Chronique du passé (1890)
jeudi 22 avril 2021, par
Par Jeanne C., Le Cycliste, juin 1890, Source Archives départementales de la Loire, cote Per1328_2
Les journaux vélocipédiques de toutes nuances et de tous formats deviennent des annonciers matrimoniaux : de tous côtés on n’entend parler que de mariages de velocemen. Je vous souhaite beaucoup de bonheur, jeunes époux, mais surtout ne renoncez pas au véloce : y a-t-il rien de plus agréable que le tandem conjugal ! Jeunes fiancées, mes sœurs, demandez à l’aimé un vélocipède.
Mais si vous abandonnez la grande route ensoleillée pour vous égarer dans les sentiers ombreux, si vous laissez votre machine sans surveillance, tandis que vous vous réfugiez sous quelque fraîche tonnelle, prenez garde que quelque amateur indélicat ne vous dérobe l’instrument, car alors vous iriez grossir le nombre des infortunés qui clament vers les nues : « Mon véloce ! mon cher véloce ! » Et nos policiers qui arrêtent et maltraitent nos honnêtes et inoffensifs amis jetteraient dédaigneusement au panier votre plainte...
S’intéresser aux vélocipédistes ! qui LOZErait dans l’administration qui fait la stupéfaction du monde entier ?...
On nous annonce une invention dont la rapidité vous mettra peut-être, Messieurs, à l’abri des atteintes si douces des brutaux uniformes : un vélocipède à cinq roues et à vapeur ! le trois cent millionième, celui qui détrônera tous les autres, si toutefois on réussit à le faire rouler.
Ces machines a vapeur ou à électricité, qui doivent être de pures merveilles, me paraissent tout au plus bonnes à créer de terribles pendants à des accidents comme celui dont l’issue fut si funeste à un jeune vélocipédiste, près de Menton.
Voilà un bien triste exemple qui devrait enseigner la prudence, mais les exemples servent-ils à quelque chose ?
Pendant que j’envoyais au Cycliste ma Revue du mois d’avril, le match des dix avait lieu. Paris a encore battu la province : quand la revanche ?
Mai a vu éclore une nouvelle feuille vélocipédique : que France Cycliste d’Angers soit la bienvenue, elle contribuera, elle aussi, à propager notre sport et à combattre ses détracteurs.
Beaucoup de voyages en véloce ces temps derniers : MM. G. Ferrand, E. Barabraham, M. Martin, G. Chevalier, Dowmont, Nicard, ont entrepris de grandes tournées. Bravo ! Messieurs ! Je n’aurai garde d’omettre la « promenade » de M. et Mme Laumaillé, venus de Nice à Bordeaux, à Angers et à Concarneau !... Mme Laumaillé, très brave, monte un tricycle ; M. Laumaillé est en bicyclette. Pour un semblable voyage, il me semble que je préférerais de beaucoup le tandem.
A offrir aux horsemen vélophobes le fait divers suivant que j’ai noté : Le 20 avril, un vélocipédiste a battu de cinq minutes un excellent cheval sur un parcours de six kilomètres. Réservez donc vos bêtes pour la guerre ou les travaux de force, Messieurs de l’écurie, et laissez-nous nos brillants coursiers d’acier, mille fois plus agréables et maniables que vos montures si facilement époumonées,
MM. les journalistes parisiens vous donnent l’exemple, imitez-les. Saluez comme moi les quatre vaillants rédacteurs du Petit Journal qui se sont transportés en véloce de Paris à Rouen. Un triple hurrah, un ban comme on dit, je crois, dans les clubs.
Tous les sports se donnent la main, dit-on. J’en doute fort, ayant lu certaines feuilles qui se prétendent sportives. Quoi qu’il en soit, le sport nautique est fort intimement lié au sport vélocipédique. Demandez à M. Tanneguy de Wogan, le célèbre capitaine du canoë de papier le qui-vive. Mme de Wogan serait aussi, paraît-il, une bonne tri-cycliste. Allons ! le véloce fait des progrès près des dames en France !
Fille et sœur de vélocipédistes enragés, je connais un certain nombre de jeunes gens qui ajoutent volontiers les plaisirs de la pagaie et de l’aviron à ceux de la pédale, ce sont des éclectiques. Je recommande à mes lecteurs de faire comme eux.
Il manquait aux touristes une carte de France spéciale ; ce desideratum a été comblé par M. A.-W. Jung, qui vient de dresser une carte vélocipédique routière.
Nous sommes en pleine période de courses, et l’éternelle question des amateurs et des professionnels est chaque jour mise sur le tapis. Courses ici, courses là, courses partout.
Et maintenant si vous venez à Paris en vélocipède, prenez garde aux gardiens de la paix !
26 mai 1890.
Jeanne C...