied à terre dans une boue atroce  ; je le suivais à quelques mètres et je pus éviter les ornières qui l’avaient fait choir. Sa lanterne à acétylène nous éclairait assez bien, malheureusement elle s’éteignit avant que nous fussions sortis de ce mauvais passage et nous arrivâmes de très méchante humeur sur le plateau que balayait le vent d’ouest glacial. Pour comble de malheur mon pneumatique depuis Bourg-Argental se dégonflait et m’obligeait à des arrêts de plus en plus fréquents pour pomper. On eut dit qu’il ne réintégrait qu’en rechignant son domicile et qu’il manifestait son mécontentement d’être arraché si vite aux belles routes et à la douce température du Midi. Sunt lacrymae rerum  ! Jusqu’au prochain automne c’en est fait pour cette année des excursions dans le Midi, sauf pourtant un ou deux raids dominicaux jusqu’au bord de la mer. Il va trop y faire chaud et l’heure est venue d’orienter son guidon vers les Alpes et de remplacer le développement de 7m,50 par celui de 2m,50.  »
Vélocio, «  De Saint- Étienne à Cannes et retour par les Maures et l’Estérel », Le Cycliste, 1900, p.105 à 114, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7

MON PREMIER JANVIER, 1903

«  Il a plu beaucoup l’avant-veille, mais le temps est froid et la boue est gelée. Je grimpe aux Grands-Bois, lanterne allumée, à toute petite allure avec l’infime développement de 2 m. 80, afin de ne pas être en moiteur quand j’aborderai au petit jour la descente sur Bourg-Argental.
À Planfoy j’entre dans la zone neigeuse et la résistance au roulement s’accentue  ; cette montée de 6.500 mètres, à moyenne de 6 ¼ %, m’est si familière que je puis dire à tout instant si le coefficient de roulement est au-dessus ou au-dessous de la normale. Le chasse-neige n’est pas passé assez tôt et les voitures des paysans ont tracé des ornières profondes qui, congelées, me font valser désagréablement.
Le ciel est couvert, mais les nuages courent et, çà et là, j’aperçois des étoiles  ; la journée sera belle  ; avec le froid qu’il fait il ne saurait pleuvoir. Je me livre aux plus heureuses perspectives et me laisse bercer par des pensées fort agréables. Ai-je oublié de dire que je suis seul  ? On ne trouve pas facilement des compagnons de voyage le 1er janvier, et pourtant, si tous ceux que les vaines cérémonies assomment s’étaient joints à moi, quelle cohue  ! Mais voilà  ! on n’ose pas mettre ses actes d’accord avec ses idées et le préjugé continue à régner sur les pauvres humains.
Sur le plateau de la République la neige était relativement bonne et... cyclable, mais la traversée des bois fut pénible. Je me consolais en pensant que sur le versant méridional, dès la sortie du bois, je trouverais, comme d’usage, la route nette et admirablement roulante, que tous les cyclistes stéphanois connaissent. Hélas, sur l’autre versant ce fut pire  : il avait plu et neigé, dans la vallée du Rhône, trois fois plus abondamment que chez nous.
Ces beaux kilomètres de descente douce, que je négocie toujours à 30 et 36 à l’heure, il me fallut les faire à toute petite vitesse, avec une prudence extrême, sous peine de chutes que je n’évitais pas toujours  ; car il n’est pas commode du tout de circuler dans une neige épaisse de 15 centimètres et battue en tous sens par les piétons et les attelages. Je ne pus marcher enfin un peu vite qu’en arrivant à Bourg-Argental, en retard d’une demi-heure sur mes prévisions. Je pédalais vivement sur mon grand développement de 8 mètres, quand je rencontrai mon ami F..., un des vainqueurs du Tourmalet et le champion de la rétro-directe dont il est féru autant que l’Homme de la Montagne. Il m’attendait au passage pour m’emmener déjeuner au milieu de sa charmante et sympathique famille. Comme bien vous le pensez, on se la souhaita bonne et heureuse selon la formule et ma moustache frôla des joues bien jeunes et bien rosées. À neuf heures et demie seulement, je pensais à reprendre mon voyage si aimablement interrompu.
Le soleil était chaud et les ornières de boue fondante rendaient la marche de plus en plus pénible. Cependant, en avançant vers le Rhône, le sol devint convenable et, d’Andance à Sarras, tantôt avec 8 mètres, tantôt avec 5 m. 20 je filai bon train.  »
Vélocio, «  Mon premier janvier 1903  », Le Cycliste, décembre 1902, p . 225-230, Rétrospective 1953, p.49

