LA « RETRO » (Juin 1901)

dimanche 11 décembre 2016, par velovi

Par Perrache, Revue du Touring-Club de France, Juin 1901

Je viens, pendant tout ce printemps, d’expérimenter sur route une machine qui a fort intrigué sur son passage. Avec elle, il faut pédaler dans le sens rétrograde, c’est-à-dire à rebours.

Simple caprice d’original me direz-vous ? certes non. Il y a plus d’un an que j’ai signalé dans le Cycliste les avantages que l’on pouvait en espérer.

Eh bien ! la pratique ne m’a donné aucune déception, tout au contraire, et je suis aujourd’hui un enthousiaste de la «  Rétro  ».

Peut-être intéresserai-je mes camarades du Touring en exposant ici les observations recueillies au cours de cette étude. Mais comme, je l’avoue, j’ai l’ambition de les convaincre, j’y ajouterai, dussé-je être bien long, les explications techniques indispensables.

Suppression complète de l’angle mort, utilisation plus rationnelle et plus étendue des grands muscles moteurs, telles sont les deux qualités maîtresses du coup de pédale rétrograde.

Avant d’aborder ces deux points, examinons quelques détails.

Position de la selle. — Son importance est considérable.

1° La selle doit être placée nettement en arrière, relativement à la position généralement adoptée par les touristes (position d’ailleurs qu’il est fort difficile de définir d’une façon géométrique). Et cela se comprend  : puisque vous poussez sur la pédale arrière, plus vous vous placerez à l’avant, plus la réaction de cette pédale vous chassera vers l’avant.

Lorsque je vins à l’usine de Beaulieu prendre livraison de ma machine, je pensais la trouver au point, car les très aimables ingénieurs de la maison Peugeot avaient fait déjà avec elle plusieurs essais. Je me mis donc en selle de confiance. Mes genoux rasaient le guidon  : un m’expliqua qu’on avait dû précisément en mettre un spécialement cintré pour éviter ce contact.

Quel martyre ! Mes bras travaillaient plus que mes jambes pour me ramener sans cesse sur la selle. Je pensai alors à en relever très nettement le bec. Supplice d’un autre genre.

Aujourd’hui, mes genoux passent à 12 centimètres de ce même guidon, et je me trouve plus à l’aise, mieux assis que je ne l’ai jamais été depuis 10 ans.

Quant à la hauteur, voici, je crois, la règle la meilleure  : Le corps restant bien d’aplomb, la jambe et la cuisse complètement allongées, la plante du pied, orientée perpendiculairement à la ligne générale du membre, doit passer à un centimètre au-dessus de la pédale, qui se chausse d’ailleurs comme d’habitude.

Pendant assez longtemps, je m’étais obstiné à monter plus bas avec pédale chaussée un peu plus profond, hypnotisé que j’étais par mes essais en chambre où je n’avais guère, en attendant ma machine, qu’à démarrer sur toute position des pédales, malgré les plus fortes pressions du frein.

Mais on éprouve ainsi sur route une pression persistante de la pédale sous le pied, ce qui gêne le mouvement et finit sur un long parcours par fatiguer le talon.

D’autre part, en montant trop haut, ce qui est préférable pour un début, la puissance diminue dans la montée des côtes, le mollet se trouvant tenu alors de fournir un travail trop grand.

Voici donc renseignés ceux qui voudront bien faire l’essai du coup de pédale rétrograde. En chambre rien n’est plus facile  : prenez une machine ordinaire, munie d’un frein sur la roue motrice, et faites porter la fourche arrière sur un support quelconque, de façon que cette roue ne touche pas le sol.

Si ce support est solidement établi, vous pourrez pédaler en toute sécurité dans l’un et l’autre sens et faire toutes les comparaisons possibles.

Manière de pédaler. — Comme dans le sens direct, en rétrograde il y a cent manières de pédaler, se reliant les unes aux autres par une gradation continue. Je crois indispensable de faire ressortir nettement la différence profonde entre les deux extrêmes de la série : le coup de pédale restreint et le coup de pédale ample.

Coup de pédale restreint. — Il ne diffère en rien, sauf le sens, de celui que nous pratiquons tous avec cale-pieds, lorsque la pédale ne résiste pas et que la cadence des jambes est vive. La plante du pied qui, au début, est à sa position naturelle, c’est-à-dire à peu près normale à la ligne genou-cheville, s’abaisse progressivement et faiblement jusqu’à la fin de la course.

