Bagages

jeudi 2 mai 2024, par velovi

Avec les développements, le bagage reste la question éternelle du cyclotourisme. La sacoche de cadre était en vogue dès 1890.

LA BICYCLETTE IDÉALE DU TOURISTE, 1895

«  La bicyclette du touriste sera donc aménagée pour qu’on puisse y loger commodément de 8 à 10 kilos de bagage, partie sur l’avant et sur le guidon, partie dans le cadre, et le reste sur la roue arrière  ; un bagage bien réparti ne fatigue ni la machine, ni le cycliste, mais si vous suspendez au guidon tout votre fourniment dans une immense valise, ainsi que je l’ai vu faire quelquefois par des touristes à leurs débuts, votre marche sera considérablement gênée et votre machine souffrira.
Je choisirai donc de préférence un cadre diamant très ouvert où je puisse loger une valise de bonne dimension et je laisserai aux amateurs des nouveautés inutiles, les cadres encombrés de tubes, d’entretoises, de renforts qu’on a offerts cette année à la badauderie humaine  ; tout au plus si j’étais très lourd et que je tinsse à avoir une machine extraordinairement solide, choisirais-je un cadre à double tubes comme on en trouve encore dans quelques catalogues.  »
Paul de Vivie, «  La bicyclette idéale du touriste  », Revue mensuelle du Touring Club de France, mars 1895

Mais on put reprocher à la valise de cadre trop chargée son épaisseur, gênant les jambes. Le bagage à l’avant faisait débat aussi, certains conseillaient de ne pas trop charger la douille de direction, qui avait déjà fort à faire en termes de contraintes. En outre, cela rendait la direction plus dure en descente. Aussi le porte-bagage fut utilisé au tournant du siècle. Les choix de Paul de Vivie étaient dictés eux comme toujours par l’équilibre entre confort et rendement, ils évoluaient au fil du temps, parfois même au fil d’une randonnée en montagne, en déplaçant son sac selon qu’il fut en descente ou en montée. Bien qu’il adoptât très tôt le hamac et les nuits à la belle étoile, les nuitées se passaient principalement à l’hôtel lorsqu’il roulait avec d’autres. Le camping fut popularisé vraiment dans l’entre-deux-guerres. Déjà âgé, Vélocio ne choisit alors pas la tente, tout en l’encourageant dans sa revue. Aussi roulait-il plus léger que les cyclo-campeurs. Il emportait souvent de la ficelle dans sa poche, qu’il utilisait à ses débuts pour fixer son frein de montagne, et ses affaires, ses «  mamelles  » nourricières à l’avant (il pouvait grâce à elles s’alimenter en cours de route). Lorsqu’en descendant vers la Provence pour Pâques 1927, le jeune Phillipe Marre rencontra pour la première fois Vélocio à Sarras, sous le pont de chemin de fer, son premier sentiment fut la stupeur. Il pensait avoir rendez-vous à Valence avec un colosse, et il dépassa sans y prendre garde sur une route banale un vieillard modeste et solitaire, avec une monture à l’apparence de vélo de facteur, bringuebalant au guidon deux sacoches fixées avec ladite ficelle  !


Dans les années où il jeta les bases de sa manière de voyager, combinant avec succès les changements de développements et l’alimentation végétarienne, voici des harnachements de Paul de Vivie  :

SAINTTIENNE GRENOBLE GAP CHAMBÉRY, 1899

«  Sur mon porte-bagage arrière je fixai le paquet sous toile caoutchoutée qui me sert de valise, j’accrochai à mon guidon le sac-musette à trois compartiments où je place mes cartes, mon revolver, quelques objets de toilette, du pain et des fruits, j’accrochai au cadre sous la selle le frein à large patin de bois grâce auquel je puis faire les descentes les plus raides sans me fatiguer à contrepédaler, et j’allai dormir.  »
Vélocio, «  Saint- Étienne Grenoble Gap Chambéry  », Le Cycliste, 1899, p. 121-132, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6

