CONCOURS DE BICYCLETTES DE TOURISME (1902)

lundi 19 février 2024, par velovi

CONCOURS DE BICYCLETTES DE TOURISME

Ballif, Revue TCF, Septembre 1902

L’épreuve sur route s’est effectuée le 18 août, par un temps magnifique et dans des conditions de tous points parfaites.

Les essais techniques ont eu lieu les 20 août et jours suivants ; ils sont terminés et à l’heure actuelle le rapporteur prépare son rapport, travail considérable et qui ne pourra pas être terminé avant trois ou quatre semaines.

Dès l’abord, nous tenons à insister de nouveau sur la façon dont ce concours a été compris par la Commission, et à bien montrer dans quel esprit il a été conçu. A l’inverse de tout ce qui a été fait jusqu’ici, l’épreuve sur route, au point de vue de l’ordre des arrivées, était sans importance pour le classement final des machines.

L’ordre d’arrivée intéressait surtout l’homme, auquel une prime était attribuée selon son rang, et les primes elles-mêmes n’avaient d’autre objet que d’encourager l’homme à pousser tant qu’il pouvait, à faire rendre à la machine la plus grande somme de travail possible. Cette conception se traduit par la cote relativement très faible attribuée à l’épreuve sur route.

Le point important du concours, celui auquel était attribuée la cote la plus élevée, était l’examen technique dans les ateliers de constructions militaires de Tarbes, après achèvement par la machine du travail excessif qui lui avait été demandé.

C’est en effet cet examen seulement qui permet de se rendre compte de la qualité intrinsèque de la machine et des mécanismes adaptés, seule chose intéressant le public.

A notre avis, toutes les épreuves cyclistes ou automobiles devraient être conçues dans le même esprit. Qu’arrive-t-il actuellement dans les courses d’automobiles ? C’est la voiture dont le conducteur a été ou le plus habile ou le plus chanceux qui obtient la première place. Mais que vaut pratiquement cette voiture, dans quel état est-elle arrivée, quelle résistance ont présentée les mécanismes qui la constituent, en un mot, que vaut-elle pour le public qui l’achète ?

La course reste muette sur ce point.

En ce qui concerne les courses de bicyclettes, c’est encore bien pis ! Telle maison, pour une course de 60 kilomètres, prévoit sa machines de rechange qu’elle poste tout le long de la route à la disposition du coureur. Que signifie, je vous le demande, le fait d’arriver premier dans ces conditions ?

Au point de vue de la valeur intrinsèque de la machine, quel enseignement le public peut-il tirer d’une telle épreuve ?

Dans un cas comme dans l’autre, cycle ou automobile, le public ne sait pas ce qu’il achète. Il paie l’adresse, l’habileté, le sang-froid de tel ou tel coureur ou conducteur, il reste complètement inéclairé sur la valeur réelle de la voiture ou de la bicyclette. Ce n’est pas le mécanisme qui gagne, c’est l’homme, mais ce mécanisme, auquel un admirable manœuvrier a pu faire produire un effort extraordinaire, que vaut-il après cet effort ?

Ceci reste inconnu et c’est précisément ce qu’il faudrait savoir.

C’est uniquement cela que le bon public, celui qui paie, qui achète le véhicule pour un usage normal et de longue durée, a besoin de connaître.

Or, l’épreuve ne le lui dit pas.

Nous nous souvenons avoir vu à l’arrivée d’une grande course de vitesse deux voitures d’un même fabricant arrivant en loques c’est le mot ayant semé tout le long du chemin la moitié de leur carcasse.

Le public l’a-t-il su ? Pas le moins du monde ! Le lendemain, tous les journaux annonçaient que la marque X.... était arrivée première de sa catégorie et le bon public a acheté la voiture X..... Tout est là.

En ce qui concerne la bicyclette, notre épreuve a eu ce grand mérite et ce mérite nouveau de séparer l’homme de la machine, et de faire porter sur cette dernière tout le poids des investigations et par conséquent tout le mérite du concours, à l’exclusion de l’homme.

Pour les voitures, ce qu’il faudrait, à côté de l’épreuve de vitesse, qui est le bluff, la publicité, le lancement de l’automobile, c’est une épreuve de résistance, une épreuve mettant sur la route, pendant X jours, des voitures auxquelles serait prescrite une allure de tant à l’heure, laquelle en aucun cas ne pourrait être dépassée, auxquelles il serait défendu de faire la moindre réparation de mécanisme et qui mises sous clé à l’arrivée, seraient ensuite examinées minutieusement, dans tous leurs détails, de façon à constater l’état dans lequel elles se trouvent.

Supposons qu’on fasse partir ces voitures de Bayonne, et que par tous les massifs des Pyrénées, des Cévennes, des Maures, de l’Estérel, des Basses et Hautes Alpes, de l’Isère et enfin de la Savoie, on les conduise à 30 à l’heure au maximum (vitesse légalement autorisée) et à raison de deux cents kilomètres par jour, jusqu’à Chamonix, sans permettre aucune réparation, sauf pour les pneus, et encore ces dernières seraient-elles soigneusement mentionnées par un commissaire à bord de chaque voiture et interviendraient-elles dans le classement final.

