Le rétropédalage (Avril 1903)

samedi 23 décembre 2017, par velovi

Par B.F., Revue du Touring-Club de France, Avril 1903

C’est à M. Perrache, ex-capitaine d’artillerie, alias l’homme de la Montagne, que nous devons la nouvelle théorie du rétropédalage. Il y a deux ans déjà que le savant technicien, doublé d’un cycliste émérite, s’était rendu compte expérimentalement des avantages du pédalage rétro  ; ces premiers essais lui parurent si concluant qu’il n’hésita pas à poursuivre ses expériences et à étudier très à fond le travail des muscles dans le pédalage retro.

Ces travaux l’amenèrent à constater que le pédalage retro présente deux avantages très marqués  :

1° Suppression absolue du point mort

2° Utilisation plus rationnelle et plus complète des muscles moteurs.

Nous ne pouvons dans cet article reprendre la démonstration technique qu’a faite le capitaine Perrache, ce serait là un travail très ardu qui fatiguerait sûrement le plus grand nombre de nos lecteurs. Pour ceux que cette question intéresse tout particulièrement et qui ne craignent pas les chiffres et les graphiques, nous signalons l’article très documenté paru dans la Revue de l’artillerie de décembre écoulé.

Pour les autres qui peuvent se contenter d’une démonstration plus superficielle, nous allons tâcher de les renseigner aussi simplement que possible.

Nous avons dit qu’en rétro le point mort était supprimé. Or, qu’appelle-t-on le point mort  ?

Le point mort ou plutôt l’angle mort, devrait-on dire, est la fraction de tour des manivelles pendant laquelle l’effort exercé sur les pédales n’a aucune action positive sur les manivelles. Tout les cyclistes le savant, en effet, qu’il est très difficile, sinon impossible de démarrer  ; à ce moment-là les manivelles sont au point mort, ou, comme on dirait en termes techniques, la composante tangentielle est nulle.

En pédalage direct l’angle mort peut aller jusqu’à 36°, soit 10% du tour total. En pédalage rétro, au contraire, cet angle mort n’existe pas, c’est à dire que l’une des pédales commence toujours son action utile avant que l’autre l’ait terminée.

Pour s’en rendre compte d’un façon simple et absolument concluante, M. Perrache préconise l’expérience suivante  : « Prenez une machine munie d’un frein sur la roue motrice et faites porter la fourche arrière du cadre sur un support solide, de façon que la roue ne touche pas le sol. Mettez-vous en selle, serrez le frein et pédalez dans le sens rétrograde.

Dans ces conditions il n’y a aucun volant, c’est uniquement l’action des muscles que les pédales pourront franchir l’angle mort. Or, pourvu que l’on s’y soit un peu exercé au préalable, si énergique que soit la pression du frein, on arrive à donner aux pédales un mouvement aussi lent qu’on le désire et très régulier. Aucun effort spécial, aucune contorsion à faire  ; il suffit d’accompagner à fond la pédale, en étendant complètement la jambe.

Dans le sens direct, au contraire, les manivelles resteront absolument calées dans la position verticale, malgré les efforts les plus désespérés.

Il est donc établi que le rétropédalage supprime d’une façon absolue l’angle mort.

Quant à l’utilisation meilleure des muscles moteurs, elle s’explique de la façon suivante.

Les principaux muscles qui servent à actionner les pédales sont au nombre de deux  :

1° Le grand fessier qui s’insère sur le fémur et vient s’attacher au sommet du bassin  ; ce muscle à pour effet de faire pivoter le fémur autour de son point d’attache.

2° le triceps, attaché d’une part au fémur et d’autre part à la rotule, qui a pour fonction d’ouvrir l’angle du genou.

Ces muscles étant les plus forts de la jambe devraient être ceux qui travaillent le plus ; or, dans le pédalage direct le grand fessier qui est le plus puissant travaille peu, ce qui le prouve, c’est qu’il n’est presque jamais le siège de courbatures. Celles-ci sont au contraire fréquentes dans le triceps (cuisse) qui, d’après les expériences dynamométriques faîtes par le docteur Bouny, fournit les 3/4 du travail utile.