VERS LADITERRANÉE, 1899

«  Sur mon porte-bagage arrière j’amarrai un paquet de linge et mon manteau et je suspendis au guidon mon sac-musette où se mêlent les objets les plus hétéroclites. N’ayant pas en perspective de longues descentes je n’emportai pas mon frein spécial et me contentai de faire remplacer le patin en caoutchouc du frein ordinaire par un long patin de buis  ; ma roue directrice était munie d’un compteur de tours et d’une lanterne, car je comptais bien voyager un peu de nuit tant le matin que le soir.  »
Vélocio, «  Vers la Méditerranée », Le Cycliste, 1899 et 1900, p.216-22, p.243-246, p.36-41, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6 et Le Cycliste, Décembre 1957, Rétrospective «  Cyclo-Alpinisme à la Sainte-Baume  »

DE SAINTTIENNE À MARSEILLE EN 15H, 1905

«  Telle est la machine avec laquelle je quittai, le 1er avril, à 3 heures précises, les bureaux du Cycliste, et passai à 3 heures 20 la limite de l’octroi. J’emportai peu de bagages, environ 5 kilogs, y compris les provisions de bouche, et tout était fixé sur le guidon, ce qui fut une faute, ainsi que le prouva l’événement, mais ainsi équipée, la machine me semblait mieux équilibrée.  »

L’événement fut une chute en virage, suite à un blocage de roue arrière trop rapide. S’en suivent ces réflexions, et l’on ne résistera pas à la description de son vélo idéal pour les descentes.

«  Après cet accident, je transportai à l’arrière une partie de mon bagage que j’avais, ainsi que je l’ai déjà dit, placé tout entier sur l’avant. Il est possible que le guidon trop chargé m’ait empêché de réagir suffisamment contre les embardées de la roue motrice. D’ailleurs, on a tout avantage à charger la roue A R plus que la roue A V aux descentes  ; j’avais déjà remarqué et signalé ce détail en revenant en 1903 d’un voyage de six jours à travers les Alpes suisses  ; la sûreté de la direction en est très augmentée aux grandes allures que l’on atteint dès que la pente s’élève au-dessus de 6 % et qu’on se laisse aller en roue libre à la vitesse limite  ; nous avons même pris l’habitude, dans ces circonstances-là, de nous asseoir sur le porte-bagage A R, et plaçant les pieds sur deux marchepieds fixés au-dessous de l’axe de la roue motrice, nous reportons ainsi tout notre poids sur cet axe. Cette position, que nous rendrons quelques jours plus commode et plus définitive au moyen d’une selle à recul ou d’une deuxième selle, allège la roue directrice, soulage la tête de fourche et augmente de façon sensible le roulement de la machine, d’autant plus qu’elle diminue la surface de résistance à l’air tout comme si l’on se couchait sur le guidon. On tient bien, à la vérité, le guidon un peu à bout de bras, comme un motocycliste sur une machine de course, et des poignées mobiles s’allongeant et se raccourcissant auraient ici leur raison d’être.  »

Vélocio, «  Excursion du “Cycliste”, De Saint-Étienne à Marseille en 15h, Le Cycliste, 1905, p. 41 à 49, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8 

À Noël 1905, il partait avec les «  mamelles  » qui feront sa réputation, et avec son attention pour l’alimentation, on peut le voir fabriquer et emporter l’ancêtre de nos barres énergétiques  :

NOËL AU SOLEIL, 1905

«  j’arrimai encore plus solidement mon bagage  ; à l’arrière, le linge de rechange roulé dans la pèlerine et les jambières, plus une sacoche contenant des cartes, du carbure, les burettes d’huile et de pétrole, un peu d’alcool pour mêler à l’eau de ma lanterne à acétylène et l’empêcher de se congeler, accident fréquent en hiver et qui, un certain soir, m’avait fort ennuyé  ; à l’avant, mes deux besaces, qualifiées si justement de mamelles nourricières par Alpinus, contenaient des provisions de bouche suffisantes pour deux jours, cartouches alimentaires faites de riz au lait très sucré et bourré de raisins confits, des chaussons aux pommes, des oranges, des croquignolles, délicieux biscuits aux amandes que fabrique à ses moments perdus et quand ça lui plaît, un confiseur original dont je ne vous donne pas l’adresse, car il y a dix chances contre une que vous n’en obtiendriez même pas de réponse  ; enfin, du chocolat. Vous voyez que pour être végétarien on n’en a pas moins beaucoup de bonnes choses à sa disposition.  »
Vélocio, «  Noël au soleil  », Le Cycliste, décembre 1905, Page 224 à 230, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

