DE SAINTTIENNE A THIERS ENLOCIPÈDE (1887)

dimanche 3 mars 2024, par velovi

Le cycliste forezien, 08.1887

COMPTES RENDUS
DE SAINTTIENNE A THIERS ENLOCIPÈDE (I) Saint-Bonnet. — Usson. — Pontempeyrat

Le samedi 12 mai, à sept heures du soir, ainsi que l’avait annoncé le Petit Stéphanois, nous partions joyeux et fiers d’aller parcourir des routes encore vierges des empreintes du bicycle.
Après avoir espéré que le Club tout entier des Cyclistes stéphanois serait de la partie, nous ne nous, sommes trouvés que deux, Fantasio et moi, au moment du départ  ; mais, Fantasio présent, cela suffisait pour que le Club fût dignement représenté.
Quelques amis qui nous avaient accompagnés s’arrêtent à La Fouillouse, en nous souhaitant un heureux voyage. Nous nous hâtons, car la nuit nous gagne et nous enveloppe un peu avant Andrézieux.
C’est au clair de la lune que nous traversons la Loire et que nous arrivons à Bonson, d’où le train de neuf heures nous emporte à Saint-Bonnet-le Château.
Il était trop tard, beaucoup trop tard, pour visiter la ville et nous livrer au souvenir des Romains, de Sanctus Bonetus et de Mandrin.
A peine laissons-nous à un docte indigène le temps de nous dire en deux mots, comme quoi, en 1754, ce Mandrin, ce terrible brigand, dont les mamans ont parlé bien souvent à leurs enfants, arriva un beau soir à Saint-Bonnet — comme nous, mais pas en vélocipède, — s’empara de la caisse des gabelles et força les marchands à lui acheter les ballots de tabac et de marchandises qu’il avait , apportés, puis se retira tranquillement après avoir accordé quelques jours de repos et de bombance à ses hommes.
Sans bombance, nous voulons prendre quelques heures de repos  ; mais nous dormons mal dans une chambre froide et des draps humides.. Aussi, dès quatre heures du matin, sommes-nous debout en train d’astiquer et de graisser nos machines. A cinq heures, nous partons  ; c’est ici que commence véritablement notre voyage.
Inutile de dire que, dans la montagne, comme dans la plaine, le temps a été constamment superbe.
En sortant de Saint-Bonnet-le-Château, la route monte pendant quelques kilomètres  ; notre marche en est naturellement ralentie, et nous profitons de ce répit pour admirer les sites charmants qui se déroulent et se renouvellent à chaque instant devant nous. Puis la route descend et nous pouvons nous lancer à toute vitesse. Autour de nous, dans les bas-fonds, où le soleil n’a pas encore dardé ses rayons, les prés sont blancs de givre. Il serait malsain de s’arrêter parla.
(1) [1]]
Du reste, nous voici à Estivareilles. Il y a encore peu de monde hors du lit. Les jours de fête on dort la grasse matinée  ; cependant, à l’air ébahi des bonnes gens que nous rencontrons, il est aisé de voir que nous faisons sensation.
Estivareilles est célèbre par ses écrevisses, qui foisonnent dans l’Andrable, et c’est une renommée qui en vaut bien une autre.
Après Estîvareilles, nous traversons Usson où nous voyons les traces encore fumantes d’un terrible incendie, puis nous descendons au milieu de grands bois de pins jusqu’à Pontempeyrat.
Rapides comme l’éclair, nous surprenons aux détours de la route, des groupes de paysans et de paysannes qui, des hameaux voisins, se rendent a l’église  ; à chaque nouvelle rencontre ce sont des cris de frayeur, des exclamations, des rires, des bras levés au ciel et, quoique nous ayons fait notre possible pour qu’on nous prît pour ce que nous étions réellement, de joyeux excursionnistes, nous craignons qu’on ne nous range désormais, dans les contes des veillées d’hiver, parmi les sorcières et les démons qui se rendent au sabbat sur des montures fantastiques.
Le village de Pontempeyrat n’offre rien de remarquable, si ce n’est sa situation au fond d’une gorge très étroite qui force les maisons à se monter les unes sur les autres.
Placé sur la voie romaine de Saint-Paullien à Feurs, dont les vestiges sont encore visibles, il tire son nom du pont qui‘s’y trouvait jeté sur la rivière d’Anse et„ qui .était évidemment de construction romaine (Pons imperatoris). Ce pont s’écroula vers
l’an.1820, et il parait qu’on trouva dans la culée, côté nord, un bas relief figurant un César assis et ayant devant lui un paysan gaulois qui présente un animal qu’on croit être un agneau. Nous pourrions aller voir cette curiosité au musée du Puy, mais ce n’est pas notre chemin et, franchement, le détour à faire serait un peu long.
Nous nous arrêtons un instant, pour reprendre haleine, à la porte de l’humble chapelle où, quoiqu’il fût à peine 6 heures 1/3, on chantait déjà la grand’messe. Puis, en plein soleil, et pendant trois quarts d’heure, nous poussons vaillamment nos montures jusqu’au sommet de la côte qui domine Craponne.

