Saint-Étienne Lyon (1898)
mercredi 22 mai 2024, par
Par Paul de Vivie alias Vélocio, Le Cycliste, 1898, Source Archives départementales de la Loire, cote1328_6
Cela n’a l’air de rien un voyage de Saint-Étienne à Lyon et cela ne vaut pas évidemment un voyage en Chine, mais on en peut encore tirer quelque chose d’utile au cyclotourisme sans parler de l’agrément que 120 kilomètres de route variée procurent à un fervent cycliste tel que votre serviteur. Entre deux semaines de pluie presque continue le dimanche 16 octobre a été une journée délicieuse surtout pour ceux (et ce fut mon cas) qu’un itinéraire habilement choisi conduisait du sud au nord.
Sans m’inquiéter outre mesure d’une petite averse matinale (pluie du matin n’arrête pas le pèlerin), j’attendis simplement que le vent du midi qui soufflait avec persistance eût séché les routes et, après avoir donné moi-même à ma bicyclette les petits soins, réglage, graissage, inspection des pneumatiques, etc., que réclame une étape un peu forte que l’on veut faire sans encombre, je me dirigeai à onze heures moins le quart vers Le Bessat où j’arrivai à midi précis.
Quand on a Lyon pour objectif, quoique tous les chemins mènent à Rome, aller passer au Bessat cela parait bizarre, mais j’avais deux raisons pour cela. D’abord il s’agissait de promenade ! et quand on veut flâner le chemin de l’école buissonnière est tout indiqué, ensuite je désirais refaire avec le secours de 4 multiplications, un trajet fait plusieurs fois avec des machines ordinaires et de comparer.
Encore une expérience, allez-vous vous écrier ! cela tourne à la scie et Le Cycliste ne sera ; bientôt plus qu’un terrain de manœuvres !
Là donc ! rassurez-vous, c’est peut-être la dernière et je tâcherai d’être court, contrairement à mes habitudes.
J’avais à ma disposition 3m,30, 4m,40, 5m,85 et 6m,90 : je partais de l’altitude 500 pour m’élever à 1200 (col de Chabourey) et redescendre à (Saint-Pierre-de-Bœuf). Il avait plu la veille et, bien que jusqu’à Rochetaillée la rampe ne soit pas cruelle, prévoyant des routes boueuses, je partis avec 4m,40 . Le sol était, contrairement à mes prévisions, en parfait état, mais, compensation dont je me serais passé volontiers, le vent, assez sensible, devait m’être contraire jusqu’au sommet. De Rochetaillée à Essertines abaisser à 3m,30 le développement, c’était tout indiqué ; il y a là 3 kilomètres particulièrement durs et bien que je les connaisse depuis longtemps je constate une fois de plus qu’ils ne se sont pas adoucis en vieillissant ; si les ingénieurs-rectificateurs de routes passaient par là, ils rendraient l’escalade du Bessat très agréable aux touristes, tandis qu’actuellement. euh ! euh ! beaucoup y regardent à deux fois avant de grimper à Chabourey et au Pilât. Dès que, après Essertines, la rampe devient plus douce, je reprends 4m,40 et ma toute petite multiplication ne me servira plus de la journée, mais elle m’a permis de gravir rapidement et sans fatigue les 3 ou 4 kilomètres pénibles : le reste de l’étape ne m’en sera ainsi rendu que plus facile ; car tout le mérite des machines à plusieurs développements est là : réduire la fatigue au minimum en conservant en toutes circonstances le maximum de vitesse ; ne pas s’exténuer à presser la pédale d’un effort surhumain pour obtenir du 6 à l’heure ainsi que le ferait un grand multiplié sur une rampe de 10% [1] ; ne pas se fatiguer physiquement et moralement à marcher en poussant pendant des heures sa bicyclette, bref augmenter le travail utile du cycliste en diminuant son travail total. Il serait vraiment fâcheux que par esprit routinier, amour-propre mal placé ou par simple négligence les cyclotouristes renonçassent de gaieté de cœur à des avantages aussi décisifs.
Quant aux cyclistes tour-de-lac ils auraient tort assurément de s’affubler de nos doubles ou quadruples pignons qui ont le grave inconvénient d’alourdir de 300 ou de 1.000 grammes respectivement une bicyclette.
