État des routes

jeudi 2 mai 2024, par velovi

À l’arrivée de la bicyclette, les grandes routes étaient alors désertées au profit du train, seuls les locaux les utilisaient pour de courts trajets. La route était aussi un lieu où pouvaient jouer les enfants, où pouvaient se trouver des animaux de ferme, où pouvait se pratiquer la pétanque. L’état des routes, macadamisées, dépendait de leur entretien, de leurs rechargements, et des conditions météo. Les tractions animales préféraient un sol meuble, les clous y étaient fréquents. Les véhicules motorisés nécessitèrent d’autres exigences, et causèrent d’autres désagréments. La poussière soulevée gênait et les riverains et les automobilistes. Recouvrir la route de goudron de houille fut la solution proposée et expérimentée d’abord sur 40 mètres par Ernest Guglielminett à Monaco, en 1902. Surnommé Docteur Goudron, il fonda la Ligue pour la lutte contre l’empoussièrement. Juste après la 1re guerre, les routes devinrent mauvaises, moins bien entretenues et plus abîmées par les nouvelles contraintes de la circulation, particulièrement les camions. Les moyennes à vélo diminuèrent...jusqu’à la généralisation de l’asphalte sur les routes nationales puis départementales, grâce aux financements publics.

1905 Tain, Route Nationale
Ruines du Château de Serves
Source «  Médiathèques Valence Romans Agglo  », cote B263626101_CP1166

Au bord du Rhône 1887.

« En avant donc, sur Serrières. Il nous faut trois bons quarts d’heure pour y arriver, à cause du fâcheux état dans lequel se trouve la route, couverte de cailloux épars. Dans l’Ardèche les routes ne sont pas autrement entretenues. »

[...]

« Route superbe, paysage merveilleux, vent favorable, tout nous favorise  ; nous nous arrêtons à peine un instant à Chavanay, juste au pied de la montée de Pélussin et l’un de nous propose de rentrer par le col de Pavezin, mais la proposition est rejetée. En repartant et jusqu’à Condrieu, André H tenant absolument à prouver la supériorité du Quadrant, se lance à une allure folle, au grand ébahissement des gens du pays qui, paisiblement assis dans leur jardin, ne peuvent pas comprendre le plaisir qu’on éprouve à courir ainsi. Mais j’ai de l’amour propre aussi et je tiens également à prouver que l’Eureka a du bon, de sorte que tantôt nous espaçant, tantôt allant de front, nous arrivons à Condrieu dix bonnes minutes avant nos amis, plus paisibles et surtout plus raisonnables. »

Au pays du soleil, 1889

« Nous nous serions arrêtés plus longtemps si le mistral n’eut redoublé de violence à tel point qu’à l’ombre nous avions froid et que nous nous hâtâmes de reprendre la grande route en plein soleil pour nous réchauffer, une route bien monotone et bien poussiéreuse sur laquelle il n’était pas tombé la veille une seule goutte d’eau, pendant que nous en recevions plus que de raison et où nos bicyclettes commencèrent à se couvrir d’une couche de poussière très fine, blanchâtre et collante dont nous eûmes, au retour, beaucoup de peine à les débarrasser et je crois qu’en bien cherchant on en trouverait encore la trace dans les recoins du British Star et du Rudge qui nous servirent de montures en ce mémorable voyage. »

« Cela nous conduit à 5 heures et nous retraversons enfin le Rhône que nous avions franchi la veille à Andance, à peu près à la même heure   ; un pont qui n’en finit plus et qui n’est pas cependant ce fameux pont d’Avignon où l’on dansait en rond et dont il ne reste que des ruines. Au bout du pont, nous sommes dans le Gard, et la route n’est pas bonne, sans compter qu’il faut grimper pendant quelques kilomètres, car nous allons à Nîmes par Remoulins où nous verrons le célèbre pont du Gard. Au fur et à mesure que nous avançons, la route qui, comme je viens de le dire, n’était pas fameuse devient simplement exécrable, et, chose bizarre, nous trouvons çà et là des passages très bien entretenus et sur lesquels on roule supérieurement, ce qui, au lieu de nous consoler, nous fait pester encore plus contre le reste. Arrivés au sommet de la côte, nous ne sommes plus sur une route   ; on dirait qu’une trombe s’est abattue là, fouillant et bouleversant le sol   ; des rochers émergent de 50 centimètres, d’énormes cailloux sont semés de tous les côtés, des trous profonds, des ornières traîtresses   ; c’était à décourager les plus vaillants et cela s’étendait à perte de vue. J’avais pris un peu d’avance sur mon compagnon, et navré d’être, après une longue montée, privé du plaisir d’une belle et facile descente, je mis pied à terre, calai sur une pierre la pédale de ma bicyclette et allai m’étendre sur le gazon. Ah   ! Excellente idée, et comme je retrouvai vite le calme et la patience philosophiques, qui sont qualités de touriste et qui m’avaient abandonné un instant : un ciel d’une limpidité parfaite formait au-dessus de mon front une voûte azurée où les yeux ne se fatiguaient point   ; le soleil m’envoyait des rayons obliques encore chauds, mais la brise très fraîche qui soufflait sur ces hauteurs les tempérait et me les rendait agréables et utiles, car j’aurais eu froid sans cela. Le thym et toutes les plantes aromatiques qui croissent sur les sommets de ces rocailleuses collines, où l’on tue d’excellents lapins, embaumaient l’air autour de moi. La silhouette légère de ma monture se dessinait sur l’horizon et j’allais certainement lui décocher quelques stances rimées (car je sentais le démon poétique s’agiter en mon cerveau) dans lesquelles je l’aurais comparée au char d’Apollon ou à Pégase, peut-être aussi à Bucéphale   ; qui peut dire où s’arrêtera, une fois lancé, un poète doublé d’un cycliste et à quelles comparaisons invraisemblables il aura recours pour communiquer au lecteur l’enthousiasme dont il est dévoré. Le cornet de l’ami Forest vient à propos m’enlever à ces frivoles préoccupations, et nous nous engageons, en maugréant, sur cette affreuse descente où nous sommes contraints d’aller d’un pas de tortue, sous peine de tout démolir, monture et cavalier. Je vous ferai grâce des détails et vous dirai seulement : quand vous irez de ces côtés, tâchez de trouver une autre route : À mi-chemin, les obstacles, devenant de plus en plus infranchissables, nous poussons nos machines pendant un petit kilomètre. Bref, nous serions arrivés à Remoulins de fort mauvaise humeur si, à mesure que nous nous en approchions, le sol ne s’était pas de plus en plus amélioré au point de nous fournir l’occasion de donner quelque vitesse et d’entonner triomphalement le Saucisson de Lyon, dont il n’avait plus été question depuis le pont d’Avignon. »

