Randonnée pascale mars (1907)

mercredi 22 mai 2024, par velovi

Vélocio, Randonné pascale, Le Cycliste, mars 1907, p.41 à 45, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_9

Qui a bu boira  ; qui a randonné randonnera. J’ai beau me répéter qu’il serait, sans doute, sage de renoncer aux étapes-transport  ; que lorsqu’on a franchi le cap de la cinquantaine, qu’on est même, comme moi, à mi-chemin de celui de la soixantaine, il est peut-être imprudent de s’exposer à des fatigues que tout le monde s’accorde à trouver excessives, je fais comme le nègre de Mac-Mahon, je continue.
Peut-être aussi tout le monde a-t-il tort de trouver excessives des étapes qui, loin de me laisser des souvenirs pathologiques, me paraissent, tout au contraire, exercer sur ma santé une influence des plus bienfaisantes, à en juger, autant par les ingesta que par les egesta, pour parler le langage des savants. En tous les cas, cette fois, après 850 kilomètres parcourus en 4 jours, le plus souvent sous un soleil ardent, j’ai pesé 700 grammes de plus qu’au départ, les pesées ayant été faites avec soin, dans des conditions d’égalité absolue. Il n’y a donc pas eu de déchet, et je ne vois pas pour quelle raison je ne recommencerais pas dès la prochaine occasion. Je me propose même de faire, en juin prochain, une expérience d’endurance à laquelle je crois qu’un organisme soumis depuis onze ans au régime végétarien peut parfaitement résister  : partir un samedi matin à 4 heures et pédaler d’arrache-pied jusqu’au lendemain soir, 20 heures, c’est-à-dire pendant 40 heures consécutives, sur un itinéraire moyennement accidenté, par exemple Saint-Etienne, Autun, zigzags dans le Morvan jusqu’à Avallon, et retour à Saint-Etienne par Nevers, quelques 700 ou 800 kilomètres.
En attendant  ; contons rapidement notre dernier voyage qui, à l’exception de quelques heures nocturnes, fut charmant et favorisé par le plus beau temps du monde.
Depuis longtemps il était question, à l’E. S. d’une étape-transport qui mettrait Nice à une journée de Saint-Etienne, et je décidai le jeune Dupuy, qui est assurément un de mes meilleurs élèves, à m’accompagner. Malheureusement, comme tous les jeunes gens trop enclins à sacrifier le confortable au rendement, mon compagnon voulut partir sur une véritable polycyclette de course munie de pneus boyaux de 28 m/m  ; il emportait sous sa selle quatre pneus de rechange, car ces collés sont irréparables sur la route, et il faut les remplacer quand ils crèvent. Nous avions fait à peine 400 kilomètres qu’il fallut en remplacer deux, et les quatre y passèrent au cours du voyage.
Ce ne sont pas là des pneus de polycyclette de tourisme.
J’avais moi-même, pour diverses raisons, dont quelques-unes indépendantes de ma volonté, choisi mon n° 1 qui date de 1903 et tient le milieu entre la machine à grand confortable et la machine à grand rendement. Elle a des Clincher à talons de 35 m/m très souples, cinq développements  : 7m,40, 5m,30, 4m,30, 3m,30 et 2m,65 interchangeables en marche deux à deux par 2 chaînes du même côté, des garde-boue, deux freins, et elle pèse 16 kilos sans bagages  ; d’ailleurs je ne regrettai pas ce choix, car de tout le voyage je n’eus pas à donner un coup de pompe à mes pneus, pas une goutte d’huile à mes roulements  ; sauf le 2m,65, tous mes développements furent mis à contribution. La polycyclette de Dupuy pèse 12 kilos, elle n’a qu’un frein, pas de garde-boue et possède pourtant 4 développements interchangeables en marche deux à deux  : 7m,50, 6 mètres, 4m,35 et 3m,45.
