Le Concours du TCF (1902)

mardi 28 novembre 2017, par velovi

Par Velocio, Le cycliste, Année 1902, republié en 1952, coll. pers.

Après avoir été des premiers à annoncer à nos lecteurs que le Touring Club de France compléterait son concours de freins de 1901 par un concours de bicyclettes de tourisme en 1902, nous avons attendu, pour parler plus longuement de ce projet, qui dès le premier jour nous a beaucoup souri, que l’heure de sa réalisation fût plus près de nous et que le règlement du concours fût définitivement établi. On trouvera dans ce numéro le règlement complet tel qu’il a été publié, il y a plusieurs mois, dans la revue du T.C.F. et les seules modifications qu’il y ait lieu de prévoir, d’après les notes insérées de mois en mois sous la même rubrique, porteront sur la longueur et les difficultés de l’épreuve sur route.
Quelques fabricants habitués aux succès relativement faciles des courses sur routes telles qu’elles ont été organisées jusqu’ici, avec grand renfort d’entraîneurs, de machines, d’hommes spécialement choisis et entraînés, ont vu de très mauvais œil que le comité technique du T.C.F. n’admettait aucun truquage, surveillerait de très près les concurrents et conserverait à l’épreuve sur route son caractère de concours de tourisme en montagne. Ces fabricants ont alors, paraît-il  ; car si cela n’a pas été dit, on a pu aisément le lire entre les lignes  ; estimé que l’épreuve sur route était exagérée, qu’on ne prouverait personne pour la subir de bout en bout et qu’en voulant trop prouver on ne prouverait rien.
D’autres fabricants, au contraire, ceux qui dédaignent de cueillir les lauriers trop frelatés des courses à réclame, ravis de trouver enfin l’occasion de combattre à armes égales, ont protesté contre toute réduction de l’itinéraire primitivement imposé et ont même demandé qu’on aggravât les difficultés de l’épreuve sur route.
Puisqu’il s’agit, objectaient-ils avec raison, de réduire à quia les machines présentées, afin de se rendre compte de leur force de résistance, de la solidité des organes de démultiplication, des freins et des roues libres, les trois points de construction les plus sujets à caution, pourquoi ne multiplierait-on pas les difficultés et ne referait-on pas trois ou quatre jours de suite l’étape indiquée, quitte à remplacer les hommes toutes et quantes fois le besoin s’en ferait sentir  ? L’homme ne signifie rien dans une épreuve de machines, et que l’on se mette à deux ou à trois pour parfaire l’étape, cela n’a pas d’importance au point de vue du résultat cherché. L’important est de fatiguer la machine en lui imposant des rampes longues et dures des routes pénibles, des descentes rapides et des allures vives. C’est à cette condition seulement qu’on reconnaîtra le bon grain de l’ivraie. Une simple promenade en terrain à peu près plat ne nous apprendrait rien sur les mérites respectifs du Variand, du Hub Two Speed, du Bi-Gear, du Peugeot et autres systèmes à transmission superposée et des nombreux modèles dérivés du type à deux chaînes qui remonta à la plus haute antiquité, à l’époque où florissaient les tricycles Sparkbrook, Salvo, Premier et Rudge à direction latérale.
