Bicyclettes à roue libre (Octobre 1899)

dimanche 12 janvier 2020, par velovi

Par Paul de Vivie, Touring-Club de France, Octobre 1899

Le mouvement en faveur de la roue libre s’accentue et beaucoup de fabricants se préparent à doter, dès l’année prochaine, leurs bicyclettes de cet incontestable perfectionnement.
J’ai dit, dans un récent article, que j’étais grand partisan de la roue libre, mais que j’avais encore à étudier et à comparer les deux types principaux qui la représentent actuellement sur le marché et qui datent, l’un et l’autre, de plusieurs années, le type Juhel et le type Whippet.
Plusieurs sociétaires m’ont écrit pour m’engager à faire connaître le plus tôt possible, d’abord sur quoi je fonde mon appréciation de la roue libre, ensuite quelles sont les différences qui caractérisent les types Juhel et Whippet.
C’est à leur demande que répond cet article, incomplètement, je l’avoue, car nous ne sommes qu’à l’aurore de la roue libre et tous ses avantages de même que ses possibles inconvénients ne nous ont pas encore été révélés par la pratique, notre grand maître.
Mais, au fait, qu’est-ce donc qu’une bicyclette à roue libre et pourquoi avons-nous tardé si longtemps à en reconnaître les avantages puisqu’elle est tellement supérieure aux autres  ?
On appelle roue libre, roue folle ou encore roue indépendante, toute roue motrice de bicyclette ou de cycle quelconque qui échappe à l’action du moteur humain ou mécanique dès qu’on essaie de faire machine en arrière, de contrepédaler. Tant que dure l’entraînement en avant, la roue est actionnée, entraînée comme à l’ordinaire, mais dès que l’entraînement change de direction ou que son influence devient inférieure à celle d’une autre force favorable (vent dans le dos, descente, élan même de la machine), la roue échappe à votre contrôle, tourne plus vite que vous ne le voulez et filerait sous vous, à l’anglaise, en vous emportant Dieu sait où, si vous n’aviez à ce moment une arme puissante pour la rappeler à l’ordre et la faire rentrer dans le rang.
En elle-même, la roue libre est donc un danger et lorsque, au temps des Vélo-Michaux, ces terribles briseurs d’os, sur lesquels bon nombre d’entre nous firent leurs débuts entre 1870 et 1880, on appliqua, pour la première fois, la roue libre au vélocipède, on fit une fière sottise, car la seule arme qu’on laissait alors contre elle au vélocipédiste, un simple frein à cuiller ou à palettes, pouvait faire défaut à l’instant critique.
Cette sottise sur laquelle est venue, il y a quelques années, s’en greffer une seconde, lorsqu’on créa le Cycle idéal et autres systèmes ejusdem farinœ à leviers et à roue libre sans les munir de freins placés sous la dépendance directe du mouvement des pédales, a retardé de trente ans l’adaptation définitive de la roue libre à la bicyclette.
C’est que la roue libre n’est pratique, sûre, recommandable qu’à la condition d’avoir pour corollaire un frein commandé par les pédales, un frein sur lequel on agisse instinctivement et, pour ainsi dire, automatiquement, dès qu’on sent le besoin de modérer cette folle, qui, si l’on n’y prenait garde, vous mènerait droit aux abîmes.
Tel fut du reste le motif qui l’empêcha d’être adoptée, il y a trente ans, et qui lui permet de se présenter aujourd’hui comme une véritable nouveauté.
En 1895 ou 1896 les fabricants des cycles Whippet, en Angleterre, songèrent à reprendre cette vieillerie et à la compléter par un frein à tambour qui entrait en action lorsque, en contrepédalant, une des manivelles venait, à un certain point correspondant exactement à la position de descente par la pédale, en contact avec le levier du dit frein.
À la même époque, M. Juhel inventait, en France, le frein qui porte son nom et qui, au point aussi près que possible de la perfection auquel il l’a amené, me semble réaliser la solution la plus complète, mais non la moins coûteuse et peut-être aussi la plus délicate, du problème.
Monsieur le docteur Mathieu a publié l’année dernière sur l’Indépendance des pédales avec le frein Juhel un opuscule fort intéressant dont un extrait avait paru en octobre 1897 dans la Revue du T. C. F.  ; mais il ne s’agissait dans cet extrait que des avantages de la roue libre et il n’y était malheureusement pas question de son indispensable satellite, le frein commandé par les pédales, si bien que les cyclistes — quorum pars — que cette complète liberté de la roue effrayait, ne prêtèrent pas alors, à l’énumération de ces avantages, toute l’attention nécessaire.
