L’art de faire 100km sans fatigue (janvier 1900)

vendredi 12 janvier 2018, par velovi

Par J. Crépieux- Jamin, Touring Club de france, Janvier 1900

Avez-vous remarqué comme notre vitesse sur route augmente tous les ans  ? Bientôt, avec la roue libre et les machines à deux développements, nous ferons du 20 à l’heure, sans nous employer. Chaque progrès concourt à ce résultat, il en est de sensationnels qui appartiennent à notre chère Revue.

Rappelez-vous la série d’articles parus en 1895-96 sur les manivelles et la multiplication.

Ce fut une révélation et beaucoup d’entre nous ont voué une véritable reconnaissance aux promoteurs de cette campagne, principalement à M. le docteur Chenantais. Toutefois cette question du développement me semble accapareuse.

Maints cyclistes ont une tendance à tout y subordonner et montrent un injustifiable dédain pour les autres parties de la machine et les conditions de la marche. Le bénéfice d’une bonne manivelle, même quand elle est associée à une multiplication rationnelle ne se fait pas sentir, en compagnie de pignons mal choisis, d’une chaîne plate fatiguée, de roues trop grandes, de petits pneumatiques ou de gros sans souplesse, etc. Tout cela est-il en ordre ? On roule encore péniblement dans une mauvaise position ou sur une selle défectueuse comme il y en a tant. Sans compter les écueils du costume et de l’alimentation.

Et c’est justement ce que je voudrais mettre en relief  : l’extrême complexité du problème que nous cherchons tous à résoudre pour aller le plus vite et le plus longtemps possible avec le moins de fatigue.

Dans l’état actuel de la mécanique vélocipédique, un homme bien portant quelque peu entraîné, pourvu d’une machine convenablement adaptée à son poids, à sa force et à ses dimensions et respectant son coefficient de vitesse, en un mot avec des aptitudes moyennes bien mises en valeur, ne parvient pas à se fatiguer en faisant 10 heures de marche en un jour, c est-à-dire 125 kilomètres. Cette allure moyenne de 12 kil.500 à l’heure, repos compris, équivaut à une marche effective de 15 kilomètres  ; c’est celle du promeneur. J’imagine, bien entendu, qu’il na pas à lutter contre un vent excessif et des côtes continuelles.

Pour peu que le touriste soit particulièrement doué ou que le vent lui soit favorable, il ambitionnera légitimement de couvrir dans les jours longs, qui lui procurent un grand repos de six heures entre l’aller et le retour 150 et même 175 kilom. sans cesser de se promener.

Ces chiffres sont rarement atteints ils sembleront excessifs à beaucoup de lecteurs , il leur suffira cependant de se mettre dans les conditions voulues pour les obtenir.

Quelles sont ces conditions  ? Elles sont nombreuses et complexes et ne résultent pas toujours des tableaux de proportionnalité. Un certain doigté, un bon sens pratique doit présider à toutes les déterminations du cycliste. La science nous fournit des moyens mais leur utilisation, leur adaptation à chacun de nous est un art.

Voyons, par exemple, la multiplication. Si on en a tant parlé c’est justement parce que la question est insoluble par les seules considérations mécaniques  ; la physiologie du cycliste, cette inconnue, toujours variable, déconcerte tous nos calculs, bien plus il y a pour chacun de nous dix raisons pour les grandes multiplications et dix raisons pour les petites. Les machines à deux vitesses si désirables répondront encore grossièrement à ces besoins. En attendant il faut choisir un seul développement.

Lequel  ? Habitez-vous un pays de plaine ? Faites-vous de grandes promenades  ? Êtes-vous bien musclé  ? Avez-vous une machine très roulante, des pneus souples et des manivelles d’au moins 17 centimètres proportionnées à votre taille  ? Portez-vous peu de bagages sur votre machine ? Ce sont autant de raisons qui semblent vous autoriser à choisir un fort développement.