C’est le coup de pédale dit plongeant, si minutieusement décrit par le très regretté docteur Bouny.

Pratiqué dans le sens rétrograde, il réclame du membre entier exactement les mêmes mouvements et permet par suite la même cadence.

Pourquoi, en effet, en serait-il autrement  ? Mais il faut, bien entendu, un certain apprentissage.

C’est ainsi que dans des essais de vitesse répétés de huit en huit jours j’ai pu, avec ce coup de pédale, monter successivement à 80, 95, 100, 105 tours à la minute sur plusieurs kilomètres.

Je n’ai pas encore tout à fait l’aisance et la vitesse du sens direct, mais faudrait-il opposer quelques mois d’essais à dix années de dure pratique  ?

Coup de pédale ample. — Sur nos machines, lorsque la pédale résiste et que par suite la cadence est relativement lente, nous abaissons davantage la pointe du pied pour diminuer l’angle mort, et comme conséquence obligée, le genou descend moins bas.

En rétrograde, au contraire, dans ce même cas, le genou et le pied partant de la même position que précédemment, il faut laisser constamment à la plante du pied son orientation naturelle ; 2° descendre le genou complètement à fond jusqu’à ce que cuisse et jambe soient, à très peu près, dans le prolongement l’une de l’autre.

Dans ces conditions, l’amplitude du mouvement des deux leviers s’accroît dans une proportion énorme. La course du genou notamment augmente de 16 centimètres vers le bas, c’est-à-dire autant qu’elle le ferait vers le haut si la longueur de manivelle passait de 16 à 25 centimètres  !

De sorte que l’impression éprouvée par le cycliste lorsqu’il passe brusquement d’un coup de pédale à l’autre, est sensiblement la même que si sa manivelle s’allongeait de 16 à 25. Nous en devinons la conséquence  : la vitesse des jambes, ou plus exactement le nombre de tours à la minute que l’on peut donner pratiquement avec aisance baissera très nettement, et c’est inévitable.

On comprendra maintenant pourquoi j’ai tenu à différencier nettement les deux coups de pédale. Les opinions, en apparence les plus divergentes, au sujet de l’aisance de la vitesse des jambes pourront se trouver à la fois toutes également légitimes. Il suffira de s’entendre.

Ainsi au cours d’un voyage j’ai couvert, un matin, à mon train automatique de route et sans aucun arrêt 53 kilomètres en 3 heures 13. Vitesse à l’heure 16,4, nombre de tours 75. La route était sensiblement plate. Je n’avais donc cesse de donner le coup de pédale restreint  : les 75 tours ne m’ont causé aucune gêne. Si l’idée m’était venue de donner le coup de pédale ample, très certainement 75 m’eut paru excessif sur un tel parcours.

Choix du développement. - Concluons qu’avec la Rétro bien plus encore qu’avec la Directe, il est essentiel de fixer son développement d’après l’usage que l’on entend faire de sa machine.

S’agit-il exclusivement de courses sur piste ou sur route  ? Le coup de pédale ample sera la règle sans quoi le changement dans le sens de la rotation serait vraiment sans objet.

Admettons, pour fixer les idées, que l’expérience ait montré qu’au point de vue spécial de la vitesse en course, la cadence optima, qui est de 1.5 en direct, devienne 85 en rétrograde ; le coureur devra augmenter son développement dans le rapport 115/85 soit de 35%.

Le touriste au contraire pourra réserver le coup de pédale ample pour la lutte contre le vent et les côtes, conservant le coup restreint en plaine et en descente. Il gardera alors sensiblement le développement actuel.

COUP DEDALE

Les deux figures ci-jointes représentent d’une part le coup de pédale direct dans la montée des côtes et avec cale-pieds, de l’autre le coup ample en sens rétrograde.

On est frappé de l’énorme différence dans l’amplitude des mouvements des deux leviers  : jambe et cuisse. Il semblera sans doute que l’extension complète du membre ne saurait être pratique.

C’est très exact dans le sens direct, parce que dans ce cas le genou, pour atteindre sa position la plus basse, devrait, pendant le coup de pédale, passer entre la hanche et la pédale. A ce moment, l’effort a pour effet de soulever la hanche puis de la laisser retomber après, d’où secousse plus spécialement sentie dans le genou.

