Journal d’un touriste en France et en Angleterre 1894

jeudi 5 décembre 2024, par velovi

Samedi. Ce soir, avant de me coucher, j’ai regardé Paris de ma fenêtre. J’ai constaté avec peine que la tête du monde civilisé ressemblait plutôt, ce soir, à celle d’une vieille cocotte fatiguée et fardée, par cette poussiéreuse et lourde soirée d’été... Une carte est là, sur ma table, enchevêtrée de petits traits rouges et bleus et machinalement mes yeux suivent les fleuves passent les montagnes, bien loin, bien loin... Voyons mon budget. Je me fouille... 100 francs, puis 10, puis 50 cent. Ah ! encore deux sous dans cette poche, ah oui, mais italiens, diable ! Voyons ma bicyclette. Je cale la pédale avec un gros code et j’inspecte... ça roule. Machinalement j’y accroche une lanterne et un petit sac, où j’entasse un gilet de flanelle, un peigne, un revolver, une éponge et des cartes ; puis je me couche, la tête pleine de ténébreux projets. Je dors mal, rêvant d’un génie malfaisant qui démonte ma machine se peigne avec mon revolver et m’assassine à coups d’éponge.

Dimanche. Le matin, dès l’aube, je suis parti de Paris comme un fou avec l’inquiétude d’un évadé qui sent sa prison proche et ne peut croire encore à sa liberté. En passant les fortifications, une de mes pédales s’est défaite ; vite je me suis mis à la revisser pendant que deux agents, la pipe émergeant de leur gros capuchon, me regardaient avec soupçon, de l’air tout spécial des gens qui pensent « Quoi que c’est-y que ce particulier-là qui arrange une vélocipède à 4 heures du matin dans les voies publiques ? Au hasard je prends la route de St-Germain n’ayant encore d’autre but que de m’éloigner de Paris le plus vite possible. Le chemin s’éclaire au petit jour dans les bois tout couverts de rosée, des voitures de maraîchers me croisent avec leurs conducteurs engourdis de sommeil, confiants dans leurs chevaux qui me regardent en passant avec de bons gros yeux intelligents et se rangent d’eux-mêmes comme pour faciliter ma fuite. Du haut de la côte de Flins, la Seine traîne son long ruban d’argent dans le brouillard des prés, pendant que les coteaux s’éclairent de couleurs rouges et bleues sous la gaie lumière du matin.
Je roule, encore tout empaqueté contre le froid, dans le calme de la campagne que trouble seul le ronflement de mes pneus sur le sol. A côté de moi, sur la ligne du Havre, un rapide passe à toute vitesse, la machine tout essoufflée, avec son gros œil encore allumé et ses wagons couverts de poussière dont les lampes jettent un reflet pâle et fatigué sur les buissons du talus. Enfin dans l’éloignement, une ville s’étale avec ses deux grosses tours qui dominent la plaine, c’est Mantes.

Il faut pourtant prendre une décision. Je réunis un conseil composé de ma bicyclette, d’une tasse de café et de moi, et à l’unanimité moins une voix (celle de la tasse qui préfère rester), nous décidâmes en raison d’un irrésistible vent du sud-ouest, de prendre la route du Tréport. On verra après. En arrivant à Givors, je suis admirablement reçu par une Société de gymnastique qui encombre la Grande Rue.

« Vous venez pour la course ? Ah, c’est bien cela ! Nous allons avoir un coureur. J’exprime - tant bien que mal tous mes regrets, et je continue ma route au milieu de la réprobation générale renonçant dignement à cette occasion unique « d’écumer la province ».

A Forges-les-Eaux, pas un chat, je trouve les rues mortes et désertes, aux murs tapissés de loin en loin de larges affiches multicolores, représentant un établissement thermal où la foule s’écrase. Comme baigneurs, un chien sale qui boit dans un ruisseau et qui me regarde passer d’un air étonné et méfiant. C’est pourtant gentil comme pays. Cependant je voudrais bien déjeuner ; enfin, je trouve une auberge où une bonne endormie consent à me préparer une omelette et un beefteack. Je mange mal et je repars sur une petite route admirablement entretenue, qui longe le chemin de fer au fond de la vallée. Après Neufchâtel, une grande montée en corniche pendant des kilomètres, dominant la plaine qui s’étend en bas à perte de vue, vers de petites montagnes bleues. En haut des bois, et toujours cette route unie comme du marbre, sans un caillou, sans ornière, l’orgueil du pays. Maintenant c’est la descente sur Londinières, puis un réseau de petites routes enchevêtrées, encaissées entre de hautes haies normandes, et enfin, tout à coup, à un brusque détour du chemin, la grande étendue bleue de la mer avec les maisons du Tréport groupées en longues files contre le vent, à l’abri de la falaise. A droite, la vallée de la Bresle et, de l’autre côté du chemin de fer, Mers, qui étend le long de la plage sa rangée de villas blanches et rouges..... Ouf ! Je crois que cette fois Paris est loin. Sur la plage, des gens se baignent : des hommes maigres piquant des têtes sur le dos des nageurs, des femmes grasses flottant comme des bouchons, entourées de jeunes filles plates qui font la planche avec un naturel exquis.

Insoucieux de l’opinion publique, je me déchausse, et après avoir allumé une pipe, je me promène longtemps les jambes dans l’eau, étourdi par le changement d’air, ne sachant plus bien si je suis au bord de la mer ou sur les berges de la Seine, prenant un bain de pieds entre deux tondeurs de chiens sous le pont des Saints-Pères. Mon estomac, un être prosaïque s’il en fût, sait, lui, qu’il est 6 heures et qu’il a faim ; aussi, en présence de son attitude hostile, je retourne en ville en quête d’un restaurant. Ayant réclamé à dîner tout de suite, je juge que j’en ai pour une bonne heure et, en attendant, je me promène sur les quais du port au milieu des wagons et des hangars encombres de ballots de tonte espèce, qu’on empile sous l’œil somnolent des douaniers. Au milieu du port, de petites barques de pêche appareillent pour la marée, le long des jetées encombrées de promeneurs, tandis que de gros vapeurs amarrés le long des docks complètent leur chargement dans le sifflement des treuils, dressant leurs grands mats vers le ciel, dans la brume du soir.

(A suivre.)

G. DE PAWLOWSKI.

(Suite) Tout à coup je tombais en arrêt devant un gros bateau, au pavillon britannique, qu’on achevait de bourrer de marchandises à destination de Londres. Ce fait, simple aux yeux de tout le monde, me plongea dans de vagues réflexions. J’étais là depuis quelque temps, lorsque je me vis interpeller par le capitaine, un gros homme en bras de chemise, une pipe en terre dans la bouche, qui considérait mon vélo avec une satisfaction évidente.

– Well, dit ce gros homme, c’est une marque anglaise.

– Well ! répondis-je, c’est une marque anglaise.

