M. de Vivie n’était pas le plus habile de ses mains, et sa myopie ne l’aidait pas en mécanique. Il avait aussi la fâcheuse habitude de ne réparer qu’en dernier recours. Pourtant rarement une panne l’arrêta, elles faisaient partie du voyage.
AU PAYS DU SOLEIL, 1889
« Un instant plus tard, on aurait pu nous voir sous la vaste remise de l’hôtel où de temps en temps venaient s’engouffrer avec fracas les diligences d’autrefois avec postillon, conducteur et dépêches, bondées de voyageurs depuis le coupé jusqu’à l’impériale et ayant roulé une bonne partie de la nuit pour venir de quelque coin de la montagne encore inaccessible au chemin de fer ; on aurait pu nous voir en train de nettoyer nos bicyclettes qui, les pauvrettes, en avaient grand besoin après l’orage de la veille, tout en causant des gens de chez nous avec un Stéphanois pur sang que nous avions rencontré là par le plus grand des hasards. »
Vélocio, « Au Pays du Soleil », Le Cycliste, janvier, mars 1890, p. 346-349, p.45-49, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_2
SAINT-ÉTIENNE GRENOBLE GAP CHAMBÉRY, 1899
« Bicyclette et pneu avaient été vérifiés de fond en comble et j’avais fait remplacer une cuvette de la roue motrice que je trouvais un peu piquée, remplacement in extremis qui faillit me faire manquer mon voyage, car cette cuvette, mal assujettie sans doute, se brisa le lendemain dès les premiers kilomètres. On ne doit jamais faire de réparations importantes au moment du départ et le cyclotouriste bien avisé ne s’embarque que sur une machine qu’il a préalablement soumise à des épreuves sérieuses. Je fus en cette circonstance bien mal inspiré, mais ce sera une leçon pour l’avenir.
À trois heures du matin, le 14 juillet, en pleine obscurité (les jours, hélas ! se font déjà plus courts), je me mis en route pour Grenoble, mon premier objectif. J’avais à ma disposition quatre développements : 2m,50, 3m,30, 4m,40, 6m,04 et la selle oscillante Cadet. Jusqu’à la Digonnière 4m,40 puis 3m,30 pour m’élever sur le plateau de la République, 7 kilomètres à pente moyenne de 6 ¼ %. Dès le second kilomètre, à la hauteur du Bois-Noir, j’entends des craquements épouvantables dans mon moyeu arrière : ma cuvette neuve se brisait sur tout son pourtour ; les billes en broyaient les éclats et les réduisaient en poussière. Ma première pensée fut de rentrer au logis et de renoncer à mon voyage ; puis, sentant que le mal ne s’aggravait pas et que les craquements devenaient plus rares et plus faibles, je pensai que les débris de la cuvette s’immobilisaient dans la graisse consistante, dont mes roulements sont toujours garnis et qu’un mieux relatif se produirait. En tout cas, me dis-je, j’en serai quitte pour passer la matinée en montagne ou, si je puis descendre jusqu’à Andance, pour revenir par le train.
Il aurait pu, en définitive, m’arriver pis que cela et la philosophie nous apprend à prendre toujours du bon côté les choses qui nous surprennent.
Et je continuai mon monologue tout en pédalant vigoureusement : peut-être est-ce là un avertissement de la Divinité dont j’invoque régulièrement la protection toutes les fois que je me mets en route et si le mal s’aggrave au point de m’empêcher de rouler cela signifiera qu’il devait m’arriver quelque chose de fâcheux en cours de route.
Je parvenais ainsi peu à peu, malgré le plaisir que j’avais eu à entreprendre un si joli voyage, à me convaincre que tout serait pour le mieux si j’étais forcé d’y renoncer ; cependant j’eus encore une sensation désagréable en entrant dès Planfoy dans un brouillard humide dont je ne sortis qu’à Bourg-Argental pour constater que le ciel était couvert de nuages blancs, noirs et gris de très pluvieux augure.
Serait-ce un deuxième avertissement ? Au troisième tu n’auras qu’à tourner bride et vivement, murmurai-je in petto.
J’avais pris naturellement le développement de 4m,40 en abordant le plateau de la République et, pour enlever les deux derniers kilomètres de montée à 5 % dans les bois, je le conservai, ce qui me permit d’écraser définitivement, par un effort plus considérable, ce qui restait de la cuvette malencontreuse et de la réduire au silence. De fait, je n’entendis plus rien et je n’eus pas d’autre ennui sérieux de ce côté pendant mes trois jours de voyage. »
[...]
« Le temps, brumeux tout le matin, a fini par s’élever, le vent du nord qui m’est devenu et va me rester favorable longtemps, a pris décidément le dessus et le beau temps est assuré ; ma machine roule sans bruit malgré la cuvette cassée et je me laisse aller au doux espoir de finir sans encombre mon excursion.