J’arrivai donc au Bessat à midi précis et je n’aurais rien eu de plus pressé en semblable occurrence, il y a trois ou quatre ans, que de m’attabler incontinent devant un de ces copieux repas de campagne qui me semblaient jadis si substantiels et si réconfortants bien que toujours, pour dire vrai, je me sois senti après un de ces forts repas plus alourdi et moins apte qu’avant aux longues étapes. Or, cette fois, je passai, sans la moindre envie, devant les cinq ou six auberges du village et je continuai indolemment ma route comme un homme qui sait que son sac contient de quoi le nourrir : deux pommes, quelques noix, 500 grammes de pain et les ruisseaux d’eau fraîche qui descendent du Pilât devaient me sustenter suffisamment jusqu’au soir sans m’empêcher de pédaler gaillardement.
À la Croix de Chabourey, je mis pied à terre et pris le développement de 6m,90 jusqu’au pont de Graix, 5 kilomètres de pente relativement douce : j avais un bon frein à cuiller sur la roue directrice et je sais par cœur cette route, donc pas de danger et inutile de contrepédaler. Au pont de Graix je m’installe à quelques pas du ruisseau, à l’abri d’un rocher qui me protège contre le vent mais laisse venir à moi les rares rayons de soleil que les nuages n’arrêtent pas. Que l’on est donc mieux là que dans une salle enfumée et mal odorante et comme nous y deviserions gaiement si deux ou trois compagnons partageant mes goûts m’avaient accompagné ! À quand le cyclotouristo-végétario-club ?
J’ingurgite la moitié de mes provisions, sans précipitation, avec la conscience du devoir que je remplis envers mon estomac que pendant quarante ans j’ai contraint d’absorber un tas de choses, inutiles toujours, nuisibles souvent, qui ne se digéraient pas, s’assimilaient encore moins et ne servaient qu’à introduire dans l’organisme des résidus, des déchets, des accumulations morbipares.
Où vais-je me perdre, grands dieux ! Cesserais- je d’être cycliste et deviendrais-je hygiéniste ?
Quand je crois tenir la vérité, je veux absolument en faire profiter mes voisins et je vais, je le sens, redevenir le crampon que je fus il y a douze ans autour du berceau de la bicyclette et de l’industrie vélocipédique stéphanoise qui, l’une et l’autre, ont grandi et sont devenues de fort belles personnes dont je suis, du reste, plus que jamais amoureux.
Les repas d’un végétarien ne sont jamais bien longs, c’est une de leurs qualités et le docteur Julliard, qui s’y connaît, pense que le régime végétarien a surtout cela de bon qu’il ne nous pousse jamais à manger plus qu’il ne faut, et qu’avec lui l’estomac reste toujours en dedans de son effort, pour parler le langage des sportsmen ; les excès ne sont pas à craindre lorsqu’on n’a pour satisfaire son appétit que du pain, des pommes et de l’eau ; le palais, ce grand coupable qui nous incite à la gourmandise laquelle confine de si près à la goinfrerie, ne sent pas ses papilles se dilater voluptueusement devant une humble assiettée de riz bouilli sans assaisonnement, une potée de fèves, un gâteau de godelle ou de pois chiches. Seul un solide appétit lui fait trouver agréables ces mets simples, naturels, sans apprêt ; aussi dès que l’appétit est satisfait, il s’empresse de faire comprendre qu’il est inutile d’insister ; mais si à ce moment un habile cuisinier-chimiste venait lui offrir des mets savamment préparés, épicés, condimentés, le palais sentirait se réveiller de sensuelles convoitises et, piqué par l’aiguillon de la gourmandise, sans s’inquiéter de l’estomac, il s’en fourrerait jusque-là, à moins que la raison plus forte que la bête n’oppose son veto et ne dise halte-là.
Halte-là aussi pour cette digression, n’est-ce pas ? Sinon nous coucherons au pont de Graix.
J’ai profité de mon arrêt pour reprendre le développement de 4m,40 en vue de montée — pas très forte mais le sol est bien mou — que je vais avoir à faire et de la forte pente qui de Colombier m’amènera dans Saint-Julien-Molin-Molette et qui m’obligera à contrepédaler bien que, par principe, je n’aime pas me fatiguer à la descente.
Je file bon train néanmoins, les tournants ne sont pas trop brusques et la route est déserte ; çà et là des empierrements consciencieusement étendus, c’est-à-dire barrant absolument la route, m’obligent à ralentir sous peine d’être secoué comme une salade.