« Nous enfilons ensuite la grande route de Montpellier, abominablement défoncée et poussiéreuse, jusqu’à 4 ou 5 kilomètres de Nîmes, mais parfaitement ombragée, ce qui est une compensation très appréciable par le soleil qu’il fait ce jour-là, un soleil torride. Notre projet primitif était d’aller de Nîmes droit à Aigues-Mortes où nous pouvions très bien arriver en 2 heures, car la route est plate comme un billard jusqu’à la mer  ; mais, chemin faisant, nous nous dîmes que Lunel était à voir et que ce crochet ne nous retarderait guère. »

Un tour en Savoie 1898

« Jusqu’à Saint-Genix, le paysage n’a rien de saillant, mais il prend là immédiatement tournure   ; à droite la montagne parfois abrupte, toujours pittoresque   ; à gauche la vallée du Rhône   ; la route est étroite mais le sol est très roulant et l’on croit descendre alors qu’en réalité on remonte le fleuve   ; les brouillards sont suspendus menaçants aux flancs de la montagne   ; à la Balme on tourne brusquement à droite et l’on entre dans une gorge très resserrée que le Rhône farouche emplit à lui seul après se l’être creusée entre des masses imposantes de rochers striés de larges bandes, noires à laisser croire qu’il a plu de l’encre sur eux. La route est moins bonne, le brouillard a fait son œuvre et rendu très glissant le sol argileux   ; de temps en temps je sens la roue motrice valser d’une inquiétante façon   ; ce passage vaut, à lui seul, le voyage   ; un gâcheur de plâtre a bien essayé d’outrager la nature en collant une façade de château d’opéra-comique, en carton pâte rose et crème, aux parois d’un roc formidable qui a l’air de froncer le sourcil devant cette insulte gratuite, mais le touriste ne s’en offense pas  : s’il sait qu’on ne peut empêcher les chiens de déposer des ordures le long d’un mur, il sait aussi que la nature ne tarde pas à faire justice de ces insanités et à rejeter dans le néant les œuvres ineptes que les hommes essaient de lui imposer. »

Saint-Étienne Lyon 1898

« À l’époque où, avec mon collaborateur Oros, nous parcourûmes, pour dresser la carte à routes profilées publiée en 1892 par Le Cycliste, les environs de Saint-Étienne et surtout les routes qui relient Saint-Étienne à la vallée du Rhône, je remarquai que celle que je viens d’indiquer était la mieux tracée et descendait sans secousse (sauf un mauvais virage près Luppé) jusqu’au Rhône   ; aussi lui ai-je toujours donné la préférence lorsqu’il s’est agi de passer d’un bassin dans l’autre. »

« De Malleval à Saint-Pierre-de-Bœuf le sol devient plutôt mauvais, de la boue, des flaques d’eau, des ornières, mais aussitôt qu’on débouche sur la route Nationale que le vent du midi balaie depuis la veille, quel agréable contraste  : on dirait une véritable piste et ma grande multiplication m’entraîne à l’allure de 25 à l’heure du côté de Lyon. Il est deux heures   ; je passe successive­ment à Chavanay, Condrieu Ampuis et Sainte-Colombe et à trois heures et demie je m’arrête pour goûter à mi-chemin de Sainte-Colombe à Givors au fond d’une gorge très encaissée où coule, sur des rochers polis et rongés par les eaux, un joli ruisseau qu’on nomme, je crois, le Sifflet. Par les grosses chaleurs ce coin-là doit être frais et charmant, rempli d’ombre et de mystère et l’on doit avoir envie de remonter ce ruisselet dont la source ne peut pas être bien loin ni bien haut    ; mais ce jour-là il était plutôt humide que frais, triste que charmant    ; des photographes amateurs vinrent pourtant pendant que je croquais une pomme, essayer d’y prendre un instantané, je ne crois pas qu’ils aient réussi à y faire autre chose que gâcher deux ou trois plaques. Il faisait déjà nuit dans ce trou, aussi ma collation achevée je ne m’y attarde pas et je me hâte vers Givors, lentement à cause de la boue qui est beaucoup trop abondante depuis Sainte-Colombe   ; c’est à croire que le vent du midi n’est pas venu souffler jusque-là ou qu’il y a plu abondamment le matin. Ces morceaux de mauvaise route après les longs kilomètres de bon chemin que je viens d’abattre me chiffonnent et m’agacent   ; j’en ai gardé une impression de froid humide que je ressens encore entre les deux épaules au moment ou j’écris.

Les excursions que je fais se résument, au bout de quelques jours, en deux ou trois impressions plus vives que les autres, agréables ou fâcheuses mais qui se figent en ma mémoire et qui lorsque je les passe en revue, même celles d’il y a dix ans, les caractérisent nettement et me permettent de les évoquer chacune à son tour sans les confondre.

Me voici tout de même sorti de ce défilé bourbeux    ; la montagne à ma gauche s’éloigne et le sol est à peu près sec, aussi les habitants de Givors se sont emparés de la route et m’obligent à aller encore plus lentement. C’est un petit ennui des sorties dominicales que cette habitude qu’ont les habitants des villes, petites et grandes de se tenir des heures entières au beau milieu des routes    ; quand ils vont deux par deux il n’ a encore que demi-mal, on festonne autour des couples endimanchés sans même les avertir, mais tels groupes vont se tenant par la main ou côte à côte, d’un fossé à l’autre, chantant, titubant ou dansant   ; il faut corner, grelotter, bêler, recevoir des quolibets stupides et attendre en faisant du sur-place que les femmes qui se trouvaient à gauche se soient enfuies à droite et vice versa, comme s’il ne leur serait pas plus facile de se ranger chacune du côté où elles se trouvent. Il y a des cas vraiment où l’on voudrait être pédard pour foncer les yeux fermés en beuglant, en hurlant, en mugissant sur ces troupeaux enju­ponnés qui après vous avoir fait poser se paient encore votre tête. Décidément la boue inattendue de tout à l’heure m’a mis de mauvaise humeur. Et les joueurs de boules   ! voilà un sport qui a pris de l’extension depuis quelques années    ; il faut s’en applaudir parce que bien des gens qui passaient leur après-midi du dimanche dans un tabagnon enfumé, la vivent maintenant au grand air, sans vider par exemple une chopine de moins, mais ils respirent à pleins poumons, font un excellent exercice et les drogues qu’ils ingurgitent leur sont assurément moins nuisibles. Je m’en applaudis donc, puisque rien de ce qui touche à l’hygiène publique ne m’est indifférent, mais je proteste lorsque les joueurs de boules prennent pour boulodrôme la route elle-même et nous jettent leurs boules dans les jantes, il ne faudrait pas qu’un sport chassât l’autre et je demande la route toujours libre. »

[...]