Tout à coup je m’entends héler et bientôt un cycliste m’accoste : Avez-vous une clef anglaise ? — À votre service. Je mets pied à terre et fouille dans ma sacoche ; un deuxième cycliste arrive, compagnon du premier, le genou sanglant et le poignet bandé, conséquences peu graves heureusement d’une pelle ramassée entre Rives et Moirans. Ce sont deux jeunes Lyonnais montés sur des bicyclettes légères, sans frein et sans le moindre outil, ni pompe, ni nécessaire, ni clef anglaise. Ils m’avaient vu passer armes et bagages à Moirans et se doutant bien que je devais être muni de tout ce qui leur manquait, ils m’avaient poursuivi. Il s’agissait de remettre en place une pédale qui avait quitté son axe et je doute qu’ils aient pu y arriver d’une façon satisfaisante parce que le filet du bout de l’axe était en bien mauvais état. Dans ce cas on en est quitte pour pédaler sur l’axe, ce n’est pas très agréable, mais j’ai pu faire parfois ainsi 20 ou 30 kilomètres sans trop de peine, il m’est arrivé même de rentrer avec une seule pédale, accidents minuscules qui laissent un vieux routier indifférent. »
Vélocio, « Saint-Étienne Grenoble Gap Chambéry », Le Cycliste, 1899, p. 121-132, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6
VERS LA MÉDITERRANÉE, 1899
« Je traversais la ville tout doucement et longeais le tramway devant la gare, quand tout à coup je sens mon pneu arrière qui s’affaisse, j’ausculte le pôvre et, constatant une blessure assez grave, je m’informe de l’adresse du plus proche réparateur : on m’envoie rue Victor-Hugo, chez M. Jouvel qui, de la meilleure grâce du monde, met à ma disposition un de ses ouvriers. Un énorme éclat de fer encore piqué dans l’enveloppe avait fait un grand trou à ma malheureuse chambre à air : on l’obture et il faut recommencer l’opération pour un second trou qui n’avait pas tout d’abord été aperçu. Bref, je perds là quarante précieuses minutes, et, quand je puis repartir, la nuit déjà me menace. Je retourne vers la gare pour reprendre mon itinéraire où je l’avais laissé et pour tâcher aussi de retrouver un bouchon de valve que j’avais oublié après l’auscultation de mon pneumatique. Ce faisant, je traverse sans doute de nouveau la zone dangereuse où j’avais cueilli un premier éclat et j’en cueille un second dont la morsure ne se fera sentir qu’à huit kilomètres de là. Je venais de traverser un petit hameau et je filais comme un homme pressé quand je sens pour la seconde fois ma jante d’arrière talonner. Ah zut ! je gonfle et j’entends l’air s’échapper comme l’eau d’une fontaine. Je renverse aussitôt ma machine sur le bord de la route et j’ai la chance, dans la demi-obscurité qui tombe, de mettre la main sur l’éclat de fer, cause de l’accident : je ne démonte donc que partiellement, répare au moyen de pastilles les deux ou trois trous dont je constate l’existence, regonfle et repars ; mais je me suis trop pressé et toutes les vingt minutes il va me falloir descendre pour pomper. »
Vélocio, « Vers la Méditerranée », Le Cycliste, 1899 et 1900, p.216-22, p.243-246, p.36-41, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6 et Le Cycliste, Décembre 1957, Rétrospective « Cyclo-Alpinisme à la Sainte-Baume »
ROUE TROP LIBRE, 1899
« Ma bicyclette à roue libre vient de me jouer un tour pendable. Je revenais de Lyon à Saint-Étienne par le chemin de l’école (Condrieu, Saint-Julien et cette Croix-de-Chaubourey qui doit commencer à faire l’effet d’une scie sur les lecteurs du Cycliste).
C’était hier, 27 novembre, dans la plaine, temps gris ; entre 300 et 500 mètres d’altitude brouillard à givre ; au-dessus de 500 mètres, soleil radieux mais froid vif qui allait s’accentuant à mesure que je m’approchais du col, à 1.200 mètres où il gelait à pierre fendre... et du soir.
Soudain, entre Colombier et Gray, ma roue libre le devient tellement qu’elle se désintéresse complètement des pédales et m’immobilise en pleine montée.
Tout en poussant ma machine au pas de course je me demande par quel curieux phénomène les quatre cliquets chargés d’entraîner la roue et de la rendre, dans le mouvement en avant, solidaire des pédales, refusent tous à la fois le service.
Je finis par conclure que l’huile chargée d’assurer le libre jeu de ces délicats organes a dû se congeler et qu’elle retient les cliquets prisonniers dans leurs alvéoles. Il s’agit donc de la dégeler ; malheureusement, n’étant pas fumeur, je n’ai pas même une allumette sur moi et force m’est de pousser jusqu’à Gray. Je couche ma bicyclette sur le flanc, verse du pétrole sur les pignons et y mets le feu.
Victoire ! mon diagnostic était juste et ma roue fonctionne comme ci-devant : je repars gai et content sans me munir d’allumettes, si bien qu’à trois kilomètres de Gray l’huile se recongèle et me voilà derechef bien embarrassé.
