UN NOUVEAU CONCOURS ? (1911)

samedi 16 décembre 2017, par velovi

Par Paul de Vivie, Revue mensuelle du touring-Club de France, avril 1911, coll. pers.

Le dernier Salon du Cycle a été si pauvre en nouveautés véritablement intéressantes pour les cyclotouristes qu’une question s’est posée soudainement devant bon nombre de nos camarades et devant quelques constructeurs.

Pourquoi le Touring-Club ne continuerait-il pas l’œuvre dont il obtint de si beaux résultats en 1902 et 1905, en fixant au plus vite la date d’un troisième concours de bicyclettes de voyage  ?

Et notre actif président, toujours prêt à saisir la balle au bond quand il s’agit des intérêts du tourisme en général et du cyclotourisme en particulier, m’a envoyé le questionnaire suivant, avec prière d’y répondre dans la Revue, afin que nul n’en ignore.

Un nouveau concours présenterait-t-il quelque intérêt, j’entends par là  : y aurait-il matière à un concours intéressant ?

A-t-on réalisé, en ces dernières années, de véritables progrès en ce qui concerne la bicyclette de tourisme  ?

Existe-t-il des maisons en nombre suffisant qui, ayant fait un effort dans cette voie, pourraient utilement prendre part à un nouveau concours  ?

Enfin sur quoi, sur quels points généraux ou particuliers, pourrait porter ce concours ?

Les concours sont toujours intéressants, c’est entendu, encore faut-il que le jeu vaille la chandelle et que l’on ne dépense pas en pure perte des sommes importantes qui pourraient être mieux employées ailleurs.

Or, il ne me semble pas que, depuis 1905, on ait réalisé dans la construction des bicyclettes de voyage, de véritables progrès. Il suffit, pour s’en convaincre, de passer rapidement en revue les machines qui figurèrent aux deux concours précédents et de les comparer aux modèles que nous trouvons cette année dans les catalogues des maisons récompensées (elles le furent toutes, plus ou moins ).

A tout seigneur, tout honneur  : Terrot obtint aux deux concours la médaille d’or  ; commençons donc par son catalogue.

Voici la lévocyclette  : nous la vîmes en 1902, à Tarbes ; elle s’appelait alors Svéa, pesait 16 kil. 750 gr., et n’avait que cinq développements, de 2 m. 40 à 8 m. 40, qu’on changeait en marche au moyen d’une commande pneumatique ; nous la revîmes en 1905, à Grenoble, pesant 21 kilos, mais avec 12 développements, de 2 m. 35 à 7 m. 60, qui obéissaient à une commande d’une parfaite précision mécanique ; nous l’avons revue au dernier Salon, perfectionnée en quelques menus détails qui relèvent du confortable plus que du rendement. C’est en vain que nous réclamons depuis longtemps d’autres bicyclettes à levier  ; on nous en a promis souvent, nous n’en avons jamais obtenu  ; il faudrait pourtant que dans un concours on puisse voir au moins deux ou trois modèles distincts de lévocyclettes.

Le modèle H, à déplacement de chaîne sur pignons juxtaposés, se trouve dans les mêmes conditions ; des détails seuls y ont été heureusement modifiés et la Rétrodirecte Terrot qui concourut en 1905 avec R. D.à droite et R. D.à gauche, donc avec 4 vitesses en marche, est revenue à plus de simplicité et à 2 vitesses seulement.

La bi-chaîne à qui fut attribuée à Tarbes en 1902, l’unique médaille d’or n’a pas, que je sache, varié d’un iota  ; elle s’est allégée de deux couples de pignons et elle se combine, quand on le désire, avec le dispositif R. D.
Ce n’est toujours pas là du nouveau.

Les changements de vitesse de cette maison, qui n’ont pas encore figuré aux concours du T. C. F., sont ses moyeux à 2 et à 3 vitesses (ce dernier a même été abandonné) et le nouveau modèle D, combinaison du pédalier Tilhet avec le moyeu Terrot à 2 vitesses, construit d’après les mêmes principes que les moyeux anglais, en a les qualités et les défauts sur lesquels les rapporteurs des concours de 1902 et 1905 se sont étendus autant qu’il le fallait pour que nous sachions à quoi nous en tenir sur la valeur des systèmes à transmission superposée.