Nous partons le jeudi 28 mars, à 16 heures, de l’octroi de Saint-Etienne, et nous grimpons à petite allure au col des Grands Bois (1.160 m.) encore sous un mètre de neige, nous passons cependant sans trop de peine, et nous avons le plaisir de rencontrer, en descendant sur Bourg-Argental, nos amis d’Annonay venus expressément pour nous souhaiter un bon voyage. Nous pédalons quelque temps en leur compagnie, puis, dès Saint-Marcel-lès-Annonay, nous prenons congé et nous filons à grande allure de crainte que la nuit ne nous surprenne avant que nous soyons sur les bords du Rhône à Andance. Cette descente, la nuit, est dangereuse, à moins qu’on ne la fasse à une allure de tortue, ce qui n’est pas dans nos habitudes.
A 19 heures nous virons à Andance et nous constatons avec peine que le vent est contre nous, pas très fort, mais suffisant pour diminuer de 2 ou 3 kilomètres notre vitesse horaire. On allume les lanternes qui firent vaillamment leur devoir  ; la lune, d’ailleurs, nous inondera toute la nuit de sa pâle clarté. Nous arrivons à Valence à 21 heures sans autre incident désagréable que la traversée de deux bons kilomètres d’empierrements fraîchement épandus. D’une façon générale, le sol est moins bon qu’autrefois  ; cela tient sans doute aux pneus ferrés des autos qui le labourent et déchaussent les cailloux.
A quelque distance de Valence, premier incident  : le pneu arrière de Dupuy rend l’âme sur un caillou et nous voilà, au clair de la lune et des lanternes, démontant la roue pour remplacer ce boyau crevé, ci  : 35 minutes d’arrêt et je trouve que mon compagnon est joliment habile  ; mais le voilà devenu inquiet — Si je crève un pneu tous les cent kilomètres, murmure-t-il, mes quatre rechanges ne me permettront même pas d’arriver à Nice  ! — Il donne un peu plus d’eau à son carbure afin d’éclairer suffisamment le sol devant lui pour qu’il puisse voir et éviter les moindres cailloux, préoccupation déprimante.
Peu à peu, cependant, le vent se calma et nous allions nous en féliciter quand, après Livron, nous voyons, sur la route, des flaques d’eau qui, dans Loriol, s’étendent sur toute la chaussée  ; il vient sûrement de pleuvoir et si la pluie a abattu le vent elle a couvert la route de boue  ; nous allons être terriblement handicapés. Jusqu’à Montélimar (23 h. 1/2) et , même jusqu’à Donzère le mal n’est pas encore bien grand  ; la descente sur Donzère se fait à grande allure  ; j’ai, depuis le col des Grands Bois, le jeu de 7m,40 et 5m,30  ; avec ce dernier développement, la montée ne m’a pas coûté beaucoup d’efforts. Dupuy a 7m,5o et 4m,35 et marche avec beaucoup d’aisance.
Mais à Pierrelatte et à mesure que nous approchons d’Orange, la boue va crescendo à tel point que, s’insinuant traîtreusement sur nos chaînes et dans nos roues libres, elle va nous jouer une série de tours pendables outre celui d’augmenter considérablement la résistance au roulement. Déjà l’absence des garde-boue se fait sentir chez Dupuy qui est obligé de s’arrêter et de dégager ses roues dentées, que la roue directrice asperge abondamment  ; un peu plus loin, nouvel arrêt pour recharger la lanterne qui lui est plus nécessaire que jamais. A Orange, nous faisons halte auprès d’une fontaine pour nous lester de quelques calories et, au moment de repartir, impossible de démarrer  ; il faut enlever les chaînes et nettoyer les roues libres. Il est trois heures environ quand nous nous éloignons d’Orange et l’allure baisse lamentablement. Nous pataugeons, à la hauteur de Bédarrides, dans de véritables fondrières. Il est inconcevable qu’on laisse une route nationale de cette importance dans un tel état de délabrement. Cela dure jusqu’à Sorgues où les rails viennent compliquer la situation en nous exposant à des dérapages que nous avons pu éviter jusqu’ici.