Après Saint-Julien, laissant à droite la route de Serrières, je tourne à gauche vers Saint-Apollinard, Maclas, Luppé, Malleval et Saint-Pierre-de-Bœuf.
À l’époque où, avec mon collaborateur Oros, nous parcourûmes, pour dresser la carte à routes profilées publiée en 1892 par Le Cycliste, les environs de Saint-Étienne et surtout les routes qui relient Saint-Étienne à la vallée du Rhône, je remarquai que celle que je viens d’indiquer était la mieux tracée et descendait sans secousse (sauf un mauvais virage près Luppé) jusqu’au Rhône ; aussi lui ai-je toujours donné la préférence lorsqu’il s’est agi de passer d’un bassin dans l’autre. Je conservai 4m,40 jusqu’à Maclas à cause de quelques légères, 0h ! bien légères montées, dont j’avais une vague souvenance ; du reste on marche bien avec 4m,40 et lorsqu’on n’en a qu’un, ce développement est des plus recommandables pour les contrées montagneuses : à 90 tours de pédale à la minute, vitesse de jambes non exagérée en palier, on fait du 24 à la minute, ce qui n’est point tant mal.
À Maclas commence la descente ininterrompue jusqu’à Saint-Pierre-de-Bœuf ; je me mets à 6m,90 et je dévale..... que c’est une bénédiction ; sincèrement les descentes se font bien mieux avec une forte multiplication, on est beaucoup plus maître de sa machine qui n’oscille ni à droite ni à gauche et l’on n’éprouve aucune appréhension malgré la vitesse poussée jusqu’à l’enivrement. J’ai pu reconstater ce fait ce jour-là puisque je venais justement de descendre de Colombier à Saint-Julien avec 4m,40 à une vitesse sensiblement moindre et avec des déhanchements du plus fâcheux effet pour ne pas perdre les pédales qu’avec 7 mètres et au-dessus on tient si aisément.
Je n’ai encore rien dit du paysage qui n’est pas un seul moment banal mais dont il a souvent été question dans ces colonnes, cependant je ne puis taire l’impression de surprise admirative que me cause l’apparition soudaine de Malleval. Après Luppé et ses deux dangereux virages (se méfier surtout du second) la forte descente est finie et la route en pente désormais très douce circule entre des mamelons rocailleux, d’aspect assez bizarre qu’on dirait formés de gros cailloux du Rhône agglutinés dans une terre argileuse. Tout à coup à un tournant j’aperçois à gauche, tout au sommet d’un de ces monticules, une tour carrée et pointue puis à flanc de coteau, se confondant avec les rocailles dont elles sont sorties, des maisons les unes sur les autres et enfin autour de ces maisons et descendant par larges marches jusqu’au ravin, des jardinets pour ainsi dire suspendus où il doit être fort dangereux d’aller sur le tard ramasser une salade et grands comme un mouchoir de poche. Voilà qui s’appelle tirer parti d’une situation, mais quels sont les hommes qui s’avisèrent d’aller percher en un lieu aussi ingrat et de fonder entre les riches coteaux du Rhône et les fertiles contreforts du Pilât une bourgade d’aspect aussi misérable ? Sans doute quelques malheureux fuyant leurs oppresseurs et voulant échapper à de cruelles vexations en renonçant à tout bien-être ; ce furent peut-être, mais pour des motifs différents, des végétariens comme moi ; l’histoire de tels humbles villages serait souvent bien intéressante ; je me suis laissé dire que dans le clocher de Malleval se trouvaient des squelettes momifiés comme ceux que l’on voit dans la crypte de l’église de Saint-Bonnet-le-Château, restes de fugitifs emmurés et morts de faim.
