Drôme

lundi 30 mai 2022, par velovi

Parmi les vallées qui rejoignent l’axe principal du Rhône, il en est une qui fut très prisée de Paul de Vivie, la vallée de la Drôme. À Die, le col du Rousset était une porte appréciée du Vercors, et son refuge dont nous devinons aujourd’hui les traces près de l’ancien tunnel était fréquenté par les premiers cyclotouristes. Paul de Vivie était amateur de la clairette de l’établissement, en exception à son régime alimentaire. Plus en amont de la vallée, les cols de Menée ou de Grimone ouvraient aux grandes randonnées alpines de plusieurs journées. Sur le tard de sa carrière, il appréciait d’autant cette vallée que ses excursions vers le sud le portaient moins loin, et qu’il y retrouvait le soleil, parfois à l’excès comme lors de la journée du 14 juillet 1923.

PROMENADE DE SANTÉ, 1914

«  Le massif de Rochecourbe qui, par ses murailles à pic, défend la forêt de Saou, se profilait voilé de brume, à ma gauche, et la vue était bornée à droite par les collines entre lesquelles la route se faufile. Un premier petit col m’amena au pied des derniers contreforts du massif, et la descente m’entraîna rondement jusqu’à Saou village flanqué de formidables escarpements, qui défend l’entrée de la vallée où se réfugièrent, dit-on, les débris de l’invasion sarrasine, après la victoire de Charles-Martel.
Montée douce ensuite, le long d’un ruisseau jusqu’à Bourdeaux, dominé par des pans de murs menaçant ruine et qui indiquent qu’il y avait là un château fort de quelque importance.
Le facteur que je rencontre à Crupies et à qui je demande si je suis bien sur la route de Nyons, ne peut s’empêcher de s’écrier que Nyons c’est bien loin et que la montée est longue. Elle ne se fait vraiment sentir qu’après Bouvière et le soleil aussi se fait sentir  ! Mais nombreux sont les ruisseaux, et l’eau est fraîche  ; je me désaltère à plusieurs reprises. Quelques derniers lacets dans un sol plein d’ornières et de cailloux, où l’on a de la peine à se tenir, et me voici au col de la Sauce, passage assez fréquenté, à en juger par les routiers que j’y croise et les traces des charrois. La vue reste bornée, de toutes parts s’élèvent des collines derrière lesquelles on en devine d’autres.
Je me laisse aller sans trop de hâte, afin de ne pas manquer le défilé des Trente Pas, que je dois traverser au cours de la descente. Le voici  ; un gendarme se profile sur l’horizon et annonce l’entrée du défilé qui n’est pas très impressionnant. Un vague tunnel, sous lequel je rencontre un autre facteur qui pousse sa bicyclette, quelques rochers surplombant la route, d’assez beaux à-pics de l’autre côté du ruisseau, et c’est fini  ; même en montant, ce ne doit pas être long. 
Le vallon s’élargit et j’entre dans la vallée de l’Aygues, à quelques kilomètres de Nyons, que je laisse à droite  ; mon itinéraire me fait remonter l’Aygues jusqu’au ruisseau l’Ennuyé, qui me conduit par une rampe insensible à Sainte-Jalle, petit village ombragé, où l’eau est abondante, et où je suis tenté de m’arrêter pour déjeuner  ; je n’y vois pas d’auberge proprette, un peu en dehors de l’agglomération, qui me tente, et je passe sans me douter que j’allais m’élever dare dare de 400 mètres en plein soleil.
Dieu  ! que ce col de Dey m’a paru long et chaud  ! il fallut avoir recours à la coiffure des jours caniculaires, le linge mouillé sur le crâne  ; la route, d’ailleurs très roulante, tourne et retourne, revient sur elle-même, et l’on finit tout en haut par se trouver sur le bord d’un immense entonnoir, au fond duquel on aperçoit les maisons grises de Saint-Jalle, tout cela inondé d’une intense lumière.
À peine a-t-on passé sur l’autre versant qu’on est cloué sur place par le changement de décor, à se croire transporté en pleines Alpes. Ce torrent aux eaux verdâtres qu’on aperçoit tout à coup à 400 mètres au-dessous de soi, n’est-ce pas le Verdon, roulant ses eaux écumantes au pied d’une montagne abrupte  ? Ce n’est pourtant que l’Ouvèze.
Des lacets bien sentis m’emmènent rondement et m’obligent à des coups de frein dont le fâcheux effet sur mon pneu arrière ne tardera pas à se manifester  ; mais je suis tout à l’admiration de ce site imprévu. Pour gagner le fond de la gorge où l’Ouvèze se débat entre les rochers et où je vois de très haut serpenter ma route, il me faut aller faire un long détour à gauche, si long que je crus un moment que je me trompais.
Je traverse enfin le torrent et me voici à Buis-les-Baronnies, où, non contents de l’ombre épaisse que répandent des arbres centenaires, les habitants se logent dans des maisons précédées de voûtes sombres et obscure, plus semblables à des caves qu’à des portiques. De pareilles demeures sous notre ciel humide ne seraient bonnes qu’à faire moisir les fromages  ; mais sous ce beau ciel ensoleillé du Midi, les caves elles-mêmes sont habitables.
Je ne sais pas au juste l’heure qu’il est  ; cependant, je sens que les deux croissants qui m’amenèrent au col de la Sauce sont loin et qu’il est temps de mettre de l’huile dans la lampe. Je me mets donc, chemin faisant, à chercher l’auberge isolée, proprette et avenante, qui me plaît plus que l’hôtel et que je trouve juste à l’entrée de la route que je dois suivre en quittant la vallée de l’Ouvèze, pour contourner à l’est le mont Ventoux.
Halte délicieuse pendant 30 ou 40 minutes, à l’ombre, devant une bouteille de bière, une assiettée d’olives noires et quelques cerises, qu’une charmante enfant alla cueillir séance tenante.  »
Vélocio, «  Promenade de santé  », Le Cycliste, Mai 1914, p.130-134,Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

