Récit

samedi 20 juillet 2024, par velovi

La manière de relater un voyage fut parfois interrogée dans les colonnes des revues de cyclotourisme [1]. Des écrivains avaient déjà balisé le genre. Comme les meetings, Paul de Vivie en fit un moyen d’enseignement mutuel et de propagation du cyclotourisme. Il proposa un recueil de voyages et d’excursions cyclistes dès 1894 , dont il n’écrivit que la préface [2]. Il conseillait alors de suivre les récits avec une carte et un carnet de notes, pour préparer ses propres voyages, conseil renouvelé au fil de la revue. Au début de la polymultipliée, il utilisa ses excursions comme démonstration, et ses récits se firent alors argumentatifs. Dans la période faste de son école stéphanoise, il confiait parfois aussi la mission de narrer certaines de ses excursions à une personne de son équipée (Mad Symour, Thorsonnax, Ch. R.). Après la Première Guerre mondiale, ses récits furent plus fréquemment prétextes à réminiscences, sur des parcours maintes fois parcourus. Entre la réalité du terrain et de l’expérience et l’art de conter et séduire un public, le récit cyclo-viatique ouvre une large part au style. [3] Et ce, jusqu’au choix de l’itinéraire.

 Annuaire du cyclotourisme, recueil de voyages et d’excursions cyclistes, 1893-1894

«  Autant un récit d’excursion semble monotone lorsqu’on se contente de le parcourir comme on ferait d’un roman, autant on s’y intéresse lorsqu’on suit, pas à pas, sur la carte, le voyageur et qu’on s’efforce de se représenter les sites qu’il décrit. Si, en même temps, l’on prend des notes, on se prépare le moyen de refaire ce même voyage dans les conditions les plus agréables.  »
Annuaire du cyclotourisme, recueil de voyages et d’excursions cyclistes, 1893-1894, Archives départementales de la Loire, cote BH6260

 AU PAYS DU SOLEIL, 1889

«  J’avais promis de vous conter mon voyage dans le Midi, mon plus bel exploit vélocipédique de l’année 1889, exécuté de concert avec l’ami Forest, et je m’étais, en conséquence, mis à noircir impitoyablement de belles feuilles blanches. Encore enthousiasmé par tout ce que je venais de voir, j’écrivais d’abondance, sans mesure et ne vous faisais grâce d’aucun incident  ; tous les cailloux, toutes les bornes kilométriques s’alignaient à tour de rôle et finissaient par ressembler aux arbres des grandes routes, toujours les mêmes. C’eut été monotone, long et diffus. Je compris heureusement qu’il fallait laisser le temps faire son œuvre, estomper mes souvenirs, adoucir mes impressions et, jetant au panier ce que je venais d’écrire, je remis à six mois le récit de notre voyage.  »
Vélocio, «  Au Pays du Soleil  », Le Cycliste, janvier, mars 1890, p. 346-349, p.45-49, Archives départementales de la Loire, cote PER1328_2

 SIX JOURS EN SUISSE ET EN ITALIE, 1903

«  Et pas un de nous, pas un  ! n’est arrivé à Moutiers le 14 juillet  ! Notre anonyme correspondant a eu raison. Aucun de ceux qui avaient conçu l’itinéraire de dix jours publié par Le Cycliste du 30 avril n’en est venu à bout.
Est-ce à dire que cet itinéraire était vraiment au-dessus des forces de tout cycliste convenablement préparé et polymultiplié  ? Malgré nos échecs successifs, je ne le pense pas ; seulement, il faudrait, en même temps qu’on prépare un programme, préparer aussi le beau temps, car le mauvais temps, surtout en Suisse, devient presque un cas de force majeure, tant il rend impraticables des routes qui, même avec le beau temps, ne sont pas la fleur des pois.
Et, tous, nous avons eu à souffrir du mauvais temps, de la pluie et de la boue. Pour mon compte, j’ai attrapé, sur six jours, deux jours de pluie, deux jours de boue et, le sixième jour, j’ai dû, le soir, battre en retraite définitivement devant de nouvelles averses.
C’est une expérience à recommencer l’année prochaine. En attendant, comme mon voyage n’a pas laissé d’être intéressant d’un bout à l’autre et qu’il comporte d’utiles enseignements pratiques pour les cyclotouristes, je m’en vais vous le narrer à la bonne franquette.  »
Vélocio, « Six jours en Suisse et en Italie », Le Cycliste, 1903, p.141-146, p.173-179, p. 186-195 