Depuis longtemps nous marchons à travers un brouillard humide qui, ne s’élevant qu’à trois mètres à peu près au-dessus du sol, n’empêchait pas la lune de nous éclairer  ; il nous mouillait plus que ne l’aurait fait une petite pluie, nos provisions dans nos sacs, dans nos poches en étaient transpercées et copieusement humectées. Après Sorgues, ce brouillard devint assez épais pour voiler la lune et nous rendre plus difficile notre tâche  ; nous commençons aussi à rencontrer des voitures  ; à Sorgues, un chemineau me demande l’heure qu’il est  : 4 h. 10  ; j’allais à pied à ce moment, tant pour me réchauffer que pour attendre Dupuy qui renettoyait sa chaîne et ses pignons. Bref, cette fâcheuse situation nous préoccupe si fort qu’au Pontet nous manquons la traverse par Montfavet où nous aurions peut-être trouvé une route meilleure et nous sommes très étonnés de nous voir en Avignon à 5 heures précises. Nous pataugeons de plus belle à pied, à la recherche de la route de Marseille. Quand nous y sommes, l’aube se lève et l’espoir d’une journée meilleure que ne le fut la nuit nous ranime. Nous avons malheureusement trois heures de retard sur mon temps habituel qui, pour Saint-Etienne-Avignon, est de 10 heures, mon record étant de 9 heures avec vent favorable pour ces 220 kilomètres. Le sol dévient plus ferme et l’on peut augmenter l’allure, ce n’est pas malheureux  !
L’appétit qui ne perd jamais ses droits montre les dents et l’estomac réclame quelque chose de chaud après ces heures passées dans le brouillard que les tout premiers rayons du soleil mettent enfin en déroute. Nous aurions déjeuné volontiers au Pont de Bonpas, mais tout y dort encore  ; à Orgon, tout est clos. Enfin à Senas, à 7 heures, un hôtel ouvre ses volets à l’instant précis où j’arrive, Dupuy ayant fait halte à Orgon où il nettoie ses chaînes pour la ne fois. Après un déjeuner substantiel, café au lait, œufs à la coque, beurre et confiture, à mon tour je débarrasse mes roues libres de la boue qui les englue et nous filons grand train désormais, à 8 heures. Les montées qui précèdent Lambesc et Saint-Cannat sont enlevées au pas de charge ; nous entrons à Aix (42 kilomètres de Senas) à 10 heures. La guigne, malheureusement, ne veut pas nous lâcher et si quelqu’un nous avait suivis pour s’assurer que nous ne trichions pas (ce qui, nous a-t-on assuré, fut le cas), ce quelqu’un nous eût retrouvés quelques kilomètres après Aix en train de démonter sur le bord de la route une des roues libres B S A de la polycyclette de Dupuy, que la boue avait rendue folle  ! Or, démonter et remonter une roue libre à deux rangs de billes n’est pas une petite affaire, même dans un atelier, à fortiori dans un fossé sans outils spéciaux. L’opération nous demanda trois quarts d’heure. Nous ne nous remettons en selle qu’à 11 heures 20 avec, enfin  ! du vent favorable qui nous fera rattraper une partie du temps perdu. Pendant ces quatre jours le vent a été très instable et ceux qui ont pour habitude de ne jamais voyager qu’avec le vent dans le dos ont dû évoluer dans un cercle très restreint.
De 33 à 34 kilomètres nous séparaient de Saint-Maximin  ; nous les enlevâmes en 76 minutes, et après une bouteille de limonade vidée en l’honneur de Phébus dont les rayons étaient terriblement chauds, nous continuons vivement par Tourves et Brignoles, où nous achetons des oranges, jusqu’à Flassans où nous fîmes trempette dans du café très sucré. On ne s’imagine pas combien quelques oranges sucées à propos désaltèrent et nourrissent‘en même temps, j’en mangeai cinq et Dupuy onze en cette fin d’étape.