RANDONNÉES EXPÉRIMENTALES, 1921

«  Jusqu’à Tournon, la route avait été convenable, mais je m’attendais à trouver bien mauvaise la rive gauche de Tain à Valence  ; je fus donc agréablement surpris en constatant que, sauf en quelques passages autour du Pont-d’Isère par exemple, on avait réparé et qu’on pouvait rouler à bonne allure sans inconvénient. De Valence, où je marque un petit arrêt auprès d’une fontaine, je file par Beaumont et Montmeyran  ; cailloux et têtes de chat m’obligent tout d’abord à aller moins vite, mais peu à peu, le sol s’améliore et, le vent aidant, j’arrive rapidement à Crest où je trouve la toujours très belle route de la vallée de la Drôme. À 8 heures, j’étais attablé dans un petit café, à Saillans, devant une tasse de café chaud dans lequel je trempais un peu de pain tiré du sac, coût  : 30 centimes, le prix d’avant guerre  ! Cette route est jolie depuis Livron  ; la vallée qu’elle remonte, d’abord entre de modestes collines, puis entre des montagnes très escarpées qui la serrent parfois jusqu’à l’étrangler, à gauche les sommets du Vercors, à droite les escarpements de Rochecourbe, cette vallée est très fertile, très peuplée et par conséquent très cultivée  ; les cigales, surtout après Saillans, y font un bruit étourdissant et l’on s’y croirait au pays des félibres  ; les moissons y sont d’un jaune doré, rutilant, flamboyant, c’est de l’or qui ondoie sous la brise  ; le pain fait d’un tel froment doit être plus nourrissant, élus vivifiant que celui des pâles épis de notre Forez moins ensoleillé.  »
Vélocio, «  Randonnées expérimentales  », Le Cycliste, Sept 1921, p.65-70, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