Ce raisonnement paraît, en fait, le seul Juste et raisonnable. Cependant il est juste aussi d’encourager le même homme à effectuer tout le parcours sans recourir aux services d’un auxiliaire ; c’est pourquoi la Commission d’organisation a, de prime-abord, accordé une indemnité à tous les concurrents qui seront de retour à Tarbes dans un temps maximum de 13 h. et demie. Ce temps est manifestement trop limité, et si le T. C. F. devait s’y tenir strictement, je crois que les distributions d’indemnités n’entameraient pas d’un centime son encaisse. J’ai, sur la carte, étudié d’assez près le parcours imposé et l’élévation totale qui en résulte. Tarbes est à 300 mètres d’altitude, le Tourmalet à 2.200 mètres, différence  : 1.900 m. ; mais tous ceux qui pratiquent la montagne savent que des rampes de cette longueur ne sont pas uniformes du commencement à la fin et qu’il s’y rencontre des contrepentes qui les aggravent parfois singulièrement. Le profil que nous a promis le T.C.F. nous fixera exactement sur ce point, mais en attendant, il n’y a rien d’excessif à estimer à 100 mètres d’élévation les contrepentes probables que nous trouverons entre Tarbes et le Pic du Tourmalet  ; l’élévation réelle est donc de 2.000 mètres. Or, on fait deux fois le parcours en ne partant, il est vrai, la seconde fois, que de Lourdes, dont l’altitude est de 360 mètres ; total du double parcours  : 3.940 m. Pour venir à Lourdes reprendre l’itinéraire, il faudra traverser par Loucrup le massif montagneux compris entre les vallées de l’Adour et du Gave de Pau qui descendent toutes les deux du Tourmalet et embrassent le Pic du Midi.
La traversée de ces contreforts, dont l’altitude varie entre 600 et 700 mètres, me semble comporter une élévation supplémentaire de 250 à 300 m. qui, ajoutés au chiffre ci-dessus, portent l’élévation totale à 4.200 mètres, et je ne fais pas entrer en ligne de compte les contrepentes qu’on rencontrera probablement au cours de la descente du col à Bagnères de-Bigorre.
Le travail représenté par l’élévation de 80 kilos, poids moyen du cycliste et de sa machine, à 4.200 mètres de hauteur, est de 336.000 kilo-qrammètres  ; si l’on ajoute celui qui représente la translation en terrain plat de ces mêmes 80 kilos pendant 225 kilomètres, que je ne puis calculer faute de données suffisantes mais qui est au-dessus des forces de beaucoup de cyclistes, nous arriverons au alentour de 500 tonnes-mètres en compte rond. C’est beaucoup pour 13 heures et demie, repos compris, et l’on pourrait accorder 16 heures sans que le trou fait aux finances risque d’être bien gros. Nous ne tarderons pas, d’ailleurs, d’être fixés sur le temps nécessaire pour venir à bout d’une étape de ce calibre. Comme Saint-Etienne sera largement représenté au concours du T.C.F., soit par nos fabricants de bicyclettes, soit par les cyclotouristes de l’Ecole Stéphanoise, j’ai préparé, pour notre excursion dominicale du 29 juin prochain, un itinéraire qui représente à très peu de choses près, en longueur et en élévation, l’épreuve du T.C.F. A cette excursion peuvent d’ores et déjà se considérer comme invités tous les cyclistes de la région et d’ailleurs que la question intéresse.
En voici le tracé qui traverse des régions on ne peut plus intéressantes et riches en sites merveilleux.
Départ de Saint-Etienne à 3 heures, Montbrison, Saint-Bonnet - le - Courreau, Sauvin, Chalmazelles, col de Béal (80 kilomètres, élévation 2.150 mètres) et descente sur Saint-Marcellin (160 kilomètres). De là 35 kilomètres ondulés et donnant une élévation totale de 250 mètres nous amèneront, par Saint-Rambert, La Fouillouse et Lanqonan, à Saint-Chamond. C’est au cours de ces 35 kilomètres très faciles que nous encourageons les excursionnistes à se lester d’un substantiel repas, plutôt végétarien. Nous aurons donc, à Saint-Chamond, parcouru 195 kilomètres, en nous élevant de 2.400 mètres. Nous grimperons alors à la Croix-d’Arqental par Gray et remonterons d’une haleine au col des Grands-Bois (247 kilomètres, élévation 3.900 m.) ; nous reviendrons enfin à Saint-Etienne (284 kilomètres) prendre un repos bien gagné.
Tous les cyclistes à qui j’ai soumis cet itinéraire, et qui connaissent les routes qu’il comporte, s’accordent à le trouver dur ; mais le parcourir en 13 heures et demie  ! ça, déclarent-ils avec un ensemble parfait, c’est impraticable, il faut de 16 à 18 heures aux meilleurs d’entre nous. Et je les crois sans peine. Pour mon propre compte, si j’en viens à bout sans fatigue anormale, ça ne sera pas à moins de 20 h., repos compris. Or, nous connaissons bien les routes et nous savons exactement quelles multiplications conviennent aux montées variées qui émaillent le parcours. Que sera-ce lorsque nous nous trouverons en présence de routes inconnues  ?
