AMITIÉS

jeudi 2 mai 2024, par velovi

AMITIÉS

L’itinérance à vélo permet l’heureux nouage de la solitude et de la rencontre grâce à l’imprévu, des discussions en bord de route, au café, à l’étape, ou en partageant des kilomètres. C’est souvent l’occasion d’échanger des renseignements, de discuter météo, cyclotechnie, et surtout de «  cette chose délicate, appelée un itinéraire  » (expression de Mad Symour, contributrice du Cycliste). La sociabilité de Paul de Vivie sur les routes, peut-être du fait de son lectorat, semblait parfois assez exceptionnelle au vu du petit nombre de cyclotouristes à l’époque. Il avait aussi ses défauts. Sur certains aspects, il n’était pas un bon compagnon de route : il n’attendait pas quelqu’un de fatigué, mais pouvait tout aussi bien mettre pied à terre comme bon lui semblait, sans se soucier d’horaires ou d’haltes prévues à l’avance, enfin il n’aidait pas à réparer les crevaisons (Boudet, « Cinquantenaire », Le Cycliste, Sept 1936, p.327).

AU PAYS DU SOLEIL, 1889

«  À Lunel, dans une rue (et c’était, je crois, la rue principale) large comme un mouchoir de poche, ce qui permettait de tendre des toiles-parasol d’une maison à l’autre, nous absorbons un peu de limonade et nous demandons divers renseignements, car une idée est venue à Forest  : il a des amis à Castries, un chef-lieu de canton qui ne doit pas être bien loin de Lunel  ; or, lorsqu’on est si loin de chez soi, et qu’on y est venu en vélocipède, il n’y a rien de charmant comme d’aller surprendre des amis qui tombent des nues en vous voyant arriver en cet équipage et en apprenant que vous venez de faire 300 kilomètres et plus sur ces deux minces roues.  »
Vélocio, «  Au Pays du Soleil  », Le Cycliste, janvier, mars 1890, p. 346-349, p.45-49, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_2

EXCURSION DEQUES (596 KILOMÈTRES), 1901

«  En passant à Orange, nous avons appris que trois cyclo-touristes stéphanois qui, primitivement, devaient se joindre à nous, sont venus y coucher la veille et qu’ils en sont repartis ce matin à cinq heures pour rentrer à Saint-Étienne. Peut-être les rattraperons-nous  ? Sans un pneumatique dont les lubies nous font perdre plus d’une heure, la chose eût été possible, car ils ne se pressaient pas. À Livron, heureuse rencontre, un de mes collaborateurs du Cycliste  : l’Homme de la Montagne, nous happe au passage  ; il descend la vallée du Rhône jusqu’à Carpentras d’où il compte explorer les alentours du Ventoux et les Basses-Alpes. Allons, allons, le cyclo-tourisme se réveille en France. Nous déjeunons et nous causons  ; les roues serves, folles ou libres, les polymultiplications, les freins sur jante et autres, tous les perfectionnements pour lesquels se passionnent aujourd’hui les cyclistes font les frais de la conversation. Mais à deux heures, je me souviens fort à propos que j’ai donné rendez-vous à 5 heures à Andance à M. F., d’Annonay, que mon pneumatique a besoin d’un coup de pompe tous les 3 ou 4 kilomètres et que, pour peu qu’il survienne quelque incident, j’arriverai en retard. Vite en selle et filons rondement.  »

«  Bref, nous arrivons à 5 heures et quart à Andance. M. F. et sa jeune sœur, la plus intrépide cycliste que je connaisse, nous attendaient et nous gagnons, à la petite vitesse, Annonay, non sans avoir pris une douche en passant auprès d’un ruisseau, car l’hygiène ne perd jamais ses droits auprès d’un cyclo-touriste végétarien. Nous aurions dû, pour rester fidèles à notre programme, regagner nos pénates le soir même, mais comment résister à l’offre aimable qui nous fut faite de nous asseoir à la table d’une charmante famille et de dormir sous le toit le plus hospitalier qui se puisse imaginer  ? Nous cédâmes à la tentation, sous la condition expresse que notre hôte et notre ami commun le docteur B., nous accompagneraient le lendemain matin à Saint-Étienne. Ainsi fut fait et, dès le mardi matin, sans être en aucune façon incommodé par les 596 kilomètres parcourus depuis le samedi soir, chacun reprit son travail accoutumé  : nous avions dépensé 12 francs par tête, environ 2 centimes par kilomètre. Inutile de conclure, n’est-ce pas, en faveur de la bicyclette, comme mode de locomotion économique et en faveur du régime végétarien comme source d’énergie et d’endurance  ?  »
Vélocio, «  Excursion de Pâques (596 kilomètres)  », Le Cycliste, 1901, p.60-64, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7