« Givors passé à 4 heures 1/2, il ne me reste que 25 à 26 kilomètres pour rentrer chez moi par la route des bords du Rhône, toujours bonne quand il a plu, affreuse pendant la sécheresse   ; mais elle est semée çà et là de quelques montées   ; je suis, d’autre part, à la fin d’une assez forte étape deux considérations qui me décident à abaisser ma multiplication et à me contenter de 5m,85, c’est un peu mon habitude, toutes les fois que je vais de Saint-Étienne à Lyon, de prendre à ce moment une multiplication moindre que celle qui m’a conduit jusqu’à Givors et je m’en trouve bien. L’emploi raisonné et judicieux des diverses multiplications est d’un grand secours lorsqu’on connaît bien sa route    ; lorsqu’on ne la connaît pas, on est exposé à quelques erreurs sur la longueur et l’intensité d’une rampe par exemple, erreurs qu’on pourrait éviter si l’on savait lire couramment les cartes de l’État-major   ; malheu­reusement c’est ce qu’on sait le moins, et je me rappelle que lorsque M. Hennequin donna des conférences topographiques aux cyclistes pari­siens, il eut, le premier soir, 6 auditeurs    ! C’est donc aussi ce qu’on a le moins envie d’apprendre. »

Ambérieu à Ambérieu, 1898

« Dans un petit hôtel dont le nom m’échappe, au point de rencontre des routes de Bellegarde, Culoz et Nantua, j’obtiens un seau d’eau fraîche pour me doucher et un repas à peu près végétarien, ce qui n’est pas toujours chose facile. En quittant Châtillon-de-Michaille, par la route qui va en ligne absolument droite à Vouvray, il me semble avoir le vent bien dans le nez   ; le matin, cependant, il m’avait paru souffler au Nord, et je serais curieux de savoir quelle a été sa direction générale ce jour-là. On ne sait jamais à quoi s’en tenir avec cet insaisissable adversaire. Un jeune cycliste du pays, à qui j’avais demandé des renseignements sur la route jusqu’à Culoz, m’avait assuré que «   c’était plat tout le temps   »   ; un drôle de plat, en vérité, où l’on descend toujours, à moins que l’on ne monte, mais il ne faut pas se plaindre puisqu’on s’abaisse, en définitive, de 250 mètres, au bas mot, sur 40 kilomètres. J’ai eu pendant ce trajet l’occasion de faire des descentes magnifiques, ni trop longues, ni trop rapides pour devenir dangereuses, mais suffisantes pour me faire goûter l’ivresse de la vitesse, rassuré par l’énergie de mon frein Lehut, et la solidité de ma monture. On a constamment à gauche un panorama splendide. Tout à coup la route plonge, par des lacets successifs, vers le Rhône qui serpente à 100 mètres au-dessous de moi   ; qu’est-ce que cela veut dire   ? Au lieu de rester à flanc de coteau me serais-je engagé par mégarde sur l’embranchement qui conduit à Seyssel où je ne dois pas passer   ! Je m’arrête, indécis, et attends qu’un passant m’explique la situation. Qu’il est donc ridicule de s’embarquer ainsi sans la moindre carte   ! On ne m’y reprendra plus. Deux indigènes se présentent et j’apprends que je suis bien dans la bonne voie et encore assez loin de Seyssel, ils me montrent la route qui, après avoir plongé au fond d’un ravin, remonte à son niveau de l’autre côté et m’apprennent qu’une nouvelle route est en construction   ; j’en verrai l’amorce tout à l’heure   ; qui supprimera cette inutile descente et cette montée plus inutile encore. Bravo Messieurs les Ingénieurs, s’écrierait P. d’Allabille, rectifiez les sottises de vos prédécesseurs. Arrivé en bas, persuadé que je vais avoir à grimper rudement, je prends ma faible multiplication (3,40) et je me rehisse sans effort à l’altitude que j’avais perdue   ; la pente, à la vérité, ne justifie pas un aussi faible développement, si ce n’est peut-être pendant quelques centaines de mètres, mais je ne m’en trouve pas mal et j’attends la première descente pour reprendre 5 m. 90. Sur une sorte d’éperon, les murs ruinés d’un château fort ajoutent au paysage un charme de plus   ; j’admire avec quel art les seigneurs qui se construisaient ces repaires en choisissaient l’emplacement. »

[……..]

« Après Seyssel, on descend d’une façon très appréciable jusqu’à Anglefort d’où quelques kilomètres de presque plat m’amènent à Culoz. Le sol qui, jusqu’à présent, a été très médiocre, devient atroce, on ne roule plus on navigue dans la poussière   ; mon pédalier haut me met heureusement à l’abri du dérapage dont justement est victime, sous mes yeux, un cycliste que je suis depuis un moment. »

[…]

« Il pleut au moment où j’écris   ; j’en suis enchanté pour les gens de là-bas, je regrette seulement qu’il n’ait pas plu avant mon passage. Virieu-le-Grand  : de l’eau   ; de l’ombre   ; ce coin-là paraît fort gentil, je m’y désaltérerais volontiers, car la poussière m’a séché, mais la nuit s’avance à grands pas   ; j’ai 5 heures et 1 /2. J’avise un facteur rural  : «   Combien de kilomètres jusqu’à Tenay   ? 23 me répond-il sans hésiter. Merci. J’accélère un peu l’allure et le sol est moins poussiéreux   ; bientôt la lune dessine devant moi une ombre vague, incertaine, c’est la mienne, à mesure que le jour baisse elle s’accentue, et la transition se fait ainsi du jour à la nuit insensiblement, sans que j’en aie conscience. Qu’es aco   ? un chaotique amas de pierres, de morceaux de rochers, à travers lequel la route resserrée à l’extrême ne laisserait passer qu’avec peine une voiture, puis un pont étroit, un passage à niveau, un autre pont branlant, toujours dans l’amoncellement de ces débris de montagne   ! Assurément, il s’est passé là quelque chose d’anormal, quelque éboulement a eu lieu qui me paraît avoir même déplacé la route. Cela ne me surprend que tout juste, et ces étroits ravins, encaissés entre les montagnes rocheuses, très friables, doivent être habitués à de telles surprises. Ceux qui n’aiment pas s’exposer à recevoir des tuiles sur le crâne feront bien de ne pas trop fréquenter par là. 6 heures 1 /2, je ne dois pas être loin de Tenay   ; des groupes de promeneurs commencent à me crier  : «   Et ta lanterne   !   » Cela sent la civilisation. »