Résidez-vous dans un pays ondulé  ? Limitez-vous vos promenades à une cinquantaine de kilomètres et préférez-vous, ce qui est fort sage, diminuer votre vitesse possible au profit de votre travail musculaire habituel et effectif ? N’êtes-vous plus de première jeunesse ou s’agit-il d’un adolescent ? Êtes-vous de petite taille ? Voyagez-vous avec un lourd bagage ? C’est pour vous que sont faits les petits développements.

Qu’est-ce qu’un grand développement  ? C’est approximativement pour le même individu 5 m. s’il habite un pays très accidenté, 5 m. 50 dans un pays ondulé, 6 m. en plaine.

Qu’est-ce qu’un petit développement ? C’est 5 m. en plaine, 4 m. 50 en pays ondulé, à peine 4 m. en pays montagneux. Il résulte de ces faits et circonstances le principe de l’extrême variabilité de la règle.

Dans l’application, tout entre en ligne de compte. Ainsi après avoir conseillé le développement de 6 m. 04 à un parisien auquel il semblait merveilleusement convenir, j’ai brusquement ramené ce chiffre à 5 m. 35 en apprenant qu’il faisait beaucoup de bicyclette dans Paris.

Le grand développement a de la chasse ; c’est dangereux en ville. Avec une petite multiplication la marche est plus souvent régularisée, le cycliste est singulièrement plus maître de sa machine. C’est pour cette raison que je condamne dans tous les cas, pour le touriste les multiplications supérieures à 6 m. Il n’en a a pas besoin et à partir de ce chiffre non seulement il perd en tension ce qu’il gagne en diminution de mouvement, mais encore sa sûreté est compromise.

Parmi les règles établies il en est de plus impératives que d’autres.

Pour le développement 25 centimètres de plus ou moins quand on est dans ses limites n’offrent pas d’inconvénients. Les avantages se balancent. Il n’en est pas de même pour la longueur des manivelles. C’est décidément une chose capitale. Je croyais que M. le Dr Chenantais, exagérait quand il écrivait  : «  Que l’on soit bien persuadé qu’il n’est pas indifférent de perdre 5 m/m au bout de sa manivelle, cela peut vous changer du tout au tout votre machine comme facilité de roulement.  » C’est l’absolue vérité.

Ne pas avoir des manivelles de 17, quand on mesure 77 d’entre jambes, de 17 1/2 quand on a 80 et de 18 quand on a plus de 83 c’est se mettre bénévolement et sans aucun avantage en retour dans un état d’infériorité considérable.

Une autre mesure impérative, c’est la hauteur de la selle. On doit se placer généralement à une hauteur telle, que l’on puisse pédaler avec les talons, placés sur le centre des pédales.

En effet notre erreur consiste presque toujours à être monté trop haut. A quoi sert-il d’avoir sa manivelle proportionnelle si par une tension malencontreuse on en annule les effets bienfaisants. C’est là précaution inutile. La même observation s’applique aux bras.

Tout cycliste qui marche le jarret tendu, les bras en avant, le corps penché est en tension supplémentaire. Je ne m’occupe pas ici des coureurs. Je parle du touriste qui ne dépasse pas actuellement des vitesses moyennes de 15 à 16 kil. à l’heure pour lesquelles il est absolument inutile de faire le dos rond.

On ne se fatigue pas seulement en poussant les pédales, la fatigue est le produit de l’activité sous toutes ses formes ; toute contraction musculaire la produit, Quand le buste, les bras ou les jambes ne sont pas souples, libres, nous nous fatiguons.

La machine humaine ressemble à un réservoir dont la force peut s’écouler vite ou lentement selon qu’on favorise son échappement.

Éviter les fuites, tout est là. C’est s’en garantir que d’avoir un pneu bien souple annulant automatiquement les petites aspérités de la route, c’est en détourner une autre que d’avoir une selle sans ressorts, afin d’assurer la netteté du coup de pédales etc.

Je répète que grâce à une habile épargne et à une bonne distribution de ses forces, le moindre cycliste devient capable de faire en un jour plus de cent kilomètres sans fatigue.

— Eh bien, répond M. B. j’ai une excellente machine parfaitement adaptée à ma personne, je marche facilement mais je n’ai jamais su dépasser 70 kilomètres.