Le gros homme reprit :

– Voulez-vous venir en Angleterre ?

Méfiant, je répondis :

– Combien me prendrez-vous ?

– Rien, répondit le gros homme, avec un bon sourire, cela nous est défendu. Alors, je veux bien venir en Angleterre.

– Well, dit ma machine avec une rigidité tout anglaise.

– Dans ce cas revenez dans deux heures, nous partons à la marée.

Well, répondis-je. Nous nous serrâmes les mains et je m’éloignai vers la ville pour dîner. Tout à coup la vue d’un douanier me suggéra l’idée que l’État percevait, au moyen d’un tarif minime, un droit exorbitant sur les vélocipèdes rentrant en France, aussi je me dirigeai vers l’octroi où je réclamai à l’administration un passavant pour ma machine. L’administration jeta sur moi un regard étonné et déclara qu’elle n’avait pas de passavant ; mais elle ajouta, avec un œil bon, que j’allais faire ça sur une feuille à bestiaux. En conséquence de quoi, je me mis à barrer les mots viande salée et porcs frais et à les remplacer par d’autres plus appropriés à la situation. L’administration, d’une main patriarcale, couvrit la feuille de cinq timbres secs, 4 humides et de trois paragraphes et déclara que cela allait comme cela. Rassuré, je me dirigeai vers mon dîner que je trouvai froid, ce qui m’amena à songer, d’idée en idée, aux naufrages dans la mer de Behring, aux raquettes à neige, à Nordenskiold et au prince de Galles.

Cependant, l’heure avançait, je regagnai le port. Le gros bateau anglais soufflait maintenant et toute sa grosse carcasse était agitée de tremblements, tel un gros bourgeois qui vient de bien manger et qui s’apprête à faire une petite promenade en fumant sa pipe. Les petites barques de pêche, rentrées dans le bassin, se balançaient lentement avec leurs voiles chiffrées tombant au long des mâts, au milieu des feux rouges et verts dont la lueur se reflétait doucement sur le plissement des vagues. Des promeneurs, massés sur le quai, regardaient le vapeur en partance, avec cette vague béatitude de gens qui vont rentrer chez eux faire une partie de cartes à la douce clarté de la lampe, pendant que d’autres s’en iront sur la grande houle noire, dans l’ombre de la nuit, sous le vent et l’embrun.

Hé-ha, me cria le capitaine, dès qu’il me vit, avec un large sourire de brute, sur sa face épanouie, vous êtes prêt ? All right, répondis-je, et je descendis tant bien que mal. ma machine sur le dos, par l’échelle glissante du bateau. On plaça mon vélo entre deux caisses, dans la cale, puis on referma les panneaux avec leur lourde toile goudronnée. – All right, dit le capitaine ; il consulta sa montre Nous allons partir. On retira les échelles, je montai avec lui sur la passerelle. Le gros bateau hurla uoup ! uoup !, l’hélice partit à toute vitesse, rien ne bougea. Ah ! dit le capitaine il se tourna vers le pilote, un grand gars normand qui devait nous sortir du port. Morteau, dit celui-ci Ah ! dit le capitaine, il s’approcha de moi, me serra les mains, regarda ses pieds, se gratta la tête et attendit. La mer montait cependant. Faites comme vous voudrez, dit-il au pilote, il faut sortir. Ça va abîmer la quille – M’est égal. – Bon. Le pilote donna quelques ordres, le bateau recula dans le port, puis un commandement : – Go on ! – full ! le bateau souffla, puis fila entre les jetées, soulevant la vase en gros bouillons, rasant le fond à en couler. – Well, dit le capitaine, quand nous fûmes sortis. Le grand gars haussa les épaules d’un air de profonde indifférence, quitta la passerelle et, enjambant le bordage, se laissa filer le long d’une corde dans sa petite barque qui bientôt se détacha à bâbord et se perdit en un point noir, du côté des jetées. Assis sur un paquet de cordages, j’imaginai de me figurer que j’étais Marie Stuart quittant la France. Pour m’attendrir, je récitai des vers de François Coppée : « La boite à lait »,« L’mécanicien Montfort »..

Terre, terre chérie, que la liberté sainte appelle sa patrie.

Non, décidément, la liberté c’était plutôt là-bas, vers la ligne noire de l’horizon, sous les gros nuages, dans la brume du soir. Derrière nous, la côte disparaissait masquée de temps à autre par les gros nuages de fumée de la machine, au loin les feux semés le long des falaises lançaient à intervalles réguliers leur jet de lumière au ras de l’eau. La mer était dure, cette nuit ; de la passerelle, je voyais l’avant du bateau recouvert de tonneaux de pétrole s’enfoncer sous les vagues puis rebondir vers le ciel, tout dégouttant d’écume. Le capitaine, lui, était descendu dans sa cabine, seul, un marin en loques, un de ceux qui avaient aidé au chargement, cet après-midi, tenait la roue avec l’évidente conviction que le bateau connaissait bien le chemin et qu’il se débrouillerait tout seul.

En bas, la machine ronflait, monstre énorme, ballottée comme une plume sur la crête des lames. Je n’ai jamais pu avoir le mal de mer, aussi, me sachant privé de cette distraction, je descendis sur le pont, en quête d’une occupation agréable pour passer la nuit. Je commençais par me jeter sur un paquet de cordages qui me renvoya sur un treuil, et j’échouai enfin, à l’abri d’une barque de sauvetage où je fus immédiatement inondé par une vague énorme qui balaya le pont. Devant cette attitude hostile de la mer, je descendis dans la cabine d’arrière où je trouvai, dans une atmosphère d’huile, de fumée de tabac et de vieilles sardines, le capitaine en train de boire un nombre incalculable de bouteilles avec le manager. Des qu’il me vit, il me serra les mains et me dit ce simple mot : « Gin ? » Je répondis : « Gin ». Mais, m’étant bientôt aperçu que cet insulaire était saoul de la façon la plus révoltante, je me dis très fatigué – broken down – et je m’installai pour dormir dans un recoin de l’escalier enveloppé dans mon caoutchouc et amarré avec une forte corde, pendant que dans la cabine, le capitaine continuait à être saoul d’une façon révoltante.

A côté, dans la cale, on entendait les dring, droung désespérés de mon vélo dansant une sarabande effrénée avec les caisses, et toujours le ronflement de l’hélice et le bruit des vagues déferlant sur le pont : pshii, schoun... et ce matin la montée de Suresnes... ah oui !... pshii, schoun... Drôle tout de même... (A suivre.)

G. DE PAWLOWSKI.

Lundi. - God save the Queen our gracious sovereign ! roastbeaf, Gladstone, Ox tail, schoking, all right ! ma bicyclette chien a des pneumatic tyres et il fait un froid de sur la Tamise. God save the Queen....

