Baux

jeudi 12 octobre 2023, par velovi

Les Baux furent toujours une destination privilégiée jusqu’à devenir le premier meeting pascal d’envergure en 1927.

NOËL AU SOLEIL, 1905

«  Les Baux sont toujours pour moi le sujet de longues méditations sur l’instabilité des choses humaines... et sur l’épouvantable violence du mistral (quand le mistral souffle, ce qui n’est point le cas aujourd’hui)  ; nous jouissons d’un temps merveilleux et nous en profitons pour ascensionner les quartiers les plus élevés de la ville... d’autrefois  ; on y a une vue très étendue sur la Crau et par delà, jusqu’à la mer. Par un bon mistral, il serait de la plus grande imprudence de se hasarder dans les ruines du château. Pourquoi, en ce siècle où l’on s’efforce de tirer parti de tout, n’a-t-on pas encore utilisé la force du vent  ? Autrefois, les moindres éminences étaient surmontées de moulins à vent. Ruinés par les grandes minoteries à vapeur, ces moulins ne pourraient-ils pas renaître sous forme de producteurs d’énergie électrique emmagasinée dans des accumulateurs, où on la retrouverait quand on en aurait besoin  ? Combien de chevaux-vapeur dans une journée de mistral  !  »
Vélocio, «  Noël au soleil  », Le Cycliste, décembre 1905, Page 224 à 230, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

VALLÉE DU RHÔNELES BEAUX, 1921

«  Nous allions donc arriver aux Baux et nous étions déjà sous les murailles du vieux château qui se confondraient avec les rochers si elles n’étaient çà et là percées à jour, quand mon compagnon met pied à terre  ; sa chaîne s’est dérivée  ; accident plus grave qu’une crevaison et troisième halte d’au moins 20 minutes, sans résultat. Nous terminons à pied et je prends les devants pour aller surprendre un de mes collaborateurs et amis qui habite cette étrange ville morte, dont la population, après avoir compté 3.000 âmes, est réduite aujourd’hui à cent habitants, dont quelques-uns vivent dans des grottes. Mon ami est absent, Mme B. nous accueille très aimablement et met à notre disposition pour réparer la chaîne tout l’outillage de son mari, cycliste émérite. Nous causons, nous espérons que M. V. B. rentrera assez tôt pour que nous puissions lui serrer la main. Mais le soleil a déjà disparu, et comme l’unique hôtel des Baux ne peut nous recevoir, toutes ses chambres ayant été retenues, nous devons chercher ailleurs un gîte pour la nuit qui s’annonce trop froide pour qu’il soit possible de coucher à la belle étoile.  »
Vélocio, «  Vallée du Rhône – Les Beaux  », Le Cycliste, mars-avril 1921, p.18-20 Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

En 1924, la randonnée pascale se transforma en excursion vers un meeting, avec une invitation à se rassembler aux Baux. Cette tradition allait se perpétuer jusqu’à aujourd’hui, reprise dès 1929 par les clubs cyclotouristes et leur fédération nationale.

MEETING PASCAL, 1924

«  Il n’y a pas à dire, plus je pratique la bicyclette, plus je la considère comme la plus merveilleuse invention du siècle en tant que moyen de locomotion commode, rapide, économique et hygiénique, comme l’invention la plus favorable au besoin de voyager inné chez l’homme, et enfin comme l’invention la plus imprévue.
Alors que la locomotion par moteurs animés ou mécaniques laissait prévoir, dès ses débuts, c’est-à-dire depuis des milliers de siècles, les perfectionnements que nous voyons réalisés aujourd’hui, rien ne laissait soupçonner, avant l’invention de la pédale, que l’homme pourrait un jour se déplacer par ses propres forces, à tout âge, sans fatigue et même avec profit pour sa santé, au point d’aller dans la journée à 250, à 300 et même à 400 kilomètres de chez lui, sans dépenser un sou de plus qu’il n’aurait dépensé en ne bougeant pas. Or, l’invention de la pédale ne date guère que de cent ans, en acceptant pour valables les revendications les plus sujettes à caution. On ne peut donc pas dire que nous avons trouvé la bicyclette dans l’héritage des siècles passés.
C’est à quoi je songeais en me rendant, ce 20 avril, au meeting des Baux, où j’allais rencontrer une vingtaine de fervents cyclotouristes venus des quatre coins de l’horizon  ; j’étais dans le ravissement  ; le temps était merveilleux, le vent favorable et les routes en excellent état  ; je retrouvais les routes d’avant guerre qui nous permettaient d’aller de Saint-Étienne en Avignon (220 km.) en dix heures  »
[....]
«  Quatorze heures ont sonné depuis longtemps quand je m’arrache aux douceurs du repos pour prendre mon dernier vol au sommet des alpines où je dois, à 15 heures, présider le meeting pascal du Cycliste. Grâce au vent qui me pousse en me rafraîchissant, je gravis sans peine cette dernière rampe et je suis, à l’heure prescrite, au milieu d’une vingtaine de cyclotouristes, des purs ceux-là, venus à grands coups de pédales de Nîmes, de Marseille, de Lyon, de Saint-Étienne et de localités plus voisines, affirmer leur fidélité à la Reine Bicyclette, au lieu même où troubadours et chevaliers chantèrent, il y a quatre et cinq cents ans les charmes de la Reine Jeanne et mirent à ses pieds leur foi et leur amour.
Quel site pittoresque que cet étroit plateau battu terriblement par le mistral au point qu’on ne peut s’y tenir droit partout et que les ruines encombrent, ruines du château royal, ruines des nobles demeures, ruines des masures de serf  ! Que de mélancoliques rêves s’en dégagent pour le penseur que le va et vient des touristes tutti frutti ne trouble pas, non plus que leurs exclamations parfois saugrenues  ! Nous passâmes là-haut plusieurs heures à parler cyclotechnique et cyclotourisme, les deux leitmotivs de nos meetings  ; nous examinâmes les machines qui, toutes, étaient, cela va sans dire, polyxées, avec prédominance des dérailleurs, système essentiellement français, né, pourrait-on dire, à Saint-Étienne, où les avantages des changements de vitesse ont été compris dès la première heure par nos constructeurs qui, maintenant, n’ont plus qu’à rivaliser entre eux à qui produira le plus simple, le plus pratique, le moins encombrant et surtout le moins coûteux dispositif.
En somme et pour finir comme j’ai commencé, il est une fois de plus démontré qu’à bicyclette un homme sans l’aide d’aucun moteur mécanique ou animé, peut, en partant de grand matin de Lyon ou de Saint-Étienne aller prendre un bain le soir dans la Méditerranée et rentrer le lendemain chez lui. C’est là un fait qu’il est d’autant plus intéressant de faire connaître que le même trajet en 3e classe ne coûte pas moins de 75 à 80 francs aujourd’hui. À ce prix le bain serait un peu cher et l’on n’aurait eu ni le plaisir, ni l’hygiène qui accompagnent une randonnée de 600 kilomètres.  »
Vélocio, «  Meeting pascal  », Le Cycliste, Mai-Juin 1924, p.60-62, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_14