Je continue ma route au pas gymnastique à cause du froid intense et puisque me voici au point culminant et que je n’ai plus qu’à descendre, je n’aurai qu’à me laisser rouler.
Seulement comme la pente n’est pas uniforme et qu’à certains passages la route monte même légèrement, j’étais obligé d’entretenir la vitesse de ma machine par de vigoureux appels du pied droit, le pied gauche restant sur le marchepied, et les gens qui me voyaient exécuter cette manœuvre devaient se demander si je jouissais bien de tout mon bon sens.
J’arrivai tout de même à Saint-Étienne avec une petite heure de retard et je m’empresse de signaler le fait aux cyclistes à roue libre afin qu’ils ne soient pas, le cas échéant, embarrassés pour si peu.
Réchauffer son moyeu sur un petit feu de brindilles de bois sur le bord de la route et l’on sera sauvé pendant au moins trois kilomètres.
Le mieux serait encore d’employer un lubrifiant incongelable et cependant très fluide.
Cet incident plutôt désagréable m’a amené à réfléchir sur les divers modes d’action des mouvements imaginés pour rendre les roues libres et qui peuvent être ramenés à deux types : Le type Whippet à rochets et à cliquets agissant soit dans le sens du rayon, soit dans le sens de la tangente, mais dépendant toujours de ressorts et exposé à s’engourdir sous l’action du froid dans l’huile congelée, et le type Juhel à galets dont on prétend que l’action est moins sûre mais qui me paraît devoir échapper à l’objection ci-dessus.
Il y a lieu d’expérimenter à fond et dans toutes les circonstances ces deux systèmes qu’on a diversifiés à l’infini mais qui sont toujours faciles à reconnaître. Un avantage de la roue libre sur lequel personne n’a encore attiré l’attention, c’est de pouvoir faire un virage court avec guidon étroit sans heurter le guidon du genou. En gardant les pieds immobiles sur les pédales pendant le virage on vire sur place admirablement.
Que chaque Freewheeliste apporte ses observations pour ou contre la roue libre et nous finirons par savoir ce qu’elle vaut. »
Vélocio, « Roue trop libre », Le Cycliste, 1899, p.207, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6
DE SAINT-ÉTIENNE À CANNES ET RETOUR PAR LES MAURES ET L’ESTÉREL, 1900
« En sortant de Lambesc, la rampe s’accentue, il faut appuyer, et ces raidillons se représentent assez souvent pour que nous manifestions par de joyeuses exclamations notre contentement en découvrant la forte dépression de terrain qui par une splendide descente, nous amène à Aix (75 kilom.) à 4 heures ; à un certain endroit, où la route est rétrécie par des travaux que l’on fait pour conduire une sorte de torrent qui gronde furieusement à nos côtés, mon arrache-clou accroché par je ne sais quoi vole en éclats et mon pneu, percé par un clou de fort calibre, commencer à s’affaisser. La réparation fut faite en dix minutes et comme, sans cela, nous nous serions quand même arrêtés à Aix, il n’y eut pas de temps perdu. Ce fut le seul accident de pneumatique de tout ce voyage, et nos machines ne nous causèrent aucun autre ennui. »
Vélocio, « De Saint-Étienne à Cannes et retour par les Maures et l’Estérel », Le Cycliste, 1900, p.105 à 114, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7
FORÊT DE LENTE ET VERCORS, 1900
« Une de mes pédales s’est dévissée dans les cahots subis à travers la forêt, et le filetage en est mâché. Le forgeron de Vassieux, ouvrier adroit et intelligent, m’y refait un filet, taraude la manivelle pendant que mes deux compagnons vont se rafraîchir et s’endorment devant leur bouteille de limonade. »
Vélocio, « Forêt de Lente et Vercors », Le Cycliste, 1904, p. 230 à 234, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_8
EXCURSION DE L’ASCENSION, 1901
« Nous devions aller coucher à Tarascon, mais le nettoyage à fond de nos machines s’imposait et nous décidâmes de ne repartir le lendemain. »
Vélocio, « Excursion de l’Ascension », Le Cycliste, 1901, p.79-81, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7
RANDONNÉES STÉPHANOISES, EXCURSION DE L’ASCENSION, 1902
Départ de la Digonnière (octroi) à 4 heures et demie : col des Grands-Bois, Andance, St-Vallier, remontée de la vallée de la Galaure, Le Grand-Serre, abbaye de Saint-Antoine, Beaurepaire, Vienne, Givors, Rive-de-Gier, rentrée par le train. Environ 200 kilomètres.