NOËL, 1904

«  Ce jour de Noël fut très froid chez nous et j’eus de la glace aux moustaches avant même d’être sorti de la ville qu’emplissaient encore de bruit à 2 heures du matin les réveillonneurs. Je gravis la côte de Planfoy à petite allure, afin de ne pas arriver là-haut en moiteur  ; la lune m’inondait de sa pâle clarté, les arbres couverts de givre étincelaient et la route neigeuse crépitait sous mes pneus. C’était charmant et la solitude complète laissait mon imagination libre de vagabonder à son aise  »
Vélocio, «  Randonnées hivernales (Noël)  », Le Cycliste, 1904, p.32-36, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

LE COL DU ROUSSET À 8 HEURES DE SAINTTIENNE, 1905

— La clairette de Die  ! mais vous parlez d’avant le déluge   ; il y a beau temps qu’on ne fait plus de clairette à Die, où vous n’en trouveriez pas une bouteille.
— Bah  ! mais l’on en trouve partout, à Lyon, à Valence et au col du Rousset où elle est même excellente, meilleure que partout ailleurs. Est-ce que par hasard...
— Je regrette d’avoir troublé votre digestion (car c’est à mon retour qu’un Diois d’origine m’apprit cette nouvelle inquiétante), mais la clairette de Die est un mythe. Cette délicieuse sensation de raisins muscats écrasés entre les lèvres qui fit la réputation du vin de mon pays a disparu avec nos vignobles d’antan ruinés par le phylloxéra.
— Allez donc au col du Rousset, vous l’y retrouverez dans le joli vin blanc mousseux qu’on ne trouve sans doute plus que là et qui laisse justement dans la gorge ce bouquet dont vous parlez. Je me refuse à croire que la chimie intervienne là et transforme en clairette un quelconque vin blanc mousseux, et j’incline plutôt à penser que le bon cru d’autrefois n’a pas disparu pour tout le monde.
— Au fait, il n’y a que la foi qui sauve et quand je voudrai boire de la clairette du Die, j’irai, moi aussi, non plus à Die, mais au col du Rousset.
Comme il s’agit d’un raid plutôt que d’une excursion à la papa, je choisis mon n° 1 qui me servit, il y a deux mois, pour le Lautaret, et je pars, seul, à 5 h. 10  ; un peu tard, me ferez-vous peut-être observer, mais le temps était incertain, le baromètre inquiétant et je tenais à voir comment l’état du ciel allait se modifier au lever du soleil. On devient observateur en voyageant, et nous savons tous que l’approche du soleil change souvent du tout au tout les présages du temps qu’il fera dans la journée.
Je partis donc, rassuré, et j’arrivai en 55 minutes au col des grands bois que j’avais cru jusqu’ici n’être qu’à 1165 mètres et qui se trouve bel et bien à 1.165 mètres   ; par contre, la pente moyenne des six premiers kilomètres, que j’estimai à 6,25 %, n’est que de 6,10 %. Je tiens ce renseignement des nouvelles bornes kilométriques sur lesquelles l’administration a eu l’excellente idée d’inscrire l’altitude. Les bornes du Ventoux étaient déjà ainsi cotées quand j’y grimpai pour la première fois, et j’avais alors exprimé le désir de voir se généraliser cette façon de mettre à la raison les emballés et les hâbleurs qui vous affirment avoir enlevé à belle allure du 15 ou du 20 % alors qu’il s’agit d’un modeste 7 ou 8 %. On leur mettra le nez sur les bornes, à l’avenir, à ces Tartarins.
Vingt minutes après, j’étais à Bourg-Argental   ; le P.-L.-M., pour ce trajet de 29 kilomètres, ne nous demande pas moins de 3 heures  ! Il est vrai, qu’il nous fait payer 3 fr. 40 et nous véhicule pendant 68 kilomètres  !
Vélocio, «  Le Col du Rousset à 8 heures de Saint-Étienne  », Le Cycliste, août 1905, p.142-146, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