En rétrograde au contraire, on peut voir que c’est seulement à la fin du coup c’est-à-dire quand il n’y a plus d’effort, que hanche, genou et pédale se trouvent en ligne droite. Donc pas de déplacement de la hanche. La figure représente d’ailleurs la position limite, au delà de laquelle la poussée venant du genou tendrait à ralentir la machine. On ne doit pédaler ainsi qu’en marche très lente, en côte dure. Pratiquement, le genou s’arrête sensiblement sur la ligne joignant la hanche à l’axe du pédalier  : c’est ce que l’admettrai désormais en citant des chiffres.

Pour ma part, avec la selle bien placée, je puis donner indéfiniment 60 tours amples et avec la plus grande aisance.

Angle mort. — On voit à première vue qu’il n’y a plus d’angle mort.

La pédale, en effet, est actionnée sur 209° en rétrograde, sur 169° seulement dans l’autre sens. Ces données sont obtenues en faisant pédaler, sur une planche à dessin, une jambe en bois aux dimensions normales et placée dans les conditions usuelles comme hauteur de selle, mouvement de cheville, etc.

Je pourrais expliquer en détail les causes de l’impuissance de nos jambes dans le sens direct lorsque les manivelles sont à peu près verticales  : la question est, je crois, bien éclaircie aujourd’hui. Je préfère citer seulement l’expérience suivante que chacun peut reproduire  : elle ne saurait laisser de doute.

Serrez progressivement le frein en pédalant dans le sens direct sur la machine fixe, établie comme il a été dit déjà. La moindre pression rend la marche saccadée et bientôt vous marquez un temps d’arrêt à chaque demi-tour. Il faut alors recourir à des artifices, faire intervenir les muscles secondaires (droit antérieur, soléaire), les grands moteurs (triceps, grand fessier) devenant impuissants.

Vous chassez donc horizontalement la pédale la plus haute pendant que vous abaissez l’autre le plus possible, en inclinant la pointe du pied  ; mais bientôt malgré les efforts les plus désespérés, vos pédales restent calées.

Tournez alors dans le sens rétrograde, et, à condition, bien entendu, de vous y être un peu exercé au préalable, plus d’arrêt, même avec une pression du frein très énergique. Vous démarrez sur une position quelconque, puis tournez aussi lentement que vous le voulez, et cela sans contorsion, sans à coup.

Donc, vous êtes en mesure d’actionner une machine à une vitesse de marche extrêmement faible dans une côte très dure. C’est là ce qui m’a décidé à faire l’acquisition d’une Rétro.

N’est-ce pas en effet la solution de la fameuse question des côtes  ?

Depuis des années, je puis le dire, je me suis fait le champion du petit développement. Je n’éprouve cependant aucune gène à avouer qu’il ne peut suffire à lui seul. Sans doute il permet d’assigner à l’effort musculaire telle valeur que l’on désire, ce qui est énorme, mais il ne nous laisse pas suffisamment maîtres de notre vitesse de marche pour qu’il soit possible de régler également à sa guise le travail du cœur et des poumons.

Tel cycliste qui, avec 6 mètres, est pratiquement obligé de marcher au moins à 10 kilomètres dans une côte dure marchera à 8, à 7,5 peut être avec 3 mètres, parce que, si dans les deux cas l’angle mort s’étend sur 1/10 de tour, dans le second la machine n’ayant à franchir par vitesse acquise que 30 centimètres au lieu de 60 pourra, sans risque pour l’équilibre, progresser moins vite.

Mais notre homme restera encore bien loin du calme de la marche en plaine.

Combien serait instructive la comparaison des résultats obtenus par deux groupes de physiologistes inquisiteurs qui, postés un dimanche au bas et au sommet de la très modeste côte de Picardie, se permettraient de mesurer sur les cyclistes et sur les piétons à là fois la température interne, le rythme du cœur, celui de la respiration, le degré de sueur (il faudrait un sudorimètre non encore inventé), enfin l’état d’énervement général.

Chez le piéton variations à peu près nulles  : mais chez le cycliste  ? Et que serait-ce en montagne ?

Peu à peu l’idée s’est implantée dans nos têtes que fatalement une côte réclame un coup de collier de l’organisme, que c’est là un vice obligé de la locomotion sur roue. Aussi le plus grand nombre salue la côte et oriente son guidon ailleurs. Quant au passionné de la montagne, j’en appelle à de Vivie, il la regarde en face puis met pied à terre, enlève sa veste, sa cravate, son chapeau, trousse ses manches et  : En selle ! Morbleu nous verrons bien qui aura raison  !