⁂
« Malgré des menaces continuelles et des pluies qui durent, parfois toute la semaine, nos sorties dominicales ont pu, jusqu’à présent, s’effectuer sans difficultés sérieuses. Celle de l’Ascension a pourtant été trop contrariée par le vent et par un accident (jante en bois éclatée, par suite de la gelée, en pleine descente), heureusement sans conséquence grave pour la cyclettiste qui en a été la victime, pour qu’on ait pu aller plus loin que Le Grand-Serre. »
Vélocio, « Randonnées stéphanoises », 1902, Le Cycliste, 1902, republié en mai 1952, p.139
LE PAYS DU SOLEIL, 1903
« Le soir, je descendais à Beaucaire, chez un excellent ami, rétroïste convaincu, qui le lendemain m’accompagna jusqu’à Pont-Saint-Esprit ; ce me fut encore une occasion de m’apercevoir que ma bicyclette, dont j’avais été très satisfait les deux jours précédents, me plaçait dans un état d’infériorité dès que je pédalais à côté d’un cycliste bien monté. Il est juste de dire que la rupture d’une de mes deux roues libres me privait à ce moment de deux développements, 3m,75 et 7m,40, et que je n’avais plus à ma disposition que 2m,50 et 5m,10, ce qui était manifestement insuffisant pour suivre le développement de 7m,50 de mon compagnon.
À propos de cet accident qui m’était arrivé la veille à la suite d’un brusque démarrage pour sortir d’une ornière de boue collante, j’ouvre une parenthèse.
Beaucoup de cyclistes fuient les complications apparentes ; deux chaînes sur une machine leur paraissent une monstruosité. Deux roues libres à entretenir en bon état, un débrayage à surveiller, c’est beaucoup plus que leur système nerveux n’en peut supporter. Or, voyez ce qu’il serait advenu de moi si je n’avais eu qu’une chaîne et qu’une roue libre, c’est-à-dire si j’avais estimé que 4 multiplications en marche sont parfaitement inutiles, que 2 suffisent amplement dans tous les cas, dans toutes les circonstances. La rupture de mon unique roue libre m’aurait condamné à faire au moins 10 kilomètres à pied et à rentrer par le train.
Un peu de complication n’est donc pas toujours chose mauvaise. On m’objectera : mais votre roue libre n’aurait pas dû se rompre. C’est comme si l’on disait : votre pneu ne devrait pas crever ! Une roue libre, de quelque système qu’elle soit, est un organe relativement délicat, exposé à des détériorations contre lesquelles les constructeurs sont impuissants. Il s’agissait d’une roue à cliquets des plus robustes puisque j’en ai sur mon tandem une semblable qui résiste aux efforts de deux cyclistes vigoureux ; mais je l’attaquai trop brutalement pour sortir du trou où j’étais tombé ; le cliquet résista, mais la couronne céda ; il y a des moments où il faut nécessairement que quelque chose cède.
J’entends dire qu’on arrivera certainement un jour à fabriquer des roues libres qui seront aussi sûres et durables que les simples pignons de roue serve. Je fais des vœux pour qu’on y arrive, mais j’en doute fort. Je doute aussi qu’on arrive jamais à nous donner des pneumatiques aussi increvables, aussi indifférents à tout ce que l’on trouve sur les routes en fait de silex, verres cassés, épines, clous, etc., que les antiques caoutchoucs creux tringlés. Telles choses s’imposent qui n’ont pas besoin d’être démontrées.
Le vent qui m’avait été contraire à l’aller me fut encore contraire au retour, et quand j’arrivai au pied de la montagne qui nous sépare du Rhône, la nuit était venue, je remis donc au lendemain matin le passage du col des grands bois ; la neige puis la boue s’acharnèrent une dernière fois sur ma machine à laquelle, pendant ces 660 kilomètres, je n’avais pas donné le moindre soin, pas une goutte d’huile ou de pétrole, pas un coup de pompe. La roue libre qui me restait est à galets et elle n’eut pas un raté. D’ailleurs, quand on essaie à fond une machine, il faut se placer dans les plus mauvaises conditions et ne pas chercher à prévenir les accidents possibles. Rouler jusqu’à refus, appuyer plus fort quand la machine devient plus dure et n’ausculter qu’au retour, c’est ce que je fis : je trouvai un cône cassé, huit rouleaux d’une des petites chaînes cassés aussi, le carter plein de boue dans laquelle les pignons de l’axe secondaire avaient creusé un sillon ; la boue avait aussi pénétré dans les roulements... La dureté de la pédale s’expliquait !
Quand tout cela sera remis au point et que le temps nous le permettra, je ferai subir à cette nouvelle machine, en laquelle je persiste néanmoins à avoir confiance, une troisième et rude épreuve, Saint-Étienne – lac du Bouchet et retour. Après cela, nous verrons s’il convient de lui donner l’essor ou de la mettre au clou des clous dont tous les inventeurs possèdent une belle collection.
