Petite vitesse  ! (1906)

jeudi 28 février 2019, par velovi

Par A. Ballif, dans la Revue de Touring-Club de France, Avril 1906

Voici Pâques, date d’ouverture des excursions à bicyclette.
C’est le moment de faire choix d’une machine, choix qu’il ne faut pas faire à la légère.
Savoir ce qu’on veut  ; l’exiger, quoiqu’on dise  ; s’y prendre à l’avance, telles sont les conditions indispensables d’une emplette qui ne laisse pas de regrets.
Nombre de maisons, en effet, par indifférence, incompréhension ou ignorance des besoins du touriste à bicyclette restent cantonnées dans la vieille formule  : un cadre, des roues, un guidon. Elles ne possèdent pas le nouveau modèle avec changement de vitesse, système dont nos Concours ont mis en lumière l’indispensabilité, et font tout, par suite, pour en détourner l’acheteur.
Or, pour qui veut voyager, excursionner ou simplement circuler agréablement à bicyclette, il n’y a pas de doute, ni d’hésitation possible, c’est la machine avec changement de vitesse et roue libre qu’il faut prendre.
Il n’y a pas de choix à faire, le choix est fait.
Il s’impose par la nature même des choses, par l’application faite et reconnue indispensable à toute mécanique (hormis jusqu’ici à la bicyclette), de ce principe fondamental que «  l’on gagne en force ce que l’on perd en vitesse  ».
Or, qui dit voyage d’agrément, dit moindre fatigue possible.
Si donc on veut ménager ses forces, il faut diminuer sa vitesse, et pour les rampes n’user que d’un tout petit développement.
Ce sont vérités de M. de La Palisse.
C’est cependant leur négation ou leur oubli par une notable partie des fabricants qui est cause — et pas autre chose — de l’abandon de la bicyclette par nombre de personnes, de dames surtout qui, malgré le vif plaisir qu’elles éprouvaient à excursionner à bicyclette, se sont vues obligées d’y renoncer.
Actuellement et depuis la poussée formidable de l’industrie automobile, l’attention de la plupart des fabricants a été distraite de l’étude des perfectionnements que réclamait la bicyclette.
Et les marchands ont suivi les fabricants  !
Les uns et les autres fabriquent ou vendent des bicyclettes et n’ont jamais mis le pied sur une pédale ou il y a si longtemps de cela, que c’est à peine s’ils s’en souviennent  ; en tant que conception de la bicyclette, ils en sont restés à la machine d’il y a dix ans.
Depuis, ils font de l’automobile et sont plus ignorants — certes — de ce que doit être une bicyclette que le facteur rural qui nous apporte, chaque matin, notre courrier.
Quelques-uns cependant avouent avoir «  essayé  » de la roue libre. Système dangereux, disent-ils, et dont l’utilité n’apparaît pas  !
Quant au «  changement de vitesse  », ne leur en parlez pas  !
Aucun ne marche et ce sont des complications à n’en plus finir  !
Et puis, à quoi bon tous ces systèmes ? On va aussi ville sans cela  ! Etc., etc (1)
Telles sont les bourdes — si le mot n’était un peu vif — nous dirions les âneries, qu’on débite à l’acheteur confiant et disposé — naturellement — à se laisser guider dans son choix.
C’est donc au client, à l’acheteur averti à savoir ce qu’il lui faut.
Or, ce qu’il lui faut, le voici  : — Deux vitesses, au moins, dont une très petite ; — la roue libre partout  ; et constamment libre, sans qu’il soit nécessaire de faire fonctionner un mécanisme.
— Deux freins sur jantes, au moins. (2) Et n’y allez pas par quatre chemins.
Si le vendeur vous enguirlande de considérations sur les dangers de la roue libre, les ennuis des machines à changement de vitesse, etc., n’hésitez pas et répondez simplement ceci  : — Vous n’avez pas le modèle que je vous demande  ?
— Non.
— Eh bien, bonsoir.
Et rendez-vous chez le confrère qui le possède.
D’ailleurs, il est de toute justice que ce dernier soit récompensé des travaux, des recherches, des essais laborieux et coûteux auxquels il s’est livré depuis plusieurs années et qu’il en recueille les fruits.