Je suis réveillé à 5 heures du matin par des exclamations incompréhensibles de mon excellent capitaine. Engourdi par le froid, je monte sur le pont. De chaque côté du bateau, à l’horizon, de petites côtes basses toutes pâles dans la buée du matin, autour de nous, l’eau à perte de vue se plisse dans le brouillard avec des reflets d’encre. Dans le calme glacial du matin passent des senteurs vives d’algue et d’eau salée. Nous sommes dans la Tamise. De temps en temps, la grande ombre d’un Transatlantique passe à côté de nous se détachant dans la brume avec ses feux encore allumés et s’éloigne vers l’Inde ou l’Australie, déchirant l’air d’un long hurlement d’adieu, dont l’écho se perd, sonore, dans la brume vers la terre des homes chauds et bien clos...

Gogogod’save the Queen... Dieu que j’ai froid, c’est bête les pays du nord... Ohé, me crie le capitaine... breakfeast ? – Yes, thank you, et je descends avec lui dans la cabine. Du jambon frit, des œufs frits, du pain frit avec du thé, du lait conservé en morceaux, des pickles à la tomate et des tomates aux pickles... décidément cela va mieux, je remonte sur le pont et drapé dans mon caoutchouc je fume avec des poses d’émigrant – Gravesend – les petites côtes basses se rapprochent et commencent à devenir les rives d’un fleuve. De petites maisons toutes pareilles alignées en longues files, de toits rouges, des warfs, des quais et les bateaux qui commencent à se multiplier, immenses steamers ou longs chalands conduits lentement par un seul homme armé de rames démesurément longues. Nous stoppons, un minuscule canot à vapeur se détache de la rive et se dirige vers nous. C’est la santé doublée de la police. Le capitaine m’aborde « Dites que vous allez au Thrie moons hotel. » – Ah ». – La police, personnifiée par un grand gaillard avec des bottes et une casquette de vélo, nous accoste, je décline mon nom, je déclare que j’ai toujours eu l’intention d’aller au Thrie moons hotel, ce qui semble être du goût de la police, qui se retire, nous abandonnant un douanier tout chamarré d’or et de broderies, qui doit rester avec nous jusqu’à Londres. Nous repartons lentement, au milieu de la forêt de mats et de cheminées sur le long fleuve qui serpente au milieu de la plaine, semblant la dominer, tant la campagne et les maisons sont basses. A gauche, de gros bateaux de bois, peints en blanc, qui servent d’hôpital isolé pour les maladies contagieuses et toujours des mats et des mats, s’estompant dans le brouillard, sous la petite pluie fine et pénétrante qui commence à tomber. Greenwich. – A gauche, la berge se relève en petites collines tout en haut d’un mamelon vert, au milieu d’un parc, l’observatoire dont les coupoles se détachent blanches sur le ciel gris, sur la rive l’école navale, dont les grands bâtiments s’étalent en grandes cours carrées et, tout autour, les maisons basses qui s’enchevêtrent dans les docks au milieu de la fumée des steamers, des fils télégraphiques et des annonces. Maintenant, nous avançons prudemment dans l’encombrement des bateaux. Le fleuve se rétrécit et au loin, à perte de vue les maisons se serrent derrière les docks et les jetées. Nous sommes en plein Londres ; devant nous, un pont suspendu monumental en construction, dont le tablier se relève vers le ciel entre de gigantesques piles de maçonnerie. Maintenant c’est le pont de Londres, nous barrant la route, de ses arches basses et enfumées ; les bateaux ne vont pas plus loin, nous entrons dans un warf, il est midi. – All right.

Aussitôt le déchargement commença après qu’on eut retiré plusieurs tonneaux et quelques caisses de dessus ma machine, je pus constater que celle-ci avait parfaitement résisté, sortant du reste, de la célèbre maison...

Après avoir donné plusieurs poignées de mains et six francs au capitaine, je m’éloignai au travers des docks, mon vélo à la main, franchissant des paquets de cordes, tombant dans des caisses avec l’air débrouillé d’une mouche se promenant dans un pot de colle forte. Un respectable policeman m’ayant expliqué d’une façon succincte que les trottoirs étaient faits pour les gentlemen et la chaussée pour les bicycles, je n’hésitai pas à me jeter en machine au milieu de la forêt de voitures et à me maintenir en équilibre, avec des prodiges inouïs, entre deux énormes véhicules, sur un pavé de bois évidemment graissé à mon intention avec du jambon d’York. Une seule chose, cependant, m’inquiétait depuis mon arrivée sur cette terre hospitalière c’était l’extrême insistance que mettaient toutes les voitures à se trouver nez à nez avec moi je compris enfin, grâce à de petits écriteaux placés sur les réverbères : Keep to the left (gardez votre gauche), que ce peuple se croisait en sens inverse des Français, fait qui ne s’explique, à mon avis, que par un amour exagéré de la droite, dans ce pays monarchique. Je me mis donc à longer les trottoirs en sens inverse des Français et je continuai mon chemin au milieu d’un fleuve de chocolat (en anglais : coco). Tout à coup, je débouchai sur une grande rue Oxford street. Les Anglais sont gens pratiques, me dis-je, si cette rue est la rue d’Oxford, c’est qu’elle va à Oxford : or, comme le hasard était mon seul guide, je résolus de faire comme la rue d’aller à Oxford. Cependant, une idée me vint : il y a un consul de l’U. V. F. à Londres, s’il est consul, c’est qu’il peut renseigner les pauvres touristes, or comme je suis un povre touriste, il me renseignera. Pénétré de la justesse de ce raisonnement, je cherchai dans mon annuaire de l’U. V. F., M. P. Hardy, 27, Alfred Place, Londres, W. C. Aussitôt j’abordai un policeman : Alf’d’ Plée pliz ? – St’on drait and aftr on dleft and on’drait, all right. Merci. Pénétré de ces renseignements je n’hésitai pas à me perdre complètement puis à me retrouver et enfin à arriver dans Alfred Place qui est une rue.

Quel consul que ce Paul Hardy ! Au bout de cinq minutes d’entretien avec lui, j’étais muni de cartes, de guides, de recommandations pour tous les cyclistes de toute l’Angleterre de Land’s end à John O’Groats. Je le quittai charmé, prêt désormais à affronter tous les dangers du Royaume-Uni.

Comme les aliments frits du capitaine commençaient à passer pour moi à l’état de souvenir, je me mis en quête d’un restaurant. Je ne tardai pas à en trouver un, portant la mention : « Ici on parle français » et je m’y installai pour déjeuner. J’eus l’avantage de constater dans cet établissement combien la langue française se transforme à l’étranger, car je ne pus tirer autre chose du patron que de l’excellent italien. Il était trop tard pour partir à Oxford, aussi je profitai du reste de l’après-midi pour visiter le British Museum.