Le prix de revient du kilomètre pendant cette excursion de 660 kilomètres a été d’un centime et demi ; c’est un des plus bas auxquels je sois arrivé pour une excursion de plusieurs jours ; j’espère bien ne pas le trop dépasser et démontrer ainsi que par le cyclotourisme les beaux voyages sont à la portée de toutes les bourses. C.Q.F.D. de temps à autre. »
Vélocio, « Le pays du soleil », Le Cycliste, 1903, p.229-232
MON RAID PASCAL, 1903
« J’allais entrer à vive allure à Saint-Maximin quand un clou se plante dans mon pneu avant ; j’applique légèrement le frein dans l’espoir de l’arracher avant qu’il n’ait pénétré jusqu’à la chambre ; trop tard, par le trou béant l’air s’échappe en sifflant ; montre en main, la réparation m’arrête dix minutes. En 1889, la même mésaventure m’obligea à renvoyer une roue en Angleterre, et j’attendis trois mois son retour. Les temps sont changés ; qu’on s’étonne après cela de m’avoir vu conspuer jusqu’en 1899 les pneus et leur préférer les creux. J’aurais dû dès 1889 apprendre à vivre avec mon ennemi. Les cyclotouristes qui conspuent aujourd’hui les bicyclettes polymultipliées à cause de leur complication font exactement ce que je fis il y a 14 ans : ils se privent volontairement d’avantages qui sont à leur portée, moyennant un petit apprentissage devant lequel ils ont tort de reculer. »
Vélocio, « Mon Raid Pascal », Le Cycliste, Avril 1903, p. 65-77
NOËL, 1904
« Puis la descente m’emporta ; le crottin gelé, les cailloux épars me faisaient parfois sursauter à l’improviste, car il est difficile la nuit, même quand la lune est en son plein, de distinguer les pierres, les ornières, les menus obstacles. Tout à coup, patatras, ma lanterne part d’un côté, le réflecteur s’en détache et roule plus loin, un ressort de ma selle casse net et mon pneu d’avant s’affaisse...
J’étais à cent mètres de Daveizieux, cinq heures allaient sonner et le froid était plus vif que jamais. J’avais sans doute heurté un caillou un peu trop gros et j’allais un peu trop vite. Il ne me restait qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Tout dort dans le village, je reconstitue ma lanterne, la dispose pour quelle m’éclaire et je me mets en devoir de réparer mon pneumatique. Sans eau, le trou n’est pas facile à trouver, j’y parviens en promenant l’oreille le long de la chambre, j’obture un trou... il y en avait deux, il fallut démonter une seconde fois ; total : 45 minutes perdues, cependant qu’à Andance un jeune rétroiste de Lyon m’attend et doit s’impatienter. Ma lanterne devient clignotante, le carbure a bu toute l’eau et la lune s’approche de l’horizon. »
[...]
« La route de la rive gauche est particulièrement roulante de Loriol à Montélimar et au delà : mon compagnon, qui n’a pourtant que 5 m. 80 comme grand développement, tient à me prouver que cela ne l’empêche pas de suivre le train que j’accélère avec mes 7 m. 20 : l’un poussant l’autre, nous atteignons, par moments d’assez belles allures. Le vent défavorable m’empêche d’ailleurs d’utiliser à fond ce grand développement et G. me suit en tournant à 75/80 tours. C’est à la fin de l’étape que nous verrons si vraiment la fatigue n’est pas plus grande pour lui que pour moi qui ne tourne qu’à 60 tours environ.
Malheureusement, au cours de la montée de Donzère, pendant la seconde où je me mets en roue libre pour passer de 5 mètres sur 3 mètres, G., qui collait de trop près, touche ma roue, laisse tomber sa machine en mettant pied à terre trop précipitamment et casse net un axe de pédale. Impossible pour lui d’aller plus loin. Nous devons nous séparer sans avoir pu pousser à fond notre expérience comparative.
Je continue, car l’on m’attend à Arles avant la nuit et je laisse mon pauvre rétroïste rentrer à Montélimar clopin-clopant ; s’il est en effet facile de pédaler d’un seul pied en roue serve, cela ne l’est pas du tout en roue libre, et chacun sait qu’une R.-D. a forcément roue libre partout. »
Vélocio, « Randonnées hivernales (Noël) », Le Cycliste, 1904, p.32-36, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8
RANDONNÉE PASCALE, 1907
« La guigne, malheureusement, ne veut pas nous lâcher et si quelqu’un nous avait suivis pour s’assurer que nous ne trichions pas (ce qui, nous a-t-on assuré, fut le cas), ce quelqu’un nous eût retrouvés quelques kilomètres après Aix en train de démonter sur le bord de la route une des roues libres B S A de la polycyclette de Dupuy, que la boue avait rendue folle ! Or, démonter et remonter une roue libre à deux rangs de billes n’est pas une petite affaire, même dans un atelier, à fortiori dans un fossé sans outils spéciaux. L’opération nous demanda trois quarts d’heure. Nous ne nous remettons en selle qu’à 11 heures 20 avec, enfin ! du vent favorable qui nous fera rattraper une partie du temps perdu. »
Vélocio, « Randonnée pascale », Le Cycliste, mars 1907, p.41 à 45, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_9