Par très petite vitesse, nous entendons 2 m. 50 environ.
Inutile d’avoir plusieurs vitesses, si l’on n’en a pas une extrêmement basse, et quelqu’extrême que puisse paraître le chiffre indiqué, une longue pratique nous autorise à dire qu’il n’a rien d’exagéré ; pour des côtes longues et dures, (du 6 à 7 % sur plusieurs kilomètres, et il n’en manque pas), il serait plutôt trop élevé encore.
En s’attachant à «  pédaler rond  », ce dont on prend aisément l’habitude avec un peu d’attention, et en tenant ferme le guidon, aucun flottement ne se produit dans la direction et on franchit, sans fatigue et sans effort, des rampes qu’on eût été incapable de gravir avec une machine ordinaire ou dont on n’eût pu venir à bout qu’au prix d’efforts exténuants.
Nous insistons tout particulièrement sur ce point  : une très petite vitesse.
Nombre de personnes, en effet, ont essayé de machines munies d’un changement de vitesse, mais dont la petite vitesse n’était pas assez basse (3 m. ou 3 m. 50, par exemple)  ; elles n’ont pu, dans ces conditions, se rendre compte de la valeur du système.
Il faut aborder carrément une démultiplication de 50 %, 2 m. 50 à la petite vitesse, 5 mètres à la grande, si l’on ne prend que deux vitesses.

Quant à la roue libre, elle est tout aussi nécessaire.
En cessant de pédaler dans de longues descentes, les muscles qui travaillent sur le plat ou dans les rampes se reposent fort agréablement pour eux, et, d’autre part, la machine, sous l’action accélératrice de la pesanteur, acquiert une vitesse de plus en plus grande, laquelle compense la lenteur de l’allure dans les rampes et établit une moyenne très convenable.
Grâce aux deux freins sur jantes qu’il faut exiger, on reste constamment maître de sa machine et on peut, sans crainte aucune, se lancer dans les descentes.
Quelques personnes qui n’ont pas pratiqué la roue toujours libre appréhendent ce système avec lequel elles se figurent ne plus rester maîtresses de leur machine. C’est une erreur complète  ; elle s’explique, d’ailleurs, par ce fait que ces personnes montent encore la machine sans frein ou munie du vieux frein à patin sur la roue d’avant.
Avec la roue libre, il faut deux freins, des freins sur jante, et il faut compter s’en servir fréquemment.
Nous avons vu des cyclistes, vieille école, n’osant pas circuler dans Paris avec la roue libre  ; or, on est infiniment plus sûr de sa direction et plus maître de sa machine en roue libre, grâce aux freins, qu’en roue serve.
Nous en avons fait cent fois l’expérience.
Mais, dira-t-on, où se procurer de telles machines  ?
C’est notre Concours de Grenoble-Chambéry qui se chargera de répondre.
Les fabricants dont nous donnons ci-dessous les noms et adresses, industriels avisés autant qu’habiles constructeurs, ont les uns et les autres résolu le problème.
Les solutions sont diverses, toutes ont fait leurs preuves et sont satisfaisantes.
A chacun de choisir selon son goût et ses préférences.
Mais qu’on exige les trois conditions indiquées et surtout une toute petite vitesse  !

A. BALLIF.

(1) On emploie fréquemment contre le changement de vitesse cet argument  : «  Et bien, quand on rencontre une longue côte, on la fait à pied  !  »
Mais ce n’est pas tout bénéfice que de monter les côtes a pied, surtout lorsqu’elles sont longues.
Outre que c’est parfaitement assommant, on a la côte dans les jambes tout autant qu’à bicyclette, et de même qu’il est moins fatigant de couvrir, en terrain plat, un kilomètre en machine que de le taire a pied, de même, avec une toute petite vitesse, on se fatiguera moins à gravir la côte en machine.
Sans compter qu’à bicyclette, même avec une toute petite vitesse et à toute petite allure, on fera encore, dans le même temps, le double du chemin que l’on ferait à pied  !

(2) Nous posons la le principe, absolument indépendant d’ailleurs, du mode de pédalage ou de transmission  : pédalage direct ou retrodirect, transmission par chaîne ou par leviers (levocyclette).
Quel que soit le mode de pédalage, quel que soit le mode de transmission, il vous faut deux vitesses, au moins, la roue libre, deux freins sur jantes au moins.)


Voir en ligne : Sur Gallica

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