Je me fais présenter la machine. C’est une Peugeot admirablement roulante. Elle a des manivelles convenables pour son possesseur, mais le développement de 6 m. 04 est excessif relativement à la région qu’il habite. Je fais monter M. B. devant moi. La jambe est trop tendue. Je baisse la selle de deux centimètres et je le décide à diminuer son développement de 0 m. 75.

Quelques jours après je l’entraîne de Rouen à Dieppe, aller et retour, soit 122 kil. En route je l’ai empêché de boire à plusieurs reprises.

Régime : Un petit bol de lait très sucré à la deuxième heure de marche. Déjeuner léger, une côtelette de mouton à midi. C’est d’une digestion très facile. Lait sucré à 4 h. 1/2. Rentrés le soir à 8 heures sans fatigue.

M. le Dr J., homme jeune et vigoureux, regrette aussi de ne pouvoir faire de longues promenades. Il me soumet sa machine. Elle est si défectueuse avec ses billes mal calibrées, ses petits pignons, sa chaîne usée, avec un guidon plongeant, etc., je lui conseille d’en changer.

On lui en fabrique une sur mes indications. Il se déclare enchanté du roulement, mais il est encore fatigué après 40 kilomètres. Fort étonné je le fais mettre en selle devant moi. J’observe qu’il est sensiblement trop haut. Je baisse la selle de trois centimètres. Il est aussi trop en arrière, il en résulte que les jambes sont dans une perpétuelle contraction. J’avance la tige de selle de plus de 2 centimètres, juste assez pour que ses mouvements soient libres. Il s’écrie qu’il est trop bas, qu’il ne pourra pas marcher, j’insiste cependant et j’obtiens qu’il essaie. Depuis lors il a fait avec une aisance extraordinaire plusieurs grandes excursions que, de son propre aveu, il n’eût jamais osé entreprendre auparavant.

M. M. N. a une machine américaine qui lui a coûté fort cher, aussi la proclame-t-il parfaite.

Mais il se fatigue vite dessus. J’examine la machine elle est de bonne dimension relativement à son propriétaire, mais son pneu simple tube n’est pas souple et elle a une chaîne plate qui coince. Pas de rattrapes. Je ne sais qui a dit qu’une machine sans rattrapes était inachevée  ; la formule est bonne. On change le pneu, la chaîne, les pignons et on met des rattrapes. L’amélioration est très notable mais M. M. N. craint encore les cent kilomètres en un jour. En le questionnant, je découvre qu’il part à trop vive allure, qu’il fume en marche et qu’il mange trop au déjeuner où il se sert deux verres de cognac.

En évitant ces erreurs je le conduis à Saint-Valery-en-Caux d’où il revient le soir en bon état ayant couvert 140 kilomètres.

J’ai vu un jeune homme bien portant, entraîné, possédant une excellente machine, nous accompagner péniblement dans une promenade de 50 kilomètres. Une visite sommaire de sa bicyclette en fit découvrir la cause  : tous les roulements étaient en mauvais état, remplis d’un affreux cambouis, avec des serrages trop justes. Il n’en fallait pas plus pour détruire l’aisance de la marche. La différence fut grande avec une chaîne propre, modérément tendue, et des roulements réglés et graissés.

Je serais un peu long si je racontais l’histoire de tous ceux que j’ai amenés à faire cent kilomètres sans peine.

Ce que j’ai voulu montrer, par les exemples ci-dessus, c’est par quels modes imprévus on se met dans l’état d’infériorité.

Avoir une bonne machine, c’est la solution du problème fondamental ; la monter sans tension, avec un rythme régulier, en ne marchant jamais à son maximum pour ménager ses forces, est la seconde condition d’un résultat supérieur. - Mais celui qui, avec cela, est sobre et quelque peu entraîné devient infatigable, à l’allure moyenne de 13 à 16 kilomètres à l’heure, et à raison de 8 à 10 heures de marche par jour.

Si vous n’obtenez pas ce résultat, cherchez la fuite.

J. CRÉPIEUX- J AMIN.


Voir en ligne : Gallica

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