Autour du Concours de frein (Octobre 1901)

jeudi 29 juin 2017, par velovi

Par Paul de vivie, Octobre 1901, Touring-Club de France

Quand on a, comme nous, pris la douce habitude de faire les descentes à la vitesse limite — voir les tableaux de M. Bourlet — de se réjouir sitôt qu’on aperçoit un de ces poteaux rouge et bleu, sur fond blanc, que la maternelle prévoyance du T. C. F. a fait placer au début des pentes raides et de se laisser glisser le long de ces pentes, pieds au repos sur les pédales libres, on conçoit l’utilité des freins souples et puissants, obéissants et infaillibles.

C’est pourquoi la nouvelle que le T. C. F. organisait un concours de freins remplit d’allégresse l’âme des cyclotouristes polymultipliés qui ont adopté ma façon de voyager, pour qui les étapes de 250 kilomètres en pays accidenté, voire très accidenté, n’ont plus de difficultés, dont quelques-uns, dans la force de l’âge, envisagent sans effarement qu’on a raison de dire que l’appétit vient en mangeant ! — pour la saison prochaine, des journées comme St-Ètienne-Turin, par le Lautaret et le mont Genèvre, 370 kilomètres  !

Et nous décidâmes de nous trouver à Chambéry le 18 août, afin d’assister au moins aux deux premières épreuves qui devaient être, du reste, décisives.

Nous nous y rendîmes par différents chemins ; pour mon compte, disposant de trois jours de liberté, je pris le chemin de l’école et m’acheminai, le 15 août, vers Chambéry par Lyon, Hauteville, Châtillon-de-Michaille, le col de la Faucille, Genève, Annecy, le col des Aravis, Chamonix et Albertville.

Quoique ne venant que de Saint-Étienne, nous avions ainsi dans les jambes et dans les jantes, ma bicyclette et moi, quand nous quittâmes Chambéry, le 18 août à 5 heures du matin, en route pour le col du Frêne, environ 600 kilomètres et nous n’en étions en aucune sorte incommodés.

Jamais, assurément, le col du Frêne n’avait vu tant de cyclistes à la fois. Les 32 bicyclettes inscrites pour le concours étaient couchées dans le fossé de gauche, et les 32 bicyclettes des contrôleurs dans le fossé de droite. MM. Bourlet, Perrache, le commandant Ferrus ; aidés des commissaires, allaient, venaient, se multipliaient, discutaient, plombaient les freins de secours, préparaient tout, répondaient à tous, et ce n’était point une petite affaire  ; les concurrents arrivaient par paquets en voiture ; des dames, des jeunes filles en toilettes claires, jetaient çà et là une note gaie  ; une auto avait amené la Commission.

Notre sympathique président présidait la petite fête, ayant pour chacun un mot aimable, un shakehand cordial. M. Ballif avait tenu à assister à cette première importante manifestation du T. C. F. en faveur du cyclotourisme et — si j’ose risquer ce néologisme — de la cyclotechnie. C’était en quelque sorte une inauguration, la première d’une série d’expériences que le comité technique du T. C. F. a résolu de faire pour aider au prompt et radical perfectionnement de la bicyclette propre au grand tourisme.

L’année prochaine si j’en crois mes pressentiments, nous pourrions bien avoir, à pareille époque, un concours de bicyclettes polymultipliées, auquel, du reste, les monomultipliés, ceux qui font tout avec 5 mètres, 5 m. 5o on 6 mètres et sans roue libre, pourront prendre part, si le cœur leur en dit, mais je doute fort que le cœur leur en dise si on laisse au capitaine Perrache le soin de dresser l’itinéraire.

Ce diable d’homme qui a beaucoup voyagé, surtout en montagne, serait capable de nous — pourvu que Dieu nous prête vie, nous serons de la fête mes amis et moi — de nous embarquer à Port-Vendres pour Biarritz à travers les Pyrénées dont les cols valent ceux des Alpes et sont même plus durs.

Mais n’anticipons pas sur des événements tout hypothétiques puisqu’ils ne reposent que sur des pressentiments et revenons au col du Frêne.

Les amateurs venus en simples curieux arrivent en assez grand nombre  ; les bicyclettes du groupe stéphanois, chargées de pignons, de freins et de bagages contrastent singulièrement avec la plupart des autres machines, légères, presque diaphanes.

Je passe rapidement en revue les freins de concours. Rien de franchement nouveau. La commande de quelques-uns est compliquée à plaisir ; les poulies, les équerres s’y multiplient et dans beaucoup de cas la simplicité ne paraît pas avoir été l’objectif des inventeurs.

Comme je ne saurais ajouter aucun utile commentaire aux décisions, observations et rapports de la Commission technique que nous avons tous lus avec intérêt le mois dernier  ; que nous savons tous maintenant à quoi nous en tenir sur l’efficacité des freins qui ont concouru, je me laisserai aller à parler un peu plus longuement des freins qui n’ont pas concouru et qui méritent pourtant qu’on ne les oublie pas.

