Le cycliste doit être protégé (Mars 1927)

lundi 30 octobre 2017, par velovi

Par Baudry de Saunier, Revue du Touring-Club de France, mars 1927

Les pistes cyclables doivent être immédiatement réparées et considérablement augmentées

C’est une poignée de vélocipédistes qui, en 1890, a fondé le Touring-Club de France. Aussi, dans notre Association ; aujourd’hui grandie jusqu’à dépasser le chiffre de 200.000 membres, qui pratiquent le tourisme par tous modes de locomotion imaginables, les cyclistes sont-ils demeurés toujours les camarades privilégiés. Il n’en est pas d’ailleurs qui méritent mieux cette prédilection.

Hier encore le T. C. F. obtenait du Ministre des Finances, pour les cyclistes parisiens, un privilège exceptionnel  : celui de traverser le parc de Saint-Cloud sans bourse délier.

Aujourd’hui le T. C. F. se permet de suggérer au Ministre des Travaux Publics, M. Tardieu, une idée dont la réalisation serait à la fois une acte de bonne gestion des ressources de l’État et d’équité à l’égard des cyclistes.

La voici  ; puisque le Ministère a obtenu du Parlement cette année un supplément de 130 millions sur les sommes qui lui étaient allouées dans les exercices précédents pour l’entretien et l’amplification de notre réseau routier, pourquoi ne prélèverait-il pas sur cette aubaine 2 ou 3 millions à la réfection immédiate des «  pistes cyclables  », que l’absence d’entretien depuis la guerre a presque totalement ruinées, et à la création aussi de quelques centaines de kilomètres de pistes nouvelles ?

Voila une entreprise qui pourrait, dans une mesure très sensible, atténuer tout de suite la crise de chômage dont nous souffrons  ! Et quelle œuvre utile l’État réaliserait pour les cyclistes eux-mêmes  !

Car il y a là, prenons-y garde, une question vitale pour le cyclisme. Aux États-Unis, la bicyclette a presque totalement disparu pour la raison que, dans les flots de la circulation moderne, rien n’avait été prévu là-bas pour qu’elle pût se garer et continuer d’être. Elle a fatalement disparu.

Il ne s’agit ici, pour ma vieille et chère amie la bicyclette, ni de faire de la fanfaronnade ni de jouer sottement à la dignité  ! Il s’agit de vivre ou de périr, à échéance plus ou moins lointaine, mais certaine. Que l’automobile soit un appareil haïssable, il se peut  ; mais en tout cas ce n’est pas ici le lieu d’en discuter  ! Et puis à quoi bon discuter d’un fait aussi patent que l’existence même du soleil  ? L’automobile, même odieuse si l’on veut, existe  ; les imprécations ne la démoliront pas. Or elle est redoutable, un peu pour tous les usagers de la route, et très particulièrement pour les cyclistes. Il suffit de voyager, et de consulter les statistiques, pour constater que la bicyclette et l’automobile, sur voies communes, sont aussi dangereuses réciproquement l’une que l’autre  : il est malheureusement aussi fréquent d’apercevoir une bicyclette broyée par une automobile que de voir une automobile qui a versé dans un fossé de par la faute d’une bicyclette.

* *

A cette situation on peut proposer bien des remèdes théoriques. Il n’en est qu’un seul qu’agrée le bon sens  : puisque ces deux éléments de la circulation sont incompatibles sur une même voie, essayons d’offrir à chacun d’eux, autant que faire se pourra, une voie qui lui soit propre.

D’où l’idée de pistes qui côtoyent la grande route, souvent même coupent à travers champs et bois, et qui soient exclusivement réservées aux cyclistes. Par analogie, l’idée est dans bien des têtes, on le sait, de voies particulières, des autoroutes, appelées autostrades en Italie où quelques-unes sont déjà réalisées, qui ne seraient ouvertes qu’aux automobilistes.

La place nous manque pour traiter dans tous leurs détails la double question de la piste cyclable et de l’autoroute Mais il est nécessaire que dès aujourd’hui nous en entrevoyions nettement le principe essentiel  : en toute hypothèse notre réseau routier général demeurera toujours ouvert à tous les modes de locomotion possibles  ; il n’est donc question d’en évincer jamais personne. Mais des voies spécialisées sont offertes, et le seront de plus en plus, à des appareils de locomotion bien déterminés  : si la bicyclette veut circuler paisiblement et sans danger, elle adoptera la piste cyclable  ; si l’automobile veut franchir, avec le minimum possible de risques, dans le temps le plus court, la distance la plus grande, elle s’engagera sur l’autoroute.

Mais si toutes deux préfèrent par hasard continuer de voyager comme elles le font aujourd’hui, en camarades disproportionnées, mal assorties, mais camarades tout de même, personne ne s’y opposera jamais. La France demeurera toujours le pays par excellence de toute liberté.

Mais, quoi qu’en pensent ceux qui la connaissent mal, la France demeurera aussi toujours le pays de la sagesse !

Et c’est pourquoi le T. C. F. fait de grands efforts pour le développement de la piste cyclable  ; c’est pourquoi il demande à l’intelligent ministre actuel des Travaux Publics de consacrer à cette œuvre de progrès quelques millions. Car tous les sophismes et tous les articles théoriques de journaux s’effondrent devant ce simple fait  : que trois millions de pots de terre ne peuvent pas voyager plus longtemps anse à anse, avec huit cent mille pots de fer.

BAUDRY DE SAUNIER.

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