En 1927, le rendez-vous pascal fut donné aux Baux le 17 avril. Le jeune Philippe Marre, qui allait reprendre ensuite le Cycliste, partit de Paris, avec l’intention de faire connaissance avec son directeur d’alors. Il avait rendez-vous à Lyon avec un ami, puis à Valence avec Vélocio et trois grenoblois  :

«  Midi sonnait, le samedi 16, quand j’arrivai sur la place Bellecour pour y retrouver Vincent. Le temps s’était mis au beau, et un vent du nord de bon augure nous poussait, après déjeuner, quand nous prîmes la route de la rive droite du Rhône. Les premiers arbres en fleurs, à Serrières, me plongèrent dans une joie naïve. Et voici qu’après Sarras, dans la courbe sous la voie ferrée, nous dépassons un cycliste à cheveux blancs. Je ne connaissais pas Vélocio, et aurais-je pu prendre garde à ce vieillard  ? Mais Vincent s’était arrêté. Il avait reconnu M. de Vivie. Il me présentait, riant de mon étonnement. Car j’étais stupéfait, j’avais imaginé un colosse, je voyais un «  petit vieux  »  ; j’avais cru trouver un fier-à-bras, je découvrais un vieillard tout simple, à la rude moustache blanche, au crâne chauve, aux yeux bleus d’une extraordinaire douceur mais aussi d’un singulier magnétisme  ; je pensais voir un vélo extraordinaire, et j’inventoriais un vieux clou au guidon duquel pendaient deux sacs à la diable, avec des pneus de facteur.
Je n’étais pas déçu, j’étais interloqué. Puis, rapidement, je devais comprendre. Nous repartîmes, sans pouvoir soupçonner que Vincent venait de souder, dans ce calme décor rhodanien d’une après-midi de printemps l’ancienne et la future (l’actuelle) direction du  «  Cycliste  ». Vélocio nous menait le train, et ce fut bien vite le 30 et le 35 à l’heure. Les pneus de facteur étaient en réalité les premiers pneus-ballons du marché français, et, sur la route alors mauvaise, semée de rechargements, je compris tout de suite qu’ils buvaient bien mieux l’obstacle que mes boyaux.
Nous étions à Valence à la tombée de la nuit pour y dîner et y retrouver quatre Grenoblois, dont M. et Mme Bouillier . À dix heures du soir, nous repartions en caravane, par une splendide nuit étoilée, poussés par un vent infernal.
Bien sûr, nous ne pédalions pas par amour-propre et, avec ce vent déchaîné, nous avions tout notre temps. Néanmoins, au bout de 20 kilomètres, nous avions semé nos camarades grenoblois. Nous ne faisions que suivre Vélocio, nous étions comme grisés par le vent, la clarté lunaire, l’aspect fantomatique des platanes et des montagnes de l’Ardèche. En moins de deux heures nous étions à Montélimar, et deux heures et demie plus tard à Orange. Une vraie débauche de sport. Trop en avance cette fois, nous attendions l’aurore à Orange. À Avignon, nous retrouvions des Lyonnais, nous montions à la promenade des Doms avant de repartir pour les Baux.
Sur la Roque Baussanne, dans ce décor inoubliable, qui pour moi était neuf, je goutais intensément la joie simple et forte d’avoir, en trois jours de pédalée intense, joint un nouvel univers, d’avoir, à la sortie des brumes de l’hiver parisien, retrouvé le soleil, le mistral, la Provence.
Vélocio, ce jour-là, rayonnait. À son appel, une centaine de cyclistes, d’amis, étaient venus de partout. À lui comme à tous, cette joie très pure suffisait.  »
Phillipe Marre, «  Vingt ans après  », Le Cycliste, p.64, 1947

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