Pour utiliser à fond le grand fessier, il faut qu’il tourne d’un angle aussi grand que possible  ; or, dans le pédalage direct, cet angle est en général de 43°, alors que dans le pédalage retro ce même angle est de 65°.

Quand au triceps, comme il ouvre l’angle au genou, son degré d’utilisation est défini par la valeur de cet angle au début et à la fin de l’action. Or, cette différence est de 70°en direct et de 101° en rétro.

(note  : Cette différente de travail angulaire das les deux cas vient de ce que, dans le pédalage direct, la pratique de l’ankle play ou jeu de la cheville empêche à la jambe de se déployer complètement, tandis que, dans le pédalage rétro pratiqué rationnellement, le jeu de la cheville disparaît et la jambe s’étend bien à fond. On verra plus loin l’explication de ce phénomène dans la manière de pédaler.

De ces chiffres il résulte que l’utilisation des muscles progresse dans les proportions 65/45 et 101/70, soit 40% en faveur du rétropédalage.

Le rétropédalage présente en outre un avantage très sérieux à la montée, c’est de permettre de pédaler très lentement et d’éviter, par suite, tout surmenage et tout essoufflement. Cette facilité de pédaler lentement provient de ce qu’en rétro il n’y a pas de point mort, une pédale entrant toujours en action avant que l’autre ait terminé sa course positive , il en résulte que l’action utile sur la pédale est continue et régulière.

Dans le pédalage direct au contraire, il y a, comme nous l’avons vu plus haut, un angle mort qui peut aller jusqu’à 36% et qui ne peut être franchi que grâce à l’ankle play ou jeu de la cheville, ou grâce à la vitesse acquise ou force vive qui forme comme un volant d’énergie.

L’ankle play ou jeu de la cheville se pratique quand la pédale est dans le haut et dans le bas de sa course. Dans ces deux cas, les muscles les plus forts, triceps et grand fessier n’entrent plus en jeu  ; dans le haut, c’est un muscle particulier, le droit antérieur qui, élevant le genou et étendant la jambe sur la cuisse, chasse la pédale en avant ; dans le bas, ce sont les muscles des mollets qui, se substituant au grand fessier, fournissent le travail mécanique nécessaire au déplacement de la pédale.

Or, comme la capacité de travail d’un muscle est proportionnelle au poids de sa fibre contractile, il en résulte que le droit antérieur et les muscles du mollet étant beaucoup moins lourds que le triceps et le grand fessier ne peuvent fournir qu’un travail bien inférieur et sont vites surmenés.

C’est ce qui explique pourquoi dans le montée les pédales paraissent encore très maniables tant que les manivelles sont à peu près horizontales, c,est à dire tant que les grands muscles sont en pleine action et que les passages plus fatigants sont toujours ceux voisins du point mort ou les muscles secondaires surmenés se refusent à tout service.

De tout ce qui précède, il résulte que le pédalage rétro donne un rendement supérieur au pédalage direct et qu’il présente surtout un avantage incontestable à la montée.

Les expériences que nous avons faîtes pendant toutes l’année 1902 n’ont fait que confirmer ces résultats théoriques. Pour nous renseigner d’une façon très complète, nous avions fait monter trois bicyclettes rétro-directes offrant les combinaisons suivantes  :

1° Deux développement, direct et rétro égaux  ;

2° Grand développement rétro et petit développement direct  :

3° Grand développement direct et petit développement rétro.

la première combinaison, deux développements égaux,nous permit de constater que le pédalage rétro pratiqué d’une façon continue présente tout comme le pédalage direct pratiqué dans les mêmes conditions, un assez grand inconvénient, celui de faire travailler toujours les mêmes muscles d’une façon identique.