Bientôt la sueur perle, puis tombe goutte à goutte, la respiration devient sifflante, le cœur bondit, les tempes battent, la vue se trouble, les jambes se crispent dans des saccades désordonnées. Qu’importe ! Voici le col. Victoire !

À moins que la pleurésie.

Pourquoi diable un tel gaspillage d’énergie me demande le bon piéton. Et je lui réponds un peu confus  : «  Bon piéton, nous avons, hélas  ! un angle mort et c’est lui qui règle l’allure.  »

Avec la Retro pas d’angle mort. Il y aura donc du nouveau. Oh ! oui. J’ai fait les essais les plus divers sur ma machine développant 3 m. 65.

Développement mixte choisi de façon à pouvoir circuler en tous terrains dans des conditions pratiques. Voici les résultats  : Après m’y être exercé méthodiquement, car on n’y réussit certes pas dès le premier jour, je puis aujourd’hui monter les côtes dures, 6% et au-dessus, de longueur quelconque à la vitesse de 4 kilomètres.

C’est fort peu pratique, d’ailleurs, car le souci de l’équilibre absorbe vraiment trop l’attention, mais à part la pression exercée bien à fond sur la pédale, le vulgaire coup de pilon du débutant aucun effort spécial n’est nécessaire.

C’est par contre fort instructif car l’on constate que la respiration reste absolument normale ; le cœur accélère à peine sa cadence ; échauffement général à peu près nul. Donc il est possible au milieu d’une longue côte gravie à une allure plus rapide, de ralentir provisoirement au moins de façon suffisante pour redonner à l’organisme tout son calme. C’est ainsi que j’arrive en chantant au col de la Croix-de-Presles par la côte de Poleymieux (2,65o m. à 7 %). Jamais les Lyonnais ne me croiront. Je me hâte d’ajouter qu’à ma place tous en feraient autant.

Autre expérience. J’ai constaté depuis longtemps qu’avec le développement de 3 mètres dont j’ai la profonde habitude, ma vitesse automatique, c’est-à-dire celle qu’en voyage je prends sans y penser, reste sensiblement égale à 7 kil. 500 en côte dure quelle que soit d’ailleurs la pente.

Est-ce bien là celle que prendrait librement mon moteur ou simplement celle qui m’est imposée par la rotation directe ? La Retro me donne la réponse. Avec elle cette vitesse tombe à 6,2, et naturellement sueur, congestion, essoufflement tombent en conséquence. J’ai presque mon état physiologique de plaine  : le travail mécanique fourni est en effet le même qu’à la vitesse de 20 en terrain plat (avec développement de 11 m. il est vrai).

Sans doute à cette allure ainsi réduite, une même côte me demande un temps plus long de 20 %, temps pendant lequel les muscles restent contractés et par suite dépensent. Mais quelle différence dans l’impression générale, dans l’état d’âme ? Le temps ne me dure guère, je vous l’assure.

À qui de nous n’est-il arrivé de chercher à suivre, dans une longue montée, un compagnon de route plus vigoureux ou simplement plus développé ? Bientôt vous y renoncez et prenez votre allure. Au bout de 3 kilomètres c’est à peine si votre compagnon, qui lui aussi a gardé la sienne, a gagné sur vous 300 mètres, et cependant ce simple ralentissement de 1/10 vous a procuré un soulagement énorme. Eh bien cette allure que vous croyez votre n’est autre, dans les côtes dures que celle qui vous est imposée par votre machine. Baissez encore votre vitesse grâce à la Retro et vous connaîtrez enfin les jouissances d’un grimpeur à l’aise.

Si j’étais Marseillais, je vous dirais qu’aujourd’hui je m’ennuie, non pas en l’air, mais dans les côtes à 7 %.

Singulière machine, me direz-vous, avec laquelle il faut s’éterniser dans les montées  ! Nullement. Si l’on flâne dans les côtes c’est parce qu’on le peut et qu’alors on le veut, la fatigue étant nettement moindre.

Dans la course de côte, soyez en sûr, la Rétro saura se défendre. Quelles terribles foulées on peut fournir  ! Mais, hélas, cela ne me réussit guère  : au bout de 50 mètres mes poumons crient indiscrètement mon âge.

J’ai naturellement poussé les essais dans des pentes de plus en plus dures. Dans le 8, 10% tout va bien. On peut toujours marcher aussi lentement qu’on le désire, mais lorsque la résistance de la pédale finit par égaler le poids du corps les choses se compliquent.