Vers la Méditerranée, 1899

« Dès que j’ai passé le Rhône il me semble que le vent m’emporte encore plus rapidement et sans y mettre du mien je file à 30 à l’heure, tant et si bien que j’arrive aux premières maisons de Valence alors que je croyais en être encore loin. Le sol est bon et le paysage agréable  : mais les montagnes s’éloignent et je vais bientôt rouler dans la plaine monotone. »

[…]

« La route est bonne, monte et descend à peine  : seulement, on la charge sur un assez long parcours au point de ne pas laisser, soit à droite, soit à gauche, le plus petit passage et force m’est d’aller passer dans un champ d’oliviers. J’arrive à 4 h. 30 dans la ville aux trois noms, postée comme une sentinelle à l’entrée du vaste étang de Berre dont on parle sérieusement de faire une rade de guerre, il est assez grand pour cela et des navires réfugiés là ne courraient aucun risque d’être capturés. Mais il y a si longtemps qu’on en parle que je crains bien que ce ne soit une blague que les Marseillais font à leurs bons amis li Martigaou. »

« J’avais gardé le développement de 7m25 malgré les quelques montagnes russes qui avoisinent Boulieu et j’allais, grâce au vent favorable dont la force croissait de minute en minute, en tirer un parti inespéré. J’aurais pu passer le Rhône à Andance et aller rejoindre la grande route nationale, mais à tort ou à raison, je me figurai qu’il valait mieux rester sur la rive droite et je ne traversai qu’à Tournon. Je connaissais, pour l’avoir parcourue cet été, la route de la rive droite qui est vraiment très roulante et j’avais gardé de mon dernier voyage dans le Midi en 1889 une mauvaise impression de la route de la rive gauche qui, entre Andancette et Tain, est souvent barrée par des caniveaux très désagréables. »

Excursions de pâques, 1901

« À Sorgues, nous abordons 12 kilomètres de route défoncée à vous en donner le mal de mer   ; sauf quelques mauvais kilomètres avant Orange, et la traversée des grands bois dans la boue et la neige, nous n’avions eu jusque-là qu’à nous féliciter de l’état des routes, mais de Sorgues à Avignon, c’est à douter de l’existence des ingénieurs des ponts-et-chaussées. Enfin le mauvais pas est franchi   ; nous longeons les murs pittoresques de la cité des papes (on va, dit-on, les jeter bas   ; ce serait une sottise) et, enfilant la route de Tarascon, nous traversons, à midi précis, la Durance sur l’interminable pont de Rognonas. Ah   ! par exemple, il fait chaud, et les noms des villages, Barbentane, Graveson, Maillane, patrie de Mistral dont la maison borde la route, nous annoncent bien que nous sommes dans le Midi, pourtant les cigales ne chantent pas encore et, chose bizarre, la végétation n’est pas plus avancée qu’à Andance et Saint-Vallier   ; les arbres sont en fleurs, mais pas de verdure encore, ni aux branches ni aux buissons. »

Excursions de l’ascension, 1901

« À signaler comme très bonne la route de Pont-Saint-Esprit à Remoulins, surtout après Valliguières, où elle serpente dans le fond d’un vallon très étroit et d’une délicieuse fraîcheur   ; elle est dans l’ensemble assez accidentée et, soit d’un côté soit de l’autre, l’on n’arrive à Pouzillac que par une rampe accentuée, dont les tournants à la descente sont dangereux. Pour arriver de ce côté au Pont du Gard sans aller faire le tour par Remoulins, il faut, à 100 mètres après le passage à niveau, tourner à droite et suivre, pendant environ 1.500 mètres, un chemin sablonneux, mais pourtant véloçable   ; on gagne ainsi 14 bons kilomètres.

De Remoulins à Aigues-Mortes, trajet ennuyeux, route le plus souvent détestable, soleil brûlant, paysage plat et monotone, on a hâte d’arriver, nous évitons Nîmes en passant par Marguerittes, Bernis, Uchaud. Voici la Tour Charbonnière, ainsi nommée, nous dit un indigène, parce que les Romains y avaient établi un dépôt de charbon   ! Aigues-Mortes, la ville de saint Louis, n’est plus bien loin et nous mettons enfin pied à terre devant ses remparts, au pied de la Tour de Constance dont l’intérieur mérite d’être visité. De là au Grau-du-Roi, promenade de six kilomètres, le long d’un canal aux eaux sales d’où montent des odeurs de poisson pourri. »

Noël au soleil, 1905

« Le samedi 23 décembre, je ne me mis en selle qu’à 7 heures   ; l’étape devait être courte et toute la plaine était noyée dans un brouillard glacé. Je me heurtai de suite aux ornières congelées d’une route mal entretenue semblable à un champ fraîchement labouré, et je fus maintes fois obligé de descendre et de pousser ma machine. Il gelait ferme, heureusement, sans quoi une boue épaisse m’aurait contraint à porter mon pauvre n° 5   ; rien n’est terrible comme la boue de dégel qui obstrue les têtes de fourche, couvre les chaînes, les pieds, les jambes, et finalement arrête les plus intrépides   ; c’est en pareil cas qu’on apprécierait une machine sans chaîne   ! Peu à peu, le sol s’améliora et je pris une bonne allure   ; de temps en temps, j’entendais des coups de fusil dans le brouillard et j’agitais vivement mon grelot, craignant d’être pris pour quelque gibier d’importance par ces nemrods fanatiques. »

« Je filais bon train sur cette route que je connais par cœur  ; à 11 heures, je traversais Valence   ; à 13 heures, Montélimar   ; à 15 h. 1/2, je laissais Orange derrière moi, et une heure plus tard, j’arrivais à Carpentras en dépit d’une route devenue soudain mauvaise, où je retrouvai la boue dégelante et les ornières congelées de chez nous. C’est sans doute le voisinage du Ventoux qui entretient dans ces parages une température aussi basse que dans nos Cévennes. Pas le moindre incident de route   ; quelques chiens trop agressifs que je dus éloigner parfois d’un coup de revolver. »