En 1912, voici la répartition de ses bagages et un aveu que beaucoup de cyclotouristes pourront partager  :

UNE DE PLUS, 1912

«  J’emporte un kilo d’armes contre la pluie  : pèlerine, jambières, tablier en toile cirée  ; un kilo d’armes contre la faim  : gâteau de riz, pain et fruits  ; et un kilo d’outils, chambre à air et enveloppe de rechange  ; sacs, lanterne, carbure, timbre, cartes et menus objets font un quatrième kilo et l’ensemble pèse 18 kilos  ; j’emporte toujours trop de choses.  »
Vélocio, «  Une de plus  », Le Cycliste, Juin 1912, p. 125-133, Source Archives départementales de la Loire cote PER1328_12

RANDONNÉE PASCALE, 1912

«  À midi et demi, la veille de Pâques, nous quittons St-Étienne. Avec mon compagnon Ch..., nous grimpons, à petite allure et sous un soleil ardent — avec un léger vent du nord dans le dos — au Col du Grand-Bois, où à 13 h. 30, nous attendait Cl..., jeune étudiant parisien en vacances, qui nous étonnera par l’aisance avec laquelle il enlèvera les côtes les plus raides avec une machine ne pesant pas moins de 26 kg alors que celle de Ch... ne dépassait pas 18 kg et la mienne 19. Ah  ! les temps sont changés  ! Je ne remorque plus comme en 1902 et 1903 des 28 et 30 kg. Cependant j’emporte toujours un tas d’objets qui ne me servent guère, et j’en avais, cette fois, pour 5 kg  : enveloppe et chambre de rechange, lanterne garnie et provision de carbure, jambière et pèlerine caoutchouc, chandail, bas, chemises, mouchoirs, serviette, revolver, quatre cartes entoilées et, enfin, un kilo de provisions de bouche  : pain complet, bananes, kalougas et autres cartouches alimentaires. Ma sacoche contenait l’outillage ordinaire augmenté de quelques clefs spéciales et un supplément de nécessaire de réparation. Bref, j’en avais pour 5 kg, alors que Ch... n’emportait que 2 kg.  »
Vélocio, «  Randonnée pascale  », Le Cycliste, 1912, 72-80, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_12

Il corrigea la donne l’année suivante  : RANDONNÉE PASCALE, 1913

«  je classe mon excursion pascale de 1913 parmi celles dont on se souvient longtemps. J’y ai d’ailleurs gagné quelque expérience du point de vue du bagage à emporter pour une randonnée de deux ou trois jours. Autrefois, je me chargeais d’un tas de choses, cette fois je n’emportai que trois mouchoirs dans une poche, du pain dans l’autre poche, ma sacoche à outils et, dans un petit paquet roulé derrière la selle, ma pèlerine et une chambre à air. Je regrettai seulement, à cause de la pluie, de n’avoir pas emporté mes jambières caoutchoutées. Simplifions et allégeons.  »
Vélocio, «  Randonnée pascale  », Le Cycliste 1913, Le Cycliste, 1963, Rétrospective, p.181

Dans les dernières années de sa carrière cyclotouristique où ses voyages se font moins lointains, il restait sur cette note de simplicité  :