MON RAID PASCAL, 1903

«  Dès la sortie de la ville, je me trouve en nombreuse compagnie  ; les cyclotouristes stéphanois s’envolaient par groupes vers le pays du soleil  ; il devait encore en partir le lendemain, et je n’exagère pas en évaluant à plus de vingt les cyclistes ou cyclettistes qui s’échelonnèrent pendant les fêtes sur la route de Saint-Étienne à Marseille.
L., mon compagnon habituel, cette fois m’a fait faux-bond  : je l’aperçois cependant, donnant la chasse à une motocyclette qui, la pôvre, se laisse bientôt dépasser par moi  ; trois cyclistes réparent déjà un de ces minuscules pneus de 32 que les aspérités boivent au lieu d’être bues par eux  ; je passe tranquillement à 12 à l’heure (50 tours), deux d’entre eux s’élancent, tel Fischer fonçant sur l’obstacle, et me lâchent en un clin d’œil... pas pour longtemps, puisque sans hâter mon allure, je les dépasse définitivement ainsi que la motocyclette qu’un suprême effort avait ramenée devant moi et que la panne arrête. Les montées longues de quelques kilomètres sont de bien rudes adversaires pour ces véhicules joujoux.
J’aperçois enfin, à peu de distance, deux de mes collaborateurs les plus goûtés des lecteurs du Cycliste, Mad Symour et Ch. R. qui, avant même que ces lignes soient sur le marbre, auront uni leurs destinées et achèveront leur premier voyage en tandem. Ils vont passer les fêtes en famille  ; nous pédalons de compagnie jusqu’à Bourg-Argental, où je me résigne enfin à m’enfuir seul à toutes pédales vers le but que je me suis fixé.  »
Vélocio, «  Mon Raid Pascal  », Le Cycliste, Avril 1903, p. 65-77

NOËL AU SOLEIL, 1905

«  M. B., de Tarascon, rétroïste aussi mais de l’école qui préfère pédaler en rétro sur le grand développement, avait eu l’amabilité de venir à notre rencontre, et nous étions encore quatre quand nous quittâmes Beaucaire à 9 heures, après avoir usé et abusé de l’hospitalité et des confitures de M. A.  »

«  Avouez que dans ces conditions la pratique du cyclotourisme ne manque pas d’agréments, quand on trouve à chaque pas de nouveaux compagnons qui remplacent ceux qu’on est forcé de quitter. Cette fois, je suis seul en direct contre trois rétroïstes, aussi je me garde bien d’agiter la question de supériorité d’un mode de pédalage sur l’autre, question d’ailleurs insoluble puisqu’elle dépend du point de vue auquel chacun se place. C’est un peu comme la question de la selle  ; dès que Paul soutient que la selle à coussin genre Christy est meilleure que la selle 4 fils, Pierre se lève et déclare que pour lui rien ne vaut la selle 4 fils la plus vulgaire. Et alors  ?
Il y a donc en cyclotechnie des points où la vérité n’est pas une et indivisible, et discuter sur ces points-là, ce serait battre l’eau avec un bâton.  »
Vélocio, «  Noël au soleil  », Le Cycliste, décembre 1905, Page 224 à 230, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

CURE DE PRINTEMPS, 1910

«  Il s’agissait maintenant de rattraper le temps perdu afin d’être à Orange avant la nuit. Je m’y employai de mon mieux, et le vent m’aidant je n’eus pas grand mérite à arriver à Pierrelatte à 17 h 10 (65 kilomètres en 2 h. 10, du 30 à l’heure  !) malgré la montée de Donzère et un bout de conversation, avec un cyclotouriste anglais entre Saulce et Montélimar. Cet Anglais à face de marbre voyageait à petites journées  ; il avait quatre mois à dépenser sur la route et son étape de la journée, commencée à Lyon allait finir à Montélimar  ; elle ne lui avait pas coûté beaucoup d’effort. Monté sur une bicyclette à cadre Pedersen et muni d’un moyeu Hub à 2 vitesses dont la plus grande me parut être d’environ 5 mètres, il n’était certes pas outillé pour faire du transport à grande allure et les cols suisses qu’il doit franchir au retour lui donneront du fil à retordre. Il fut surpris d’abord de l’accoutrement de ma machine, ensuite de son roulement, car à plusieurs reprises, nous roulâmes côte à côte en roue libre et je le dépassai toujours, simple question de pneus  ; les miens étaient plus souples. Je le quittai vite, son train-train tranquille ne pouvant convenir à un homme qui voulait être à Nice le lendemain matin.  »