Il y a là un point noir que je tiens à signaler et à expliquer pour éviter toute surprise et toute méprise.

Dans le sens direct lorsque nous en sommes réduits à abandonner la selle et à grimper pour ainsi dire sur les pédales, nous avons la ressource de pouvoir tirer sur le guidon ajoutant ainsi au poids du corps l’effort de traction des bras.

En rétrograde ce n’est guère possible. Les poignées du guidon ne sont plus à la position convenable. En tirant sur elles et surtout au début du coup de pédale on jette en avant le corps dont le poids se portant alors sur le guidon lui-même n’est plus opposable à la pédale.

C’est exactement et pour la même cause ce qui se passe pour les machines actuelles lorsqu’on contrepédale énergiquement dans une descente.

Nous savons que l’on ne gagne rien à tirer sur le guidon  : le mieux est de se rejeter complètement en arrière. C’est précisément ce que je dois faire dans le 10% : au delà la seule ressource est d’accélérer l’allure de façon à franchir cette sorte d’angle mort qui se produit au début du coup de pédale.

Avec 3 m. 65 l’inconvénient est bien minime.

Combien sont rares les côtes à 10%  ! Mais avec 6 mètres les pentes de 6% qui sont encore à la rigueur accessibles pour quelques cyclistes très vigoureux deviendraient peut être impraticables.

Voilà le point noir. A-t-il une importance énorme  ? À chacun d’en juger. Mais j’ai tenu à le signaler, car sans doute à égalité de développement une machine à sens direct enlèverait un raidillon devant lequel la Retro devrait capituler. Et naturellement beaucoup croiraient pouvoir conclure à l’infériorité de cette dernière dans tous les cas.

— L’inconvénient en question, il faut bien le dire, se traduit d’un autre côté par un avantage très réel. Dans la descente en rétrograde, rien n’est plus facile que d’arrêter dès le début un emballage grâce précisément à la ressource que l’on a de s’accrocher au guidon pour retenir en avant.

L’utilisation des muscles (1). — Elle est plus complète et plus conforme à leur rôle physiologique.

Grand fessier. — Ce muscle le plus puissant de tous est très médiocrement utilisé aujourd’hui. C’est ainsi que l’on constate en disséquant les graphiques obtenus par la pédale dynamométrique de Bouny que les 3/4 environ du travail utile sont fournis par le triceps seul.

Aussi ne ressentons-nous jamais de courbatures ailleurs que dans la cuisse (triceps). En rétrograde il en est autrement, je vous l’assure, et c’est avec le plus grand plaisir, d’ailleurs,que dans mes premiers essais de longues côtes dures je me suis senti complètement moulu jusqu’à la ceinture  : mes prévisions s’étaient réalisées.

Le grand fessier fixé d’une part au bassin s’insère au fémur en un point voisin de l’articulation de la hanche. C’est lui qui abat le genou avec force pendant le coup de pédale Pour l’utiliser à fond il faut que le fémur tourne d’un angle aussi grand que possible.

( Voir pour plus de détails dans le Cycliste  : Muscles moteurs (janvier 1900 , et En rétrograde juin avril et mai 1900).

Dans le sens direct cet angle est de 49° dans le coup de pédale plongeant, et de 45° seulement dans les côtes par suite du mouvement de cheville qui diminue la course du genou.

Ainsi le muscle principal est plus mal utilisé précisément quand le travail à fournir est considérable.

En rétrograde si dans le coup de pédale restreint la course du genou est comme précédemment de 49° par contre dans le coup ample elle est de 65° (et même de 71° dans le cas extrême indiqué par la figure). L’utilisation croit dans le rapport 65/49 soit de 32%.

Triceps. — Il relie le fémur à la rotule, étend par suite la jambe sur la cuisse, c’est-à-dire ouvre l’angle de ces deux leviers.

L’utilisation est donc définie parla différence des valeurs de cet angle au début et à la fin de l’action.

Pour le coup de pédale ordinaire, direct ou rétrograde, l’angle varie de 70°  : pour le coup ample rétrograde de 101°.

Donc comme pour le grand fessier utilisation beaucoup plus complète.

Elle croît de 45%.