« À Carpentras, j’avais encore devant moi une bonne demi-heure de jour   ; c’était plus qu’il ne m’en fallait pour pousser jusqu’à Pernes, où je faillis ne pas arriver cependant si tôt que je le pensais, tant la route, sillonnée d’ornières profondes, fut, pendant les premiers kilomètres, impraticable. Sur un sol pareil, j’admets que plus les roues sont hautes, plus facilement elles se dégagent, mais les roues de 70 centimètres des mono-multipliés que je rencontrai ne semblaient pas les protéger plus que les miennes de 50 centimètres et nous allions tous à pied. Enfin, la route mieux entretenue nous permit de rouler et je m’arrêtai à Pernes à 17 heures précises. »

Saint-Étienne Marseille, 1905

« Bonnes routes, sauf en descendant sur Andance, 500 mètres d’empierrement fait en dépit du bon sens et qui dénote chez les agents-voyers de l’Ardèche peu de sens pratique  : d’abord, épandage du lit de cailloux sur toute la largeur de la route, alors que dans la Loire on laisse toujours libre une moitié de la route   ; ensuite, attaque du rouleau à vapeur de bas en haut, si bien que les voitures qui descendent à plus vive allure que celles qui montent (la pente est là de 7 %) entrent à toute vitesse dans toute l’épaisseur du lit de cailloux   ; si le rouleau commençait, au contraire, sa besogne de haut en bas, les voitures qui descendent entreraient dans la partie déjà à demi-écrasée et auraient le temps de ralentir, et celles qui montent, allant au pas, ne se-raient pas davantage incommodées.

Ce sont là des observations qu’un simple passant ne devrait pas avoir à faire à la sacro-sainte Administration, et il serait bien désirable que les Ponts et Chaussées de la Loire, où le service des routes est parfaitement dirigé, donnent quelques conseils à leurs voisins de l’Ardèche.

J’arrivai à 30 à l’heure sur ce barrage de pierres aiguës où des pneus crayons auraient rendu l’âme sûrement   ; mes gros pneus souples atténuèrent le choc et je pus mettre pied à terre sans accident. »

« Les perforations des épingles et des épines m’ont toujours permis de continuer en regonflant de temps en temps. Par contre, je n’ai jamais crevé par pincement de la chambre entre la jante et les cailloux, et les arrêts les plus brusques immobilisant la roue n’ont jamais raboté la surface de roulement, qui ne pourrait d’ailleurs pas résister à ce traitement, puisqu’elle n’a que deux millimètres d’épaisseur.
J’attribue cette immunité à l’extrême souplesse des pneus que les silex et les morceaux de verre n’entament pas. À noter que 2.000 kilom. ont été faits pendant les mois où l’on recharge les routes et que j’ai dû, maintes fois, traverser à toute vitesse des rapiéçages de fraîche date, comme on en rencontre fréquemment sur nos chemins de grande communication où passe rarement le rouleau à vapeur. »

Randonnée pascale, 1907

« À 19 heures nous virons à Andance et nous constatons avec peine que le vent est contre nous, pas très fort, mais suffisant pour diminuer de 2 ou 3 kilomètres notre vitesse horaire. On allume les lanternes qui firent vaillamment leur devoir   ; la lune, d’ailleurs, nous inondera toute la nuit de sa pâle clarté. Nous arrivons à Valence à 21 heures sans autre incident désagréable que la traversée de deux bons kilomètres d’empierrements fraîchement épandus. D’une façon générale, le sol est moins bon qu’autrefois   ; cela tient sans doute aux pneus ferrés des autos qui le labourent et déchaussent les cailloux. À quelque distance de Valence, premier incident  : le pneu arrière de Dupuy rend l’âme sur un caillou et nous voilà, au clair de la lune et des lanternes, démontant la roue pour remplacer ce boyau crevé, ci  : 35 minutes d’arrêt et je trouve que mon compagnon est joliment habile   ; mais le voilà devenu inquiet — Si je crève un pneu tous les cent kilomètres, murmure-t-il, mes quatre rechanges ne me permettront même pas d’arriver à Nice   ! — Il donne un peu plus d’eau à son carbure afin d’éclairer suffisamment le sol devant lui pour qu’il puisse voir et éviter les moindres cailloux, préoccupation déprimante. Peu à peu, cependant, le vent se calma et nous allions nous en féliciter quand, après Livron, nous voyons, sur la route, des flaques d’eau qui, dans Loriol, s’étendent sur toute la chaussée   ; il vient sûrement de pleuvoir et si la pluie a abattu le vent elle a couvert la route de boue   ; nous allons être terriblement handicapés. Jusqu’à Montélimar (23 h. 1/2) et , même jusqu’à Donzère le mal n’est pas encore bien grand   ; la descente sur Donzère se fait à grande allure   ; j’ai, depuis le col des Grands Bois, le jeu de 7m,40 et 5m,30   ; avec ce dernier développement, la montée ne m’a pas coûté beaucoup d’efforts. Dupuy a 7m,50 et 4m,35 et marche avec beaucoup d’aisance. Mais à Pierrelatte et à mesure que nous approchons d’Orange, la boue va crescendo à tel point que, s’insinuant traîtreusement sur nos chaînes et dans nos roues libres, elle va nous jouer une série de tours pendables outre celui d’augmenter considérablement la résistance au roulement. Déjà l’absence des garde-boue se fait sentir chez Dupuy qui est obligé de s’arrêter et de dégager ses roues dentées, que la roue directrice asperge abondamment   ; un peu plus loin, nouvel arrêt pour recharger la lanterne qui lui est plus nécessaire que jamais. À Orange, nous faisons halte auprès d’une fontaine pour nous lester de quelques calories et, au moment de repartir, impossible de démarrer   ; il faut enlever les chaînes et nettoyer les roues libres. Il est trois heures environ quand nous nous éloignons d’Orange et l’allure baisse lamentablement. Nous pataugeons, à la hauteur de Bédarrides, dans de véritables fondrières. Il est inconcevable qu’on laisse une route nationale de cette importance dans un tel état de délabrement. Cela dure jusqu’à Sorgues où les rails viennent compliquer la situation en nous exposant à des dérapages que nous avons pu éviter jusqu’ici. Depuis longtemps nous marchons à travers un brouillard humide qui, ne s’élevant qu’à trois mètres à peu près au-dessus du sol, n’empêchait pas la lune de nous éclairer   ; il nous mouillait plus que ne l’aurait fait une petite pluie, nos provisions dans nos sacs, dans nos poches en étaient transpercées et copieusement humectées. Après Sorgues, ce brouillard devint assez épais pour voiler la lune et nous rendre plus difficile notre tâche   ; nous commençons aussi à rencontrer des voitures   ; à Sorgues, un chemineau me demande l’heure qu’il est  : 4 h. 10   ; j’allais à pied à ce moment, tant pour me réchauffer que pour attendre Dupuy qui renettoyait sa chaîne et ses pignons. Bref, cette fâcheuse situation nous préoccupe si fort qu’au Pontet nous manquons la traverse par Montfavet où nous aurions peut-être trouvé une route meilleure et nous sommes très étonnés de nous voir en Avignon à 5 heures précises. Nous pataugeons de plus belle à pied, à la recherche de la route de Marseille. Quand nous y sommes, l’aube se lève et l’espoir d’une journée meilleure que ne le fut la nuit nous ranime. Nous avons malheureusement trois heures de retard sur mon temps habituel qui, pour Saint-Etienne-Avignon, est de 10 heures, mon record étant de 9 heures avec vent favorable pour ces 220 kilomètres. Le sol devient plus ferme et l’on peut augmenter l’allure, ce n’est pas malheureux   ! »