CURE DE PRINTEMPS, 1910
« La descente m’entraîna mais le vent qui soufflait du nord – nord-est m’obligea souvent à pédaler jusqu’à Andance où je m’arrêtai à 12 h. 35 pour demander la cause d’un déraillement qui venait d’avoir lieu et qui avait déjà réuni sur la route un grand nombre de curieux. Rupture d’essieu, me répondit-on, mais seulement des dégâts matériels, quatre ou cinq wagons démolis et de nombreux tonneaux de vin défoncés. Rupture d’essieu ! diable, encore ce coquin d’acier qui nous joue des tours en dépit de la plus minutieuse surveillance. Vite je regardai ma tête de fourche, mes raccords, tout ce qui dans une bicyclette est sujet à rupture, quelle que soit la marque de la machine. Auscultez souvent votre tête de fourche, vous ne perdrez pas votre temps ; j’en ai eu déjà cinq de cassées sous moi, toutes appartenant à des marques de tout à fait premier ordre, mais la cristallisation lente de l’acier est une de ces choses dont la garde qui veille aux barrières du Louvre ne défend pas les rois. Le mieux est de se garder soi-même et d’ausculter souvent les points faibles de nos outils. Depuis que j’ai failli me rompre le cou en m’asseyant sur une chaise dont le dossier s’effondra soudainement, je regarde d’abord avec circonspection et je tâte la solidité des sièges sur lesquels on m’invite à m’asseoir. L’inspection de ma machine terminée à ma satisfaction, je me remets en selle et le vent me poussant franchement, j’arrive à Tournon à 13 heures et 20 minutes. Il y a du bon et je vois déjà un Saint-Étienne – Valence en 4 heures malgré trente minutes de retard causé par la neige, quand 3 kilomètres après Tain je talonne à l’arrière. Je regarde, pas de clous, j’ai d’ailleurs de bons arrache-clous ; je passe la main sur le pneu et le sens bientôt le corps du délit, un éclat de fer qui a pénétré de trois centimètres dans la chambre et en a fait une écumoire ; montre en main, il m’a fallu 15 minutes pour coller trois larges pastilles et repartir. Beaucoup de cailloux épars sur cette route en maints endroits fraîchement réparée. Je dévale en trombe sur Font-d’Isère, franchis le pont et voilà qu’un motocycliste me dépasse. Je me pique au jeu et le poursuis espérant l’attraper à la petite montée qui suit le pont, bernique ! il ouvre son échappement et sa motorette Terrot (la même que la mienne), augmente son allure. Je force le train, monte à cent tours à la minute, du 40 à l’heure pendant un moment et je dépasse à mon tour d’autant plus aisément que la descente finale vers Valence commence et que mon adversaire n’a pas le changement de vitesse par poulie extensible qui lui aurait permis de filer à 50 à l’heure. J’accélérais encore l’allure quand j’arrive sur un empierrement d’un bon kilomètre que je ne vois, comme de juste puisque je suis myope, qu’à quelques mètres ; je m’engage bien sur la moitié de route laissée libre, mais elle est parsemée de cailloux flottants que, trop lancé, je ne puis éviter tous. J’en projette quelques-uns à droite et à gauche, mais l’un d’eux tient bon et entaille brutalement mon enveloppe arrière, atteignant la chambre du même coup. Je suis à plat en un clin d’œil et, forcé de mettre pied à terre, je constate que dans cette course échevelée de quelques kilomètres j’ai perdu un gant et un morceau de toile cirée qui devait me servir en cas de pluie. Morale : quelle que soit la combativité de votre tempérament, laissez-la toujours à la maison quand vous partez pour une longue étape. C’est justement à cause de cette combativité dont l’âge n’est pas encore parvenu à me guérir, que je ne me suis pas encore décidé à faire de longues randonnées avec mes polys à grand confortable, qui me vanneraient promptement si je me risquais à matcher, chemin faisant, motocyclistes et cyclistes. J’ai eu, il y a quelques années, un avant-goût de ce qui m’attendrait en pareil cas, quand à touricyclette, je m’avisai de vouloir tenir pied à de jeunes compagnons bien montés. Une fringale carabinée me coucha sur la route au bout de quelques heures de ce travail excessif. Sans rancune, le motocycliste s’arrête et m’offre son concours. Je traîne ma monture blessée jusqu’aux premières maisons où j’ai tôt fait de découvrir la blessure dont le pansement exige un certain temps, car il faut, outre la chambre, réparer aussi l’enveloppe qui a une fente où passerait facilement une pièce de cinquante centimes. Là-dessus nous prenons un peu de café et nous causons un moment ; puis je vais acheter des fruits et je finis par ne quitter Valence qu’à 15 heures. En dépit du dicton : Jamais deux sans trois, ces deux accidents de pneumatiques survenus coup sur coup m’immunisèrent pendant toute la durée de mon voyage et je n’eus pas à donner un seul coup de pompe ! »
