A Marcel Varalle (1912)
dimanche 22 décembre 2024, par
A Marcel Varalle.
Je ne rappellerai pas le deuil cruel qui frappa la grande famille des cyclotouristes, lorsque s’éteignit cette pauvre rétro, à la suite du concours du T. C. F. de 1905. Elle n’était âgée que de peu d’années et sa carrière n’avait pas été bien brillante.
Son âme puisse-t-elle reposer en paix, avec celle du capitaine Perrache, et béni soit M. Marcel Varalle, qui après avoir fourni une longue carrière cycliste sur la rétro-directe comme semble l’indiquer son article vient, avec une piété bien louable, semer, dans Le Cyclotouriste quelques fleurs sur sa tombe.
Ici quelques instants de méditation sur la brièveté et la futilité des choses d’ici-bas.
Il y a peu de temps, j’allais entrer dans ma vingt-cinquième année. Mes épaules commençaient, hélas ! à se courber sous le lourd fardeau des ans. Ma bicyclette (directe) ne laissait pas de me fatiguer je me voyais obligé de renoncer à fumer ma pipe en gravissant les côtes – habitude chère, comme chacun le sait, à tous les cyclotouristes. C’est alors que je me rappelai les célèbres débats au sujet de la rétro-directe, débats appelés à prendre place dans l’histoire, à côté des querelles des peuples. La lumière ne se trouvait-elle pas de ce côté ? Dès lors, pourquoi n’essayerais-je pas, moi aussi, de la découvrir ?
Je m’en fus donc chez Magnat-Debon et priai cefte honorable maison (qui n’a qu’un défaut : ne pas vendre de la camelote), de chercher dans son musée des antiquités s’il ne s’y trouvait pas un de ces instruments surannés nommés « rétro-directe ». Une autre pensée me poussait à cette décision c’est qu’ayant déjà épuisé la somme des connaissances humaines, je souhaitais trouver dans la rétro un nouvel aliment à mon activité. En effet, le mouvement qui consiste à faire tourner ses jambes à l’envers est considéré par tous comme excessivement difficile, sinon impossible. Allais-je pouvoir me rendre maître de cette nouvelle science ?
La maison grenobloise ayant bien voulu répondre favorablement à ma demande, je me trouvai bientôt en possession d’une bicyclette sur laquelle il était impossible de tricher, car elle n’avait pas le moindre 3,50 en direct.
Pour le coup, je fis aussitôt mettre à l’étude un modèle de pipe aussi perfectionné que possible, à l’usage du cycliste grimpant de très longues côtes. Le tabac y devait renaître de ses cendres, comme autrefois le Phénix Exstincta revivisco.
Les essais commencèrent. Armé de tout mon courage pour vaincre l’insurmontable difficulté, je me servais d’un nuage odorant de tabac pour tempérer les ardeurs du soleil. Mais, Ô sort implacable, cruelle désillusion !... Je savais faire tourner mes jambes en arrière ! Deux jours après, je partais en voyage, sans avoir eu la joie de tomber, terrassé par la fatigue, sur la route poudreuse.
Et depuis, ma rétro n’a jamais pu arriver à être, ne serait-ce que de 75%, inférieure aux autres bicyclettes. Aussi dois-je dire qu’elle suffoque réellement le monde. Est-ce étonnant ? Non pas, puisqu’elle est le seul et unique exemplaire de feue cette invention baroque, non seulement dans la ville, mais sous la calotte du ciel.
N’avais-je pas raison de remercier le généreux touriste qui vient réveiller de si doux souvenirs ?
GALLUS, à Paris.
Le Cycliste, 1912, p.212