Dans ces parages, les autos font rage et rendent les gens enragés. La veille, près de Flassans, une auto avait été saluée de quelques coups de fusil et le chauffeur avait reçu une balle dans la cuisse. Peut-être un innocent avait-il payé pour un coupable  ! mais il y a vraiment des chauffeurs bien coupables qui mériteraient d’être punis.Nous fûmes les témoins, entre Brignoles et Flassans, d’un fait qui méritait certes une correction même à coups de fusil. Il y a là une série de montagnes russes qui devraient engager les chauffeurs à modérer leur allure, car on ne voit pas du tout ce qu’il y a derrière le dos d’âne qui barre l’horizon, or, nous entendons soudain derrière nous mugir une énorme limousine qui dévale la pente et aborde la montée à la 36e vitesse  ; nous la voyons au sommet bondir dans le vide et nous entendons immédiatement des appels de corne précipités et le grincement significatif des freins qui bloquent les roues  ; nous nous hâtons  ; il doit se passer quelque chose d’anormal de l’autre côté  ; ni morts ni blessés heureusement, l’auto escaladait la montagne russe suivante et un charretier encore ému de la catastrophe miraculeusement évitée maintenait ses chevaux effrayés. En bondissant dans le vide le chauffeur s’était trouvé à 50 mètres d’une charrette qui cheminait paisiblement, il avait serré tous ses freins et nous vîmes sur le sol les traces de ce brusque ralentissement  ; il avait pu passer, bien juste, laissant derrière lui le paysan jurer et le menacer du poing. Si la charrette n’avait été qu’à 25 mètres il y aurait eu forcément collision. Comme c’est gai pour un paisible laboureur qui rentre au logis après une pénible journée, de voir passer la mort de si près  !
Nous avons quitté Flassans à 14 h. 45 et après deux raidillons qui semblent durs à mes 4 m. 30, une descente presque continue nous entraîne jusqu’à Fréjus où nous mettons pied à terre à 17 heures précises pour remplacer une deuxième fois le pneu arrière de la polycyclette de course. Nous avons parcouru en 25 heures 45 kilomètres seulement et nous renonçons à atteindre Nice le soir même bien que 68 kilomètres seulement nous en séparent, mais rouler la nuit entre Cannes et Nice, route dangereuse même le jour à cause de la circulation active des voitures, autos et tramways, ne nous sourit en aucune façon. Si nous n’avions pas été retardés par la boue, le vent et tant d’accidents de machine, nous aurions été à Fréjus à 13 ou 14 heures et à Nice à 17 ou 18 heures au plus tard.
Nous nous contenterons, pour cette fois, d’aller passer la nuit à l’auberge des Adrets à 15 kilomètres de Fréjus, mais à 320 mètres d’altitude et nous ne sommes qu’à 30 mètres. Une grimpette de 6 kilomètres à 5 et 6 % après une étape de cette importance, cela nous prouvera du moins que nous ne ressentons pas de fatigue anormale, nous grimpons avec 3m ,30 sans précipitation  ; c’est l’heure la plus agréable de la journée  ; sans parler du plaisir que nous éprouvons à penser que chaque coup de pédale nous rapproche d’un bon repas et d’un bon lit, nous nous sentons pénétrés par la sauvage grandeur du site qui nous entoure  ; à plusieurs reprises nous apercevons la mer sans limites  ; le soleil couchant colore les sommets de teintes vives qui, peu à peu, languissent et s’éteignent  ; les bois s’assombrissent et une fraîcheur bienfaisante descend sur nous,
A 18 h. 1/2 nous entrons à l’auberge des Adrets, notre étape-transport est terminée  ; nous sommes l’un et l’autre (20 ans et 54 ans) en parfaite condition, preuves vivantes de l’excellence du régime végétarien, suivi par Dupuy depuis quatre ans et par moi depuis onze ans, pour tous les âges.