L’auteur était cependant, plus que tout autre, qualifié pour traiter avec autorité cette question car, nous avoue-t-il, «  depuis vingt-neuf ans je pratique le système du repos sur les pédales, avec une économie de fatigue dont on ne se fait pas une idée et sans qu’il me soit absolument rien arrivé de fâcheux  ».
À vrai dire, la première fois qu’on monte une bicyclette à roue libre, on est tout désorienté ; au moindre cahot la pédale vous échappe et vous ne savez plus la retrouver  ; pour chausser les cale-pieds c’est toute une affaire ; si l’on contrepédale instinctivement pendant un virage ou devant un encombrement, on est presque effrayé de sentir que la machine n’obéit pas et l’on serre éperdument le levier de frein.
Il ne faut donc pas s’étonner que ceux qui jugent — et ils sont nombreux — d’après leur première impression, rejettent la roue libre, la déclarent dangereuse et sans avenir.
J’ai failli retomber — j’y suis, je m’en confesse, déjà tombé souvent — dans ce travers, quand j’essayai, au début de cette saison, une bicyclette à roue libre je manquai mon premier virage et en voulant ralentir j’appliquai le frein si brusquement que je fus forcé de vider les pédales.
Je persistai néanmoins, mais ce ne fut qu’après une dizaine de sorties que je finis par percevoir la supériorité manifeste du système et par convenir qu’il ne tarderait pas à s’imposer urbi et orbi.
Le grand — quelques-uns, mais je ne suis pas de ceux-là, disent l’unique - avantage de la roue libre consiste dans la suppression complète de tout le travail du contrepédalage et de toutes les pertes de force vive causées par les trépidations, les cahots, les menus obstacles, voire par les distractions du cycliste lui-même.
Le travail que l’on produit en contrepédalant, travail négatif s’il en est, n’est pas une quantité négligeable et peut, lorsqu’il est de longue durée, fatiguer les muscles à un degré excessif.
Ainsi notre savant collègue l’Homme de la Montagne, à qui revient l’honneur d’avoir mis en lumière les merveilleux effets des faibles développements, me confiait dernièrement qu’à dévaler dans la journée de 2,000 mètres d’altitude en contrepédalant constamment il se fatiguait au point d’être incapable d’effectuer l’étape du lendemain. Il n’est pas superflu d’ajouter que les étapes de l’Homme de la Montagne sont toujours agrémentées de grimpettes à 6, 8 et 10 % pendant la moitié du parcours.
Par l’emploi des grandes multiplications et de freins spéciaux j’étais arrivé, même avant de pratiquer la roue libre, à me soustraire complètement à cette absurde fatigue et j’ai pu, le 13 août dernier, au début d’un voyage en Suisse, (1) faire, sans conséquence fâcheuse pour les étapes suivantes également assez dures, un trajet que l’on s’accorde pour qualifier de pénible : Grenoble à Chambéry par les cols de Porte, du Cucheron et du Frêne, Albertville, Ugines, Mégève, le Fayet et Chamonix. La longueur de cette étape est de 183 kilomètres pendant lesquels on s’élève de 3,500 mètres et l’on descend de 2,800 mètres.
J’étais donc bien préparé à apprécier les mérites de la roue libre pendant les descentes, et comme personne raisonnablement ne saurait les contester, je ne m’y appesantis pas davantage.
En terrain horizontal, ces mérites sont peut-être plus difficiles à saisir et l’on peut même, sans être traité d’hérétique, n’être pas de l’avis du docteur Mathieu, lorsqu’il assure que nous aurions avantage à pédaler par intermittences en imprimant à la machine par une cadence rapide de courte durée une allure très vive et à nous laisser rouler ensuite sans pédaler sous l’impulsion de la vitesse acquise que l’on relèverait par quelques foulées vigoureuses avant qu’elle ne se soit trop abaissée.
Cette théorie vient à l’encontre de celle qui nous a guidé jusqu’à ce jour et qui conseille le travail uniforme, les mouvements rythmés, la pression régulière ; au reste, M. le docteur Mathieu appuie sa théorie sur des raisons d’ordre physiologique que, faute de compétence, il ne m’est pas possible de discuter et je laisse ce soin à de plus savants que moi.
Je n’en essaierai pas moins de comparer sérieusement et longuement (car en de telles matières des essais d’une heure ne prouvent rien) par la pratique, les deux méthodes, dès qu’il me sera possible de le faire.