L’ÉCOLE STÉPHANOISE, JANVIER 1907

10 JANVIER 1907

En ce moment, le plateau de la République et les Grands-Bois offrent aux amants de la nature que nous sommes tous à l’E. S., un spectacle de toute beauté dont n’auront jamais la moindre idée les cyclistes qui ne grimpent là-haut qu’en juillet, août et septembre.
C’est pourquoi, au lieu d’aller à Neulise ainsi qu’il avait été décidé tout d’abord, on ira, dimanche prochain 13 janvier, voir le temps qu’il fait dans la vallée du Rhône, via Planfoy et La République, à l’aller comme au retour.
Grâce au zèle des cantonniers, la route est parfaitement cyclable et l’on pourra marcher à bonne allure.
Emporter de quoi se couvrir copieusement, car en cette saison, la descente, avec une jolie bise dans le nez, n’aurait rien de récréatif si l’on n’avait pour tout vêtement qu’un faux-col et des manchettes.
Déjeuner solidement avant de partir, les jours sont trop courts pour qu’on aille s’enfermer deux heures dans une auberge, et l’on vivra, en cours de route, des provisions tirées des sacs.
Départ à 9 heures de la Digonnière, demi-tour à Andance, et rentrée entre 16 et 17 heures avec 100 kilomètres et 1000 mètres d’élévation.

17 JANVIER 1907

La promenade de dimanche dernier fut charmante, tellement que nous aurions récidivé dimanche prochain, si le dégel n’était survenu. Mais le soleil jaloux a ravi aux grands bois leur parure hivernale  ; le sol n’est plus crépitant, les fils télégraphiques ont perdu leur manchon de givre, et les sapins géants, dont les branches ployaient sous un manteau de glace, ont repris leur aspect ordinaire.
Ce fut une promenade charmante  ; en quelques instants, passer des brumes et des neiges norvégiennes aux chauds et lumineux rayons d’un soleil d’Italie et revenir en quelques coups de pédale de la lumière à la nuit, du ciel bleu au brouillard opaque, qu’y a-t-il de moins monotone  ?
Nous irons donc, dimanche prochain 20 janvier, d’un autre côté, vers Chazelles, Duerne, Sainte-Foy-l’Argentière, retour par Montrond  ; une centaine de kilomètres que l’on couvrira sans précipitation entre 9 heures et 16 heures. Réunion à 8 heures et demie aux bureaux du Cycliste, 5, rue de la Préfecture.
Emporter quelques provisions pour s’alimenter en cours de route, car on ne s’arrêtera pas pour déjeuner.
Comme l’E.S. n’est pas seulement l’école buissonnière par excellence, qu’elle est aussi, et surtout, une école mutuelle des choses de la vie pratique  ; comme enfin nous n’allons pas toujours à 30 à l’heure, ainsi que l’insinuent de mauvaises langues, nous avons l’habitude de discuter entre nous, en pédalant, de omnire scibili et quibusdam aliis.
Dimanche prochain, sera mise sur le tapis la proposition suivante  :
«  Du cas que l’on doit faire de l’opinion publique.  »

24 JANVIER 1907

Au cours de la promenade de dimanche dernier, après une discussion assez longue qui permit aux idées les plus excentriques de se faire jour, il a été admis que l’opinion publique était une force sourde et aveugle mais brutale et irrésistible  : qu’il était donc aussi stupide de lui obéir que maladroit et même imprudent de la braver  ; qu’il convenait de la tourner habilement, de la capter, comme on capte un torrent dévastateur, pour s’en servir  ; tout au moins de la dérouter, afin de n’être point bousculé au passage par les moutons de Panurge qu’elle entraîne...
Cependant, les kilomètres succédaient aux kilomètres et, à Chazelles, la nature avait déjà revêtu pour nous ses plus beaux atours  ; le givre suspendait aux branches et aux moindres brindilles des dentelles d’une infinie délicatesse. En approchant de Duerne, le spectacle devint féerique, nous roulions sur une neige crépitante, et les bois d’essences diverses qui s’accrochent là, comme aux parois d’un gouffre, aux flancs de la montagne abrupte, rivalisaient entre eux d’élégance, chacun portant de façon différente les parures que la nature généreuse lui prodiguait.
Vélocio, «  L’École stéphanoise  », Le Cycliste, janvier 1907, p.10-12, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_9