Contestera-t-on encore l’utilité, le côté pratique de ces étapes  ? Du moment où elles ne laissent aucune fatigue anormale, qu’on se trouve à la fin de l’étape, quelles qu’aient été sa longueur et ses difficultés, dans le même état qu’un homme qui vient d’accomplir son labeur quotidien, n’est-il pas intéressant pour tous de savoir qu’à si peu de frais on peut se transporter à des centaines de kilomètres  ? Nous n’avions pas dépensé pour notre alimentation vingt sous de plus que si nous ne nous étions pas déplacés, tandis que par les moyens de transport ordinaire cette seule étape nous aurait coûté au bas quota 5 francs.
Et le surcroît de santé qui résulte d’un exercice au grand air, de ce long bain de soleil, de brise marine, d’effluves résineux, le comptera-t-on pour rien  ? Si nous en jugeons par nous-mêmes, nous avons toujours rapporté de nos voyages un regain de vitalité, d’activité musculaire et cérébrale, une sensation indicible de bien-être physique  ; cela tient sans doute à l’élimination par la peau d’un tas de déchets qui stagnent dans le corps, accumulations morbides d’où dérivent toutes nos maladies et dont il convient de se débarrasser vivement, lorsqu’on tient la santé pour le plus précieux des biens.
En quittant le samedi matin l’auberge des Adrets, l’hôtelière nous invite à signer une pétition demandant le maintien du poste de gendarmerie placé depuis plus de cent ans à côté de l’auberge et que le maire des Adrets voudrait, pour des motifs qui semblent très faiblement teintés d’intérêt général, loger chez lui dans le village même, perché de l’autre côté d’un profond ravin, en dehors de la circulation si active de la route nationale Cannes-Fréjus.
Nous ajoutons avec empressement nos noms à ceux déjà très nombreux qui se trouvent au bas de la pétition, et je proteste ici avec véhémence contre ce projet stupide d’enlever les gendarmes d’un point où leur présence est indispensable pour les envoyer dans un village où personne ne passe, où suffit largement un garde-champêtre.
Ce serait un crime de lèse-tourisme et le Touring-Club nous doit de prendre en mains la défense de notre sécurité et d’agir auprès de qui de-droit pour que les gendarmes de l’Esterel soient maintenus où ils sont, à côté de l’auberge des Adrets qui s’en irait naturellement avec eux. En effet, sans la gendarmerie, sur cette route sillonnée de chemineaux et de romanichels une auberge isolée comme l’est celle des Adrets ne serait pas en sûreté et devrait fermer ses portes. Les touristes à pied, à bicyclette, voire en auto, pourraient être arrêtés et rançonnés, comme au bon vieux temps de Gaspard de Besse et nous devrions renoncer à excursionner dans l’Esterel, notre parc national, ce joyau de nos richesses touristiques. Et tout cela pour le bon plaisir d’un minuscule maire  !
Quel eût été notre désappointement si, en arrivant entre chien et loup, nous avions trouvé, à la place de l’auberge hospitalière et de la gendarmerie tutélaire, un campement de Bohémiens plus disposés à nous piller qu’à nous faire bon accueil  ? Notre étape s’en serait trouvée augmentée des 18 kilomètres de descente qui nous séparaient de Cannes  !
Le lendemain, à 9 heures, après un solide déjeuner, nous nous laissons entraîner par la pente qui n’est pas continue, tant s’en faut  ; le sol sur ce versant est moins abîmé par les autos que du côté de Fréjus, où les virages sont des trous de sable. Sur cette route les chauffards s’en donnent à cœur joie  ; miracle qu’il ne s’y en soit pas encore tué une douzaine.
A Cannes, je me sépare de mon jeune compagnon qui va pousser une pointe en Italie et qui reviendra par la route jusqu’à Marseille. Je vais, jusqu’au soir, flâner sur le littoral, d’abord en suivant, pour la cinquième fois, la Corniche du T.-C.-F. toujours plus attirante à mesure qu’on la connaît davantage, ensuite, de Fréjus à Sainte-Maxime et Lafoux où je bifurque vers Cavalaire. Je ne connais pas encore cette partie du littoral qu’on dit fort belle.