Cette réserve faite, je suis tout à fait d’accord avec le docteur Mathieu lorsqu’il corrobore par son expérience de trente ans de pédale indépendante, les observations suivantes du capitaine L. de N., consignées dans un article publié par la Revue du T.-C.-F. en octobre 1896  : «  Tout le monde sait combien il est difficile, en terrain un peu irrégulier, de ne pas pédaler à faux, de ne pas contrepédaler, par exemple, quand la vitesse de la machine s’accroît en tombant dans un creux. En pareil cas, les pédales tendant à aller plus vite que ne le veut le cycliste, ce dernier exerce généralement sur elles un effort en sens inverse, qui l’empêche de profiter de l’accroissement spontané de la vitesse.
«  Avec la roue libre, les choses changent ; dès que la vitesse de la roue dentée tend à dépasser celle des pieds du cycliste, la roue dentée se débraye d’elle-même et se met à tourner plus vite que les pédales, sans entraîner celles-ci le moins du monde.
«  Il résulte de là que le cycliste profite inconsciemment de toutes les accélérations positives que la machine tend à prendre sous l’influence de l’irrégularité du sol.  »
Voilà la formule qui résume d’une façon aussi nette que concise les avantages de la roue libre en terrain horizontal.
À la montée, la roue libre ne paraît pas, de prime abord, être en quoi que ce soit supérieure à la roue ordinaire ; elle l’est pourtant encore, quoique indirectement, en ce que vous aurez, grâce à elle, appris à pédaler parfaitement rond et que cette façon de pédaler facilite singulièrement l’ascension des rampes. Un cycliste qui s’obstinerait à pistonner sur ses pédales ne pourrait faire dix mètres sur une roue libre.
L’étude expérimentale du coup de pédale que M. Bouny a publiée dans la Revue du T. C. F. du mois dernier, éclaire d’une lueur très vive cette question et attire l’attention et par conséquent la discussion sur quelques points qui demandent à être élucidés  : Quel est le meilleur coup de pédale à la montée, en plaine, à la descente  ? Quand faut-il pédaler de la pointe et quand faut-il jouer de la cheville  ? La position du pied sur la pédale doit-elle être immuable et assurée par le cale-pied, ou bien se trouvera-t-on mieux de pouvoir la faire varier  ? Enfin (et ce dernier point m’intéresse tout particulièrement parce que je sais que des cyclistes très exercés ont été d’un avis diamétralement opposé au mien), pour gravir une côte, est-il ou non avantageux de se rapprocher des pédales, c’est-à-dire de diminuer la distance entre la selle et les pédales  ?
La roue libre a d’autres menus avantages qui, à eux seuls, ne suffiraient certainement pas pour l’élever au rang suprême mais qu’il est juste d’énumérer à titre d’indications.
Elle permettrait, par exemple, d’abaisser le pédalier jusqu’à ne laisser que trois ou quatre centimètres d’intervalle entre le sol et les pédales, leur point le plus bas  ; ce serait la solution du problème, jusqu’ici insoluble, qui consiste à concilier la mise en selle directe par enjambement et la tension normale de la jambe entre la pédale et la selle, celle-ci étant placée le bec verticalement au-dessus de l’axe du pédalier.
Des bicyclettes ainsi établies conviendraient très bien aux membres ankylosés, aux caractères timorés, aux personnes âgées.
La roue libre détruit l’objection qu’on a faite avec raison aux pédales trop rapprochées du sol, puisque, au moindre heurt, la pédale se relève et s’immobilise sans que la roue cesse son mouvement en avant. Avec une bicyclette à roue libre j’ai pu passer au ras d’un trottoir sans autre conséquence qu’un arrêt de la pédale, alors qu’avec une autre machine, j’aurais été désarçonné ; même avec des pédales à trois ou quatre centimètres au-dessus du sol, on pourrait donc passer la nuit, sans accident, à côté de ces grosses pierres dont les charretiers calent les roues de leurs charrettes et dont ils oublient généralement de débarrasser la chaussée.
Sur les pavés gluants et partout où le glissement latéral est à redouter, la roue libre permet au cycliste de passer, de planer, suivant l’heureuse expression du docteur Mathieu, sans appuyer sur les pédales  ; tout en évitant ainsi de déterminer, par des poussées latérales, la dérobade du pneu, il se tient prêt, en cas de chute inévitable, à se laisser tomber sur les pieds.