Remarquons en outre que si les deux maîtres muscles peuvent fournir beaucoup plus de travail pour le même effort ils le font dans des conditions parfaites au point de vue physiologique. Dans la marche, la course, le saut, l’ascension des escaliers toujours nous étendons à fond la cuisse sur le buste, la jambe sur la cuisse. C’est donc là ce que nous devons imiter en pédalant.

Les grandes manivelles augmentent sans doute les angles d’action, mais du côté le moins favorable, le moins naturel. Le grand fessier notamment lorsque le genou est très élevé tire très obliquement sur le fémur  : la majeure partie de l’effort se trouve ainsi perdue. Avec le genou très bas au contraire la traction presque normale au levier peut être utilisée tout entière.

Mollet. — A qui de nous vient-il jamais à l’idée de monter les escaliers sur la pointe des pieds  ? C’est cependant ce que nous faisons aujourd’hui et d’autant plus à fond que la côte est plus dure, car c’est notre unique moyen de réduire l’angle mort. Lorsque le soléaire se trouve épuisé, que nous n’avons plus la force d’abaisser la pointe du pied, ce qui arrive bientôt, il ne nous reste plus qu’à accélérer l’allure.

Nous en savons les conséquences. En rétrograde la plante du pied,dans le coup de pédale ample, peut et doit rester constamment perpendiculaire à la ligne genou-cheville. C’est là son orientation naturelle  : c’est là que le soléaire a la plus grande puissance pour le moindre effort.

Droit antérieur. — Le muscle droit antérieur relie le bassin à la rotule  : il tend à la fois à relever le genou et à allonger la jambe sur la cuisse.

Dans le sens direct il ne peut être réellement utile que pendant un temps très court, au moment où la pédale se rapproche le plus possible de la selle, et son action doit cesser dès que le genou se met à l’œuvre. Nous savons tous quel effort violent nous lui demandons à l’instant critique où, la pédale ne se décidant pas à descendre, la machine risque de s’arrêter sur place.

Dans l’autre sens, son rôle est tout autre. Il ne peut intervenir pendant le coup de pédale proprement dit, car il est antagoniste du grand fessier, mais il est merveilleusement utilisable pendant toute la remontée de la pédale. Tel est d’ailleurs son véritable rôle physiologique  : étendre le membre inférieur en le relevant.

C’est grâce à lui qu’après quelques semaines de pratique, on voit complètement disparaître, et sans effort la contrepression qui paraissait au début inévitable et inhérente au principe même de la rotation rétrograde.

Je m’en tiendrai là, car les autres muscles ont un rôle, ou identique dans les deux cas, ou très accessoire.

Ce qui précède va nous donner l’explication d’une propriété très curieuse de la Rétro  : la constance de l’effort musculaire, malgré des variations assez nettes de la résistance de la machine.

Je m’explique. Vous marchez à 20 kilom. en plaine  : coup de pédale restreint. Le travail à fournir à la machine est de 10 kilogrammètres par tour.

Une côte à 15 se présente  : le travail nécessaire devient 14 au lieu de 10. De quelque façon que vous pédaliez sur la machine actuelle, il faudra absolument que l’effort musculaire s’élève au moins dans la même proportion.

En effet  : prenons par exemple le cas du grand fessier. L’amplitude du mouvement du genou ne variant pour ainsi dire pas (où même diminuant si l’on augmente le jeu de cheville), le déplacement du point d’insertion du muscle sur le fémur reste lui aussi constant (ou même diminue).

Or, le travail fourni par ce muscle, soit la moitié du travail total, est égal à l’effort exercé sur le point d’insertion multiplié par le déplacement de ce point. Le travail devant passer obligatoirement de 10 à 14, ce sera donc l’effort qui devra croître au moins dans le même rapport.

En rétrograde, en attaquant la pente à 15%, passez brusquement du coup de pédale restreint au coup de pédale ample. Le déplacement du point d’insertion croissant de ce fait de 32%, nous l’avons vu, le muscle sans changer l effort, fournira un travail de 32% supérieur. Or c’est à très peu près ce que réclame la pente à 15 %.

Pour le triceps, il en sera de même.

Bref, le cycliste, par le simple changement du coup de pédale, franchira la déclivité sans aucun effort musculaire supplémentaire.

L’habitude aidant, cette petite manœuvre se fait d’instinct (de même d’ailleurs qu’en sens direct nous varions soit l’effort, soit le mouvement de cheville), de sorte que pentes légères, vent contraire faible, passent pour ainsi dire inaperçus.

