Chili 1892
mercredi 4 décembre 2024, par
Jusqu’à la fin de 1892 la vélocipédie était pour ainsi absolument inconnue au Chili. C’est à peine si de tard en tard quelques personnes, trois ou quatre Européens se hasardaient à faire à des heures de solitude de la belle promenade de l’Alamida de Santiago, deux ou trois kilomètres et à rentrer leurs appareils après avoir éveillé la surprise et des sourires des passants habitués à considérer la vélocipédie appropriée uniquement aux enfants.
L’Alameda de las Delicias, à Santiago du Chili, est un beau boulevard de cent mètres de largeur et de plus de cing mille mètres de longueur, coupant la ville de l’orient à l’occident, de la rivière Mapocho à la gare centrale des ferrocarrils de l’Etat. La promenade, enfermée entre deux rues bien pavées, avec de bons trottoirs, est divisée en trois avenues d’ormeaux, acacias, peupliers australiens, dont celle du milieu a trente mètres de largeur et est ornée de monuments ; les avenues latérales, larges de la moitié de la centrale, sont divisées de celle-ci par un canal en briques et portland enfermé entre deux lignes d’arbres sous lesquelles il y a des bancs en pierre ou en fer et bois.
Vers la fin de 1892, un commerçant commissionnaire prit pour son compte l’achat d’une centaine de bicycles et tricycles conservés depuis très longtemps dans les magasins d’une maison d’importation de toute sorte d’articles allemands. Ces vélocipèdes étaient placés parmi les objets sans vente possible. Personne ne voulait d’eux. Le commissionnaire acheteur s’en aperçut trop tard, et pensa à les louer.... Une heureuse coïncidence lui donna une idée qu’il ignorait être en pratique nulle part. La chose réussit. Petit à petit des enfants et des jeunes gens, des jeunes gens et des messieurs âgés, un grand nombre de personnes allèrent essayer des bicycles, et même des tricycles. C’était d’un drôle !... De vieux messieurs sur des petites machines à trois roues en fer, pour des enfants, faisant des grands efforts pour mettre en mouvement des tricycles produisant un bruit de ferraille qui éloignait tout danger de fouler quelqu’un.
Bientôt le négoce prit de l’essor, les vieux bicycles et tricycles furent mis de côté ; les gamins crieurs de journaux étaient les seuls à les louer ; les bicyclettes allemandes les remplacèrent, et l’on vit de nombreux amateurs venir chez l’ancien commissionnaire demander les nouvelles machines... Encore, celles-ci n’étaient pas des pneumatiques, dont on ignorait encore l’existence.. jusqu’à la réception de quelques catalogues et l’importation de quelques nouveaux modèles de fabricants des Etats-Unis. Plus tard on demanda des catalogues en Europe et les agents allemands reçurent quatre pneumatiques.
La nécessité d’organiser un club commença à se faire sentir. Au mois d’août dernier, l’on arriva a fonder le Club de Velocipedistes de Santiago de Chili ; l’on choisit un comité et l’on désigna pour le présider M. Larraza-bal Wilson, avocat, notaire public, professeur à l’Instituto ; l’on nomma secrétaire M. Ozza Bowe, chef du service postal international, ancien secrétaire de la poste à Santiago, et trésorier M. Montero, capitaine du génie, attaché à l’état-major général.
An nouveau club, on montra une grande activité : on adressa de nombreuses communications et demandes de catalogues ; on demanda des modèles à une fabrique française de Saint-Etienne (Loire) ; on se mit en relation avec les autorités du pays pour obtenir l’amélioration des chemins ; l’on organisa des excursions. Cette grande activité éveilla tellement l’attention publique que le nombre des associés augmenta considérablement, et l’on songea à introduire la vélocipédie dans l’armée, à la poste officielle, dans les services des porteurs des communications et des ordres entre les divers bureaux de l’administration publique, et à étudier l’utilité de la vélocipédie sur une plus vaste échelle.
Le nouveau club a organisé des excursions de quelque importance, dont la première, qui servit d’essai, attira grandement l’attention publique. De Santiago à San Ber- nardo, il y a 20 kilomètres de mauvais chemins. Parcourus au voyage d’aller en deux heures, le retour fut plus rapide, une heure et demie seulement. Cette marche, en Europe, serait dérisoire, car là-bas les voies de communication sont excellentes. Au Chili, à vrai dire, il n’y a que des chemins primitifs, de la terre aplanie par des milieux peu pratiques, constituant de la boue en hiver, de la poussière en été, avec en tout temps grande quantité de cailloux détachés, de toutes dimensions et formes ; ces chemins ne sont pas nivelés, ou le sont tellement sans soin qu’à l’époque des pluies il se forme des lacs ou marais dans lesquels les chariots et voitures restent parfois des heures adhérés au sol gras, fangeux. Donc, il faut vaincre toute sorte de difficultés dans ces voyages, et l’on ne peut pas aller très rapidement. Même il y a à craindre que des machines fabriquées pour les bons chemins européens ne résistent pas très bien aux aspérités du terrain, des trous et pierres des chemins, aux grands efforts, aux pédales.
Il y a donc une véritable importance à ce que les fabricants français connaissent ces conditions du sol, puisque non à celui-ci mais à des défauts de fabrication de leurs machines seraient attribués les accidents très naturels dans ces conditions.
Une seconde expédition à San Bernardo vérifia les inconvénients des machines non pneumatiques. Quoique sans accident, néanmoins du nombre de seize voyageurs, la fatigue fut trop grande pour les cavaliers des non pneu- matiques.
Plus tard, au commencement de septembre, vingt et un membres du Club sont allés à Maipié, distant de dix-sept kilomètres au sud de Santiago, dans des conditions semblables aux excursions antérieures, mais avec plus de succès. Finalement, le 19 septembre (avant hier) cinq clubmen sont sortis à six heures et demie du matin pour aller à Melipilla, soixante deux kilomètres d’abominables chemins. A 9 heures 1/2 un des voyageurs, qui montait une bicyclette non pneumatique, arrivé au kilomètre 33, dut renoncer à suivre avec ses compagnons et prit le train qui le conduisit à Melipilla. Les autres quatre continuèrent jusqu’au terme du voyage où ils arrivèrent à 1 h. 1/2 de l’après-midi.
Club des Vélocipédistes à Santiago du Chili.
La Bicyclette 1893