Ainsi qu’il m’avait été facile de le pronostiquer, les freins sur jante ont obtenu aisément les honneurs du triomphe  ; sur dix présentés, dix ont mérité le brevet de frein de montagne.

Les freins sur bandages n’avaient pas été admis, on le sait.

Les freins à tambour bien qu’il y en eût quelques-uns de grand diamètre, n’ont pas brillé. Sur quinze partants, quatre seulement ont pu aller jusqu’au bout et non sans difficulté, à en juger par les constatations qui ont été faites à l’arrivée. Six freins de moyeu, genre Morrow, figuraient au départ  ; deux seulement ont acquis le brevet et les observations que le rapport leur adresse ne constituent pas ce qu’on pourrait appeler une mention honorable.

J’ai été quelque peu étonné de voir les freins sur jante à contre-pédale classés après les mêmes freins commandés à la main et ce résultat s’accorde mal avec ceux que mes amis et moi obtenons depuis trois ans  ; cela tient sans doute à ce que les freins à contrepédale n’étaient pas représentés au concours par leurs meilleurs spécimens. Mais l’échec des freins à tambour ne me surprend pas  ; celui des moyeux-freins à roue libre m’a plus étonné car l’expérience personnelle que j’ai de quelques-uns de ces moyeux, me les faisait supposer capables de résister aux épreuves du concours, quelque dures qu’elles fussent. Il est vrai que, dans la pratique, on ne pousse jamais un frein à bout et, comme on en a plusieurs, on se sert tantôt des uns tantôt des autres, pour les ménager tous.

Le frein à tambour même de très petit diamètre, le Lehut, par exemple, est un merveilleux frein d’arrêt sur place, mais il ne vaut rien comme ralentisseur ; par contre le Carloni ralentit merveilleusement, la descente serait-elle de 4o kilomètres, mais il n’arrête pas.

Les freins sur jante, eux, sont à la fois des freins d’arrêt et de ralentissement, et c’est pourquoi ils ont si aisément triomphé  ; cependant ils ne sont pas parfaits, et je ne m’embarquerai jamais pour mes grandes excursions, à vive allure, tra los montes, avec seulement des freins sur jante. Il y a peu de temps encore, il m’est arrivé en même temps qu’à deux de mes compagnons habituels, une aventure qui fera toucher du doigt à tous nos camarades le défaut de la cuirasse de ces freins. La rencontre inopportune en pleine nuit de ces grosses pierres que les voituriers oublient sur la chaussée, faussa à tel point nos jantes arrière, très fortes cependant, qu’il ne nous fut pas possible de les redresser suffisamment pour permettre à nos freins (des numéros 1 du concours) de continuer leurs fonctions. Par leurs claquements, ils pouvaient bien, à la rigueur, nous servir comme avertisseurs, mais compter sur eux comme freins, c’eût été s’exposer à de graves accidents. Il fallut, pour finir la descente, nous rabattre sur les vulgaires patins sur bandage qui ne sont impuissants qu’en cas de dégonflement subit du pneumatique  ; or un pneu dégonflé empêche de rouler et oblige à réparer immédiatement, tandis qu’une jante bossuée ne gêne guère et n’est pas, du reste, facile à réparer sur place ; donc, on risque moins d’être radicalement désemparé avec un frein sur bandage qu’avec un frein sur jante.

A tout prendre, si l’on me condamnait à n’avoir qu’un seul et unique frein, c’est encore au patin sur le bandage de la roue avant que je voudrais confier mes os ; mais je le choisirais long et bien enveloppant pour qu’il s’échauffe peu, je le fixerais à l’extrémité d’une charnière assez longue au lieu de le piquer au bout du tube plongeur pour lui enlever sa rudesse, et je le ferais de caoutchouc ou de bois tendre ou de cuir afin qu’il n’écorche pas le bandage, même lorsque celui-ci a déjà été mordu par les cailloux  ; j’attacherais le levier de commande au guidon par un fort anneau de caoutchouc qui, amené plus ou moins vers la poignée, exercerait sur le bandage une pression continue sans gêner en aucune façon le serrage instantané, un moyen, que les vieux cyclistes connaissent bien et ont mis souvent en pratique, d’avoir, à peu de frais, un frein de ralentissement et un frein d’arrêt.

Quand on doit compter beaucoup sur un frein de ce genre, il faut que l’enveloppe sur laquelle il agit soit toujours lisse et en bon état  ; on y arrive en l’entourant d’un croissant protecteur que l’on remplace dès que les aspérités du sol l’ont fendillé.

Voilà donc ce que je ferais si l’on me condamnait à n’avoir qu’un seul et unique frein ; mais j’espère bien n’en être jamais réduit à cette extrémité et pour le moment, après de nombreuses expériences, voici comment j’ai résolu actuellement, pour mon compte personnel, cette question des freins dont l’importance ne le cède en rien pour la bicyclette de montagne à la question des polymultiplications.