Randonnée pascale 1909

« La route, autour de Roquevaire, est dans un état inénarrable, bosses, trous, pierres semées, tout s’y trouve, sauf une voie réellement cyclable. Je m’en tire comme je peux et soudain, sans transition, me voici sur une vraie piste  !
Les routes du Midi ne sont jamais bonnes ou mauvaises  ; elles sont exécrables ou délicieuses on y saute toujours d’un extrême à l’autre. A Gémenos, je tombe dans un empierrement à côté duquel ceux de la Loire sont enfantins. L’épaisseur de la couche de cailloux calcaires que le rouleau écrase est juste de 50 centimètres, comme il est matériellement impossible aux voitures de grimper là-dessus, on a ménagé çà et là des garages de croisement et l’on n’empierre la route que par moitié.
Ce sont là des réparations qu’on ne doit faire que tous les dix ans, et je comprends pourquoi avant d’y procéder on attende que la circulation soit devenue absolument impossible. »

Sainte Baume et Ventoux, 1913

« Comme nous aurions pu discuter longtemps sans nous entendre sur cette question mécano-physiologique, nous décidons de parler d’autre chose, et M. V.-B..., qui a beaucoup voyagé, beaucoup étudié, qui a su voir et comprendre, nous apprend maintes choses intéressantes. Pendant ce temps, les kilomètres défilent   ; Sorgues, le Pontet, Montfavet sont dépassés et nous pestions contre le mauvais état de la route pleine d’ornières, quand nous rattrapons un cycliste de nos amis, M. M..., de Lyon, qui est en train de s’offrir une étape de 40 heures. Il vient de passer la nuit à pédaler et ne s’en trouve pas le moins du monde incommodé   ; il monte une Terrot H qui ne lui a pas donné le moindre ennui, bien qu’elle ait reçu sa bonne part de pluie et de boue depuis la veille. M. M... a pour but immédiat les Baux, et pour point terminal Bandol. Nous nous séparons à l’autre bout du pont de Bompas. Orgon, Senas, Pont-Royal, une petite rampe, puis une bonne descente qui nous amène en trombe à Lambesc. Halte déjeuner,  olives noires, beurre, confiture et chocolat. Pendant que nous déjeunons, 8 heures sonnent   ; nous venons de franchir 78 kilomètres en 3 h. 5, excellent apéritif. Nous repartons, toujours avec bon vent dans le dos, et, en longeant un empierrement, pan   ! un pinçon au pneu arrière   ; en dix minutes les deux trous sont- obturés et nous repartons. Les quelques kilomètres de descente qui aboutissent à Aix sont négociés à la vitesse limite, plus près de 60 que de 40 à l’heure   ; nous cueillons à l’entrée de la ville M. V.-B...., qui, prudemment, avait pris les devants, et gagnons, sans nous attarder, la route de Toulon. »

Randonnées préparatoires, 1920

«  Nous devons de plus en plus — et j’imagine qu’il en doit être de même autour de tous les grands centres — rechercher, quittes à allonger un peu nos itinéraires, les routes, les chemins mêmes, où ne fréquentent pas les camions automobiles, ces ravageurs du macadam le plus solide. Il est, à ce point de vue, désirable que les abonnés du «  Cycliste  » signalent les voies secondaires qui peuvent suppléer, de ville à ville, les lignes plus directes qu’empruntent les autos.

Par exemple, ayant formé le projet d’aller, cet été, voir un coin des pays dévastés et surtout la tombe d’un de nos bons randonneurs tombé au champ d’honneur, près de Reims, je serais heureux de savoir par quelles voies détournées je pourrais éviter la grande route sillonnée et défoncée en maints endroits par les camions à double et triple remorque, compagnons gênants s’il en fût.

On a suggéré l’idée d’une carte routière spéciale pour cyclistes où ces petites routes seraient particulièrement désignées : une telle carte nous rendrait de grands services et il ne faudrait pas hésiter à y faire figurer même les simples sentiers cyclables, par exemple les chemins  »

Vallée du Rhône — Les Baux, 1921

« Nous partons à 2 heures, sous les rayons de la lune qui nous permet d’économiser notre carbure. Dès que nous sommes sur le plateau de la République, nous nous trouvons aux prises avec ces contingences nouvelles   ; la route est dans un état inénarrable, ornières, trous et cailloux épars, puis, dès l’entrée dans le grand bois, boue épaisse, à demi gelée, labourée par les camions et formant de véritables sillons. Pendant trois kilomètres, il faut aller à pied péniblement et lentement. Même à la descente, bien que le sol soit meilleur, il faut être prudent   ; des parties de route sont en cours de rechargement, d’autres sont fraîchement réparées et l’on n’ose pas laisser courir comme autrefois. Bref, nous ne sommes à Andance qu’à 5 h. 45, en retard d’une bonne heure sur notre temps habituel. Le jour commence à poindre, le ciel est brouillé, pas un souffle, il est bien difficile de pronostiquer le temps qu’il fera dans la journée. La route, d’abord mauvaise, s’améliore ensuite, devient ici pire, là meilleure qu’elle ne le fut jamais, et il en sera ainsi constamment, à tel point que je ne saurais dire si le bon l’emporte sur le mauvais ou si c’est le contraire. En tout cas, ces alternatives coupent l’élan et l’on ne peut plus atteindre qu’à de rares intervalles ces allures de 35 à 40 km. à l’heure qui, avec vent favorable, mettaient Avignon à 10 heures de Saint-Étienne. Et ne voilà-t-il pas que, pour aviver nos regrets, le vent s’élève derrière nous et va crescendo, si bien que lorsque nous nous arrêtons, à 8 heures, à Beauchastel, pour le petit déjeuner, il soulève déjà des tourbillons de poussière  ! Nous resterons jusqu’au Pouzin sur la rive droite où la route est, nous a-t-on affirmé, meilleure que sur la rive gauche que nous empruntions autrefois à Tain ou à Valence. La rive droite est en outre, moins monotone, et les quelques kilomètres de plus que nous ferons ainsi sont bien compensés par l’attrait d’un paysage plus varié »

[...]