Supposons que sur vingt voitures engagées (une par maison), dix arrivent au but ayant ainsi effectué, sans aucune réparation, deux mille kilomètres de route à travers les régions les plus difficiles de France, ne serait-ce pas là une épreuve probante, un résultat clair, convaincant pour tout le monde ?

Et le rapport de la Commission après l’examen des divers mécanismes de ces voitures, les chiffres de dépenses résultant de la consommation d’essence, d’huile, de pneus, ne fourniraient-ils pas au public des éléments d’appréciation autrement précieux que ceux qu’il retire d’une envolée quelconque, d’un point à un autre, des monstres-torpilles qu’on lui sert actuellement ?

Tirons un trait après cette longue digression et revenons à nos moutons, c’est-à-dire à notre concours !

Moutons est ici bien à sa place, car il s’en est fallu de peu que notre concours ne fut submergé par un flot de deux mille moutons !

Le jour de l’épreuve était précisément celui où les 23 communes qui ont des moutons sur la montagne du Tourmalet envoient des hommes chargés de chasser ces bêtes des pâturages et de les rassembler sur la route, où on les emmène en troupeaux. C’est ce qu’on appelle la descente des moutons !

Vous voyez d’ici le conflit entre coureurs et bergers.

Les négociations de notre collègue. M. Perrache, et un billet de cent francs dans la main du fermier des pâturages, ont levé la difficulté et fait remettre la descente au lendemain.

Le compte rendu de l’épreuve en elle-même a été publié par tous les journaux, nous n’y reviendrons pas.

Bornons-nous à citer les paroles d’un des concurrents, et non le dernier venu. Muller aîné, lequel s’était particulièrement entraîné sur le parcours et qui s’est adjugé la première place. Il s’exprime ainsi dans le numéro du 30 août de la Locomotion.

"Je suis enchanté de ma course je considère cette épreuve comme la plus terrible de toutes celles auxquelles j’ai pris part, c’est-à-dire Marseille-Paris, Paris-Brest et retour, Bordeaux-Paris, enfin le record Paris-Madrid dont je suis détenteur.

La route est très bonne comme sol, mais terriblement accidentée, et nombreux ont été ceux qui, à la fin du premier tour étaient déjà au bout de leurs forces. Quant à l’organisation, elle était tout simplement extraordinaire, jamais je n’ai vu chose pareille à chaque contrôle, nous avions à discrétion tout ce que nous pouvions désirer : les renseignements nous étaient fournis de la meilleure grâce du monde, et le contrôle, établi d’une façon rigoureuse, empêchait toute tentative de fraude. J’ai dû déployer une énergie farouche pour arriver à battre mon vieux camarade Fischer. J’ai gagné, et suis tout fier de ma victoire que je considère comme la plus belle de ma carrière cycliste, pourtant déjà longue. "

Voilà pour l’organisation.

Quant aux organisateurs, aux collaborateurs de tous ordres qui nous ont prêté leur concours, il nous faudrait, pour rendre hommage à chacun, citer tout le département. Tous les fonctionnaires, depuis le préfet jusqu’aux plus humbles cantonniers, en passant par les maires, ingénieurs, conseillers municipaux, agents des ponts et chaussées et du service vicinal, tous les amateurs, tous les gens qui s’intéressent au sport ou au tourisme, nous ont prêté un concours, dont nous ne savons comment les remercier. Le Conseil a décerné des médailles d’honneur en vermeil à MM. Caude, délégué départemental à Tarbes, de Thélin, ingénieur en chef des ponts et chaussées du département, délégué, Dolin, délégué à Chambéry ; des médailles d’honneur en argent à MM. Bouffard, préfet des Hautes-Pyrénées, le colonel de Rouville, directeur de l’atelier de constructions militaires de Tarbes, le commandant Mourcet, son directeur technique de ces ateliers ; des médailles d’honneur en bronze à MM. Lacaze, Byasson (E.), Sempé, Lartigue, Byasson (L.). Michelier, Chevallier, D. Dat et J. de Thélin, qui ont bien voulu assurer le service des contrôles.

Ce n’est là qu’une très faible partie de ceux qui ont mérité semblable distinction, nous les prions tous d’agréer l’expression de notre profonde gratitude, au nom du Touring-Club. Un banquet a eu lieu le lendemain de l’épreuve sur route, auquel tous les contrôleurs avaient été invités, ainsi que les notabilités du département. M. le préfet des Hautes-Pyrénées, le colonel de Rouville, le commandant Mourcet, les conseillers généraux, les maires des communes traversées par l’itinéraire, les membres de la Commission, etc.

Le compte rendu de cette réunion a été reproduit partout ; nous renouvelons ici à M. le préfet, qui, dans un toast très applaudi, a rendu hommage à l’œuvre du Touring-Club, nos très vifs remerciements pour les paroles aimables qu’il a eues pour l’Association. En terminant, rendons un nouvel et éclatant hommage à la Commission, et en particulier à MM. Perrache, Forestier, Bourlet et commandant Ferrus, dont le dévouement a été au-dessus de tout éloge. La formule est banale, elle est ici l’expression exacte de la vérité.