Je constatai, à mon grand étonnement, que cet établissement n’était autre chose qu’un amoncellement de tous les objets de valeur qui manquent aujourd’hui aux principaux monuments du monde entier, les frises du Parthenon rangées autour d’une salle immense, une colonne du temple des Cariatides remplacée si avantageusement en Grèce par une statue de plâtre du meilleur goût, d’admirables statuettes de Tanagra comme les Béotiens seraient bien embarrassés d’en montrer d’aussi jolies chez eux ; dans la section hindoue, des portes, des trônes, des objets précieux rapportés comme autant de proies arrachées là-bas aux malheureux administrés de l’Impératrice des Indes. - Je regagnai mon hôtel en songeant mélancoliquement à lord Engin, aux bateaux à vapeur et aux bienfaits de la civilisation.

Le soir je vais à l’Alhambra. En attendant l’ouverture des portes, la foule regarde une troupe de petites filles dansant devant un piano mécanique que tourne une vieille Anglaise au chapeau fantastique, le dos couvert d’un grand châle à franges qui traîne dans la boue. Dans la salle les gens fument et boivent, les numéros du programme se succèdent avec une rapidité fantastique. Un ballet : Don Quixote, puis des acrobates, puis la Serio-comic Miss Maggie Duggan, beaucoup plus comique que serio, Puis enfin le ballet de Chicago.

Chaque peuple est symbolisé par une danse. Quand arrive la France, un mouvement de gaieté dans la salle c’est le chahut ! l’orchestre joue : « As-tu vu la casquette ». Tout le monde se tord... Sont-ils drôles, ces Français ! - Pour moi je trouve cela d’un goût douteux, et je rentre me coucher poursuivi par un voyou qui s’obstine à vouloir me vendre la 14ª édition du Times et qui, reconnaissant sans doute ma nationalité, use de tous les mots français qu’il connaît pour me séduire « The Times voyons patron, The Times ».

(A suivre).

G. DE PAWLOWSKI.

(Suite)

Mardi. Ce matin, dès l’aube, après avoir absorbé une quantité énorme de tasses de thé et de tartines grillées, j’ai quitté mon hôtel à destination d’Oxford. Dans Oxford street, les voitures commencent à circuler et sur les trottoirs déserts se profile seule de temps à autre la haute silhouette d’un policeman sanglé dans son uniforme avec la rigidité d’un morceau de bois. Au travers des grilles de Hyde Park on devine les grandes pelouses sur lesquelles traîne le brouillard du matin. Au pavé de bois, succède le macadam et le chemin devient franchement mauvais, usé par cette circulation incroyable qu’on rencontre partout à Londres, défoncé par la pluie, rempli de trous et de cailloux. Cyclistes, qui gémissez sur le pavé de Bezons, que direz-vous s’il vous arrive jamais de sortir de Londres par la route d’Oxford !

Vous y trouverez de la boue noire et gluante, des pavés, des rails de tramways, des omnibus et des chiens et toujours le flot de voitures circulant avec une rapidité inconnue de nos fiacres fantastiques et vous roulerez pendant des heures sans pouvoir sortir de cette ville incomparablement plus grande et plus peuplée qu’Ozouer-la-Ferrière elle-même. Par moment, des parcs, de grandes pelouses vertes, on se croit en campagne ; puis, les maisons recommencent comme au plein cœur de Londres avec leurs boutiques aux couleurs claires et leurs vérandas de verre et de brique. De loin en loin, de grands abreuvoirs en pierre placés sur le bord de la route, les voitures s’y arrêtent, les chevaux boivent, puis repartent au grand galop le long des interminables boulevards qui se succèdent à perte de vue. Cependant, tout a une fin, même les rails de tramways et les villes anglaises. Après des kilomètres de rues, on arrive à la gare d’Uxbridge. C’est à peu près là que commence la campagne.

A droite, s’ouvre la Great Oxford Royal North Road (en français : route d’Oxford), ainsi que l’attestent les écriteaux bruns ou violets placés en transparent sur les réverbères.
Un conseil en passant : ne jamais consulter les indications des poteaux aux carrefours des chemins, ils ne révèlent que les bienfaits du Pear’s Soap et les douceurs du cacao Van Houten, localités introuvables sur la carte d’Angleterre.

Après Uxbridge, on traverse la Coln et cela devient gentil. Le chemin est atroce, naturellement, mais la campagne est verte et gaie, avec ses petites maisons de couleur claire et ses grands chênes, d’aspect vénérable, penchés sur la route, qui ressemblent à de vieux conseillers à perruque de la gracieuse reine Victoria avec leur abondante toison crépue.

La route monte et descend, s’élargissant par endroits, se rétrécissant à d’autres. De loin en loin de vieilles bornes de pierre à moitié enfoncées dans le sol, donnent de vagues renseignements qui datent certainement de la reine Elisabeth. Heureusement qu’il se trouve presque toujours, le long des routes anglaises, de petits trottoirs pour piétons, sablés comme des allées de jardin qui permettent de rouler sans trop de peine presque partout.

A 23 miles de Londres : Beaconsfield, un petit village avec des maisons bien propres, des enfants bien propres, des vaches et des chiens bien propres, on a envie de ranger le tout dans une boîte comme des joujoux en carton-pâte. Sur une grande place, devant une église enfoncée dans le lierre, des enfants jouent et me regardent avec étonnement.

Je passe devant un hôtel portant l’écusson du Cyclist Touring Club (C. T. C.), et je me décide pour un petit château féodal à l’enseigne de la tête de Sarrasin (rien du poète aux olives). Une noble dame me fait un léger salut tandis que de charmantes bonnes (ah ! les bonnes anglaises !) se précipitent sur ma machine qu’elles emportent.

J’estime qu’il faut respecter les usages des pays que l’on traverse, aussi je n’hésite pas à entrer, couvert de boue, dans le salon où on m’introduit et à me vautrer sur un fauteuil en attendant la tasse de thé que j’ai demandée avec un accent à faire pâlir de jalousie le prince de Galles lui-même. En attendant, je fume ma pipe en regardant tendrement un portrait de Wellington pendu au mur entre une image pieuse de Christmas et une affiche représentant une jeune dame fumant l’excellent papier à cigarettes : Cameo, cameo, cameo ». Enfin entre une bonne au regard incompréhensible (toujours incompréhensible le regard des bonnes anglaises) portant sur un plateau une tasse de thé avec ses accessoires nécessaires : un pot de crème ressemblant à du miel, une pile de tartines grillées et un beefteack monstre. Je dévore, je paie un schelling exactement, je prends d’un air glacial ma machine qu’on a complètement nettoyée et je repars sans donner un sou de pourboire, toujours pour ne pas blesser les mœurs en pays étranger. La route descend en moyenne pendant 5 miles jusqu’à High-Wycombe et l’on arrive dans une verte vallée avec quelques fabriques noires et de jolies maisons blanches, cela rappelle la vallée de Chevreuse, moins la route malheureusement.