Le développement des bicyclettes à unique multiplication pourra, grâce à la roue libre, être modifié dans le sens le plus raisonnable, c’est-à-dire, être abaissé de façon à faciliter la montée des côtes, sans préjudice de la vitesse en plaine, surtout si la théorie du docteur Mathieu, à propos de laquelle j’ai réservé mon opinion, se trouve confirmée. En effet, du moment où, pendant les descentes, alors que nous marchons à l’allure maxima, nous n’avons plus besoin d’accompagner les pédales, il nous importe peu que celles-ci tournent à 80, 100 ou 120 tours à la minute, puisqu’elles s’arrêteront dès que nous les toucherons du bout du pied  ; nous aurons donc tout intérêt à choisir notre développement spécialement en vue de la montée, et à prendre 4 mètres ou 4 m. 5o, là où nous aurions pris 5 ou 6 mètres.
Les rampes seront aisément enlevées  ; pendant les descentes nous immobiliserons nos pieds sur les pédales, ou bien nous les placerons sur les repose-pieds, et, en terrain plat, quand nous voudrons aller plus vite que ne le comportent 4 mètres ou 4 m. 5o avec 80 tours de pédale à la minute, c’est-à-dire quand nous voudrons marcher à plus de 20 kilom. à l’heure, nous donnerons de temps en temps quelques rapides coups de pédale suivis de repos complet, et notre train moyen pourra s’élever ainsi à 25 kilom. à l’heure, même avec le faible développement de 4 mètres.
Mais, je crois devoir le répéter en terminant, tous ces avantages et tous ceux qu’on pourra ultérieurement découvrir à la roue libre ne serviraient de rien sans un frein sûr et puissant, commandé par les pédales, agissant au moment même où instinctivement on s’efforce de contrepédaler. La jambe est incomparablement plus forte que la main lorsqu’il s’agit d’exercer une pression sur un levier de frein, et il n’est rien de si facile que de l’utiliser, ainsi que nous le prouvent les freins Juhel et Whippet dont il me reste à faire valoir les mérites respectifs.
Le frein Juhel, dont il m’est impossible de donner une description compréhensible sans un schéma à l’appui, contient tout à la fois le tambour qui sert de frein, et le système qui rend la roue libre dès qu’on contrepédale  ; il se place soit sous la roue dentée du pédalier, soit sur le moyeu de la roue motrice. Son action est telle que dès qu’on cesse de pédaler et qu’on se contente de s’opposer au mouvement en avant des pédales, la roue devient libre et que, dès qu’on commence à contrepédaler, le frein agit, cela quelle que soit la position des manivelles. On conçoit alors qu’il peut y avoir pour un novice une certaine difficulté à se tenir dans le juste milieu entre la pression et la contrepression, à ce point précis où la roue motrice n’étant ni entraînée en avant par la poussée sur les pédales ni retardée par la friction du cuir sur le tambour du frein, obéit librement à l’action de la pesanteur ou de la force vive.
J’ai remarqué qu’un cycliste avec lequel je sors quelquefois et qui monte depuis deux ou trois ans une bicyclette munie du frein Juhel se tient à ce moment-là à peu près comme une cigogne au repos, une jambe tout à fait tendue sur la pédale à son plus bas point, l’autre tout à fait repliée sur l’autre pédale à son plus haut point. C’est évidemment là la meilleure position pour éviter des contre-pressions involontaires  ; d’autres fois ce cycliste se soulève entièrement au-dessus de la selle et laisse porter tout son poids sur les deux pédales horizontales (excellente méthode, qui constitue un nouvel argument en faveur de la roue libre, pour se soustraire aux trépidations en franchissant un mauvais passage) : dans ce cas, le poids étant réparti par parties égales sur chaque pédale, les contrepressions sont également évitées.
Je ne pense pas que l’appareil Juhel condamne ceux qui s’en servent à ces deux seules positions, mais il est incontestable que ce sont les deux positions où le poids des jambes s’équilibre le plus exactement.
J’ai entendu faire à ce système plusieurs objections  : qu’il était de construction bien difficile, que ses organes étaient délicats et exposés à se détraquer, que son prix serait toujours très élevé surtout lorsqu’il s’agirait de l’adapter à d’anciennes machines et enfin qu’il se trouvait sous l’étroite dépendance de la chaîne et que, celle-ci venant à se rompre ou à se détacher, il deviendrait du coup inutilisable.
Les deux premières objections se sont évanouies devant l’habileté des constructeurs ; l’appareil Juhel a fait aujourd’hui ses preuves et démontré qu’il est robuste et qu’il résiste avant de broncher à dix ou douze mille kilomètres ; mais les deux dernières objections subsistent et expliquent la concurrence que le frein Whippet est venue faire au frein Juhel.