 FORÊT DE LENTE ET VERCORS, 1900/1904

«  Je retrouve au fond d’un tiroir le récit suivant d’une excursion, toujours et plus que jamais d’actualité, que nous fîmes, il y a quatre ans, à une époque où la cause de la polymultiplication était bien loin d’avoir bataille gagnée, où surtout les changements de vitesse en marche ne semblaient pas aussi indispensables pour une machine de tourisme qu’ils le paraissent aujourd’hui.
Je ne sais pourquoi ce récit ne fut pas publié à son heure  ; j’ai pensé qu’on le lirait encore aujourd’hui avec quelque intérêt  ; il en est du tourisme comme de la nature  : il est éternellement jeune et ses manifestations sont de tous les temps et de tous les âges.  »
V...
Vélocio, Le Cycliste, 1904, p. 230 à 234, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_8

 5 JOURS EN MONTAGNE, 1909

«  Conter par le menu une excursion, deux ans après l’avoir faite et quand on n’en a rapporté que des notes succinctes, serait bien hasardeux. Les impressions reçues en cours de route, du nuage qui passe, des rencontres fortuites se sont évanouies  ; mais les grandes lignes du voyage sont demeurées et se détachent de mes souvenirs aussi nettes que le lendemain de notre retour, car nous fîmes à deux ce voyage intéressant et, si les lecteurs du Cycliste n’en ont pas lu encore la relation complète, la faute en est à mon compagnon Thorsonnax qui m’avait promis de la faire en l’assaisonnant de l’humour qui, toujours, releva ses récits. Mais les devoirs de l’internat sont impérieux et ce serait presque un crime que d’arracher Thorsonnax au chevet de ses malades pour lui rappeler ses promesses. Les lecteurs du Cycliste y perdront le côté agréable, mais je m’efforcerai de retenir le côté pratique de ce voyage que le hasard nous contraignit de faire en tournant le dos à notre but.  »
Vélocio, «  5 jours en montagne  », Le Cycliste, 1911, p. 228-232 et p. 249-251, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_11

Aujourd’hui, les traces des assistants de navigation peuvent être nos fils d’Ariane, et l’on peut se demander si elles ne réalisent pas le souhait suivant  :

 ANTHOLOGIE DU “CYCLISTE”, ÉPOQUE “VELOCIO”

«  Ce ne sont pas des poèmes, ni des odyssées ou des descriptions d’itinéraires à la Chateaubriant que réclament les cyclistes avides de prendre leur vol et de lancer leurs pneus vers les innombrables sites pittoresques de notre belle France. Ce qu’ils désirent, c’est un fil d’Ariane dans la main afin de ne pas s’égarer dans des paysages monotones, sans grand intérêt, de même, de ne pas, faute d’un bon conseil, passer à côté de choses curieuses à voir, de bonnes hôtelleries où ils pourront s’arrêter. De très simples, courts, secs itinéraires — lorsqu’on n’aura ni le loisir, ni le goût de relations complètes feront parfaitement l’affaire.  »

Anthologie du “Cycliste”, cahier no 17, Le Cycliste, Juillet-Août 1973, p. 259


Recevant des récits, Paul de Vivie donnait et répétait ses conseils.

 ANTHOLOGIE DU “CYCLISTE”, ÉPOQUE “VELOCIO”

«  Pour exprimer ce que l’on voit, ce que l’on pense, nul besoin d’écrire comme Chateaubriant pour intéresser lorsqu’on raconte un voyage, une histoire, une anecdote. Il faut être sincère et ne pas donner la sensation de vouloir impressionner le lecteur  : en bref, vouloir lui faire prendre des vessies pour des lanternes [...]
Quant au style et à la façon d’exprimer ses idées, ses commentaires, à la manière dont on donne les renseignements utiles à ceux qui seront susceptibles d’être intéressés, chacun s’en tirera du mieux qu’il peut et je ne me plaindrai en rien, d’une rédaction en style télégraphique précise. Donc, que ceux qui peuvent avoir quelque chose d’intéressant à dire, à communiquer, le fassent sans hésiter. Le style est l’homme, si on en croit Buffon. Les lecteurs du « Cycliste » apprendront ainsi à connaître les auteurs et quand on parvient à se faire une idée de celui qui écrit en le lisant on s’intéresse davantage à ce qu’il dit. Soyez original et personne s’en plaindra, surtout, ne doutez pas de vous-même.  »

Anthologie du “Cycliste”, cahier no 17, Le Cycliste, Juillet-Août 1973, p. 264


[1Théodore Chèze, « Les Conteurs de Voyage à Bicyclette », Revue mensuelle du Touring-Club de France, Octobre 1908

[2Annuaire du cyclotourisme, recueil de voyages et d’excursions cyclistes, 1893-1894, Édité par Le Cycliste

[3On pourra lire avec profit :
Philippe Antoine, « Une littérature légèrement fictive », Viatica [En ligne], n°7, mis à jour le : 06/04/2020.
Philippe Antoine, « Un homme, une revue, un art du voyage. Vélocio et Le Cycliste (1887-1930) », La Revue des lettres modernes, 2022 – 4, À plume et à pédales. Voyages cyclistes, p. 45-60
Philippe Antoine, Les récits de voyage de Chateaubriand Contribution à l’étude d’un genre, Champion,1997

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