La maison Magnat-Debon a obtenu en 1905 une médaille d’or pour son pédalier à 3 vitesses et ses rétrodirectes bi-chaînes que nous revoyons dans son catalogue 1911 sans modification essentielle  ; mais à côté de ces modèles déjà anciens puisqu’ils furent aussi à Tarbes, elle a créé un modèle vraiment nouveau qui brûle sans doute de faire ses preuves. Son modèle 1 comporte trois vitesses en marche  : la grande vitesse directe et deux autres vitesses rétro. On en dit beaucoup de bien chez les rétroïstes.

En 1905 la Rétro-directe fut incontestablement sur le terrain la triomphatrice ; une Hirondelle à 2 vitesses seulement, 5.25 en direct et 2.80 en rétro, à l’aller comme au retour, arriva aisément première, montée par un jeune étudiant stéphanois et battant même des professionnels tels que Fourchotte. Cette bicyclette franchit les 120 kilomètres et 4.100 mètres d’élévation de l’épreuve sur route en 8 heures et demie, à l’allure moyenne de plus de 14 à l’heure. La R. D. se révéla donc ce jour-là, comme la meilleure grimpeuse de côtes. Pourquoi perd-elle aujourd’hui du terrain  ? Il serait intéressant d’être fixé sur la valeur réelle de ce dispositif comparé aux autres systèmes de polymultiplication, aux moyeux à changement de vitesse, par exemple, qui firent si triste figure au concours de 1905, bien que leur échec tint peut-être à leurs développements trop élevés et au parcours très spécial de l’épreuve  : 60 kilomètres de montée et 60 kilomètres de descente également dures, sans palier ni pentes douces où les grands développements auraient pu se rattraper.

Si jamais un troisième concours avait lieu, il conviendrait de choisir un terrain plus conforme aux itinéraires que se tracent les cyclotouristes, même quand ils abordent la haute montagne.

Et l’Hirondelle, la troisième maison qui obtint en 1905 une médaille d’or, apporterait-elle dans un nouveau concours de nouveaux éléments  !

En 1902, elle obtint le deuxième prix avec une bichaîne à deux vitesses directes, qui a disparu de son catalogue où, en fait de machines de tourisme, en dehors des moyeux omnibus, nous ne voyons figurer que la Rétrodirecte.

La quatrième médaille d’or attribuée en 1905 à la Touricyclette, qui déjà en 1902 avait été l’objet d’élogieux commentaires et avait obtenu le 4e prix, n’a pas empêché cette polycyclette sans chaîne de disparaître du marché. Elle s’était pourtant très bien comportée entre Grenoble et Chambéry et si, par aventure, une des deux épreuves s’était déroulée sous une pluie battante, sa raison d’être en tant qu’outil de tourisme aurait crevé les yeux des plus prévenus contre les pignons d’angle.

Je regrette quant à moi — et je sais un grand nombre de nos camarades qui pensent de même — que ce type d’acatène à 2 vitesses, au lieu de se perfectionner, ait disparu, en laissant dans l’embarras les centaines de cyclotouristes qui en sont munis et qui ne savent où trouver des pièces de rechange. On aurait pu sans beaucoup de peine compléter la Touri par un moyeu à 2 et 3 vitesses et l’on aurait eu ainsi à peu de frais une admirable machine pour voyager par tous les temps. Depuis le 25 décembre nos routes sont en si piètre état que seules, ma Touri et ma Lévo me permettent de circuler, sans me contraindre à de continuels nettoyages en cours de route. Je lave ma Touri à grande eau une fois par semaine et c’est tout.

A la rigueur une chaîne dans un carter bien étanche pourra succéder à ma Touri quand celle-ci sera hors d’usage  ; mais les carters ont bien des inconvénients et sortent rarement indemnes de quelques séjours dans les fourgons à bagages.

Outre les quatre ténors qui se taillèrent la part du lion, au concours de 1905, plusieurs maisons y présentèrent des moyeux et pédaliers à transmissions superposées très semblables à ceux que nous avons vus au dernier Salon et quelques bi-chaînes qui n’y firent pas merveille.