C’est ici que le martyre commence. Le chemin, sans en avoir l’air, monte pendant six miles, puis, brusquement on est au pied d’une montagne et la route, sans un coude, sans un lacet, monte tout droit. Que voulez-vous, time is money (quand on est pressé, on prend le chemin de fer). Après un essai infructueux, j’évite de changer mes manivelles en tire-bouchon et je monte à pied pendant plus de deux kilomètres cette côte interminable que la pente a changée en lit de torrent, ornières et cailloux. En haut, un pays sauvage, sauvage, de grands sapins, je regarde autour de moi avec méfiance, craignant la rencontre d’un ours, mais je ne vois qu’un immense écriteau placé là par le C. T. C. Attention ! dangereux pour les cyclistes. Merci, mais, vous savez, ça m’est égal, je vais à pied dans l’autre sens. Très joli, l’autre sens, mais un second écriteau Dangereux pour les cyclistes ». Je crois bien ; descente ridicule, à en rire même si on se tuait, dans des ornières, dans des cailloux, du 40 à l’heure avec des réflexions comme celles-ci : Ma prochaine machine aura un frein », « La vélocipédie est un bienfait social », « Si je rencontre une voiture, je crois que ça y est !"

Mais je ne rencontre pas de voiture, la vue est admirable et j’arrive en plaine, de l’autre côté de cette énorme taupinière, à Tetsworth, à 42 miles de Londres. Ce village est surtout remarquable par le vent debout que l’on rencontre après l’avoir traversé ; ma machine se hérisse sous les rafales et je pédale avec l’entêtement d’un marteau-pilon, électrisé par des écriteaux multiples qui m’annoncent tous les 100 mètres la rencontre de plus en plus imminente de cette Tamise aux allures d’Océan sur laquelle je naviguais hier.

J’arrive enfin sur un petit pont : ô désillusion ! en guise de transatlantiques une grosse vache se promène tranquillement dans le fleuve ou ses sabots seuls disparaissent. A peine un ruisseau, voilà la Tamise ! Alors j’aime mieux la Bièvre !

De loin en loin, sur le bord de la route, une potence au bout de laquelle se balancent de grandes pancartes en fer forgé, rouges, vertes ou bleues, avec un nom d’auberge en lettres d’or et derrière, en contre-bas du chemin, une petite maison de briques avec de petits carreaux aux fenêtres, où l’on boit du pale ale ou du gin.

Petit à petit la route quitte son aspect de chemin rural et devient plus large. On reste toujours sur le plateau, mais au travers d’un grand pare on devine une vallée et l’approche d’une ville. Bientôt la route, redevenue royale pour la circonstance, tourne à gauche, descend rapidement entre deux murs, passe sous un petit pont de pierre orné de lierre et on débouche sur une large avenue bordée de villas. Un grand pont sur la Clawell, de hauts donjons, de vieux châteaux à l’aspect moyen age perdus dans le lierre sous le gai soleil de midi, toute la vieille Angleterre personnifiée dans cet amas de pierres et de souvenirs, c’est Oxford.

(A suivre).

G. DE PAWLOWSKI.

Il semble qu’on ait accumulé, à Oxford, tous les vieux édifices anglais incompatibles avec le progrès pratique, les grandes usines et maisons à quatorze étages. Ce n’est que l’application, en fait, de l’esprit britannique séparé entre deux tendances bien tranchées, d’un côté les vieilles traditions et les vieux souvenirs datant d’un temps immémorial, et d’un autre, vivant en bonne intelligence avec les premiers, les entreprises les plus hardies, les inventions les plus modernes, l’anglicanisme et Darwin, la féodalité terrienne et le socialisme, Oxford et Manchester.

En attendant, le soir, je me promène dans la ville, partout des monuments, les rues en sont presque entièrement formées, le type général est celui de l’Institut ou du Collège de France avec je ne sais quoi en plus qui fait songer aux vieux châteaux des bords de la Loire. - Derrière les grilles, les hautes façades semblent dormir dans le lierre et la mousse de pierres inaccessibles à cette fièvre du travail et de commerce que l’on sent là autour de soi dans toute l’Angleterre. - Si on est gêné, par contre, on n’y est point affairé comme à Londres, et derrière les vitres des tavernes on entend des gens qui rient et qui dansent. Décidément on n’a pas l’air de s’ennuyer à Oxford.

Cependant la nuit tombe. Sur la foi d’un écriteau Good accomodation for cyclists j’entre dans un établisse- ment portant la mention Temperance Hotel ». On m’installe dans une petite chambre en face d’un monsieur qui dévore des féculents. En attendant mieux, je fais comme le monsieur, je dévore des féculents - Ô imprudence !

A la cinquante-quatrième pomme de terre j’éprouve un violent besoin de boire : j’étends la main, pas de verre, je regarde autour de moi : pas de bouteille le monsieur sourit et mange je sonne je râle une bonne vient (oh, les bonnes anglaises !) et après des pourparlers exige 6 dollars pour aller me chercher une pinte de bière dans une rue voisine. Ah les Temperance Hotels ! Je bois enfin. Le monsieur rassuré sur ma santé en profite pour me demander : Vous êtes Allemand, n’est-ce pas ? J’aime bien les Allemands. Non, je suis Français.

Pardon, oui, les Français, les Allemands, guerre, ah ! ah, ah.

Évidemment embarrassé, le monsieur continue : Je suis content de vous voir, j’aime bien les Français, seulement, voyez-vous, jamais il n’en est venu un seul ici depuis que j’habite le pays il vient beaucoup d’Allemands... C’est que vos routes sont probablement bien meilleures en France pour le bicycle que chez nous. Le roulage est fait ici par le chemin de fer et les routes sont réparées par tronçons comme au hasard. Tenez, pour nos courses sur route, c’est un martyre, monsieur, que de préparer un itinéraire ; il faut, après un examen minutieux, le composer d’un nombre incalculable de morceaux et encore, pour tout couronner, les courses étant interdites par la police, on n’en peut révéler l’incompréhensible itinéraire qu’au moment du départ ; aux coureurs de se débrouiller avec l’obligation de la tenue de touriste, lanterne, veston, timbre avertisseur, etc... c’est charmant.

Je dois ajouter, du reste, que les promenades de clubs qui se font par pelotons à des vitesses vertigineuses sont hautement protégées par la police, en tant que promenades. Ah, Monsieur, vos records sur routes à vous autres Français c’est un jeu en comparaison des nôtres quels fumistes ! quels blagueurs ! quels diables !... Blessé par ces paroles j’affectai de croire qu’elles s’adressaient à la bouteille de gin qui se trouvait en face entre nous sur la table, je reprochai durement à mon compagnon de traiter aussi durement une bouteille qui ne lui avait en fait et je montai dignement me coucher le laissant à son plat vide de pommes de terre.

**

Mercredi. Ce matin ayant demandé à mon hôte combien de temps il fallait pour visiter Oxford cet homme me jura que huit jours étaient le stricte minimum. Je le remerciai vivement et partis dans la direction de Birmingham.