L’ÉCOLE STÉPHANOISE, FÉVRIER 1907

14 FÉVRIER 1907

Si, en été, nos grands bois sont agréables, ils sont, en ce moment, éblouissants, imposants, indescriptibles. Nous les avions vus, le 13 janvier, sous un ciel morne, fléchissant et comme écrasés par huit jours d’un givre qui cassait tout, arbres, poteaux et fils télégraphiques  ; nous les avons revus, dimanche dernier, par le plus beau temps du monde, portant allègrement, non sans coquetterie, leur manteau de neige constellée de diamants polychromes.
Il faut aller jusque sur le plateau (borne 80) si l’on veut se rendre compte de l’énorme quantité d’eau accumulée qui n’attend que le dégel pour remplir nos barrages, mais si vous voulez vous faire quelque idée de la violence des tourmentes qui ont sévi là-haut cet hiver, passez le col et allez jusqu’à La Touronne (borne 90). La neige a culbuté là un petit bois de sapins qu’on avait planté contre elle et s’est amoncelée sur la route qui est encore impraticable aux voitures sur une longueur de 200 mètres que nous dûmes franchir à pied.
Nous étions partis trois, à sept heures et demie  : on avait grimpé gaillardement parfois entre deux murs de neige de plus d’un mètre de hauteur et l’on avait dérogé aux principes en redéjeunant, de 9 heures à 9 heures 45, d’un copieux café au lait, à l’Hôtel du Grand Bois. Nous pensions descendre vers des températures clémentes et méridionales, et jusqu’à Bourg-Argental il en fut ainsi.
Ensuite, le froid redevint plus vif que jamais et, à Andance où nous virions à 11 heures ½, face à un vent du Nord assez vif, il gelait ferme  ; jusqu’à Givors (14 heures ½) et à Rive-de-Gier que nous atteignîmes à 15 heures ½, il gelait toujours  ; mais, chose bizarre, plus nous nous élevions plus le sol devenait mou, et nous ne rentrâmes à Saint-Étienne, en plein dégel, qu’à 19 heures ¾, tant la boue, de plus en plus collante, augmentait le coefficient de roulement. Les compteurs marquaient 146 kilomètres couverts en dix petites heures, tous arrêts inclus.
Dimanche prochain, 17 février, réunion au Cycliste à 7 heures. Notre itinéraire dépendra du temps qu’il aura fait cette semaine et de l’état des routes.
Vélocio, «  L’École stéphanoise  », Le Cycliste, février 1907, p.27-28, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_9

RANDONNÉE PASCALE, 1907

«  Nous partons le jeudi 28 mars, à 16 heures, de l’octroi de Saint-Étienne, et nous grimpons à petite allure au col des Grands Bois (1.160 m.) encore sous un mètre de neige, nous passons cependant sans trop de peine, et nous avons le plaisir de rencontrer, en descendant sur Bourg-Argental, nos amis d’Annonay venus expressément pour nous souhaiter un bon voyage. Nous pédalons quelque temps en leur compagnie, puis, dès Saint-Marcel-les-Annonay, nous prenons congé et nous filons à grande allure de crainte que la nuit ne nous surprenne avant que nous soyons sur les bords du Rhône à Andance. Cette descente, la nuit, est dangereuse, à moins qu’on ne la fasse à une allure de tortue, ce qui n’est pas dans nos habitudes. À 19 heures nous virons à Andance et nous constatons avec peine que le vent est contre nous, pas très fort, mais suffisant pour diminuer de 2 ou 3 kilomètres notre vitesse horaire. On allume les lanternes qui firent vaillamment leur devoir  ; la lune, d’ailleurs, nous inondera toute la nuit de sa pâle clarté.  »
Vélocio, «  Randonnée pascale  », Le Cycliste, mars 1907, p.41 à 45, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_9