Il serait particulièrement intéressant que quelques-uns de ces cyclistes, aux muscles extraordinaires, qui assurent pouvoir tout faire avec un seul et unique développement, de 5 à 6 mètres, voulussent bien prendre part à notre excursion du 29 juin ; j’ai comme un pressentiment qu’ils trouveraient là leur chemin de Damas. Ceux qui en sont encore à nier les avantages de la roue libre, seraient aussi, j’imagine, bien ébranlés quand ils nous verraient faire les descentes à l’allure que nous aimons et qui, grâce aux freins puissants dont nos roues sont accompagnées, présente infiniment moins de danger que le contrepédalage. Ceci n’aura, il est vrai, qu’un intérêt platonique, puisque dans le concours du T.C.F. les descentes seront neutralisées.
Les motocyclettes pourraient également venir nous montrer ce dont elles sont capables sur un terrain accidenté  !
Les occasions de faire des comparaisons sur une échelle aussi étendue sont rares, et tous ceux qui ont à faire valoir quelques nouveautés, bicyclettes à levier ou rétro-directes sur lesquelles depuis quelque temps l’attention est si fortement attirée, devraient saisir celle que nous leur offrons. Nous nous instruirions ainsi mutuellement et les constructeurs de moyenne importance des régions lyonnaises et stéphanoises, qui se disposent à concourir, puiseraient dans cette étude comparative des indications utiles pour lutter dans les meilleures conditions possibles contre leurs puissants confrères qui ont déjà envoyé leurs coureurs reconnaître le terrain des concours.
Je gagne que beaucoup de ceux constructeurs ou cyclotouristes qui se disposent à subir l’épreuve du T.C.F. ne se rendront un compte exact de ce qu’elle représente de fatigue réelle pour la machine et pour l’homme que lorsqu’ils grimperont pour la seconde, peut-être même pour la première fois, de Barèges au col du Tourmalet. Il semble y avoir là, surtout vers la fin, du 10 % pendant plusieurs kilomètres ; à moins de les faire à pied, il faudra en mettre, au grand dam des minuscules engrenages de certains changements de vitesse et de ses propres muscles moteurs.
Mais sera-t-on autorisé à marcher à pied en poussant sa machine sans encourir une mauvaise note  ?
Toute réparation faite en cours de route devra être signalée et ne devra même, en principe, être faite que devant un contrôleur, afin que l’importance de l’avarie survenue inopinément à la machine puisse être appréciée. Or, pousser sa machine n’est-ce pas, en quelque sorte, reconnaître qu’elle est en mauvais état et qu’on la juge incapable de résister à l’effort nécessaire pour hisser 80 kilos sur une rampe de 10 %  ? Un concurrent avisé, averti par des craquements sinistres, préférera renoncer aux quelques points qu’il gagnerait en arrivant parmi les premiers, afin d’en gagner de plus nombreux au moment de l’examen de la machine qu’il pourra présenter en bien meilleur état s’il ne l’a point forcée que s’il en a mis, comme nous avons à l’E. S. l’habitude d’en mettre pour franchir quand même les passages difficiles. Supposez un fabricant qui veuille faire triompher un système de changement de vitesse délicat, suffisant pour une bicyclette tour de lac, mais manifestement incapable de résister, sous un vigoureux cycliste, à l’épreuve du 17 août ; supposez un autre fabricant désireux de démontrer que les bicyclettes polymultipliées n’ont pas de raison d’être, n’offrent aucun avantage, exposent leurs propriétaires à beaucoup d’inconvénients et qu’un seul développement bien choisi suffit pour tout faire. Que feront-ils en l’occurrence  ? Ils choisiront pour défendre leurs couleurs des cyclistes qui seront surtout bien entraînés à pied à la montée en poussant leur bicyclette, et j’en ai vus qui pouvaient très bien faire dans ces conditions, du 10 à l’heure en gravissant des côtes à 8 ou 10 % pendant une heure ou deux. Des bicyclettes ainsi ménagées arriveraient en un temps très convenable avec tous leurs organes en parfait état et obtiendraient probablement le maximum de points à l’examen technique qui suivra le concours puisque la chaîne elle-même ne se serait pas allongée d’un millimètre.