« La violence du vent augmente et nous annonce pour la soirée un véritable mistral, fléau du Midi, nous n’en pouvons guère profiter, forcés que nous sommes de louvoyer entre les trous et de rechercher, tantôt à droite, tantôt à gauche, les meilleurs passages. Mais, soudain, quelques kilomètres de route toute neuve se déroulent devant nos roues et me permettent de donner à mon compagnon qui en doutait un échantillon des vitesses qu’en pareil cas nous pouvions soutenir autrefois sans la moindre fatigue, pendant des centaines de kilomètres. Nous voilà donc filant à 40 à l’heure, pas longtemps, hélas  ! Nous contournons Montélimar et nous nous hâtons vers Donzère où nous ferons, auprès d’une fontaine que je connais de vieille date, un second petit repas tiré du sac. Par chance, la route est assez bonne à la descente pour nous y laisser pousser par le vent sans avoir à freiner constamment, et nous y atteignons dans les lignes droites la vitesse limite qui, dans ces conditions, doit osciller entre 50 et 60 à l’heure. Sensation très agréable que de se sentir ainsi emporté dans un tourbillon de poussière. »

Randonnées expérimentales, 1921 :

« Jusqu’à Tournon, la route avait été convenable, mais je m’attendais à trouver bien mauvaise la rive gauche de Tain à Valence  ; je fus donc agréablement surpris en constatant que, sauf en quelques passages autour du Pont-d’Isère par exemple, on avait réparé et qu’on pouvait rouler à bonne allure sans inconvénient. De Valence, où je marque un petit arrêt auprès d’une fontaine, je file par Beaumont et Montmeyran  ; cailloux et têtes de chat m’obligent tout d’abord à aller moins vite, mais peu à peu, le sol s’améliore et, le vent aidant, j’arrive rapidement à Crest où je trouve la toujours très belle route de la vallée de la Drôme. À 8 heures, j’étais attablé dans un petit café, à Saillans, devant une tasse de café chaud dans lequel je trempais un peu de pain tiré du sac, coût : 30 centimes, le prix d’avant guerre   ! Cette route est jolie depuis Livron  ; la vallée qu’elle remonte, d’abord entre de modestes collines, puis entre des montagnes très escarpées qui la serrent parfois jusqu’à l’étrangler, à gauche les sommets du Vercors, à droite les escarpements de Rochecourbe, cette vallée est très fertile, très peuplée et par conséquent très cultivée  ; les cigales, surtout après Saillans, y font un bruit étourdissant et l’on s’y croirait au pays des félibres   ;les moissons y sont d’un jaune doré, rutilant, flamboyant, c’est de l’or qui ondoie sous la brise  ; le pain fait d’un tel froment doit être plus nourrissant, élus vivifiant que celui des pâles épis de notre Forez moins ensoleillé. »

De saint-Etienne au Lautaret Août 1921

Le sol est un peu rugueux, de temps en temps des ornières et des cailloux épars coupent l’élan, mais on n’y voit pas de ces trous et de ces bosses qui caractérisent nos grandes routes. Les cyclistes stéphanois devront, à mon avis, la préférer aux autres routes qui conduisent à la Côte-Saint-André par Serrières-Beaurepaire ou Andance-Moras ; mais la meilleure combinaison serait de faire en chemin de fer le trajet Saint-Rambert-d’Albon à Rives quand l’horaire de cette petite ligne s’y prêtera. Il faut nous faire à cette idée que pour certains trajets il sera préférable d’avoir recours au grand frère, tant que les routes resteront ce qu’elles sont ; car se faire trépider pendant des heures, être obligé de ne pas quitter la route des yeux et de louvoyer constamment pour éviter trous, cailloux ou ornières, tout cela enlève beaucoup de charme aux étapes de transport qui, autrefois, nous conduisaient plus agréable¬ment et souvent plus rapidement vers les terrains d’excursion. Le difficile, quand on part pour plusieurs jours, est de savoir d’avance quels sont, les tronçons à faire en chemin de fer ou par quels détours on peut les éviter. Il y aura là de la besogne pour l’Association uniquement consacrée au cyclotourisme que, de divers côtés, on songe à fonder, et qui serait pour nous ce qu’est, pour les alpinistes le Club alpin, c’est-à-dire un groupement où il n’y aurait que des cyclotouristes.
Mais j’entends qu’on me dit de ne pas m’en faire, que bientôt les routes seront redevenues ce qu’elles furent, grâce à de nouvelles méthodes de rechargement en cailloutis goudronné qui rendront la surface inattaquable, même par les autos camions de dix tonnes... Allons tant mieux, mais, en attendant, la route de mi- plaine qui, après La Frotte, avait bien commencée et le vent aidant, nous avait permis de prendre la grande allure, finit mal tout à coup, et mon pauvre pneu rend l’âme derechef sur un silex.

Randonnées préparatoires

« 
Cette route Lyon-Givors-Saint-Etienne, après avoir été, après la guerre et encore l’an dernier, la pire de toutes les routes de France dans toute sa partie appartenant au département du Rhône, est tout à coup devenue la meilleure. Elle a bien encore, çà et là, des passages atroces qui nous rappellent ce qu’elle fut, mais des kilomètres de bon macadam après Givors et des kilomètres de ciment armé autour de Brignais, nous font passer de si agréables moments, que nous pardonnons aux Ponts et Chaussées ces quelques négligences. J’aurais dû normalement rentrer en moins de trois heures et demie ; il me fallut quatre bonnes heures, car je fus obligé de manger à Rive-de-Gier un gros morceau de mon chausson aux pommes, tant le vent contraire avait entamé les calories qu’un solide repas à Lyon m’avait fournies. »

14 juillet 1923  :

« Malheureusement, cette belle et bonne route du col à Andance a été abîmée par un rechargement maladroit. L’Administration a eu l’idée d’y semer au printemps des cailloux noirs qui paraissent d’origine volcanique et qui n’ont pu être amenés là qu’à grands frais. En quelques semaines, ces cailloux ont été arrachés, dispersés et ont transformé la chaussée en un lit de torrent  ; jusqu’ici on avait rechargé avec les pierres de la région, qui s’écrasent plutôt qu’elles ne se déchaussent et qui ont sans doute plus de cohésion entre elles et plus d’adhérence avec la substruction de la route, car un rechargement donnait, au moins pendant une année et à moins de frais, une surface de roulement convenable. Facile à comprendre que, dans ces conditions, je n’ai pu aller bien vite à la descente, et ces 37 km., que j’ai souvent bâclés en une heure et demie, me demandent aujourd’hui deux heures. »