MATINÉES DUCYCLISTE”, 1910

Nos matinées, contrariées jusqu’ici par le mauvais temps, promettent d’être cette année, plus suivies que jamais, à en juger par le nombre des cyclotouristes qui ont répondu, le 9 juin, à notre invitation.
Nous nous sommes trouvés dix-sept autour du déjeuner simple, mais substantiel (beurre, miel, café au lait), qu’on a l’habitude de nous servir à l’hôtel du Grand-Bois.
Nous étions montés en petits groupes, chacun à son allure, autour de deux tandems, outils de locomotion qu’on ne voyait plus sur route et qui y reviennent triomphalement, grâce à la polymultiplication, pour, cette fois, y demeurer  ; car rien n’est pratique comme le tandem pour deux cyclistes aimant à sortir ensemble, surtout quand l’un des deux est notablement plus fort que l’autre. De nombreuses expériences nous ont prouvé que, dans ce cas, le rendement total sur un terrain accidenté est égal au rendement du plus fort des deux cyclistes. Nous n’avons donc pas été surpris de voir, jeudi dernier, un des tandems, monté, il est vrai, par deux vigoureux équipiers, arriver au col bon premier en 45 minutes (13 kilomètres et 660 mètres d’élévation)  ; le second tandem, conjugal celui-là, suivait à 4 minutes, après avoir lâché successivement tous les cyclistes, sauf trois.
Le temps était superbe, avec cependant un peu de vent du Midi qui, désembrumant les lointains, nous a permis de voir nettement la chaîne des Alpes.
À la demande générale, il a été décidé que l’on se réunirait désormais deux fois par semaine  : le mardi et le jeudi. Le jeudi restant consacré aux essais de vitesse, aux tentatives contre les records, le mardi sera le jour des promeneurs aux allures paisibles qui, afin de respirer plus longtemps l’air salubre de la montagne, partiront, aussi bien le mardi que le jeudi, à 4 heures du matin, de la Digonnière  ; tandis que les départs chronométrés n’auront lieu que le jeudi, à 4 heures et demie.
Je ne saurais trop engager les cyclotouristes qui désirent trouver des compagnons d’excursion et propager autour d’eux la polymultiplication, à prendre l’initiative de semblables réunions, en leur donnant pour but autant que possible un terrain accidenté où l’on puisse apprécier les changements de vitesse.
La comparaison des pneumatiques, des freins, de toutes les parties constitutives de nos montures et surtout des dispositifs de polymultiplication, transforme ces réunions en un véritable cours d’enseignement mutuel et la pointe d’émulation qui ne tarde pas à paraître a vite fait de les rendre intéressantes et amusantes pour tous.
Vélocio, «  Matinées du Cycliste  », Le Cycliste, Juin 1910, p.118-119,Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_11

RANDONNÉE PASCALE, 1923

«  J’avais quitté Saint-Étienne à 2 h. ½ et jamais je ne montai si agréablement au col des grands bois, tant la température était douce, la lune complaisante et mon esprit occupé à remuer des souvenirs dont j’allais, tout le long des 250 km. qui devaient me conduire aux Baux, retrouver maintes traces. Les souvenirs sont de bien aimables compagnons que ne connaissent pas les jeunes gens, mais qui peuplent et animent la solitude des vieillards  ; or, j’entre, ce mois d’avril, en ma 71e année et j’ai si souvent descendu et remonté cette belle vallée du Rhône que je n’y serai jamais seul un instant.  »
Vélocio, «  Randonnée Pascale  », Le Cycliste, juillet-août, 1923, p.73-75, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_14

MON 14 JUILLET, 1923

«  Je gravissais tranquillement la rampe du bourg au col, heureux de revoir à droite et à gauche des vallons et des collines, des ruisseaux et des rochers, des maisons même et des bois entourant des prairies et des moissons jaunissantes, que je connais par le menu depuis trente ans, depuis que, grâce à la Poly, je tourne plus volontiers mon guidon du côté de la montagne que du côté de la plaine. Soudain, surgit près de moi une jeune femme à bicyclette, monomultipliée s’il vous plaît, mais qui poussait son unique 5 mètres avec autant de force que de grâce  ; j’avais mon 3 m. 40 et je trouvais que c’était bien suffisant. Je fus d’abord un peu surpris et, s’il faut être sincère, mortifié, mais mon étonnement cessa quand je reconnus Mme D... qui, à la journée Vélocio, avait établi le record de la série ouverte aux dames en 53’ 50” sur cette même bicyclette. Nous causâmes un instant en attendant M. D..., qui, muni d’un dérailleur Chemineau, suivait moins vite mais avait de bonnes et honorables raisons pour justifier sa moindre allure. M. D..., grand blessé de guerre, est unijambiste et monte au col aussi bien d’un côté que de l’autre, plus vite encore que bien des cyclistes munis de leurs deux jambes. J’eus beaucoup de plaisir à terminer à ses côtés les cinq ou six kilomètres qui nous restaient à faire pour atteindre le col et nous marchâmes bel et bien à 10 à l’heure  ; Mme D..., accompagnée de son frère et de son neveu, garçonnet de 13 à 14 ans, avait pris les devants et le 15 à l’heure dans le 4 et 5 % semblait son allure normale. M. D... m’expliqua que, sa jambe gauche ayant été coupée au-dessus de genou, il s’était ingénié à combiner un dispositif qui lui permît d’utiliser le moignon qui lui restait et l’articulation de la hanche pour agir sur la pédale gauche. Il y avait réussi à tel point que non seulement il pouvait facilement franchir l’angle mort, mais la jambe mutilée fournissait un effort suffisant pour qu’il pût, en palier, entretenir le mouvement sans l’aide de la jambe valide. Voilà un exemple dont beaucoup de mutilés de guerre, dans le même cas, pourraient faire leur profit et que je suis heureux de signaler, tout comme celui de Mme D..., qui démontre péremptoirement que la femme peut aussi bien que l’homme excursionner et même randonner à bicyclette, j’ajoute polyxée, car il n’est permis qu’à très peu de femmes de grimper sans danger au col des grands bois avec 5 m., et Mme D... m’a elle-même avoué qu’elle ne partirait pas pour de longues randonnées accidentées sans un changement de vitesse.  »
Vélocio, «  Mon 14 juillet  », Le Cycliste, Sept.-Oct. 1923, p.89-92, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4