Vélocio, « Cure de printemps », Le Cycliste, Avril 1910, p. 63 à 72, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_11
EN TANDEM, 1916
« Une petite randonnée que je viens de faire en tandem avec mon habituel coéquipier C..., permissionnaire de 6 jours, m’a prouvé que mon régime hivernal ne m’a pas débilité, tout au contraire. Bien que rien ne nous ait été favorable (routes boueuses et collantes, vent constamment contraire, manque d’entraînement de C... qui vient de tirer dix-huit mois de tranchées), partis de Saint-Étienne le 20 avril, à 4 heures, nous arrivions à Nîmes (235 kil.) par Saint-Péray, Valence, Montélimar, Pont-Saint-Esprit et Remoulins, à 18 heures et demie, après 30 minutes d’arrêt à Valence et 2 heures et demie à Pierrelatte où, après avoir déjeuné, il nous fallut faire démonter un des pédaliers qui s’était bloqué ; nous eûmes, chose rare, la chance de tomber chez un réparateur adroit, sensé et consciencieux. »
Vélocio, « En tandem », Le Cycliste, 1916, 11-122, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3
RANDONNÉE EXPÉRIMENTALES, 1921
« Après Peyrins, la route s’accidente, le soleil s’abaisse, la nuit approche, il ne s’agit plus de s’amuser. À Saint-Donat, eaux abondantes, je me désaltère un instant dans la ville ; à la sortie, je me trompe sur un renseignement mal donné ou mal compris et file sur Tain. À quelques kilomètres, je m’aperçois de mon erreur, reviens et reprends ma route de moins en moins bonne. Elle franchit quelques collines par des raidillons assez raides pour m’obliger à prendre mon 3 m. 30 ; des excavations creusées dans le rocher tendre, restes peut-être d’anciennes habitations troglodytiques, servent encore de dépôt. Je ne m’y attarde d’ailleurs pas, le soleil est couché, l’obscurité n’est pas loin, je n’aurai ni lune ni lanterne, donc ne flânons pas. Je venais de traverser un petit village et je commençais à belle allure une descente, quand après un grand bruit de ferraille mon pneu arrière s’affaisse. C’est mon premier accident de la journée et il m’arriva à un bien mauvais moment ; j’y vois à peine pour réparer hâtivement. Une tige de fer longue de 10 centimètres a perforé d’un coup enveloppe et chambre, et s’est partagée en deux morceaux dont l’un a passé dans l’intérieur de la chambre et l’autre est resté dans l’enveloppe. Que je vais donc mal finir une journée, si bien commencée ! La chambre est percée en maints endroits, je n’arrive pas à les couvrir tous et me voilà obligé de regonfler tous les 4 ou 5 kilomètres. Quand j’entre dans la vallée de la Galaure — quelle galère ! — où, le 1er janvier 1903, j’en vis de cruelles et qui ne m’a jamais été favorable, il fait noir comme dans un four ; le sol est très mauvais, je bondis de trous en trous, dérape sur des rails, me heurte à de rares passants et je m’impatiente de n’être pas encore à Saint-Vallier. J’en aperçois enfin les premières lumières ; mon pneu à plat et la crainte de rencontrer des gendarmes me déterminent à gagner Sarras à pied et j’y descends à plus de 22 heures à l’hôtel du Commerce, après être resté plus de 20 heures sur le trimard. Les péripéties dont j’ai souffert l’après-midi ont dû augmenter sérieusement la fatigue de cette étape de 271 kilomètres, qui ne m’en a cependant pas laissé d’anormale, car après un repas substantiel et un bon sommeil, je rentrai le lendemain matin en 4 heures et demie à Saint-Étienne, 60 kilomètres et 1.200 mètres d’élévation, après avoir, bien entendu, procédé au remplacement de la chambre si cruellement atteinte. »
Vélocio, « Randonnées expérimentales », Le Cycliste, Sept 1921, p.65-70, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3
COL DU ROUSSET – FORÊT DE LENTE, 1919
« À Andance (54 kilomètres) un joli vent du nord active l’allure ; soudain ma chaîne s’étale sur la route. Je la ramasse avec une flasque en moins. C..., heureusement, a des maillons de rechange ; une scierie est tout près et nous pouvons, avec des outils rudimentaires, réparer convenablement ; ci : 25 minutes perdues. »
Vélocio, « Trois expériences », Le Cycliste, Juin-Juillet 1919, p. 69-74, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_13
MON 14 JUILLET, 1923
« Nous n’avons qu’à nous laisser aller au gré des événements pour que tout arrive à notre avantage. Le tout est de bien distinguer jusqu’où nous pouvons obéir à notre volonté et à quel moment nous devons céder à la pression des obstacles éventuels. Nous gagnerons toujours à nous soumettre aux choses plutôt qu’à vouloir nous soumettre les choses. Je me félicitais, entre autres détails, de n’avoir pas eu le moindre accident de bicyclette au cours des 300 km. que j’avais parcourus, pas une crevaison, pas un écrou à serrer. Mais que vois-je Seigneur, au moment de me mettre en selle ! L’enveloppe de la roue directrice fendue en longueur sur la surface même du roulement, une fente de dix centimètres dont les lèvres baillaient