Une « 12 VITESSES » en marche (1906)

mardi 30 avril 2019, par velovi

Paul de Vivie alias Vélocio, Le Cycliste, 1906, republié en octobre 1956

On ne peut vraiment plus dire que le cyclotourisme se meurt, et l’aimable conteur que fut, pour les lecteurs du «  Cycliste  », que sera encore je l’espère M. d’Espinassous, ne pourrait plus traverser nos grands bois sans voir l’ombre d’un cyclotouriste, comme il s’en plaignit il y a quelques années. Dimanche dernier, 10 juin, en redescendant à 4 heures du matin du plateau de la République où j’étais allé voir lever l’aurore, j’ai eu le plaisir de croiser, en trente minutes, douze (pas un de plus pas un de moins) cyclistes stéphanois qui, isolément ou par petits groupes, s’en allaient pédaler sur les bords du Rhône ou en Dauphiné.
Saint-Etienne marche donc à grands pas dans la bonne voie, mais il faut croire que nos voisins de Lyon, de Grenoble et d’ailleurs, ne veulent pas s’y laisser devancer, et pour ne citer qu’un fait des plus récents, le 29 avril dernier, le jour même où j’entrais, toutes pédales dehors, dans ma 54e année, j’eus le plaisir de rencontrer à Serrières, un groupe compact de onze cyclotouristes venus de Grenoble malgré un temps plus que douteux, pour ascensionner le Pilat, sous la direction de mon vieil ami Féasson qui tenait à faire les honneurs de nos montagnes à la section grenobloise de l’E. S.
Ce fut une belle journée... de pluie et nous échouâmes à St-Julien-Molin-Molette, où du moins nous eûmes la satisfaction de rencontrer, un des doyens du cyclotourisme, M. Aug. C., dont les récits d’excursion émaillèrent les toutes premières colonnes du «  Cycliste  » en son berceau et qui pédale plus vigoureusement que jamais, tantôt sur sa Terrot H, tantôt sur sa Brossard 3 vitesses. J’avais, ce jour-là, choisi dans mon écurie, justement à cause du temps menaçant, ma touricyclette et je n’eus pas lieu de m’en repentir. Mais les onze Grenoblois montaient onze Magnat-Debon. Qu’on vienne dire après cela que nul n’est prophète en son pays  ! Naturellement tous les modèles des excellents constructeurs de Grenoble étaient représentés, y compris la monomultipliée sans garde-boue, extra-simple, dont le propriétaire prit une de ces douches de boue et d’eau dont on se souvient. Les rétro-directes l’emportaient mais le type qui attira le plus mon attention, et qui semblait aussi le plus apprécié fut le nouveau modèle H (cette lettre est décidément destinée à désigner les meilleurs machines de voyage). Cette bicyclette est une combinaison du dispositif rétro-direct à 2 chaînes de Magnat-Debon et du pédalier à 2 vitesses aussi desdits, cela fait 4 vitesses en marche, très bien échelonnées, deux en direct  : 5 m. 70 et 3 m. 30  ; deux en rétro  : 4 m. 30 et 2 m. 50. On peut faire varier ces chiffres dans d’assez grandes limites  ; Féasson, qui est plus que jamais partisan du moindre effort, a sur son H 5 m. 35, 3 m. 55, 3 m. 10 et 2 m. 05 et j’aurais sur la mienne 6 m. 10, 4 m. 50, 2 m. 70 et 2 mètres  ; une échelle baroque à première vue mais que je n’ai pas choisie sans motif ainsi qu’on le verra ultérieurement.
Je n’ai rien à ajouter à l’éloge que le capitaine Père H., le rapporteur du récent concours du T.C.F. a fait du pédalier à 2 et 3 vitesses de Magnat-Debon et du dispositif rétro-direct de cette maison.
Or, bien que Bourlet ait affirmé que réunir sur une même machine une transmission juxtaposée, qui avait obtenu le premier prix, à une transmission superposée qu’il avait jugée digne du troisième prix, c’était faire œuvre inepte, idiote et monstrueuse, je persiste à penser que lorsqu’on réunit sur un même outil, toutes autres choses restant égales, deux bons dispositifs de deux vitesses en marche, on obtient un excellent «  4 vitesses  ».
Le modèle H de Magnat-Debon en est la preuve indiscutable.
Depuis le concours de 1905, mon opinion sur la valeur pratique des transmissions superposées s’est modifiée de façon radicale. Je sais maintenant m’en servir et je ne les rejette plus d’emblée comme autrefois. Pour en tirer bon parti, il faut simplement ne jamais imposer aux engrenages intermédiaires, multiplicateurs ou démultiplica-teurs, une pression supérieure à celle à laquelle ils doivent normalement résister. Tant que cette pression n’est pas dépassée, la force absorbée par les engrenages est égale au coefficient de 1 à 2 % qu’indiquent le calcul et les expériences des divers auteurs qui se sont occupés de cette question  : cela veut dire qu’à égalité d’efforts nous avancerons de 5 mètres en prise directe, et de 4 m. 90 à 4 m. 95 en prise indirecte. La perte est donc insignifiante mais elle devient énorme, cette perte, quand la pression sur les engrenages croît et dépasse la normale.
Que faut-il pour ne pas être obligé d’en venir à cette extrémité  ?
D’abord, que les engrenages soient assez robustes pour ne pas s’offusquer d’une pression un peu forte  ; ensuite qu’on ait à sa disposition une échelle de développements assez nombreux pour qu’on puisse toujours en trouver un qui permette de ne mettre sur la pédale que juste la pression convenable, quitte, si l’on est pressé, à accroître ia vitesse des jambes de la quantité dont on diminuera la pression sur la pédale.
De l’avis des examinateurs les plus hostiles aux transmissions superposées, les engrenages du pédalier M.-D. sont d’une robustesse à toute épreuve et d’une douceur surprenante due à la taille des dents qui n’est pas celle usitée en mécanique et qui dérive de la taille des dents usitée en horlogerie.
Nous voilà donc rassurée sur le premier point  : quant au second point, l’adjonction du dispositif rétro-direct qui met à notre disposition deux développements par juxtaposés, c’est-à-dire en prise directe, nous donne également satisfaction.
Voilà sans doute pourquoi on reconnaît sur le terrain, donc en se plaçant à un point de vue strictement pratique, que le modèle de Magnat-Debon est une des meilleures solutions du problème posé depuis longtemps de «  4 vitesse en marche  ». Il est regrettable que cette machine n’est pas été produite au concours de 1905  ; elle aurait eu un grand et légitime succès.
Telle qu’elle offerte dans le catalogue Magnat-Debon, la bicyclette H, avec ses 4 développements bien choisis, est suffisante pour les cyclotouristes les plus exigeants. Son roulement remarquable lui donne, soit en direct, soit en rétro, un go extraordinaire et l’on pédalera toute une journée avec cette machine sans se fatiguer, à condition de bien savoir choisir le développement qui convient à chaque changement de résistance.
Mais avec la manie qui me pousse à combiner les uns avec les autres les bons systèmes de polymultipilication, qui m’a déjà amené à doter le modèle H de Terrot de 5 développements en marche au lieu de 3 et de 3 autres développements en marche, pour les cyclistes adroits, presque en marche pour les autres  ; avec cette manie de perfectionner dans le sens du confortable ce gui semble déjà parfait, je veux faire du modèle H de Magnat-Debon.