À LA TRAPPE D’AIGUEBELLE, 1927

«  Pour le moment, je grimpe dans la nuit avec 3 m. 50, moins dévêtu que d’habitude, parce qu’il fait plutôt froid et je ne tarde pas à rouler sur une mince couche de neige qui va s’épaississant. En entrant sous bois, je suis émerveillé de voir nos beaux sapins délicatement saupoudrés de cette neige immaculée qui leur fait en hiver une si belle parure. Il est rare que la nature les habille ainsi dès la mi-novembre. Au col, je me couvre de vêtements et de papier en prévision de la longue descente de 12 km, jusqu’à Bourg-Argental qui, surtout en hiver, nous gâte tout le plaisir que nous avons eu à monter  ; et j’allais me remettre en selle quand je vois surgir un de mes compagnons, P..., du Pertuiset, jeune lauréat de la dernière Journée Vélocio, arrivé premier de la série de 18 à 21 ans en 42’. P... m’apprend que nos deux autres compagnons viennent plus lentement et arriveront... quand ils arriveront, en tous cas avant 19 heures, heure de la fermeture des portes de l’hôtellerie.
Ensemble nous nous engageons dans la descente et nous sommes désagréablement surpris en trouvant sur ce versant où la température est toujours plus clémente, la route beaucoup plus enneigée, mauvaise et dérapante que sur l’autre versant  ; le froid y est aussi plus vif, et c’est avec l’onglée aux pieds et aux mains que nous entrons enfin à Bourg-Argental, d’où nous partons à toutes pédales pour nous réchauffer. Les bornes kilométriques défilent rapidement et nous voici après Saint-Marcel à la bifurcation de la route de Boulieu où, depuis quarante ans, j’eus si souvent le plaisir de rencontrer mon vieil ami, Féasson, d’Annonay, que la mort est venue frapper soudainement au milieu des siens, il y a quelques jours à peine. Il me semble le voir accourir encore sur la vieille, mais toujours bonne Rétrodirecte, que le capitaine Perrache lui avait léguée  ; il me semble l’entendre me souhaiter la bienvenue et me dire qu’il m’accompagne à la condition qu’au retour je serai son hôte, que je m’arrêterai dans la maison familiale où toujours les randonneurs de l’E. S. furent accueillis avec joie. Féasson avait pris une part brillante aux deux premiers concours du T. C. F. en 1902, à Tarbes, et en 1905, à Grenoble. Je perds en lui un ami personnel, mais le cyclotourisme français perd un de ses meilleurs représentants et la Rétrodirecte un de ses derniers partisans.
Ces tristes pensées ont un peu ralenti mon allure, et mon compagnon a pris les devants  ; je ne l’aperçois plus, mais le soleil est venu égayer et réchauffer le paysage, si bien que je commence à avoir trop chaud sous mon manteau et mon passe-montagne et que je me remets à l’aise.

