COMMENTAIRES DU REGLEMENT du Concours de Bicyclettes de Tourisme (1902)
mercredi 25 octobre 2017, par
Par Carlo bourlet, Revue mensuelle du Touring Club de France, Février 1902, collection personnelle
L’épreuve sur route
Avant tout il est nécessaire de bien fixer le caractère de ce concours qui diffère totalement de ce qu’on a fait jusqu’ici dans cet ordre d’idée.
Notre concours est uniquement un concours de bicyclettes ; ce n’est, en aucune façon, une épreuve de vitesse ou d’endurance pour cyclistes ; il n’a aucun caractère sportif.
L’épreuve sur route n’a qu’un but : faire travailler les machines dans les conditions les plus variées et les plus dures possibles, dans le temps limité dont la commission disposait. On peut presque affirmer qu’une bicyclette qui aura subi cette épreuve jusqu’au bout aura presqu’autant travaillé en une seule journée que dans une saison ordinaire de tourisme.
La commission sait donc fort bien que le parcours qu’elle a choisi n’est pas un modèle à proposer pour une journée ordinaire de touriste, elle sait fort bien qu’il ne pourra être accompli que par des cyclistes bien entraînés et c’est pourquoi elle conseille vivement aux constructeurs qui prendront part au concours de bien choisir leurs hommes. Cependant de l’avis de personnes fort compétentes, qui ont été consultées, cette épreuve est faisable dans un laps de temps de 12 h. 1/2 à 13 h. par un cycliste vigoureux. C’est pour ces raisons que la commission, ayant fixé le départ de Tarbes à 4 h. 1/2 du matin, a décidé que le contrôle d’arrivée serait fermé à 9 h. 1/2 du soir. Elle donne donc ainsi 17 heures aux concurrents pour faire le trajet, ce qui correspond à une vitesse moyenne de 13 kilomètres à l’heure, environ.
Si, de plus, on observe que le parcours comprend 100 kilomètres de plaine et 68 kilomètres de descentes, on reconnaîtra aisément que cette épreuve, bien qu’exceptionnellement dure, n’a rien d’irréalisable.
Pour pousser le concurrent a faire rendre à sa bicyclette le maximum de ce qu’elle peut donner, il y avait intérêt à donner un avantage à ceux des cyclistes qui arriveraient les premiers. C’est à cause de cela que la commission a cru bon de donner une prime de 200 francs à tous ceux qui arriveraient à Tarbes avant 6 heures du soir. Cependant, comme, pour diverses causes, en particulier en cas de mauvais temps, il pourrait se faire que le nombre des concurrents remplissant ces conditions soit trop faible, la commission s’est réservé le droit d’allonger ce délai s’il y a lieu. De plus, si certaines sociétés ou certains particuliers mettent à la disposition du Touring-Club des primes à distribuer sans affectation spéciale désignée par le donateur, il a été décidé que ces primes seraient attribuées aux premiers arrivants, suivant l’ordre d’arrivée.
C’est d’ailleurs ce qui a lieu dès à présent.
La Chambre syndicale du Cycle et de l’Automobile et le Syndicat des Fabricants de Cycles ont mis l’un et l’autre une somme de 500 francs à la disposition de la commission du concours. Il a été décidé que ces 1.000 francs seront partagés ainsi : 500 francs au premier arrivant ; 300 francs au second et 200 francs au troisième, en sus de la prime normale.
Nous croyons inutile, pour le moment, de donner de plus amples détails sur cette épreuve, sur laquelle nous reviendrons plus tard et nous nous contenterons simplement de rappeler qu’en vertu des articles 21 et 22 tout entraînement est interdit. De plus, l’article 21 invite les constructeurs à ne pas faire suivre les concurrents par des automobilistes. Nous insistons sur ce point particulier. Les automobiles de toute catégorie : voitures, voiturettes, tricycles seraient une cause d’encombrement que nous voulons éviter à tout prix. Notre invitation est donc pressante et la commission jugerait sévèrement tous les constructeurs qui n’en tiendraient pas compte.
Les machines
En vertu des articles 4 et 5 du règlement, chaque constructeur pourra présenter une, deux ou trois machines, mais pas plus de trois. Il est bien clair qu’il s’agit de machines d’une même marque, d’une même usine ; mais qu’un dépositaire de plusieurs fabricants étrangers différents pourra présenter autant de fois trois machines qu’il représente de constructeurs distincts. En tous cas ce devra toujours être au nom du constructeur lui-même et non en son nom propre qu’il devra faire concourir ses bicyclettes.
Ne voulant avoir aucun parti pris, désireuse uniquement de faire ressortir de ce concours quelle est la machine la plus propre au grand tourisme, la Commission a laissé aux constructeurs toute latitude dans le choix et l’agencement des divers organes des bicyclettes qu’ils présenteront.
C’est donc à tort que certains journaux ont déjà dénommé ce concours, un concours de machines polymultipliées, car les machines à une seule vitesse ne sont pas du tout exclues de ce concours. Tout au contraire, la Commission verrait avec satisfaction se mettre en ligne à la fois des machines à une et à plusieurs vitesses ; car les renseignements que fournira l’épreuve sur route pourraient être fort intéressants pour comparer entre elles ces diverses bicyclettes dans un parcours qui comprend toutes les difficultés qu’on peut rencontrer dans le grand tourisme.