À LA TRAPPE D’AIGUEBELLE, 1927

«  Ma Ballon est d’ailleurs, en fait d’accessoires, aussi peu habillée que possible  : une sacoche à outils et une pompe de cadre qu’on m’a volée une fois et que j’ai failli perdre plusieurs autres fois  : si elle disparaît derechef, je la remplacerai par une petite pompe de sacoche, comme c’était la mode jadis. La mode est pourtant aujourd’hui de charger une bicyclette de tout ce qu’elle peut porter  : sacs de guidon et de cadre, guidons immenses, porte-bagages, éclairage par magnéto, compteur kilométrique et de vitesse, avertisseurs sonores variés, cale-pieds de professionnels... Cette mode me paraît avoir pris naissance dans les règlements des derniers concours du T. C. F., qui attribuaient tant de points aux accessoires que les points attribués à la machine elle-même en étaient annihilés. Je doute qu’il y ait là un progrès réel, et l’on a beau charger un âne de reliques, il n’en reste pas moins âne.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste” À la Trappe d’Aiguebelle  », Le Cycliste, Nov.-Déc. 1927, p.94-99, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

Et quand il s’exprimait de manière générale sur le sujet, son bilan est comme souvent encore aujourd’hui intéressant  :

ANTHOLOGIE DUCYCLISTE”, ÉPOQUEVELOCIO

«  C’est là une question importante, car il s’agit de trouver le juste milieu entre le nécessaire et le superflu, une question souvent agitée dans le «  Cycliste  » au point de vue du poids de l’encombrement, de la répartition sur la machine. Sujet aussi varié qu’inépuisable. Varié, il l’est. Dans ma longue carrière d’incorrigible coureur de grandes routes, je ne crois pas avoir rencontré deux cyclotouristes ou randonneurs, équipés de la même manière  ; et comme je me laisse assez volontiers influencer par les avis et les conseils, mon équipement fut parfois complet au point d’en être encombrant, ou rudimentaire jusqu’à la privation d’objets vraiment nécessaires. Si l’on veut établir une sorte de base sur la question, ce pourrait être avec quatre kilos envisagés de bagages, par ailleurs sagement répartis à l’avant et à l’arrière, afin d’assurer un bon équilibre, une bonne stabilité de la machine et pouvoir résister victorieusement à tous les coups de la fortune, à savoir  :
— chambre à air de rechange...
— Un kilo pour se préserver de la faim  : pain, fruits, chocolat, chausson aux pommes, gâteau de riz... le tout variant suivant les estomacs.
— Un kilo pour se protéger de la pluie  : pèlerine, guêtres, jambières couvrant les pieds…
— Un kilo pour les vêtements et linge de rechange  : veston ou blouson, chemise de nuit, caleçon, chaussettes, pantoufles, objets de toilette…
— On aura aussi, sur soi, une bonne carte de la région et, si on le croit nécessaire, un revolver.
Et ces quatre kilos d’impedimenta sont, à mon avis, suffisants. Beaucoup ne s’en contentent sans doute pas, tandis que d’aucuns y retrancheront quelque chose.  »
Anthologie du “Cycliste”, Le Cycliste, Mars-Avril 1972, Cahier n°16, p.247

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, MARS AVRIL 1929

«  Le jour naissant me permit enfin de reconnaître les alentours, et je venais de traverser la Durance sur l’interminable pont de Rognonas, quand je croisai deux cyclotouristes de chez nous, pesamment chargés, avec bagages à l’avant et à l’arrière de leur bicyclette Chemineau, et sacs d’alpinistes sur le dos. Ils allaient à Frigolet, à Maillane, aux Baux et autres lieux intéressants et ils avaient emporté tout le matériel nécessaire au campement. Comme cette question est en ce moment à l’ordre du jour du Cycliste, je les prierai de nous y faire connaître le résultat de leur essai. J’avais aussi rencontré la veille, à Livron, un groupe de cinq cyclotouristes, qui portaient sur le dos leurs impedimenta. Cette façon de porter son bagage a certainement des avantages qui sautent aux yeux, mais je m’en accommoderais mal, habitué que je suis à pédaler toujours aussi peu vêtu que possible, afin de faciliter l’évaporation de la sueur et d’ouvrir tous mes pores à la pénétration des effluves cosmiques, dont l’influence sur la santé n’est pas négligeable. L’atmosphère est pour nous, comme l’eau pour les poissons, un bain salutaire et bienfaisant  ; ne nous en isolons que le moins possible.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste” », Le Cycliste, Mars Avril 1929, p.30, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

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