De Malleval à Saint-Pierre-de-Bœuf le sol devient plutôt mauvais, de la boue, des flaques d’eau, des ornières, mais aussitôt qu’on débouche sur la route Nationale que le vent du midi balaie depuis la veille, quel agréable contraste : on dirait une véritable piste et ma grande multiplication m’entraîne à l’allure de 25 à l’heure du côté de Lyon. Il est deux heures ; je passe successivement à Chavanay, Condrieu Ampuis et Sainte-Colombe et à trois heures et demie je m’arrête pour goûter à mi-chemin de Sainte-Colombe à Givors au fond d’une gorge très encaissée où coule, sur des rochers polis et rongés par les eaux, un joli ruisseau qu’on nomme, je crois, le Sifflet. Par les grosses chaleurs ce coin-là doit être frais et charmant, rempli d’ombre et de mystère et l’on doit avoir envie de remonter ce ruisselet dont la source ne peut pas être bien loin ni bien haut ; mais ce jour-là il était plutôt humide que frais, triste que charmant ; des photographes amateurs vinrent pourtant pendant que je croquais une pomme, essayer d’y prendre un instantané, je ne crois pas qu’ils aient réussi à y faire autre chose que gâcher deux ou trois plaques. Il faisait déjà nuit dans ce trou, aussi ma collation achevée je ne m’y attarde pas et je me hâte vers Givors, lentement à cause de la boue qui est beaucoup trop abondante depuis Sainte-Colombe ; c’est à croire que le vent du midi n’est pas venu souffler jusque-là ou qu’il y a plu abondamment le matin. Ces morceaux de mauvaise route après les longs kilomètres de bon chemin que je viens d’abattre me chiffonnent et m’agacent ; j’en ai gardé une impression de froid humide que je ressens encore entre les deux épaules au moment ou j’écris.
Les excursions que je fais se résument, au bout de quelques jours, en deux ou trois impressions plus vives que les autres, agréables ou fâcheuses mais qui se figent en ma mémoire et qui lorsque je les passe en revue, même celles d’il y a dix ans, les caractérisent nettement et me permettent de les évoquer chacune à son tour sans les confondre.
Me voici tout de même sorti de ce défilé bourbeux ; la montagne à ma gauche s’éloigne et le sol est à peu près sec, aussi les habitants de Givors se sont emparés de la route et m’obligent à aller encore plus lentement. C’est un petit ennui des sorties dominicales que cette habitude qu’ont les habitants des villes, petites et grandes de se tenir des heures entières au beau milieu des routes ; quand ils vont deux par deux il n’ a encore que demi-mal, on festonne autour des couples endimanchés sans même les avertir, mais tels groupes vont se tenant par la main ou côte à côte, d’un fossé à l’autre, chantant, titubant ou dansant ; il faut corner, grelotter, bêler, recevoir des quolibets stupides et attendre en faisant du sur-place que les femmes qui se trouvaient à gauche se soient enfuies à droite et vice versa, comme s’il ne leur serait pas plus facile de se ranger chacune du côté où elles se trouvent. Il y a des cas vraiment où l’on voudrait être pédard pour foncer les yeux fermés en beuglant, en hurlant, en mugissant sur ces troupeaux enjuponnés qui après vous avoir fait poser se paient encore votre tête. Décidément la boue inattendue de tout à l’heure m’a mis de mauvaise humeur. Et les joueurs de boules ! voilà un sport qui a pris de l’extension depuis quelques années ; il faut s’en applaudir parce que bien des gens qui passaient leur après-midi du dimanche dans un tabagnon enfumé, la vivent maintenant au grand air, sans vider par exemple une chopine de moins, mais ils respirent à pleins poumons, font un excellent exercice et les drogues qu’ils ingurgitent leur sont assurément moins nuisibles. Je m’en applaudis donc, puisque rien de ce qui touche à l’hygiène publique ne m’est indifférent, mais je proteste lorsque les joueurs de boules prennent pour boulodrôme la route elle-même et nous jettent leurs boules dans les jantes, il ne faudrait pas qu’un sport chassât l’autre et je demande la route toujours libre.
Les cyclotouristes qui voyagent la semaine échappent à ces petits désagréments, mais ils sont le petit nombre, tandis que nous sommes légion nous qui ne sommes libres que le dimanche, légion bien décimée à en juger par les rares cyclistes rencontrés le long des 120 kilomètres égrenés ce jour-là, mais décimée par qui, par quoi ? D’où vient qu’à mesure que le nombre des cyclistes augmente, les touristes, ou plus modestement les excursionnistes en général et ceux du dimanche en particulier diminuent ?
Pneumatiques, machines légères et trop grandes multiplications !
Est-ce bien la réponse ; n’y a-t-il pas d’autres causes, et s’il y en a quelles sont-elles ? voilà un intéressant sujet de discussion.