La bicyclette à huit développements qui m’avait amené au concours de freins du T.C.F. est munie de trois freins ainsi distribués  : 1° Un long patin de caoutchouc tendre sur la roue motrice, reporté très près du sol afin que la boue et la poussière ne soient pas projetées sur les chaînes ; une forte ficelle le tient appliqué sur le pneu, passe à droite et à gauche sur les marchepieds faisant office de poulies et vient se fixer par ses extrémités à l’arrière de ma selle oscillante  ; ce dispositif me permet d’avoir ainsi, à volonté, un frein d’arrêt ou de ralentissement selon que je jette plus ou moins brusquement mon poids sur le bec de la selle, cette façon de commander un frein n’est possible, évidemment, que pour les cyclistes munis d’une selle oscillante, mais les autres peuvent amener les extrémités de la ficelle jusque sur le guidon et les y assujettir par une baguette qui servira à régler, par torsion, l’action du patin.

Des freins de ce genre ont le mérite de pouvoir être confectionnés et mis en place en quelques minutes.

2° Un frein sur jante, genre du B S A, à contrepédale, sans le ressort compensateur qui est un obstacle à l’action rapide, brusque du pied, quand besoin est, et qui peut être remplacé avantageusement par la délicatesse du doigté ; ce frein n’a que deux points d’application, un de chaque côté, quand la pédale remontante est encore un peu au-dessous de l’horizontale  ; je puis ainsi balancer les pieds sur les pédales et changer de position sans agir sur le frein.

Mais ce frein n’est à ma disposition que lorsque je suis en roue libre ; or, sur mes huit développements, quatre étant à roue serve, j’ai toujours sous les pieds roue libre et roue serve à volonté  ; mais, telle éventualité peut se produire qui m’oblige à freiner brusquement quand je me trouve en roue serve et avant d’avoir pu me mettre en roue libre. Il s’agissait donc de trouver un dispositif qui me permit d’agir sur mon frein de jante même lorsque je serais en roue serve.

Pour ce faire, j’ai relié par une cordelette la fourchette du dit frein AR à mon 3e frein, lequel agit sur le bandage de la roue AV et consiste en un large et long patin de bois doublé de cuir déjà très puissant par lui-même. Ce patin est libre de coulisser dans une rainure, si bien qu’à peine arrivé au contact de la roue, il est vivement entraîné en avant  ; dans ce mouvement il tire à son tour par la cordelette le frein sur jante AR, de sorte que la vitesse de la roue motrice se trouve diminuée par la vitesse même de la roue directrice ; plus celle-ci tourne vite au moment de l’application du frein AV, plus énergiquement est actionné le frein AR, sans qu’il soit nécessaire de serrer très fort le levier.

Ce dispositif a ceci d’excellent qu’il supprime, par surcroît tout danger de panache résultant de l’application brutale du frein sur la roue directrice. En effet, en maintes circonstances, j’ai constaté que toujours la roue motrice se trouvait bloquée avant la roue directrice.

Le jour même du concours en descendant du col du Cucheron à Saint-Pierre-de-Chartreuse, la ficelle de mon premier frein sur pneu AR dont je me servais exclusivement à ce moment, casse net, et je me sens tout à coup lancé à la poursuite de la vitesse limite qui, sur une pente de 11 %, doit être assez dangereuse. Dès que j’ai compris ce qui m’arrive, je serre d’instinct vigoureusement mon frein AV qui agit encore plus vigoureusement, étant donné la vitesse que j’avais déjà prise, sur mon frein de jante AR, et je stoppe en quelques mètres sans le moindre écart à droite ou à gauche, tandis qu’en semblable occurrence, un an auparavant, j’avais bel et bien passé par dessus mon guidon.

Je ne saurais donc trop engager les cyclotouristes à disposer leurs freins de cette façon et les inventeurs à chercher dans cette voie des solutions simples. On peut faire agir la roue directrice sur la roue motrice par et sur des freins à gorge ou à tambour, des freins sur jantes ou des freins sur pneus.

Le concours du T. C. F. a fait faire un grand pas à la question des freins si importante pour nous qui, sous aucun prétexte, ne voulons nous fatiguer à contrepédaler  ; il a démontré incidemment les avantages de la roue libre, la sécurité qu’elle donne dans les descentes les plus scabreuses, sécurité telle que j’engage toujours mes compagnons qui n’ont pas de roue libre à mettre leur chaîne dans la poche au début des longues et dangereuses pentes. Voilà donc désormais acquis à la bicyclette de tourisme en montagne deux perfectionnements auxquels on a longtemps fait la guerre, mais il faut qu’on les perfectionne et qu’on nous fournisse des roues libres parfaites, c’est-à-dire sans ratés, qui ne nous lâchent pas en pleine rampe sous prétexte que nous appuyons trop fort et des freins de plus en plus étudiés soit comme transmission, soit comme surface de frottement, soit comme facilité d’ajustage et de démontage.

P. DE VIVIE.


Voir en ligne : Sur gallica.bnf.fr / BnF

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