Dans ces conditions, si votre vitesse de plaine se maintenait malgré la pente ou le vent, il y aurait miracle. Mais ne craignez rien  : à défaut des muscles, ce sont les poumons qui vous inviteront à ralentir.

En somme on a là pour ainsi dire un véritable changement de vitesse au petit pied et réglable automatiquement. Ce serait l’idéal, s’il pouvait suffire dans les côtes dures  : mais, hélas, tel n’est pas le cas. Quoi qu’il en soit, la marche en pays de plaine en devient nettement plus aisée, plus régulière, plus naturelle  ; on n’a plus comme aujourd’hui dans les jambes, un niveau de haute précision vous annonçant de façon toujours désagréable les plus minimes ondulations du sol.

Un dernier point. Ira-t-on plus vite avec la Retro ? Question primordiale, sans doute, car c’est la seule qui m’ait jamais été posée sur la route, très souvent d’ailleurs et parfois avec une véritable anxiété. Dans ce dernier cas, je répondais  : « Non, au contraire, on va plus doucement. dans les côtes.  » J’étais toisé, mais libéré.

Je n’ai pas fait, je le déclare, le moindre essai de vitesse comparative, et cela parce que j’ai la conviction qu’un cycliste, à lui tout seul, est totalement incapable d’arriver à une conclusion valable.

Ses résultats seront toujours conformes à ses prévisions, à son désir.

N’est-ce pas ainsi que depuis dix ans on nous a prouvé la supériorité écrasante des jantes en bois, rayons tangents, transmissions X ou Y, pédaliers étroits, grandes manivelles, machines légères, grands développements, petits pneus à fil plus ou moins biais, etc., etc. Total des gains annoncés  : 150 %, Et notre vitesse n’a pas changé !

Laissons donc aux coureurs le soin de trancher la question. Souhaitons des épreuves comparatives disputées avec frénésie, avec rage, mais, par dessus tout, loyalement. Aucun entraîneur  : défense absolue de dissimuler une défaillance en s’embusquant sournoisement dans le sillage d’un concurrent. N’est-ce pas M. Paul Hamelle  ?

Risquerai-je un pronostic ? La Retro doit gagner, car le moteur y travaille d’une façon plus naturelle, plus simple.

Ah  ! que ! beau sujet d’étude pour un coureur amateur fatigué de patauger dans l’ornière des professionnels !

Quant au touriste, la question vitesse peut, il me semble, se poser pour lui sous la forme suivante  : Pour une même fatigue générale nos étapes resteront-elles aussi longues  ?

A la fin de l’été je serai, je l’espère, encore mieux documenté qu’aujourd’hui à ce sujet.

Mais je puis affirmer déjà que dans des tournées de trois et quatre jours, en pays peu accidenté et au taux moyen de 100 kilomètres par jour, mon unique et modeste développement de 3 m. 65 ne m’a pas encore révélé un seul point d’infériorité. Bien au contraire.

Ma vitesse moyenne  ? Voici deux exemples  : Fontaines à Culoz, 101 kilomètres en 6 h. 32 (coupés par un arrêt de 2 heures). Vitesse moyenne  : 16.5 Nombre de tours  : 71.

Saint-Genis-d’Aoste à Fontaines  : 98 kilomètres en 6 h 29.

Je n’aurais certes pas fait mieux à mon train automatique de route avec le même développement dans le sens direct.

Vous dirai-je que quand je reprends mon autre machine, la nécessité de tenir les genoux constamment repliés, de pousser sur la pointe des pieds dès qu’une côte se présente, me paraît parfaitement absurde ?

Je conclus, en disant à mes camarades du Touring : Faites l’essai de la Rétro. Ce n’est pas là, je vous l’assure, une de ces chinoiseries dont on se débarrasse à la première occasion. L’apprentissage en est d’ailleurs des plus simples.

Avec le développement unique, celui auquel vous êtes habitué, vous aurez en donnant le coup de pédale ordinaire (restreint) même vitesse de jambe, par suite même allure en plaine et aussi, bien entendu, même effort musculaire.

Mais en passant au coup de pédale ample  : 1° le vent contraire léger, les pentes douces ne vous demanderont aucun surcroît d’effort, et passeront pour ainsi dire inaperçus ; 20 et c’est là le grand point, vous pourrez gravir les côtes complètement à l’allure de votre choix, réglant ainsi à votre guise le travail du cœur et des poumons.