Le chemin, car il ne s’agit plus de route, débute par une montée de quelques kilomètres entrecoupée de raidillons carabinés surtout avec le vent debout qui me gêne depuis Sainte-Maxime. On passe au pied d’un gros bourg perché sur la colline et l’on atteint un col d’où la vue s’étend sur une baie aux rivages verdoyants. Descente rapide vers une station du petit chemin de fer qui, entre Fréjus et Hyères, croise plus de vingt fois la route. Une superbe allée de palmiers sous lesquels errent indolemment des promeneurs en flanelle blanche, nous sommes en pleine station hivernale. Le chemin est malheureusement si mal entretenu, qu’à moins d’aller à pied, il est impossible d’accorder beaucoup d’attention à tout ce qui m’entoure. Bientôt je m’engage dans une gorge et l’état du sol devient pire  ; j’y rencontre pourtant des automobiles, des motocyclettes même et plus de cyclotouristes que je n’en ai encore vus. La rampe est douce, régulière, et se termine en corniche dominant la côte d’environ 100 mètres. Çà et là quelques maisons blanches émergent des pins qui poussent drus de la base jusqu’au faite des collines. Encore un passage à niveau à un endroit où je ne pensais plus à ce satané petit chemin de fer, puis on redescend, pas très vite non plus, à Cavalières où le sol devient enfin cyclable et l’on atteint bientôt le Lavandou qui paraît être le site le plus intéressant de ce parcours dont je n’ai pas gardé une bonne impression à cause de l’obligation constante où je fus de regarder à mes pieds pour éviter ornières, sable, pierres, trous et bosses. Si cette route était bien entretenue et moins fréquemment coupée par des passages à niveau, elle serait pour nous, cyclistes, une promenade idéale, tandis que... je n’y reviendrai pas de sitôt.
Au Lavandou finissent mes peines, et je puis pédaler à grande allure, car j’ai perdu beaucoup de temps, vers Hyères et Toulon où j’arrive à la nuit tombante  ; j’ai parcouru ce jour-là, en flânant, 160 kilomètres  ; un train de nuit m’amène à Tarascon  ; j’en repars à 7 heures le dimanche matin pour aller, par Remoulins et Pont-Saint-Esprit, attendre à Bollène-la-Croisière un groupe de cyclotouristes stéphanois que je dois piloter. L’express en retard n’arriva qu’à midi et un subit dégonflement de pneumatique sur le Pont-Saint-Esprit nous immobilisa jusqu’à 14 heures, car nous mettons à profit cet arrêt forcé pour déjeuner à l’Hôtel de la Poste.
En route ensuite pour Bagnols, Gonnaux, Pouzilhac, Valliguières et le pont du Gard  ; ces 40 kilomètres de belle route sont une promenade délicieuse que je ne me lasse pas de refaire. C’est par là que je suis venu le matin avec une légère brise de nord-ouest qui, l’après-midi, est devenue un violent vent de sud-ouest, contraire par conséquent.
Je laisse à un de nos compagnons le soin de nous conter cette partie de notre randonnée pascale qui se termina par la visite du curieux village des Baux, des antiquités de Saint-Rémy et de la fontaine de Vaucluse d’où, par Carpentras, nous étions à Orange à 19 heures avec 850 kilomètres au compteur pour mes quatre jours d’excursion. J’avais, à Pâques 1903, fait beaucoup mieux que cela et comme total kilométrique et comme rapidité de marche. Le vent m’avait été favorable à l’aller, contraire au retour et ma bicyclette forte routière ne pesait pas moins de 29 kilos avec son bagage. Cette année, ma monture pesait 10 kilos de moins. J’en suis donc à me demander, en comparant ces deux excursions, si le facteur «  légèreté de la machine  » a une importance quelconque pour des étapes-de ce genre, et si la machine à grand confortable ne l’emporterait pas finalement sur la machine à grand rendement. Afin de jeter quelque lumière sur ce côté de la question, je me propose de refaire un voyage analogue avec une lévocyclette Terrot, cette reine des polycyclettes confortables, et je ne serais pas surpris de faire aussi bien peut-être mieux qu’avec mon n° 1.
Vélocio.

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