Craponne. — La Chaise-Dieu. — Ariane
Nous faisons une entrée triomphale à Craponne.
En un clin d’œil une foule considérable s’est amassée autour de nous et nous avons toutes les peines du monde à nous frayer un passage jusqu’à l’hôtel du Forez où, pour peu d’argent, nous avons copieusement déjeuné.
Ce n’est pas une des moindres joies du vélocipédiste d’éveiller ainsi l’attention de toute une population dans des localités où l’absence des chemins de fer fait apprécier à sa juste valeur notre rapide moyen de locomotion.
A Craponne, on commence à nous parler des eaux de la Sucheyre qui se trouvent à peu de distance. Ce sont, paraît-il, des eaux minérales ferrugineuse et gazeuses dont la principale propriété consiste à servir, pendant la belle saison, de lieu de rendez-vous à la jeunesse huppée de la contrée.

Les sources appartiennent à des paysans qui, moyennant vingt centimes par jour et par personne, vous y laissent barboter à votre aise comme des canards dans une mare. C’est on ne peut plus primitif et nous espérons espérons bien qu’il ne se
formera pas de si tôt de société anonyme pour exploiter ces sources au moyen de ses actionnaires, ou plutôt ses actionnaires au moyen de ces sources.

A Jullianges, Fon tun gcs et la Borie, on nous vante encore les qualités de ces eaux et l’on nous engage à aller les visiter   ; mais cela nous écarterait un peu de notre route et nous n’avons pas de temps à perdre. Nous laissons Félines à notre gauche et après avoir de nouveau traversé de grands bois qui nous rappellent ceux de la République, nous arrivons un peu avant midi à la Chaise—Dieu, a une altitude de 1,115 mètres.
La première chose qu’on nous apprend à l’hôtel du Lion-d’Or, où nous allons nous reposer, c’est que, quelques jours auparavant, un tricycliste du Puy a suivi notre route en allant à Paris où il devait arriver en 6 jours, sous peine de perdre un pari important  ; nous avons ensuite retrouvé les traces de cet intr’épide véloceman à Arlanc, Ambert et Pont-de-Dore.
La Chaise-Dieu est célèbre par son antique abbaye, classée aujourd’hui parmi les monuments historiques et à ce titre entretenue aux frais de l’État. Cependant, malgré cette touchante sollicitude, le cloître tombe en ruines et l’église est pleine de rhumatismes et de pleurésies. Aussi, n’y avons nous fait qu’un court séjour, malgré les beautés incontestables qu’elle renferme et qui auraient mérité un examen approfondi.
Les stalles des anciens moines, les vieilles tapisseries qui entourent le chœur, les Morgues, magnifiques en bois sculpté, aux tuyaux d’argent, dont on a offert, dit-on, deux cent mille francs, les vitraux, les inscriptions qui couvrent les dalles, tout est fait pour exciter la curiosité des visiteurs, mais la fraicheur glaciale qui tombe de ses voûtes, le froid mortel dont on se sent enveloppé, l’humidité qui suinte à travers ces vieux murs, recouverts d’une mousse verdâtre de mauvais augure, vous obligent à battre promptement en retraite et l’on s’étonne qu’il y ait encore des fidèles assez fervents pour assister aux offices dans une pareille glacière.
Un vieux paysan, quelque peu parpaillot, nous a confié que bien des gens de la campagne étaient morts à la suite de maladies contractées dans cette église sépulcrale  ; quant à lui, disait—il, il y avait peu de probabilités qu’il mourût de la même façon.
A l’extérieur, les murailles sont tapissées d’une végétation luxuriante des arbustes d’assez grande dimension se développent entre ciel et terre et contribuent à entretenir à l’intérieur cette température malsaine.
Comme nous n’avions plus que trente-trois kilomètres à faire pour gagner notre gîte à Ambert, nous laissâmes passer la grosse chaleur tranquillement assis sur la terrasse d’un café, en face de l’église, et nous ne nous remîmes en selle qu’à 4 heures 1/2.
En quarante minutes, nous descendons une pente de dix-sept kilomètres, qui de 1.115 mètres d’altitude nous ramène à 600 mètres. A l’exception de un ou deux kilomètres après le Pont-au-Merle sur la Dolare que nous côtoyons quelque temps, la route descend, descend toujours, et nos bicycles filent comme le vent.
Après avoir passé Ariane, nous suivons une belle ligne droite de 16 kilomètres qui partage en deux la vallée de la Dore et qui nous conduit jusqu’à Ambert ; le soleil couchant nous caresse de ses derniers rayons et nous nous laissons aller au gré de nos montures qui roulent sans effort sur un terrain ferme et bien aplani. (A suivre).