Qu’est-ce que cela prouvera  ? Les aptitudes spéciales de coureurs qui les auront menées et rien autre. Or, les fabricants intéressés à obtenir une bonne note au classement définitif sont capables d’user de pareils subterfuges auxquels la Commission ne pourra raisonnablement rien objecter si elle n’assimile pas le fait de pousser sa machine en cours de route à une réparation. Je crois donc qu’il serait rationnel de tenir compte du temps ou plutôt du nombre de kilomètres pendant lesquels une machine aura été conduite à la main.
Mais, après tout, l’épreuve sur route ne tiendra dans l’ensemble du concours qu’une place secondaire puisque le maximum de points qu’on puisse obtenir en arrivant en bon rang est 20, alors que 80 points sont attribués à la machine elle-même. Dans ses commentaires du règlement, M. C. Bourlet a soin d’insister sur cette considération.
Si, pour nous, l’épreuve sur route a une importance capitale, c’est qu’elle nous permettra de démontrer d’une façon irréfutable ce que, depuis plusieurs années, nous ne cessons d’affirmer, à savoir  : que nos étapes de 250 kilomètres avec élévation de 2,500 mètres sont parfaitement accessibles à tous les cyclistes végétariens et polymultipliés. On pourra toujours discuter, nier même le plaisir de telles étapes, mais on ne pourra plus nous objecter qu’elles sont impossibles. Oui, elles l’ont été jusqu’à présent, impossibles aux cyclistes qui prétendent passer partout avec la 5 m. 50  ; mais que ces cyclistes se servent de machines semblables aux nôtres, qu’ils s’alimentent en cours de route comme nous nous alimentons et vous les verrez tous revenir de leur erreur. Que d’exemples nous pourrions citer, depuis trois ans, de ces conversions soudaines.
Au dernier moment, j’apprends par une note insérée dans l’Auto-Vélo, que la Commission du Touring-Club envoyée dans les Pyrénées pour arrêter d’une façon définitive l’itinéraire de l’épreuve sur route, a modifié comme suit l’itinéraire primitif  :
1° L’épreuve aura lieu le 18 août  ;
2° Le trajet comprendra  : Tarbes, Lourdes, Tourmalet, Bagnères-de-Bigorre et Tarbes  ;
3° Relais facultatif à Lourdes pour les concurrents qu’effrayerait la durée de cette épreuve.
Le nouvel itinéraire est plus long de 20 kilomètres environ, mais diminue l’élévation totale de quelque 250 mètres. Cela ne tire pas à conséquence.
Les concurrents fatigués pourront se faire remplacer pour la dernière ascension au col du Tourmalet. Cette concession était inévitable, vu la difficulté de trouver en assez grand nombre des cyclistes végétariens et habitués aux machines polymultipliées, seuls capables de venir à bout sans vannaqe complet, d’une étape de ce calibre ; mais la tâche de la Commission n’en sera rendue que plus difficile.
Il est, en effet, facile de prévoir que deux cyclistes de force moyenne, se partageant la besogne, pourront, avec un développement unique de 5 mètres par exemple, effectuer le parcours en un temps assez court. Comme, d’autre part, une bicyclette toute simple aura, plus qu’une autre bicyclette munie de plusieurs développements des chances de se retrouver à l’arrivée aussi saine qu’au départ ; le concours de bicyclettes de tourisme pourrait bien tourner à la confusion des polymultipliées et à la gloire de la mono-multipliée.
Des expériences poursuivies pendant plusieurs années et auxquelles s’associent successivement des cyclotouristes de plus en plus nombreux me laissent craindre que la vérité ne soit pas là.

VELOCIO.

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