Givors passé à 4 heures 1/2, il ne me reste que 25 à 26 kilomètres pour rentrer chez moi par la route des bords du Rhône, toujours bonne quand il a plu, affreuse pendant la sécheresse ; mais elle est semée çà et là de quelques montées ; je suis, d’autre part, à la fin d’une assez forte étape deux considérations qui me décident à abaisser ma multiplication et à me contenter de 5m,85, c’est un peu mon habitude, toutes les fois que je vais de Saint-Étienne à Lyon, de prendre à ce moment une multiplication moindre que celle qui m’a conduit jusqu’à Givors et je m’en trouve bien. L’emploi raisonné et judicieux des diverses multiplications est d’un grand secours lorsqu’on connaît bien sa route ; lorsqu’on ne la connaît pas, on est exposé à quelques erreurs sur la longueur et l’intensité d’une rampe par exemple, erreurs qu’on pourrait éviter si l’on savait lire couramment les cartes de l’État-major ; malheureusement c’est ce qu’on sait le moins, et je me rappelle que lorsque M. Hennequin donna des conférences topographiques aux cyclistes parisiens, il eut, le premier soir, 6 auditeurs ! C’est donc aussi ce qu’on a le moins envie d’apprendre.
J’entends d’ici le néocycliste que je catéchise s’écrier avec effroi : Ah ça, vous voudriez donc qu’un cycliste fut doublé d’un mécanicien, d’un ingénieur, d’un géomètre, d’un officier d’état-major, qu’il réunît, en sa cervelle surmenée, les connaissances les plus variées, les plus difficiles, qu’il devint un savant en us et à lunettes, et que, malgré cela, il restât le poète, l’amant de la nature que vous nous avez si souvent décrit !...
Mettons que je n’ai rien dit et continuons à pédaler vigoureusement du côté du potage, car la nuit que je croyais plus loin s’approche à grands pas. Comment se fait-il que, midi partageant en deux parties égales la journée solaire, il fasse, en cette saison, déjà grand jour à 6 heures du matin et qu’on n’y voie plus à 5 heures 1/2 du soir ; la quantité de lumière devrait, toutes autres choses égales, être aussi grande le soir que le matin, à distance égale de midi. J’avais compté sur cette égalité et cela m’a exposé à gober une contravention en traversant tout Lyon sans lanterne. Cela ne me serait pas arrivé si j’avais étudié l’astronomie qui doit donner la raison de cette apparente anomalie ; encore une branche à ajouter aux connaissances scientifiques du cycliste du siècle prochain.
Grigny, la Tour-de-Millery ou je ne passe jamais sans penser à l’huissier Gouffé qui fut découvert là à quelques mètres de la route, Vernaison, Irigny, Pierre-Bénite, Oullins, La Mulatière, défilent tour à tour devant mon guidon ; voilà une route qu’on ne peut pas qualifier de solitaire et désolée.
Au pont de la Mulatière j’arrive en même temps qu’un tramway, dont les quelques places disponibles ont été prises d’assaut, et qui part laissant plus de cent voyageurs mécontents. Quelle nombreuse clientèle pour les futurs cabcycles à qui il serait bien facile de ramener en ville, 2 ou 3 voyageurs ; à 50 centimes par personne, 30 sous seraient ainsi vite gagnés.
Une bonne ablution froide en arrivant me débarrasse de la poussière et fait disparaître toute trace de fatigue musculaire ; l’estomac suffisamment soutenu par les 500 grammes de pain et les deux pommes que je lui ai donnés, n’a besoin de rien, et je me mets à table à 7 heures avec un bon appétit normal ; je dors très profondément 6 heures consécutives : deux faits qui prouvent que l’étape n’a pas été trop forte. Aussi ai-je immédiatement dressé l’itinéraire d’un voyage de 3 jours (500 kilomètres) pour les fêtes de la Toussaint, pendant lequel je m’en tiendrai fidèlement au strict régime végétarien auquel j’attribue en partie — l’autre partie est due à l’emploi des multiplications variées — mon endurance actuelle.
Vélocio.
[1] J’appellerai désormais petits développements ceux au-dessous de 4 mètres ; moyens développements ceux de 4 à 6 mètres ; grands développements ceux au-dessus de 6 mètres. Il est possible que plus tard, grâce à de nouveaux perfectionnements sous d’autres rapports, par exemple lorsque la selle à recul et à avancement sera adoptée et aura élevé le rendement de chacun de nous, il est, dis-je, possible que ces chiffres deviennent trop faibles mais pour le moment je crois qu’ils répondent bien à l’idée que l’on se fait généralement des multiplications petites, moyennes et grandes.