MON 14 JUILLET, 1923

«  Surprise charmante, le vent, de contraire me devient favorable dans cette belle vallée de la Drôme qui me plaît beaucoup, je ne sais pourquoi  ; peut-être parce que la route y est toujours en très bon état ou qu’elle me rappelle le Midi avec ses cigales assourdissantes, ses moissons rutilantes, ses luzernes vert sombre qui attestent la fertilité de son sol bien arrosé par les dérivations de la rivière.
Je m’étais dit en partant  : Tu finiras ce soir l’étape dans un de ces petits villages échelonnés après Embrun, où la Provence envoie ses estivants et tu n’auras demain que la grimpette du Lautaret puis la flânerie des 90 km. de descente jusqu’à Grenoble. Mais il fallait en rabattre  ; dès Valence, je n’espérais plus atteindre qu’Embrun  ; à Crest, je m’estimais heureux si je pouvais arriver le soir à Gap et pendant que je déjeunais dans un petit restaurant au delà d’Aouste, près d’un pont fraîchement reconstruit, dont la disparition deux ans auparavant avait failli me jouer un mauvais tour, je ne me voyais plus terminer l’étape qu’à Veynes d’où, par un train matinal, j’aurais gagné Briançon le lendemain. Ainsi s’effilochaient mes projets au souffle du sirocco  ! Une omelette, un peu de fromage et les abricots de Crest, d’excellent pain, de la bière et du café furent les éléments de ce repas qui ne me fut compté que 3 francs, alors qu’on me fit payer ailleurs, dans une infime auberge, 1 fr. 50 pour une trempette de pain dans un bol d’eau sucrée, rougie d’un demi-verre de vin  !
[...]
À 14 heures, je rentrais dans la fournaise, sans enthousiasme, et le voisinage de Rochecourbe, dont le profil caractéristique s’aperçoit si nettement de nos montagnes, ne m’emballe pas. Je cherchais un coin de pré bien ombragé où j’aurais volontiers pris une heure de repos. Faute de grives, on se contente de merles et, faute d’un pré, je finis par m’étendre sur le talus de la route où je ne demeurai pas longtemps pour cause d’inconfortabilité. Une bouteille, de limonade absorbée à Saillans me remit un peu de fraîcheur dans le sang et je bâclais assez vivement les 22 km. qui me séparaient encore de Die où je passais à 16 heures en commençant à douter assez fortement d’être à Veynes avant la nuit.
[...]
Le vent s’était un peu calmé, mais le soleil me semblait encore plus chaud qu’à midi et les 18 km. de Die à Luc, qui n’ont d’ailleurs rien d’intéressant, me parurent bien longs, tant et si bien qu’à Luc je m’avouai vaincu et fis un tête-à-queue qui me ramena très vite, car le vent devenait ainsi favorable, à l’hôtel qu’on trouve en face de la gare de Die, où j’ai toujours été bien reçu. Il était 18 heures, j’aurais eu le temps de grimper au col du Rousset et peut-être l’aurais-je fait si le flanc de la montagne où serpentent les lacets bien connus avaient été dans l’ombre  ; or, dans cette gorge resserrée, comme dans un creuset, le soleil dardait ses flammes, j’aurais été cuit, volatilisé avant d’arriver à mi-chemin et mon étape du 14 juillet, qui devait être de 300 km., se réduisit à 200  ; mais s’il est vrai qu’une longue exposition au soleil permet au corps humain d’emmagasiner de la chaleur pour longtemps, je n’aurai pas besoin d’acheter du charbon cet hiver.  »
Vélocio, «  Mon 14 juillet  », Le Cycliste, Sept.-Oct. 1923, p.89-92, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, SEPTEMBRE OCTOBRE 1925

«  Quant à cette vallée de la Drôme, je ne m’en lasse pas  ; j’y trouve le ciel et les impressions du Midi, de mon pays natal, pas de cyprès, ni d’oliviers pourtant, mais des cigales, de la poussière blanche et un soleil à cuire les œufs  : elle a, de plus que le Midi, les pics anguleux de Rochecourbe et du Vercors où les dernières neiges fondent sous les morsures de Phébus qui me brûle le crâne  ! Ah  ! le coquin, qui m’obligea, le 14 juillet, 1923, à capituler, à m’arrêter à Die à 16 heures, alors que j’étais parti pour une étape de 40 heures  ! Il est, certes, moins chaud aujourd’hui et il n’est pas aggravé par le sirocco qui, ce jour-là, embrasait l’atmosphère  ; il ne m’en force pas moins à me doucher sous la fontaine à Pontaix, curieux village dont les maisons baignent dans la rivière qui finira, à force d’en ronger les fondations, par les emporter  ; car elle n’y va pas de main morte aujourd’hui, grossie qu’elle est déjà par les nombreux ruisseaux qu’elle a bus depuis son départ de Valdrôme, qui n’est pas très loin. Elle me rappelle, par sa couleur café au lait, une excursion que je fis en 1907 dans ces parages sur une motorette Terrot, qui marchait d’ailleurs à ravir, mais qui m’obligeait à ne pas quitter la route des yeux et à m’occuper de son alimentation et de ses manettes, de sorte qu’en fait de paysage, je ne vis ce jour-là que la nuance café au lait de la Drôme, où j’avais failli être débarqué.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », Le Cycliste, sept-oct 1925, p.77-81, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/4

https://www.lempreinte.valenceromansagglo.fr/sortie-est-sur-la-route-nationale-n-93-vers-1905-le-grand-batiment-de-face-est-l-orphelinat,B263626101_12K.htm

Le Refuge du col du Rousset
Source www.lempreinte.valenceromansagglo.fr, cote b263626101_x65_r

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