Très bien la sortie d’Oxford, cela ressemble aux rues de Versailles ou de la Muette, c’est propre et aristocratique ; de larges avenues, un canal avec un pont très bombé deux grandes fourches de chemins, une avant, une après le canal (prendre toujours à gauche). Tout le long de la route des attelages conduits par des personnes évidemment très bien.

J’en profite pour me faire entraîner admirablement par un sulky. (J’ai, du reste, toujours eu un goût marqué pour ce genre d’entraîneur depuis mon fameux record du 1/5° de seconde sur la piste en cerf-volant de Springfield, Massachusetts, N. W. United States of America).

J’arrive ainsi à Woodstock (62 m. de Londres), le sulky me lâche, je comprends cela. La route devient abominable, on roule sur des galets, et ça monte, ça monte ! Je reste avec obstination sur les trottoirs qui deviennent de plus en plus petits et de moins en moins trottoirs. La route est sauvage et déserte, seuls les poteaux télégraphiques lourds de fils m’attestent le bon chemin. Cela devient triste et je songe mélancoliquement à Jack l’Eventreur et aux garde-crotte en celluloid.

La route, de plus en plus mauvaise, monte et descend maintenant par petits sauts. Une croisée de routes-a gauche un grand parc entouré de murs avec un chêne immense étendant ses larges branches sur le carrefour. Plus loin, à gauche Chipping Norton (73 mètres), puis Long Compton, joli petit village dont le clocher tronqué se dé- tache sur le fond gris des collines. La route est toujours très accidentée jusqu’à Shipshon (83 mètres), puis commence une descente interminable et pas trop mauvaise, le chemin infléchit vers la droite, suit un peu l’Avon. Il faut alors le quitter pour prendre à gauche un grand pont et on arrive à Stradford on Avon, la patrie de Shakespeare, dans le comté de Warwick à 94 miles de Londres. L’aspect de la rivière est ici très curieux vu de ce vieux pont.

A gauche, le château de Stradford plonge dans l’eau claire de l’Avon, et partout de vieilles pierres, de vieux pans de murs contrastent avec les fraîches et jolies habitations modernes qui s’étagent au milieu des jardins ensoleillés. Il est dix heures du matin, après avoir constaté que la maison de Shakespeare est une maison comme les autres, j’entre dans un hôtel et je commence par demander de la limonade. La bonne femme me regarde d’un air franchement désapprobateur, mais me donne quand même un flacon d’eau additionnée d’un peu d’acide sulfurique. Je bois d’un air évidemment épileptique et je demande quelque chose de meilleur, alors triomphalement l’hôtesse m’apporte une bouteille de Ginger beer qui est de l’excellente limonade.

Voilà ce que c’est que de ne pas s’entendre sur les mots. Je mange un beafteack... etc... et je repars.

Après plusieurs miles, je passe sur le Stradford canal, puis à Henley in Arden (102) village composé principalement d’une grande rue formée par la route sur laquelle avance une vieille église. Après avoir traversé le Stradford canal, la route monte et devient raboteuse, heureusement les trottoirs sont partout excellents, les maisons se rapprochent et se mettent à former une banlieue qui ressemble à celle de Londres. Puis les rails commencent avec leurs lourds tramways à vapeur, la route devient un large boulevard interminable, on passe sous un pont de chemin de fer et à un carrefour du sommet de la hauteur on voit tout à coup une étendue immense de petits toits rouges s’étendant à perte de vue, et en face, de l’autre côté, des monuments et de hautes maisons groupées en noyau au milieu de cette plaine rouge : c’est Birmingham (118 m.of London).

Je descends à gauche une pente assez rapide, je passe au milieu de nombreuses gares et je remonte de l’autre côté dans la vraie ville qui, elle, est très jolie. Une grande place, un musée, une poste monumentale, et surtout un splendide policeman argenté sur toutes les coutures avec des gants et des bottes immaculées. Je m’approche pour lui demander un hôtel. Cet officier m’accueille de la façon la plus aimable, me conduit lui-même, s’informe du prix et après s’être assuré que rien ne me manquait, me quitte avec son plus gracieux sourire. (Oh doux pays de France, où es-tu ? Z’avez pas un grelot sonore ? Mais je suis en pneu sur de l’asphalte !’s M’en fous, doit être sonore. Carnet, rassemblement, etc...)

Après avoir fait une toilette compliquée et savante, je laisse ma machine à l’hôtel et je sors pour visiter au hasard les rues, les bars et les oysters houses

(A suivre.)

G. DE PAWLOWSKI.

Comme je le disais plus haut, il y a, à Birmingham, un centre fort gentil de belles rues sur la hauteur. Au Musée, rien de fort curieux, sauf deux pompiers qui, à la porte, gardent une échelle de sauvetage avec des airs de supériorité incontestable et devant, sur la places une jolie fontaine entourée de maisons dont les arcades rappellent rue de Rivoli. De larges rues pavées de bois s’étendent rue la hauteur, puis plongent brusquement dans la plaine, parmi les usines et les manufactures bordées de maisons, où chacun travaille avec fièvre, depuis la cave jusque dans les combles. Partout de grands tramways à vapeur, véritables trains, qui circulent à toute vitesse dans les rues, et de grandes voitures de funiculaires qui débouchent brusquement au coin des rues. En bas des gares, des lignes qui se croisent et se superposent en tous sens, transportant voyageurs et marchandises à destination du monde entier. Autant Oxford est une ville calme et intellectuelle, autant celle-ci symbolise le travail et le commerce arrivés à leur plus haut point de fièvre et d’activité.

La nuit venue, je me promenais dans un immense passage vitré, quand je fus interpellé en français par un individu qui connaissait mon insigne de l’U. V. F. avec insistance :

– Vous êtes Français, monsieur, me dit-il.

– Oui.

– Moi aussi.

– Ah ?

– J’imitais le français dans les pièces anglaises à Jersey, même que c’est là que j’avais attrapé mon maladie dans un lit dont les draps ils étaient humides.

– Ah !

– Et maintenant, personne ne voulait de moi nulle part.

Je dois dire que je donnai un nombre incalculable de pence (deux, je crois), à ce compatriote, dont le métier était de ridiculiser les Français dans les pantomimes anglaises.

Le soir, au Royal-Theatre, pièce à grand spectacle : A Royal Divorce, Napoleon and Josephine. Efforts inouïs des auteurs pour ridiculiser ou rabaisser la France et glorifier les ovaria Wellington. Résultats grotesques

Faut-il que les Anglais aient été embêtés par Napoléon pour y penser encore à ce point ! Après avoir absorbé une excellente soupe d’oxtail, dans le sous-sol d’un bar, je rentrai me coucher à mon hôtel. J’y passai une nuit fort agréable à entendre le délicieux carillon de la tour du Musée sonner les heures, les demies et les quarts avec un talent très remarquable, quoique peu varié et à méditer sur les conséquences du home rule dans le Royaume-Uni et de la fatigue sur les jambes des pauvres touristes.