Les seules obligations, à cet égard, sont celles énumérées à l’article 5 (frein, corne d’appel, sacoche et pompe) que la Commission a cru devoir édicter par mesure de prudence.
Nous nous permettrons cependant d’attirer l’attention des constructeurs sur l’article premier qui énumère, en gros, les qualités que doit posséder une bonne machine de tourisme. Ce que nous recherchons avant tout, c’est un modèle complet de bicyclette que nous puissions recommander à nos camarades et aux cyclistes. Dans les machines actuelles, il y a beaucoup de détails qui sont négligés parce qu’on a eu toujours trop exclusivement en vue la vitesse au détriment du confort, des commodités nécessaires au touriste, qui traîne avec lui des bagages, et même, parfois, de la robustesse de l’instrument. Il ne faut pas oublier que tous ces points seront scrupuleusement examinés par la Commission.
Classement.
Voilà la partie du règlement qui était la plus difficile à élaborer de façon que le classement réponde bien au programme du concours.
En somme, le classement résultera surtout de l’examen technique qui sera fait avec tout le soin désirable. Il est absolument impossible de dire à l’avance combien de temps durera cet examen, car cela dépendra uniquement du nombre des concurrents et des difficultés, impossibles à prévoir, que présentera cet examen.
L’épreuve sur route a surtout pour but de permettre à la Commission de juger l’état de fatigue de la machine après une étape dure ; de se rendre compte des qualités d’endurance, du degré d’usure, de la solidité des diverses pièces ; de savoir, par les renseignements qui lui seront fournis par ses nombreux contrôleurs, comment la bicyclette s’est comportée à l’usage, quels ont été les défauts de réglage, quels sont les avaries possibles et les accidents à redouter.
C’est à cause de cela que la Commission n’a donné qu’une importance très faible à l’ordre d’arrivée dans le classement final. Il eut été irrationnel de donner une grande influence à cet ordre d’arrivée car il peut dépendre en grande partie de la qualité du coureur ; mais il eût été tout aussi injuste de ne pas en tenir compte du tout, car il arrivera que plus d’un concurrent n’aura dû son rang éloigné qu’aux arrêts causés par des questions de réglages ou de réparations.
Entre le premier arrivé et le dernier, il y aura au maximum une différence de 10 points sur un total de 100 points.
Lorsque cet ordre d’arrivée ne sera imputable qu’à la vigueur spéciale du cycliste et que, par ailleurs, la machine aura eu des avaries sérieuses ou sera arrivée dans un état lamentable, l’avantage qu’elle aura eu par le fait de son cavalier, sera largement compensé par les notes basses qui lui seront attribuées dans les autres parties du classement.
Lorsqu’au contraire, il y aura concordance entre l’ordre d’arrivée et la manière dont la machine se sera comportée, cette première note renforcera, dans un sens ou dans un autre, d’un façon fort équitable, les notes suivantes du classement.
D’ailleurs, il ne faudrait pas croire que la Commission attribuera aux machines des notes exactement décroissantes suivant l’ordre d’arrivée. Il est très probable que si deux cyclistes arrivent à quelques minutes de distance et que cette faible différence de temps ne peut s’expliquer, d’après les renseignements généraux, que par une différence de vigueur des deux concurrents, les deux machines auront la même note. En d’autres termes les notes pourront être données par lots d’arrivants : 1er lot : note 20 ; 2e lot : note 19, etc.
En ce qui concerne les machines qui n’auront pas fait le parcours dans le temps maximum, la Commission a pensé qu’on devait leur attribuer à toutes indirectement la note 0 pour indiquer une différence nette entre elles et celles qui auront accompli régulièrement toute l’épreuve sur route.
Il est bien clair qu’une bicyclette n’ayant fait qu’une partie de l’épreuve, ou n’étant pas arrivée à l’heure parce que son cavalier aura dû faire une partie des montées dures à pied, ne sera pas comparable à celle qui aura subi toute la fatigue du trajet.
Il fallait donc que, dès la première note, il soit tenu compte de cette circonstance. D’ailleurs, les causes mêmes de ce retard dans l’arrivée au poteau ou de l’abandon du parcours, auront leur influence dans la suite du classement.
Ce double classement aura ainsi pour effet de combiner heureusement, pour l’appréciation finale, les données d’une épreuve pratique avec les résultats d’un examen technique attentif.
Pour terminer, il nous reste à attirer tout spécialement l’attention des fabricants de pièces détachées et accessoires sur l’article 35 du règlement. Grâce à lui il sera loisible à la Commission de récompenser, en passant, un détail de construction intéressant.
Ainsi, par exemple, il pourrait se faire qu’une machine qui ne recevrait aucune récompense d’ensemble, comportât un frein, ou un changement de vitesse, ou un bandage, ou quelque autre dispositif qui reçoive une médaille.
Les fabricants de pièces détachées et d’accessoires ne pourront pas concourir eux-mêmes, mais il leur sera facile de s’entendre avec quelque constructeur prenant part au concours pour qu’il adopte leur dispositif.
Une même pièce, un moyeu libre, par exemple, pourrait se retrouver sur plusieurs machines différentes. Il pourrait se faire qu’aucune de ces machines ne soit récompensée et que le moyeu seul soit primé si la Commission juge qu’il constitue un progrès réel.
Notre concours ainsi compris et élargi, intéresse, comme on le voit, toutes les branches de l’industrie vélocipédique.
CARLO BOURLET.
Rapporteur du Concours.