[...Au retour...]
Entre Sarras et Andance, dans un coin ensoleillé, j’ai fait passer dans l’estomac le pain qui restait dans mon sac, agrémenté de quelques bâtonnets de chocolat d’Aiguebelle, et je me sens capable d’affronter les 37 km. ½ de rampe plus ou moins constante qui aboutissent au col des Grands-Bois et qui ont toujours été un morceau dur à digérer au retour d’une longue excursion, même au temps où florissait l’École Stéphanoise, où Thorsonnax faisait en 17 h. les 320 km. de Saint-Étienne au col du Rousset et retour. Tout en grimpant à 8 à l’heure avec 3 m. 50 dans le 7 à 9 % du début, je trouvais étonnant que nous n’ayons jamais, en ce temps-là fait, de la Trappe d’Aiguebelle, le but d’une excursion dominicale. Avec départ à 2 heures et 30 minutes d’arrêt à Valence pour déjeuner, on eût été facilement à 9 h. ½ à Aiguebelle, où le repas du jour est servi à 10 h. 30’  ; on repartait à 14 heures, après visite de l’abbaye, et à 22 heures on était de retour à Saint-Étienne, après avoir eu le temps de dîner aux Grands-Bois et s’être accordé trois heures pour y monter d’Andance. C’eût été un jalon plus facile à poser que celui du col du Rousset et que bien d’autres circuits que nous fîmes à cette époque où il s’agissait de démontrer la valeur de la bicyclette polyxée comme moyen de transport rapide.
[...]
En conversant ainsi avec moi-même, j’arrive à 13 h. 45’ à Bourg-Argental  ; en deux heures, j’ai fait tout juste 25 km. et je prévois qu’il me faudra au moins une heure et demie pour atteindre le col dont ne me séparent que 12 km., car je vais avoir contre moi un peu de vent contraire, un sol exécrable et 600 mètres d’élévation. Je me leste donc d’un café chaud et d’une pogne de Romans. La pogne me coûte 1 fr. 25 et le café 90 centimes, et cette dernière dépense porte à 18 francs et quelques centimes le coût total de cette excursion de deux jours  ; on peut donc encore voyager à bon compte, il suffit de savoir s’y prendre et de se comporter en cyclotouriste plutôt qu’en gastrotouriste.
[...]
Je n’en serais pas moins arrivé très frais, à cause du froid et du brouillard, et assez dispos à la borne 85,5 qui marque le point culminant. Jusqu’à mi-côte, le soleil m’avait accompagné, puis il s’était caché derrière les nuages qui, plus l’on montait, plus s’épaississaient, et la neige réapparaissait sous mes roues  ; fin d’étape désagréable. Mais il n’y avait pas à tergiverser, il fallait rentrer avant la nuit et les 16 km. de descente ne pouvaient être négociés en 30 minutes comme en été. Des gels et dégels successifs avaient, depuis trois jours, mis le sol, déjà très mauvais par lui-même et sillonné d’ornières profondes et irrégulières, dans un état dangereux même pour un cycliste muni de bons yeux, et les miens sont faibles. Je ne fus donc pas trop surpris de déraper deux fois en moins d’un kilomètre et d’aller nager au beau milieu de la route, d’abord à droite, ensuite à gauche  ; je sais tomber, heureusement  ! J’en fus quitte pour quelque vague meurtrissure d’une hanche et d’une épaule et ma bicyclette n’eut pas de mal. Je fis à pied ce qui restait du passage dangereux, et le froid fut si vif un peu plus loin que je dus courir pendant au moins 500 mètres pour me réchauffer  ; désagréable fin d’étape, en effet.
Seulement quand, un peu plus tard, je me trouvai lavé, douché, frictionné, dans du linge sec et enveloppé de la tiède atmosphère du home familial, je goûtai une telle volupté de bien-être, inconnue de ceux qui avaient passé la journée à fumer, à lire et à somnoler près du feu, qu’il me sembla que tous les désagréments que cette fin d’étape m’avait apportés avaient été nécessaires pour éveiller en moi cette indicible sensation d’euphorie. De même qu’après une étape dure et fatigante (ce n’était pas le cas aujourd’hui, parce que j’en avais pris tout le jour à mon aise), on est heureux de se reposer et de dormir quand on a lutté longtemps contre le sommeil.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste” À la Trappe d’Aiguebelle  », Le Cycliste, Nov.-Déc. 1927, p.94-99, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, MAI JUIN 1928

«  Conformément à mon programme, j’avais quitté Saint-Étienne le dimanche à 2 heures et j’avais gravi le col des Grands-Bois sous un ciel merveilleusement étoilé et sous une impression assez bizarre, résultat de quelques lectures que j’ai faites récemment et des réflexions concomitantes sur l’éternel problème de la destinée humaine dont toutes les générations qui se sont succédé sur la terre ont vainement, à tour de rôle, demandé la solution à tous les échos  : à la science, qui n’a jamais répondu que par des hypothèses, au lieu des certitudes qu’elle nous doit  ; à la religion, qui a toujours répondu, mais par de simples espérances que la foi seule transforme en certitudes.
Ce sont là des questions qui n’ont rien à faire ici, si ce n’est indirectement, car elles m’absorbèrent au point que je ne m’aperçus réellement pas de l’effort que je faisais pour m’élever d’un train soutenu de l’altitude 600 à l’altitude 1.165. J’avais mis, au pied de la côte, ma chaîne sur la petite vitesse (3 m. 30) de ma flottante Ballon n° 2 et je la retrouvai au sommet sur la moyenne (5 m.), sans que j’aie pu me rappeler à quel moment je l’avais déplacée. Voilà donc un bon moyen de faire les montées  ; je savais déjà que, la nuit, les rampes nous semblent moins raides  ; être seul, sous l’empire d’une pensée dominante, peut-être aussi encore mal éveillé, voilà qui facilite également notre tâche. Les coureurs, qui pédalent avec l’idée fixe d’arriver au but, doivent sentir beaucoup moins la fatigue que ceux qui se laissent distraire par d’autres pensées. Être deux et converser agréablement, nous rendit aussi quelquefois la route moins longue et moins pénible. Bref, le moral réagit sur le physique beaucoup plus qu’on ne le croit, mais il faut pour cela que la route ne soit ni encombrée, ni dangereuse, sinon l’instinct de la conservation prime tout, et je m’en aperçus pendant les 12 km. de la descente, du col à Bourg-Argental, en pleine nuit, où je fus constamment sur le qui-vive. Mes freins furent à l’ouvrage jusqu’au moment où l’aube naissante me permit de filer bon train. À 5 h. 15, je franchis, à Andance, le passage à niveau, en retard d’un bon quart d’heure sur mes prévisions.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », mai juin 1928, p.39-40, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, JANVIERVRIER 1929