Que verrions-nous donc de franchement nouveau dans un nouveau concours  ? Rien en tant que dispositif de changement de vitesse  ; peut-être bien des noms nouveaux, des modifications heureuses ou malheureuses de systèmes connus. à moins que dans le silence et l’ombre des inconnus ne travaillent à des nouveautés sensationnelles et insoupçonnées. Mais le pédalier Tilhet est une réminiscence du pédalier Lancelot, qui concourait en 1902, et de la commande de la Touri par rétropédalage  ; tous les déraillements de chaîne que nous avons groupés sous la dénomination générique de Whippet, dérivent beaucoup du modèle H de Terrot.

Seules les maisons Peugeot et Alcyon, à en juger par les derniers Salons, pourraient présenter des types de polycyclettes qui n’aient pas encore vu le feu d’un concours du T. C., autrement meurtrier que celui d’un tour de France. La lévo Boizot et d’autres lévos (de la Celle, Rousset, etc.), dont il a été souvent question, mais qu’on n’a point vues à l’œuvre y seraient aussi les bienvenues.

Il me semble pourtant que tout cela ne suffit pas et que les polycyclettes de tourisme sont encore, dans leur ensemble, ainsi que dans leurs détails particuliers, trop semblables à celles que nous avons examinées et comparées en 1902 et en 1905, pour que l’heure d’un troisième concours ait sonné.

Et je vais me permettre d’indiquer dans quel sens les constructeurs devraient, à mon avis, orienter leurs efforts, diriger leurs perfectionnements, pour que, dans quelque temps, un nouveau concours s’imposât.

Il faut aller délibérément vers la polymultipliée légère et à grand rendement, vers la polymultipliée qui permettra à tout cyclotouriste d’augmenter sa vitesse de marche ou d’allonger ses étapes sans plus de fatigue, que dis-je, avec moins de fatigue.

Le poids moyen des bicyclettes présentées fut de 16 kil. 450 grammes au premier concours, de 19 kil. 700 grammes  ! au deuxième concours. Il serait possible de ramener ce poids moyen au-dessous de 15 kilos au troisième concours, au-dessous même de 14 kilos si, comme il serait logique de le faire, on admet à concourir les monomultipliées, ne fût-ce que pour savoir comment elles se comportent sur le terrain du cyclotourisme, à côté des polymultipliées.

Il a paru injuste à beaucoup de nos camarades qu’on ait exclu du concours de 1905 les bicyclettes de voyage à un seul développement. En ne les admettant pas, a-t-on dit non sans logique, vous semblez craindre qu’elles ne se comportent mieux que leurs rivales à plusieurs développements.

Qu’on puisse diminuer considérablement le poids d’une bicyclette de tourisme sans lui enlever quoi que ce soit de ses qualités essentielles, sauf un peu de confortable, j’en ai depuis quelques années des preuves surabondantes. Je n’en citerai qu’une  ; j’avais engagé au concours de 1902 une tri-chaîne qui pesait 21 kilos, la même tri-chaîne aujourd’hui ne pèse que 14 kilos.

Nous avons tous cru trop longtemps que le poids ne signifiait rien, que les pneus, pourvu qu’ils fussent de gros calibre, pouvaient être en bois sans inconvénient et que les pignons et roues dentées assurent un bien meilleur roulement s’ils sont de grande, de très grande dimension.

Autant d’erreurs dont mes amis et moi qui aimons les grandes randonnées et les vives allures sans fatigue, nous sommes revenus petit à petit, grâce à de nombreuses expériences comparatives sur route.

Donc étudions la future bicyclette de voyage au point de vue du meilleur rendement, de la meilleur utilisation de l’énergie que nous lui fournissons, plutôt qu’au point de vue du confort extrême qui finit par nous attacher par trop au sol.

Diminuer la hauteur des roues jusqu’à 65, jusqu’à 60 centimètres, à la condition de ne pas abandonner les pneus de gros calibre, mais souples à fil biais, toile apparente et non plus en bois, c’est-à-dire à triple toile et double épaisseur, réduire du même coup les dimensions du cadre, des pignons, des chaînes, des manivelles que nous vîmes autrefois si minces et pourtant si fortes sur les bicyclettes américaines, des selles, des garde-boue et même des rayons, adopter la jante en bois dont le profil s’adapte si bien aux freins à tenaille  ; le bois s’oppose à l’échauffement des chambres à air qui va parfois jusqu’à l’éclatement et dont nous avons tous souffert  ; voilà quelques indications générales.