COMPTES RENDUS
de Saint-Étienne a thiers en velocipede
(Suite)

Ambert. — Olliergues, Pigouby. Courpière. Pont-de-Dore.
Courpiéres.
Nous étions attendus à Ambert. Le Pelit Stéphanois avait apporté jusque là la nouvelle de notre arrivée  ; l’exagération s’en était mêlée et l’on espérait voir au moins une vingtaine de tricycles ou de bicycles  ; ce qui, assurément, eût été un beau spectacle.
Aussi une grande partie de la population s’était-elle portée au devant de nous et l’on dut éprouver quelque désappointement lorsqu’on ne vit arriver que la dixième partie de ce qu’on espérait.
Fantasio qui, mieux monté, m’avait devancé, fit en m’attendant le tour de la ville et recueillit sur son passage les témoignages d’une sympathie qui, sans s’afficher bruyamment, s’affirmait d’une façon discrète et affectueuse. C’est que, sans le savoir, nous tombions dans un centre imprégné de souvenirs vélocipédiques.
Ambert vit, il y a 10 ou 15 ans, tout ce qu’il . comptait de personnages notables s’adonner avec passion à cet exercice. Il nous a même été dit qu’alors le procureur de la République lui-même, ne craignait pas d’aller sur ces méchants vélocipèdes de bois que nous dédaignons aujourd’hui, réfléchir chemin faisant à quelque affaire embrouillée.
Nous eûmes, d’ailleurs, l’occasion de voir parader sous nos fenêtres un de ces vieux instruments de torture, tiré pour la circonstance du fond de quelque grenier. Un jeune amateur ambertinois, qui cultive facilement l’hyperbole, nous a assuré que, sur un de ces véhiculés primitifs, il allait pendant 8 ou 10 kilomètres à raison de 34 kilomètres à l’heure, quand de Civry, le champion de France et le vainqueur de toutes les courses de vélocipèdes, n’obtient, avec les machines les plus légères et les plus parfaites, qu’une vitesse maximun de 32 kilomètres à l’heure.
Les blagueurs ne sont pas tous à Marseille.
Nous aurions pu, à Ambert, passer une nuit excellente, si un malencontreux charlatan n’eût pas eu la cruelle idée de venir s’installer, musique en tête, et quelle musique ! à quelques mètres de notre hôtel. Je l’entendais haranguer les badauds, débiter son baume souverain, puis la grosse caisse revenait à la charge. J’ignore jusqu’à quelle heure ce vacarme a duré, le sommeil ayant fini par en avoir raison.
Le lendemain lundi, au point du jour, nous laissions Ambert derrière nous en emportant de notre court passage dans cette petite ville, un souvenir très agréable, soit à cause de sa situation enviable sur la Dore, au pied de hautes montagnes, qui, l’été, l’inondent de fraîches et vivifiantes senteurs et l’hiver, l’abritent des vents du Nord  ; soit à cause de l’amabilité et de la courtoisie que nous avions rencontrées chez ses habitants.
D’Ambert à Olliergues, la route ne s’écarte pas un instant de la Dore et rien ne saurait égaler la délicieuse sensation que l’on éprouve à fendre rapidement l’air frais du matin, le long de cette jolie rivière aussi poétique que le Lignon, qui, tantôt, se brise en cascades sur les rochers et, tantôt, s’étale calme et limpide entre ses rives.
Quand on est ainsi sous le charme, on file, on file sans s’en apercevoir et l’on arrive à Olliergues — vingt-quatre kilomètres — en une heure et demie.
La contemplation de la nature ne suffisant pas à nourrir la bête, nous nous réconfortons par un solide déjeuner et, après un coup d’œil jeté sur les travaux du chemin de fer qui, sous-peu, reliera Ambert à Thiers, nous voici derechef sur la grand’route.
Il est 7 heures  ; le soleil a monté à l’horizon et nous éprouvons déjà ces picotements avant-coureurs d’une transpiration bienfaisante. La journée s’annonce comme devant être très chaude. Aussi noire vitesse diminue-t-elle sensiblement ; d’autant plus qu’à 6 kilomètres d’Olliergues, Pont-de-Giroud, au lieu de continuer à suivre paisiblement la Dore, la route serpente pendant 3 kilomètres sur les flancs d’une colline qu’il est impossible de gravir autrement qu’à pied.