Le système Whippet, au lieu d’être un tout indivisible comme le Juhel se compose de deux organes absolument distincts  : 1° celui de la roue libre qui consiste simplement en ceci que le pignon de la roue motrice au lieu d’être rigidement lié au moyeu est séparé de celui-ci par une couronne d’entraînement tantôt à galets, tantôt à rochets et cliquets, tantôt à billes où à coins, qui dès qu’on contrepédale, débraye le pignon et laisse la roue libre ; 2° celui du frein qui consiste soit en un tambour fixé sur le moyeu de la roue motrice, soit en un long et large patin frottant sur le bandage, soit en deux patins faisant friction sur les bords de la jante. Quel que soit son mode d’action sur la roue, le frein est commandé par un ou deux leviers sur lesquels les manivelles viennent exercer une pression plus ou moins énergique lorsqu’on contrepédale.
Ce frein est donc comme le frein Juhel, commandé par les pédales, mais il est tout à fait indépendant de la chaîne à tel point que le cycliste pourrait, au commencement d’une longue descente, mettre sa chaîne dans sa poche sans que le frein cessât d’agir.
Mais on conçoit que ce frein ne peut être mis en mouvement par chaque manivelle que dans une position, qui est la position horizontale arrière, c’est-à-dire celle où la jambe a le plus de force, celle que l’on choisit naturellement avec le frein Juhel lorsqu’on veut freiner énergiquement.
L’action du frein Juhel est circulaire et par conséquent continue puisque chaque pied peut freiner avec plus ou moins de force, il est vrai, pendant tout le demi-cercle arrière que décrit la manivelle, tandis que celle du frein Whippet n’est au maximum, si je puis m’exprimer ainsi, qu’à deux temps.
Je ne crois pas qu’il y ait là, pratiquement, une bien grande cause d’infériorité et l’on pourrait même, sans bien chercher y trouver une cause de supériorité. - En effet, les cyclistes qui pratiquent depuis longtemps la roue libre en montagne, c’est-à-dire sur le terrain qui lui convient le mieux, sont d’accord sur ce point qu’il est préférable pendant les descentes longues à pente modérée et sol uni de placer les pieds sur les repose-pieds au lieu de les laisser sur les pédales immobiles. On se repose ainsi plus complètement, disent-ils, et je les crois sans peine. S’agit-il, dans cette position, de rattraper les pédales pour freiner, le frein Juhel entre en action au premier contact du pied, donc au moment où la pédale se trouve à son point le plus haut et où la manivelle, c’est-à-dire le levier sur lequel la jambe exerce sa pression, est aussi court et désavantageux que possible  ; le freinage ne pourra donc pas être immédiatement énergique  ; le frein Whippet, au contraire, n’entrera en action que lorsque le pied aura ramené en arrière la manivelle jusqu’à la position horizontale, soit au point où ce même levier est aussi long que possible, le freinage pourra donc être porté de suite au maximum.
Mais ce sont là vétilles et le véritable avantage du frein Whippet, c’est son bas prix et sa facilité d’adaptation même aux bicyclettes qui n’auraient pas encore la roue libre  ; car rien n’empêcherait dans ce cas, le cycliste de mettre sa chaîne dans sa poche au début d’une longue descente en partant, par exemple, du Galibier pour Valloire ou du Col du Lautaret pour La Grave et de jouir par ce subterfuge du bénéfice de la roue libre.
Comme d’autre part il ne sera ni bien difficile ni bien coûteux d’adapter un pignon à déclenchement aux bicyclettes actuelles, nos vieilles montures pourront, à peu de frais, être transformées en bicyclettes à roue libre avec frein commandé par les pédales.
Adopter la roue libre, les freins puissants qui permettent de se servir des repose-pieds, les multiples développements, revenir aux pneumatiques de gros calibre, ce serait faire enfin un pas décisif dans la voie du cyclisme pratique, vers la bicyclette idéale du touriste  ; ce serait rompre carrément en visière avec cette idée trop ancrée dans le cerveau des fabricants et malheureusement aussi dans l’esprit des trois-quarts des cyclistes, que la bicyclette du touriste doit fatalement dériver de celle du coureur.
Or, roue libre, freins, repose-pieds, bicyclettes à trois ou quatre développements, gros pneus, en quoi cela peut-il intéresser les coureurs  ?
Donc que les touristes s’en passent  ! Voilà comment on déraisonne depuis dix ans.
L’heure ne vous semble-t-elle pas venue de raisonner un peu plus sainement et de tirer une ligne de démarcation bien nette entre les bicyclettes de course ou de promenade et les bicyclettes de grand tourisme  ?
P. DE VIVIE.
(1) La relation de ce voyage a paru dans Le Cycliste du 31 août 1899.


Voir en ligne : Gallica

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