Avec deux développements, le plus petit étant choisi suffisamment faible, vous serez maître absolu de la route. Tout chemin carrossable sera cyclable, et dans des conditions réellement pratiques. Vous aurez la vraie machine de tourisme.

Où trouver une Rétro  ? En ce moment ci  : nulle part, c’est-à-dire qu’aucun constructeur, je crois, n’est en mesure d’en fournir une sur un tracé bien arrêté, et du jour au lendemain.

Cela se comprend d’ailleurs.

Mais j’ose espérer que ces quelque pages les amèneront à étudier la question, et par suite, à satisfaire aux demandes.

La Rétro sera-t-elle plus compliquée  ? Voici à ce sujet, et pour terminer, quelques indications sur les types actuellement existants à ma connaissance.

Pour les sans-chaîne, aucune complication.

Aujourd’hui, dans ces machines, les pignons de l’arbre de transmission attaquent ceux du pédalier et du moyeu, tantôt en dedans (Peugeot), c’est-à-dire sur les points de ces derniers qui se font face, tantôt en dehors (Oméga). Il suffit d’inverser le point d’attaque à l’une des extrémités de l’arbre pour avoir une Rétro.

C’est ainsi que ma machine est formée par la réunion de l’avant d’une sans-chaine «  Omega, et de l’arrière d’une Peugeot. Elle n’est donc nullement de fabrication courante.

Quant aux machines à chaîne, un premier type a été construit à Montluçon, sur les indications de M. de Viviès, ancien capitaine d’artillerie (Lavaur, Tarn). C’est une simple modification de la machine commune.

1901

La patte droite de la fourche arrière est prolongée, et porte une poulie P dont la gorge est dans le plan de la chaîne. Celle-ci (figurée en pointillé) s’enroule sur les pignons et la poulie, comme l’indique le croquis.

Solution simple et absorbant assez peu de force.

Un deuxième type est celui que M. de Vivie, bien connu des lecteurs de la Revue, a fait

construire dans ses ateliers pour des essais personnels.

Le cadre est très spécial  : il porte un axe A parallèle à l’axe B du pédalier.

Ces deux axes engrènent l’un sur l’autre par un pignon ordinaire B d’une part, et une roue à galets A de l’autre.

Les manivelles peuvent se fixer sur l’un ou l’autre axe.

Placées en A, elles permettent de pédaler dans le sens rétrograde, et en B dans le sens direct.

L’axe B porte, ainsi que le moyeu arrière, trois pignons différents, qui, par le déplacement de la chaîne donnent trois développements différents.

L’axe A étant monté sur excentrique, quand les manivelles sont sur B (rotation directe), on peut séparer les pignons A et B, supprimant ainsi tout frottement supplémentaire.

Je garde pour le bouquet la sans-chaîne à deux vitesses dont le tracé m’a été communiqué par M. Trepréau, le très habile mécanicien qui a déjà exposé au dernier Salon du Cycle deux types très remarquables de sans-chaîne à deux vitesses, l’une avec roue serve, l’autre avec roue libre (Cyclo-Touriste).

La Retro-Touriste, car tel est son nom, est vraiment fort curieuse.

Pédalez dans le sens direct, vous êtes sur la grande vitesse  : arrêtez les jambes, la roue est libre  ; enfin, sans avoir à manœuvrer aucun levier, pédalez en rétrograde vous êtes sur la petite vitesse.

Et tout cela s’obtient de façon fort simple. Le pignon de tête de l’arbre de transmission engrène simultanément et en permanence sur deux de ses points, diamétralement opposés, avec deux autres pignons centrés sur l’axe pédalier.

Ces deux pignons. A et B, sont montés tous deux sur une couronne de galets à coincement, comme dans le frein Juhel, mais le coincement, c’est-à-dire le blocage sur l’axe pédalier, se produit pour l’un lorsque la rotation donnée à cet axe est directe, pour l’autre lorsqu’elle est rétrograde.

De sorte que le coup de pédale direct entraîne le pignon A pendant que B reste fou. C’est l’inverse dans l’autre sens.

Je souhaite grand avenir à cette machine si bien comprise et d’une manœuvre idéalement simple.

Que ne feront pas MM. les constructeurs lorsqu’ils se décideront à prendre en main la question  ?

Messieurs, nous comptons sur vous au prochain Salon du Cycle  !

Et j’entrevois déjà le jour ou c’est en fredonnant que les membres du Touring franchiront en selle le col du Galibier  !

E. PERRACHE.

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