«  Pendant que je déjeunais en plein air, un curieux, que l’on me dit plus tard être le coureur Petit-Breton, vint examiner d’assez près ma machine dont les trois chaînes sans doute l’intriguaient  ; je regrette qu’il ne m’ait pas été présenté, j’aurais ainsi recueilli son opinion sur les chances des monos contre les polys dans l’étape Luchon-Bayonne et j’aurais tâché de savoir avec quel ou quels développements il comptait faire cette étape. Petit-Breton, qui s’est abstenu en 1909, compte, paraît-il, se remettre en ligne dans le Tour de France 1910.  »
Vélocio, «  Cure de printemps  », Le Cycliste, Avril 1910, p. 63 à 72, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_11

MEETING PASCAL, 1924

«  Mon premier arrêt fut à Montélimar, à 7 h. ½  ; je venais de négocier 80 km. en 4 heures et le café au lait allait être le bienvenu. Je trouvai à l’hôtel deux Lyonnais qui venaient d’arriver et nous fûmes bientôt rejoints par deux Stéphanois. Le groupe prenait de la consistance  ; deux autres Lyonnais filaient en avant-garde, ayant quitté Montélimar à 5 heures. Nous repartîmes séparément comme nous étions arrivés, car, lorsqu’il s’agit de se transporter rapidement, il ne faut pas marcher plus de deux de conserve, les causes d’arrêt se multipliant par le nombre des compagnons qui ne peuvent décemment pas abandonner le camarade en détresse. J’étais arrivé seul et je repartis seul à 8 h. ¼, toujours émerveillé par le bon état du macadam que j’avais trouvé si mauvais les années précédentes.  »
Vélocio, «  Meeting pascal  », Le Cycliste, Mai-Juin 1924, p.60-62, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_14

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, MARS AVRIL 1929

«  Je filais en vitesse pour rattraper le temps perdu, quand je suis arrêté un peu avant Sorgues par les appels de mes amis, et je découvre au milieu d’eux un de mes deux compagnons que je croyais parti de Saint-Étienne après moi  ! Or, il en était parti la veille à 16 heures, avait pédalé toute la nuit et me précédait de douze heures. Quant au deuxième, je ne le rencontrai que le lendemain à la gare d’Orange  ; il m’avait manqué de cinq minutes à Valence où nous comptions déjeuner ensemble, puis, désespérant de m’atteindre, il s’était arrêté à Orange qu’il ne connaissait pas encore et qui mérite bien une longue visite.
Étrange façon, penserez-vous, de voyager de compagnie. Elle n’est pas mauvaise, chacun conserve sa liberté, règle son allure comme il lui convient, son alimentation de même, et parfois les détails de l’itinéraire convenu, l’on finit toujours par se rencontrer quelque part et l’on a, alors, beaucoup plus de choses à se raconter que si l’on avait pédalé constamment à la queue leu leu. On aimerait peu à Saint-Étienne, au cours d’une excursion, être mené à la Mussolini. Je donnai même, avant guerre, un plan d’excursion où des itinéraires plus ou moins longs, selon les heures de départ et les possibilités de chaque participant, sillonnaient toute les régions, se croisaient à des points et à des heures déterminées et finissaient par se confondre le deuxième ou le troisième jour, afin qu’on put rentrer ensemble et se communiquer ses impressions, ses rencontres, ses incidents de route. Aux carrefours où l’on avait des chances de se retrouver, on jetait une poignée de confetti qui, par leurs couleurs différentes, indiquaient ceux qui avaient déjà passé, et leur direction. À la façon dont les confetti étaient groupés ou éparpillés, en tenant compte naturellement de la force et de la direction du vent, les Sherlock Holmes de l’E. S. prétendaient deviner depuis combien de temps l’on était passé  ! L’idée mériterait d’être reprise. On peut ainsi, à trois ou quatre compagnons, inspecter à fond, en une seule excursion même simplement dominicale, tout ce qu’un département comprend de sites pittoresques et de routes intéressantes.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste” », Le Cycliste, Mars Avril 1929, p.30, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

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