Ce matin, j’allais continuer sur Manchester et Liverpool, quand je me rappelai à propos la gracieuse invitation que la petite Villette m’avait faite un mois auparavant d’aller prendre une tasse de thé chez elle, aux Champs-Élysées, le 25 du mois ; je n’avais que 3 jours devant moi pour rentrer à Paris ; je dois à la vérité historique d’ajouter que je constatai en même temps une diminution très notable de mes ressources qui eut une influence décisive sur ma détermination, je repris donc la route de Birmingham à Oxford, qui ressemble du reste singulièrement à celle d’Oxford à Birmingham, sauf que la plupart des objets sont tournés dans l’autre sens, et, chose plus inexplicable, que les descentes deviennent des montées, et réciproquement. Grace à une énergie peu commune et à un vent dans le dos irrésistible, j’arrivai à Oxford un peu avant midi.

Je déjeune en face d’un monsieur gourmand et très bête qui me demande avidement des renseignements sur la petite lanterne que j’ai posée à côté de moi ; je lui réponds moitié en anglais, moitié en français. Exemple :

LE MONSIEUR GOURMAND ET TRÈS BÊTE. – cela s’ouvre-t-il, cet instrument ? Par où

– Moi. Par là. (En français) : Tu as l’air bien idiot.

LE M. G. E. Т. В. – Yes.

Moi. – On allume avec une allumette par ici. (En français) : C’est-y vrai que t’as une tête à ressort ?

LE M. G. E. T. В. Etc. – Yes.

Cette conversation idiote peut durer très longtemps sur de ton, le monsieur croyant toujours que je lui parle de la lanterne et acquiesçant par politesse au français, dont il ne connaît pas un mot...

Comme je n’ai ni le temps ni envie de refaire les environs de Londres, je vais prendre le chemin de fer, je choisis parmi les nombreuses compagnies rivales, celle qui me semble présenter le plus de garanties de sécurité et j’entre en machine sur le quai de la Gare, je prends un ticket d’un prix insignifiant pour moi, et un second, d’un prix exorbitant, pour mon vélo, et j’attends le train, qui arrive bientôt à toute vitesse avec sa locomotive vert clair et ses immenses wagons blancs et bruns. Je pose ma machine dans le compartiment à bagages de mon wagon, et, à fond de train, on repart pour Londres, après avoir pris nos billets et nous avoir enfermés à double tour.

J’ai pour compagnons un voyageur miteux qui mange des pommes et une jeune miss qui me regarde fixement. Nous passons en vue de Windsor qui ainsi, de loin, ressemble à une cloche à melon cette vue me rappelle agréablement ma première entrevue avec Sa Majesty... (Mais ce journal étant très convenable, jusqu’ici j’éviterai tout commentaire sur cette entrevue).

La jeune miss cependant continue de me regarder, je suis pris de trac - toutes les histoires qu’on a pu me raconter sur l’Angleterre me reviennent à l’esprit je me vois traîné devant les tribunaux, le monsieur miteux qui mange des pommes, corrompu à prix d’or comme faux témoin et moi condamné à contracter une injuste union dans le Royaume-Uni.

Enfin Londres ! je me précipite hors du wagon, je prends ma machine avant les autres, ce qui est toujours préférable. En passant devant les glaces d’une boutique, je m’explique facilement l’attention de la jeune miss par une large raie de cambouis qui me traverse la figure..... o amour !

Comme il est encore de bonne heure, je profite du reste de mon après-midi pour aller voir, en sortant de la gare de Paddington, tous les musées de Kensington.

Je traverse Hyde-Park aux larges pelouses coupées par la nappe d’eau de la Serpentine et dont les allées sont remplies de brillants équipages imitant de leur mieux le défilé des Acacias. Je laisse ma machine dans un bar et j’entre dans le Museum d’histoire naturelle. Quelle différence avec celui du Jardin des Plantes de Paris. Au lieu des bocaux poussiéreux et informes où nagent dans l’alcool d’antiques débris, de vastes salles propres et inondées de lumière, de grands escaliers où circulent des promeneurs de tous ages, s’instruisant devant ces tableaux si clairs et si simples, parlant aux yeux, mettant les problèmes les plus ardus de la théorie darwinienne à la portée de tous, vulgarisant une science qu’on ne trouve en France que dans les gros bouquins et dans les écoles.

Derrière le muséum, d’autres galeries, d’autres musées, celui des sciences industrielles comprenant tous les arts et tous les métiers, celui d’agriculture et de marine, celui des instruments scientifiques de mathématiques, Physique, Anthropométrie, et enfin la section indoue, véritable exposition universelle coloniale... avec, au bout, un bureau d’émigration prêt à recevoir les engagements des visiteurs émerveillés par tant de richesses.

Je quitte à regret toutes ces collections qu’il faudrait des années pour visiter en détail et je reviens lentement vers mon hôtel par Piccadilly et Charing Cross. Dans la rue, les lumières s’allument, les cabs filent au milieu des petits omnibus couverts d’annonces, tandis que les crieurs de journaux se tiennent debout à côté de leur grande pancarte étendue sur le sol, annonçant en lettres rouges les grands évents que relate le Graphic. – The Graphic ! Ohé the Graphic ! Une femme dévorée par les rats à Whitechapel. (A suivre) The Graphic !

G. DE PAWLOWSKI.

Vendredi. Depuis longtemps j’avais envie de voir la fameuse piste de Herne-Hill ; aussi, dès le matin, armé d’un mot de recommandation de Paul Hardy, je pars à sa découverte vers le sud de Londres. En passant, je m’arrête au Parlement, cette merveille de dentelle et d’architecture, joyau de l’Angleterre, et j’entre dans la vieille abbaye de Westminster, laissant à la porte ma machine, à la garde vigilante d’un policeman. A l’intérieur, un garde-meuble pour grands hommes, des monuments pêle-mêle entassés là comme en attendant. Darwin sur une grande dalle avec le buste de Macaulay caché derrière d’autres bustes, de gros monuments lourds, entassés comme en la boutique d’un marchand de tombeaux. Au dehors, le cloître fort ancien, rougi par le temps, tout usé avec ses colonnades édentées et, derrière le chœur, la vieille chapelle de Westminster, une merveille de sculpture avec ses grandes stalles au-dessus desquelles sont accrochées les armures des comtes avec, au-dessous, celles de leurs écuyers ; dans le chœur même, le vieux trône d’Écosse avec sa lourde pierre enchâssée, symbole du pouvoir, ramenée à Londres après l’annexion anglaise.

pagne, au milieu des prés verts et des bouquets d’arbres on croirait entrer dans une propriété particulière. Grâce à mes recommandations je suis fort bien reçu. M. Wilson, le manager, ne parle pas un mot de français, de mon côté je ne cache pas mes préférences pour notre langue ; malgré cela la conversation s’engage animée entre nous deux, accompagnée de gestes et de mimiques expressives. Et tout d’abord, voyons la piste : elle s’étend large avec ses virages immenses et son sol de petites lattes juxtaposées jointes avec du liège. Une seconde piste intérieure, au sol noir, comme fait de poussière de charbon sert pour les courses à pied, tandis que la vaste pelouse intérieure semble prête pour le lawn-tennis. Comme fond de tableau, le viaduc du chemin de fer de Douvres avec ses briques de couleur gaie et ses trains qui filent à toute vitesse.