Nous dirons de même de notre très dévoué délégué à Chambéry, M. H. Dolin, qui est venu tout exprès de Chambéry afin de nous prêter le concours de son expérience pour l’établissement du profil et l’organisation générale de l’épreuve, expérience qu’il a acquise à ses dépens à notre Concours de freins. M. Dolin, indépendamment de ce dévouement vraiment rare, qu’on ne saurait trop louer, a fait preuve comme cycliste amateur d’un mérite tout à fait remarquable en accomplissant, afin de coopérer au service du contrôle de Tourmalet, l’épreuve en son entier, sans aucune trace de fatigue. Il montait une machine rétro-directe à deux chaînes.

C’est peut-être l’exemple le plus frappant de l’avenir réservé à ces nouveaux mécanismes.

A. BALLIF

Nous publierons le rapport de la Commission dans notre prochain numéro.

A la dernière minute nous recevons de la Commission le classement définitif que nous nous empressons de publier.

CLASSEMENT

Comme nous l’avions annoncé dans le Règlement même, le rapport complet et détaillé du Concours ne pourra paraître que vers le 15 octobre.
Vu le grand nombre de concurrents et les efforts très sérieux faits par plusieurs pour satisfaire les desiderata du tourisme, le nombre des questions à traiter est si grand, que ce rapport sera forcément très volumineux. Il ne nous sera sans doute pas possible de l’insérer in extenso dans un seul numéro de la Revue, mais nous en ferons un tirage spécial qui sera envoyé à tous les intéressés et à tous les sociétaires qui en feront la demande. En attendant de plus amples détails, la Commission communique le classement des bicyclettes ou organes spéciaux médaillés. En vertu des articles 34 et 35 du règlement, la Commission décerne deux sortes de récompenses : Des médailles d’ensemble aux bicyclettes elles mêmes considérées dans toutes leurs parties ;

Des médailles et mentions secondaires pour tout progrès réalisé dans l’agencement de l’un des organes particuliers de la machine et présentant un intérêt direct pour le tourisme.

CLASSEMENT D’ENSEMBLE

Médaille d’or

MM. Terrot et C. à Dijon, pour leur bicyclette à 4 vitesses et à 2 chaînes, inscrite sous le n° 11.

Total des points........... 88

Médailles de vermeil

1 Manufacture française d’armes et de cycles à Saint-Etienne, pour sa bicyclette Hirondelle, à a vitesses et à chaines, inscrite sous le n° 15 80

Total des points.

MM. Peugeot frères, à Valentigney, pour leur bicyclette à a vitesses et chaîne, inscrite sous le n 33.

Total des points 77

Médailles d’argent

1 M. Durieu, à Angers, pour sa bicyclette à 2 vitesses, sans chaîne, inscrite sous le n°42 .

Total des points...........73

MM. Clément et C, à Paris, pour leur bicyclette à 2 vitesses et une chaîne, inscrite sous le n° 1. Total des points........72

3° Société La Française, à Paris, pour sa bicyclette à 2 vitesses et une chaîne, inscrite sous le 36.

Total des points............ 72

Médailles de bronze

1 Société des Établissements Georges Richard,

à Paris, pour sa bicyclette à 3 vitesses et 2 chaînes, inscrite sous le n° 5. Total des points....64

2° M. Le Métais, à Paris, pour sa bicyclette Original N. S. U., à 2 vitesses et une chaîne, inscrite sous le n° 16

Total des points...63

3° M. Robert (construction Peugeot frères), pour sa bicyclette sans chaîne à 2 vitesses dite « Percutante » a inscrite sous le n° 34.

Total des points.....61

4° Coste, à Lyon, pour sa bicyclette à deux vitesses et une chaîne « brevet Lancelot », inscrite sous le n° 10.

Total des points...... 59

COMPENSES PARTICULIÈRES

Médailles d’argent

1 MM. Magnat et Debon, à Grenoble, pour leur dispositif de changement de vitesse dit retro-direct présenté sur la machine inscrite sous le n° 23.

2 Manufacture française d’armes et de cycles de Saint-Etienne, pour son dispositif de changement de vitesse dit rétro-direct, présenté sur la machine inscrite sous le n° 16.

3 MM. Terrot et Cie, à Dijon, pour leurs freins sur jante.

MM. Magnat et Debon, à Grenoble, pour leurs freins sur jante.

Médaille de bronze

M. Guinard, à Compiègne, pour son pignon de pédalier à deux vitesses (système Lecarme et Michel) pouvant s’adapter à toutes les bicyclettes, présenté sur les machines inscrites sous les numéros 24 et 25.

Remarque. Lorsqu’une maison a présenté plusieurs machines identiques ou à peu près du même type, on a médaillé la maison pour celle de ses machines qui avait la meilleure note. Cependant, s’il y a lieu, le rapport signalera les organes des machines non citées plus haut et qui présente raient un réel intérêt.

Le Rapporteur du Concours,

CARLO BOURLET, Docteur ès sciences.

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