Qu’on puisse sans inconvénient réduire la hauteur des roues et les dimensions du cadre, je m’en suis fourni la preuve, jusqu’à l’invraisemblance, en me faisant construire, il y a six ans, une petite tri-chaîne à roues de 50 centimètres  ; sur cette polycyclette à tige de selle oscillante et à double guidon, j’ai déjà parcouru au bas mot 18.000 kilomètres, surtout en haute montagne, et j’en ai partout obtenu d’aussi bons résultats, souvent même de meilleurs résultats que de mes meilleures machines à roues de 70 centimètres. Je ne prétends pas qu’elle conviendrait à des géants, mais elle irait comme un gant à la bonne moitié des cyclistes que je connais.

Rien n’empêche d’ailleurs d’en augmenter un peu les dimensions et surtout d’en allonger l’arrière-train qui, très court, est peut-être cause de plus fréquents dérapages.

Les pneumatiques doivent être étudiés avec le plus grand soin  ; nous avons vu souvent au cours de nos expériences, des pneus des meilleures marques et que l’on croyait supérieurs, perdre à la descente, toutes choses égales, de vingt à trente pour cent sur d’autres pneus dont l’extrême souplesse était la qualité principale.

Je regrette d’avoir à faire cet aveu, mais sous ce rapport les Anglais sont beaucoup plus avancés que nous ; les machines qu’ils nous envoient sont toujours munies de pneus souples  ; cela suffit à leur donner un «  go  », une allure aisée que n’ont pas toujours les machines françaises handicapées par les triples toiles renforcées. Si nous persistons dans de tels errements, nous éloignerons de nous la clientèle qui ne juge souvent que d’après sa première impression. Par exemple, sauf leurs pneus souples, je ne vois rien que nous puissions emprunter aux machines anglaises pour les bicyclettes de grand tourisme qui seront un jour ou l’autre conviées à un troisième concours, dont les péripéties se dérouleront sur un terrain autrement accidenté que les Highlands.

Les changements de vitesse dont la diversité paraît en France devoir être inépuisable, tant sont nombreuses les inventions qui me sont signalées chaque jour, gagneront à être perfectionnés dans différentes directions  : commandes faciles et promptes, simplicité et robustesse, action sûre et immédiate sans risque d’accident grave si, par distraction ou maladresse, on fait une fausse manœuvre ou si le mauvais temps, la pluie, des routes boueuses viennent aggraver les difficultés de l’épreuve sur route.

Ici encore, bien entendu, pas de poids inutile  ! Cependant ne sacrifions pas la solidité, qualité essentielle, à la légèreté, qualité précieuse mais secondaire.

Un troisième concours de machines de tourisme tel qu’il nous est permis de le concevoir en l’état actuel des choses, — en tenant compte des faits qui se passent en dehors de l’action du Touring-Club et pourtant en quelque sorte sur son domaine, tels que la course Paris-Brest et retour, ouverte aux cyclotouristes, tels que, surtout, l’annuel Tour de France, — un troisième concours devra, pour être concluant, être beaucoup plus dur et plus complet que les deux précédents. Il faudra qu’avant d’être présentées à l’examen théorique et aux expériences de laboratoire, les machines aient été soumises sur route aux plus rudes épreuves  ; car ce qui se passe sur la route au vu et au su de tout le monde frappe toujours davantage les esprits que ce qui se passe entre quatre murs dans le silence du cabinet.

En attendant ce concours ultime et décisif, peut-être les constructeurs qui espèrent y triompher feraient-ils sagement de s’y préparer en prenant part, non pour y cueillir des lauriers, mais pour y gagner de l’expérience, à l’épreuve annuelle qui, sous le nom de Tour de France, se déroule en juillet sur 5.000 kilomètres, où ne font pas défaut les étapes favorables aux polymultipliées de tourisme.

Il serait du plus haut intérêt de voir passer à la suite et non loin des coureurs de profession, un groupe imposant de randonneurs, polymultipliés plus complètement et plus confortablement que ne le sont ces coureurs et donnant, par leur tenue correcte, leur marche régulière, l’impression qu’ils se fatiguent infiniment moins que leurs adversaires, tout en allant presque aussi vite que la moyenne d’entre eux. Une telle démonstration serait très intéressante pour le public et très profitable aux fabricants qui la feraient.

Ainsi le Tour de France pourrait être utile à la cause du cyclotourisme et deviendrait le prélude d’un troisième concours du T. C. F.
P. de VIVIE.

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