A l’intérieur du bâtiment, on sent que tout est fait ici pour le club. Quelques places de tribunes, assises là comme à regret, pour un public indiscret, et, derrière, de vastes salles de billard rappelant l’aspect d’un casino, au rez-de-chaussée, des salles de douches et le quartier des competitors and training. Et partout cette impression de confort et de chez soi de gens qui viennent là pour faire du sport, billard, cyclisme ou courses à pied, au grand air de la campagne après le tracas des affaires et la fatigue de la vie de Londres... Je quitte la piste comme à regret et, avant de revenir dans la grande ville, je m’en vais voir le Crystal Palace. Je trouve une grande serre avec, à l’intérieur, un bazar permanent sans intérêt, et je reviens à Londres, au milieu des petits omnibus et des gros tramways, pour déjeuner.

L’après-midi, je prends le bateau à Westminster pour Greenwich. Sur le pont, s’installe un orchestre composé de trois personnages tout chamarrés d’or, avec une casquette à visière droite qui leur tombe sur le nez. D’un petit harmonium pliant, qu’ils installent, sortent quelques sons aigus qu’accentue encore un fifre. Musique d’église avec des passages qui, par moments, rappellent la gigue et dont le son se perd sur les berges de la Tamise, parmi les docks et les gros paquebots, réveillant l’écho des gros ponts de chemins de fer sous lesquels nous passons.

A Greenwich, rien de bien curieux, des étudiants de l’École de la marine qui se promènent dans les rues avec des airs cassants ; en haut, l’Observatoire, perché sur un mamelon vert, d’où la vue s’étend au loin sur la grande plaine de maisons et d’usines que coupe le grand ruban argenté de la Tamise.

En revenant, j’entre dans la Tour de Londres, une Bastille aux murs de carton rappelant des décors d’opéra comique. Tout autour, de larges fossés avec de vieilles tours, authentiques celles-là, datant de la légendaire conspiration des poudres, cette vieille histoire du temps passé restée gravée au cœur des Anglais comme un traditionnel conte de bonne femme, qui sert maintenant à endormir les enfants :

Remember, remember

The fifth of November Gun powder ireason and plot...

En bas, dans la cour, un régiment d’écossais manœuvre accompagné en cadence par la musique des binious, des fifres et des tambourins rappelant à s’y méprendre quelque chant sauvage d’Achantis au Jardin d’Acclimatation. À côté de la Tour, un escalier en spirale aboutissant à un long tuyau en fer pour le passage des piétons sous la Tamise.

Dans Holborn, j’entends tout à coup des cris sauvages et une voiture qui arrive à un train fou, les chevaux lancés à toute vitesse, ce sont les pompiers ; drôle de manière d’avertir ! Le long d’Oxford street, la foule circule hâtive dans la brume du soir, des bandes de filles se tenant par le bras chantent en bousculant les passants d’une façon très shocking. Mais, ici, tout est convenable et il faut être Francais pour y voir mauvaise intention.

Après dîner, je m’en vais lentement au travers des rues pleines de monde, dans l’animation des lumières et du théâtre, vers la station de Victoria où je prends le Brighton and South Coart Railway. A la gare, quelques Français prenant le train qui doit les ramener à Paris, heureux de revenir, étouffés par cette vie anglaise qu’ils ne comprennent pas, manifestant, par des chansons de café-concert, leur joie de quitter cette ville où des affaires commerciales les ont forcés de passer quelques heures.

11 heures. Nous arrivons à Newhaven-Harbour, ainsi nommé probablement, parce qu’en écrivant son nom à rebours cela fait toujours Nehwaven. Sur le bateau je m’apprête à me coucher sur de nombreux colis recouverts d’une bâche lorsqu’un voyageur s’approche de moi : – Vous ne savez peut-être pas, monsieur, sur quoi vous vous couchez justement ? – Non monsieur. – C’est sur le cercueil d’un Anglais que sa famille ramène en France à cause de sa femme... alors vous comprenez si vous aviez dormi toute la nuit dessus, ça aurait pu vous être désagréable de le savoir après, c’est pour vous ce que j’en dis.

– Merci, Monsieur, bien obligé. »

3 heures 1/2 du matin. - Dieppe dans la brume, quelques lumières, une grue sur le quai crache de la vapeur. J’exhibe de magnifique, passavant qu’au départ, moyennant 25 centimes, m’a aimablement bâclé pour me rendre service sur je ne sais quelle feuille de droits de port. Les indications sont données du reste par moi avec l’intention évidente de pouvoir rapporter au besoin à la place de ma machine une sextuplette a vapeur. Y a-t-il des poignées en liège au guidon ! Oui. – C’est-y des pneumatiques ? – Dame je crois. – Allons, passez.. – On me rappelle : Le guidon est-il nickelé ? – Oui Ben allez. Et je vais, droit devant moi, le long des quais où s’avance lentement le train de Paris avec ses lanternes encore allumées, dont la lueur fatiguée s’éteint sous le petit jour blanc du matin, je vais sur cette route si connue avec ses mêmes écriteaux bleus, ses mêmes bornes blanches depuis Dieppe jusqu’à Paris et en moi-même je pense au Hight North Road and Pears soap et au petit crieur de journaux de Charing-Cross. The Graphic ? Ohe, the Graphic ! Une femme dévorée par les rats à Whitechapel The Graphic !

***

En France, le pays bleu, des vignes et du soleil, où le rire est franc et la gaieté aimable, nous aimons peu la grande île, sombre, morne pays des brumes et du travail. Et si pourtant, ami lecteur, tu voulais aller un jour, bravant les communs préjugés, visiter l’Angleterre, tu apprendras peut-être que sous son apparence de fer se cache un caractère qui t’était inconnu, des impressions que tu ignorais encore, une tendresse rude, un accueil franc et sérieux, que tu n’avais pas soupçonné. Et si, d’aventure, l’essai ne répond pas à ton attente, si tu revenais sans plaisir d’un voyage au pays anglais, patience. Rentré chez toi durant les longues soirées d’hiver, quand la neige étouffe de son lourd manteau le soleil et la vie, alors, entouré des êtres et des choses aimés, assis près de ton foyer dont la flamme s’écroule, crois-moi tu trouveras la joie de tes fatigues et de tes peines, une émotion peut-être nouvelle, toujours très douce.... te souvenir.

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