et laissaient voir les fils biais déjà usés en partie par le frottement sur le sol ? Il n’est que temps de réparer, et sérieusement pour pouvoir rentrer sans éclatement. Une large pièce de toile à l’intérieur et, à l’extérieur, un morceau de chambre à air de longueur convenable que j’avais, par chance, dans mon sac, enveloppant la chappe et pouvant être pincée par les tringles, le tout collé soigneusement (ma dissolution y passa presque toute), me tirèrent de ce mauvais pas. Je procédai méthodiquement, laissai sécher longtemps, si bien que je ne quittai Davézieux qu’à 15 heures, avec la perspective d’un orage à bref délai. En effet, quatre kilomètres plus loin, à Boulieu, je dus me réfugier dans un jeu de boules ; il pleuvait à torrent, le tonnerre grondait de tous les côtés et je vis, à peu de distance, quelques éclairs merveilleux. Quels que soient ses caprices, qu’elle se fasse caressante ou agressive, la nature nous attire et nous charmera toujours, en attendant qu’elle nous engloutisse. »
Vélocio, « Mon 14 juillet », Le Cycliste, Sept.-Oct. 1923, p.89-92, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4
EXCURSIONS DU “CYCLISTE” (15 MAI), JUILLET-AOÛT 1927
« Depuis longtemps je souffre moi-même d’un dégonflement lent de mon pneu avant ; tous les cinq ou six kilomètres je dois regonfler, mais voilà qu’en vue de Saint-Agrève, à quelques centaines de mètres de la route du Puy, je crève brutalement sur un silex ; il faut réparer. Il est 8 h. ¼ : je renverse ma bicyclette sur le bord de la route et je ne la remettrai sur ses roues que trois quarts d’heure après. Je dus faire appel à toute ma philosophie, démonter la roue avant, aller à 200 mètres de là dans une ferme tremper la chambre dans l’eau pour repérer les deux trous, revenir réparer méthodiquement, remonter la roue : bref, j’en eus pour trois quarts d’heure, car je ne suis guère habile à ce travail, et je tenais à ce qu’il fut bien fait. J’y réussis apparemment puisque je n’ai rien eu, depuis, à y reprendre. Réparer un pneu est toujours chose ennuyeuse, mais il faut en prendre son parti et ne pas renoncer pour cela, comme l’ont fait quelques-uns, et moi tout le premier en 1892-95, à l’agrément des pneumatiques. Surtout il ne faut pas se presser : se hâter lentement, voilà la formule. Emporter une chambre de rechange est une bonne méthode quand on part pour plusieurs jours et que le soir à l’étape on aura le temps de réparer, mais quand on part pour une journée on aime peu s’encombrer et l’on compte sur sa chance, comme a fait Lindbergh qui n’avait pas d’avion de rechange pour venir de New-York à Paris ; à vrai dire, quand il ne s’agit que d’une crevaison ordinaire vite repérée, j’aime mieux réparer que remplacer, car le remplacement implique le démontage et le remontage d’une roue, ce à quoi je suis maladroit et lent, avec la crainte de ne pas remettre tout bien en place. Les coureurs, eux, sont d’une habileté rare, leur dextérité m’a toujours émerveillé, et je sais des cyclotouristes capables de les imiter : malheureusement je n’ai jamais été de ceux-là. »
Vélocio, « Excursions du “Cycliste” (15 mai). Saint-Agrève, Le Cheylard, Lamastre, La Louvesc, Saint-Étienne », Le Cycliste, juillet-août 1927, p. 65-69, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15
EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, MARS AVRIL 1929
« Rien de tel aujourd’hui, aussi je m’en donne à pédales-que veux-tu et j’allais être avant 15 heures auprès de mes amis quand, à la hauteur de Bédarrides, je sens mon pneu arrière talonner. J’avais emporté, comme toujours, une enveloppe et une chambre de rechange. J’aurais dû démonter la roue et remplacer la chambre, mais j’hésite toujours à démonter mes roues et me voilà, mal abrité du mistral par un talus sablonneux à peine haut de 3 mètres, m’escrimant à rechercher un trou imperceptible, sans eau, en passant la chambre gonflée devant ma bouche grande ouverte afin de sentir sur les muqueuses plus sensibles que l’épiderme, le filet d’air révélateur. De guerre lasse et constatant que la chambre ne semble pas se dégonfler rapidement, je la remets en place, regonfle à bloc et repars. J’ai perdu là 30 minutes, mais j’en ai entendu une bien bonne. De la maison près de laquelle je m’étais arrêté, sortent quelques enfants suivis de leur mère, qui leur dit le plus sérieusement du monde et avec le bon accent du crû : « Allez jouer sur la collineu. » ‘Tiens, me dis-je, il y a une colline par là, je ne l’avais pas vue ! Je regarde de tous les côtés ; la collineu, c’était le talus de 3 mètres qui m’avait abrité ! Ah ! ce Midi, pays de rêve et d’exagération, on y voit tout en beau, tout en grand, tout conforme à son imagination, et l’on y vit heureux. »
Vélocio, « Excursions du “Cycliste” », Le Cycliste, Mars Avril 1929, p.30, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15