« Je ne trouve sur les bords du Rhône aucune fraîcheur   ; le vent du midi, dont la force va croître rapidement et me retarder beaucoup, est déjà chaud   ; jusqu’à Tournon, route acceptable, mais de Tain à Valence, le sol a été ravagé et les bas-côtés où j’avais pu rouler facilement le 1er avril, sont maintenant pleins de sable   ; obligé de rester sur la chaussée, je suis rudement secoué et je ne pourrai presque jamais utiliser la 4e vitesse de ma randonneuse bi-chaîne-flottante. »

Excursions juillet aout ?? 1924

« Me voici sur la nationale n° 86 devant un vaste placard qui m’apprend que je suis à 36 km. de Serrières. Le macadam si mauvais il y a çleux ans, est idéalement roulant ; on va donc pouvoir s’en donner et je ne tarde pas à pédaler à mon maximum qui, avec mon lourd engin, ne dépasse pas le 25 à l’heure. C’est le premier moment agréable de l’excursion ; peu d’autos, on peut regarder à droite et à gauche et je ne m’en fais pas faute ; le soleil me réchauffe autant que l’exercice ; j’en avais besoin. A Condrieu, j’entre soudain dans un rechargement et une boue de dégel où je manque déraper ; puis, le macadam redevient mauvais et la danse commence entre les trous, les bosses et les cailloux. Comme un malheur n’arrive jamais seul, le ciel s’embrume de nouveau, la température se resserre et j’arrive à Serrières un peu transi. »

Excursions 11/12.1927

« Nous prenons congé à 6 heures  ; la température s’est sensiblement abaissée, mais les 3 km. de montée nous réchauffent et nous nous hâtons à bonne allure vers Montélimar où il est impossible à P... d’acheter du nougat, vu l’heure matinale. A 7 heures, nous sortons de la ville  ; la route est mouillée, le vent est contraire et mon allure s’en ressent  ; je laisse mon compagnon filer devant, je ne passe devant la gare de Valence qu’à 9 h. 15’  ; je ne m’arrête que dix minutes, le temps de manger quelques bananes et je vais traverser le Rhône à Tain pendant que P..., resté sur la rive gauche, ne le traversera qu’à Andancette et arrivera à Andance, au pied de la montagne, à midi moins le quart, en même temps que moi, à ma grande surprise, car ne l’ayant pas revu depuis Montélimar, je le croyais beaucoup plus loin  ; mais il avait flâné par ci par là et ç’a été une fois de plus l’histoire du lièvre et de la tortue. »

Tain (Drôme). - Route Nationale B263626101_CP1197

Excursions janvier 1929

« la route est maintenant si bien entretenue, si unie, si roulante qu’on n a pas grand mérite à tenir le 30 à l’heure  ; mais j’aurais été plus à l’aise et je serais aise peut-être plus vite si j’avais pu de temps en temps passer de 6 m. 60 à 8 mètres, pour profiter des légères déclivités qui se rencontrent sur la vieille voie romaine dont le tracé, m’assure-t-on, est encore celui de la route actuelle. »

« Il faisait maintenant grand jour et je pouvais voler de mes propres ailes, mais je me sentais tellement sûr d’arriver à Saint-Étienne de très bonne heure, grâce à notre départ matinal, que nous en prenions tout à fait à notre aise, surtout entre Tain et Saint-Vallier. Ce bout de route ne m’est pas aussi connu que celui de Tournon à Barras, sur la rive droite, que nous suivions toujours jusqu’à ces derniers temps parce que le sol y était meilleur. Aujourd’hui, c’est le contraire, et je découvre maintenant qu’outre la qualité du sol, la rive gauche est beaucoup plus intéressante : plus de variété dans le paysage, plus d’imprévu, plus d’animation aussi. Désormais, je franchirai toujours le Rhône à Sarras où nous finissons par descendre aujourd’hui à 9 heures et quart, à l’hôtel du Commerce, pour y prendre un second café au lait qui, cette fois, fut exquis, chose rare. »

Excursions du Cycliste Sept oct 28

On m’assure de bonne source qu’en 1929 la route de Saint-Galmier à Bellegarde et à Sainte-Foy sera goudronnée, comme elle l’est de Sainte-Fov à l’Arbresle pendant 21 km. qui ne m’ont demandé que 50 minutes, malgré un peu de vent contraire. Quand on se trans¬porte, on s’occupe beaucoup plus des contin¬gences de la route que du paysage et je me demande currente reta, jusqu’à quelle légèreté nous pourrons amener nos montures quand toutes les routes seront goudronnées ou cimentées, comme celles qui entourent Lyon, par exemple. Les dix kilos qui nous paraissent actuellement un minimum pour une solide bicyclette de route, seront peut-être alors un maximum, car où il n’y a plus de heurts, de chocs, ni de secousses, ni même de trépidations, plus n’est besoin de tubes aussi épais, de roues aussi hautes, de châssis aussi lourds, pour des véhicules actionnés par la seule force humaine, infiniment plus souple et plus intelligente qu’une force mécanique aveugle et brutale. Et nous ferons des moyennes de 30 à l’heure, et les vieux moteurs pourront beaucoup plus longtemps figurer honorablement sur la route et... mais n’allons pas trop loin dans la voie des hypothèses séduisantes !

Randonnée d’automne, 1929

« La route de la rive droite, que j’avais vue si détestable il y a quelques années, est devenue parfaite, et filer là-dessus à 25 à l’heure avec 6 m. 50, ce n’est même pas aller vite. Nous n’avons plus rien à envier à ces belles routes macadamisées d’avant les automobiles, qui permirent les grandes randonnées de L’École stéphanoise, quand Thorsonnax reliait Lyon à Nice en vingt-quatre heures : que Bussod faisait, en dix-sept heures, Lyon-Lautaret-Lyon, et Dupuy, Saint-Etienne-Genève-Saint-Etienne dans une petite journée. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui les routes sont noires au lieu d’être blanches, et que nos machines ne rapportent plus du Midi la preuve manifeste de leur voyage qu’était pour elles la poussière tenace, caractéristique des routes rhodaniennes, qui se collait partout. »

Source des extraits : Le Cycliste, Archives départementales de la Loire, cote PER1328, IJ871

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