Une polymultipliée monochaine de 12 développements en marche  !

Après cela, je crois qu’on pourra tirer l’échelle.
Je me propose d’ajouter à cette machine un moyeu Sturmey et d’obtenir ainsi 12 vitesses en marche parfaitement échelonnées sans plus de poids et, pour ainsi dire, sans plus de complications, par exemple  : 8 m. 25, 7 m. 15, 6 m. 25, 5 m. 45,
4 m. 75, 4 m. 15, 3 m. 50, 3 m. 15, 2 m. 75, 2 m. 35, 2 m. 10 et 1m. 80.
Ces 12 vitesses pourront être toutes directes ou bien nous pourrons en avoir 6 rétro et 0 directes, mais toutes en marche.
Je ne connais pas d’autres moyens d’obtenir pratiquement et sans perte de force une aussi remarquable échelle de développements. C’est bien là le changement progressif que seule jusqu’à ce jour pouvait nous donner la lévocyclette. C’est grâce à l’heureuse combinaison (qui tout à l’heure semblait baroque) des 2 développements du pédalier M.-D. que l’on peut obtenir un si parfait résultat. Les pertes de forces dues aux transmissions superposées ne dépasseront jamais 3 %, puisque nous n’aurons jamais besoin de dépasser la pression de régime des engrenages intermédiaires.
Le passage d’une vitesse à l’autre, quelle que soit sa position au haut, au bas ou au milieu de l’échelle, sera instantané sans qu’il soit nécessaire de passer.par les vitesses intermédiaires.
Bref, il me semble que je tiens là une polymultipliée de premier ordre et j’en reparlerai.
VELOCIO.

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