De Pont-de-Giroud à Thiers, le chemin de fer est sur le point d’être livré à la circulation  ; les travaux sont terminés et acceptés, et le service commencera, dit-on, dans quelques jours. Jusqu’au complet achèvement de la ligne, c’est donc la station de Pont-de-Gîroud qui desservira Ambert.
Vive Pigouby  ! C’est ainsi qu’on appelle le sommet de la côte que nous avons péniblement escaladée : il est à peine huit heures, et déjà la sueur ruisselle sur notre front. Et penser qu’à cette même heure nos dignes citadins se lèvent à peine, et, entr’ouvrant leur fenêtre, s’écrient avec un en semble touchant : «  Quelle fraîche et belle matinée !  »
Ah  ! braves gens, que ne nous avez-vous suivis à Pigouby   !
Comme sur toutes les hauteurs qui se respectent, à Pigouby il y a un ermite. Il nous offre l’hospitalité, nous invite à nous asseoir un instant à son foyer, et, comme il est ami du progrès, il s’enquiert avec intérêt de ce que peut coûter un bicycle. L’excellent homme a passé la soixantaine, mais il ne lui déplairait pas d’enfourcher un vélocipède. Bravo  !... Seulement, il ne faudrait plus demeurer à Pigouby. [2]]
Après la montée, la descente : c’est assez la règle  ; mais, cette fois, la descente est un vrai casse-cou, et nous sommes entraînés avec une telle vitesse que les sept kilomètres qui nous séparent encore de Courpiéres sont franchis en quinze minutes.
Par Jupiter  ! il n’aurait pas fallu qu’une bande de canards — ils sont nombreux, dans ce pays — se trouvât devant nos roues  ! Nous en aurions occis au moins une demi-douzaine, comme il advint de cette dinde infortunée qui, naguère, dans un cas semblable, s’était rencontrée sous le bicycle de notre ami regretté, ventre à terre.
O Courpiéres, ville coquette, penchée sur la Dore et cachée dans les feuilles, nous te saluons  ! Tu nous apparais comme un de ces sites enviés qui font dire au voyageur :. .
C’est là que je voudrais vivre,
Aimer et mourir
le plus tard possible.
Mais l’heure nous presse, le soleil, de plus en plus ardent, nous talonne, et, si nous nous arrêtions, nous ne pourrions plus repartir.
A 9 heures 1/2, nous atteignions le terme de notre voyage : le Pont-Rouge, que l’indicateur Chaix a rebaptisé le Pont-de-Dore. La chaleur est accablante et il serait imprudent de courir plus longtemps. Du reste, un accident survenu à un de nos bicycles, nous force à recourir à l’obligeance du P.-L.-M. pour nous ramener à Saint-Etienne. Nous avions fait en véloce 150 kilomètres.
Que-vous dirai-je de plus  ! Nous remisons nos machines à la garer et, en attendant l’heure du départ, nous contemplons des bords de la Dore, la ville dé Thiers, pittoresquement assise sur les flancs étagés de la montagne.
Pendant que nous courions ainsi à travers l’Auvergne, d’autres membres du Club des Cyclistes stéphanois allaient flâner sur les bords du Rhône de Givors à Vienne  ; d’autres encore, jeunes époux, montés sur leur Sociable, poussaient amoureusement leurs pédales dans des sentiers solitaires et allaient cacher dans l’ombre et le mystère les doux sentiments que les premiers feux du printemps avaient éveillés dans leur âme.
Et voilà pourquoi, naïades de la Dore, vous n’avez vu sur vos rives enchantées que Fantasio et Velocio.


[1[Le récit de cette excursion a déjà paru au moment où elle fut faite, dans le Petit Stéphanois. Nous croyons cependant intéressant de le publier de nouveau, car il est plus que probable qu’elle sera renouvelée cette année par plusieurs veloce-men stéphanois.

[2[Cet excellent homme a été assassiné peu de temps après notre passage et il est probable qu’aujourd’hui Pigouby est désert.

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