«  Après une dernière halte, agrémentée d’un café exquis et de quelques biscuits offerts par l’aimable Mme Martin, je me décidai, à 13 heures moins le quart, à aller voir si le col des Grands-Bois était vraiment aussi incyclable qu’on me l’avait dit. Je pris naturellement la petite vitesse 3 m. 25 de ma flottante et je roulai dans la boue dès le départ, puis ce fut dans la neige fondante, ensuite dans une neige à demi congelée  ; enfin, à la borne 89, à 3 km. du sommet, je dérapai soudain sur la glace. Je m’y attendais et je continuai à pied. Et cela dura jusqu’à la borne 80  ! On ne m’avait donc pas trompé, mais ce n’était pas payer trop cher le plaisir que j’avais eu pendant ces trois jours, et comme je rentrai avant la nuit, je pus dire, comme Pangloss, que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, car descendre du col en pleine nuit m’aurait été bien désagréable.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », Le Cycliste, janvier-février 1929, p. 5-10, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, MARS AVRIL 1929

«  À quatre heures, le 31 mars, j’étais dans ce but au pied de la côte du Grand-Bois, armé de ma Ballon n° 2 qui entre dans sa deuxième année et qui n’est toujours que trixée par flottante, alors qu’il est de mode aujourd’hui d’infliger à une bicyclette de grand tourisme un nombre incalculable de vitesses. Il n’en faut, paraît-il, pas moins de neuf, à en juger par quelques machines que j’ai rencontrées et qui étaient montées par des cyclistes dans la force de l’âge, solides gars, assez semblables à mes jeunes compagnons d’autrefois auxquels suffisaient deux ou trois vitesses pour aller dans leur journée de Lyon à Nice ou à Turin.  »

«  À cette heure matinale la circulation, même sur la route nationale 82 qui joint, par le plus court, Paris à la Côte d’Azur, n’est pas encore active  ; je ne dépasse que quelques groupes de piétons et ne suis dépassé que par trois autos  ; un peu de lune éclaire suffisamment pour rendre inutile ma lampe de poche qui constitue tout mon éclairage. Sur le plateau de la République, le vent du nord qui me sera tout le jour un puissant adjuvant, commence à se faire sentir  ; il est froid, j’active l’allure et je m’arrête bientôt devant l’Hôtel des Grands-Bois, encore hermétiquement clos. Je m’empresse de me couvrir de tous les vêtements dont je dispose  ; sur le tout, je déploie mon imperméable en toile huilée que le froid raidit et qui m’enveloppe comme d’une crinoline, je rabats ma casquette sur les oreilles, puis, couvert autant qu’on peut l’être et que je l’étais peu à la montée, je me laisse aller en me mettant, selon mon habitude, sous la protection de l’infini ce grand mystère qui, du berceau à la tombe, plane sur l’humanité.
Le jour point, la descente est moins désagréable que je ne m’y attendais  ; la route ayant été réparée çà et là est moins mauvaise, dans l’ensemble, que l’été dernier. Quand elle sera, en aval de Saint-Étienne, aussi bonne qu’elle l’est en amont, nous pourrons bâcler en deux heures et demie les 54 km. qui nous séparent des bords du Rhône, que je n’atteins aujourd’hui à Andance qu’à 7 heures, trois heures après mon départ.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste” », Le Cycliste, Mars Avril 1929, p.30, Source Archives Départementales

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