La pratique simultané de l’un et de l’autre pédalage offre au contraire un soulagement très appréciable, car certains muscles, tels que le droit antérieur et les muscles du mollet qui travaille beaucoup dans le pédalage direct, n travaillent pour ainsi dire plus dans le pédalage rétro  ; les deux modes de pédalages obligent, en outre, à avoir sur la selle deux points d’appui différents, ce qui repose infiniment dans les longues promenades.

La seconde combinaison, avec grand développement rétro et petit développement direct, permettait bien d’alterner les deux modes de pédalage, mais désavantageait complètement le cycliste à la montée, c,est à dire au moment ou le rétropédalage est le plus nécessaire. Il nous a toujours semblé, en outre, que le rétropédalage ne permettait pas d’obtenir une vitesse de jambe aussi grande que le pédalage directe. C’est parce que vous rétropédaler mal disent les théoriciens  ; c’est possible, mais c’est là un fait que nous avons constaté et qui, joint aux observations ci-dessus, nous a conduit à considérer comme seul solution pratique et rationnelle la troisième combinaison dont nous parlerons ci-dessous, c’est à dire grand développement direct et petit développement retro.

Ce qui, actuellement, arrête beaucoup de gens de faire usage de la retro, c’est la crainte de ne pouvoir s’habituer à faire mouvoir les jambes à l’envers ; nous nous empressons de dire que cette crainte est tout à fait puérile. Quand on rétropédale pour la première fois, le mouvement des jambes est forcément un peu saccadé, et dès que la pédale offre la moindre résistance on a tendance à pédaler en avant, mais c’est là l’affaire de quelques heures, de quelques jours au plus. Après une semaine de pratique on tourne aussi bien à l’envers qu’à l’endroit ; ce qui est plus long à venir, c’est l’entraînement  : il faut apprendre à faire travailler les muscles forts de la cuisse et cela demande quelques semaines, quelques mois au plus. (1)

(note : M. Féasson, touriste amateur qui, au concours du T.C.F., fit l’ascension complète du Tourmalet sur une rétrodirecte « hirondelle » n’avait que 6 semaines de pratique)

L’important est de pédaler d’une façon rationnelle et raisonnée ; or nous ne saurions donner de meilleurs renseignements à ce sujet qu’en donne M. Perrache dans son article de la revue d’artillerie  : Curiosité cycliste, la bicyclette rétro-directe.

Position de la selle - La partie la plus large de la selle, c’est-à-dire immédiatement après l’échancrure ménagée pour le mouvement de la cuisse, doit passer à 12 centimètres en arrière de l’axe de la pédale, la manivelle étant à l’arrière et horizontale.

Cette position correspond à un recul de 2 centimètres environ de la position habituelle. Cette légère différente ne gêne en aucune façon pour le pédalage direct.

Hauteur de la selle - Cette question a une très grande importance, et voici la règle que nous croyons la meilleure  : Le buste restant bien d’aplomb, chausser la pédale un peu plus (1 centimètre) que d’habitude, mais non à fond, pour la pousser jusqu,à ce que la jambe et la cuisse soit complètement allongées. A ce moment la plante du pied doit avoir son orientation naturelle, celle de la position debout, perpendiculaire à la ligne genou-cheville.

Si, en pédalant correctement dans une côte, c’est-à-dire en abaissant le genou à fond, on éprouve un tiraillement quelconque au talon,cela vint de ce que la plante du pied est trop relevé  ; le tendon se trouve distendu, il faut alors élever un peu la selle jusqu’à ce que toute gêne disparaisse.

Manière de pédaler. - En rétro,il y a deux façons de pédaler, que M. Perrache appelle le coup de pédale restreint et le coup de pédale ample.

Le coup de pédale restreint est celui que l’on doit pratiquer quad la pédale résiste peu et que la cadence des jambes doit être accéléré. ce coup de pédale ne diffère en rien,sauf dans le sens, de celui qui nous est familier sur la machine ordinaire à pédalage direct.

Le coup de pédale ample est celui qui convient dans les côtes ou même en plaine quand la pédale est dure.

Voici en quoi il consiste  : maintenir constamment la plante du pied dans son orientation naturelle, c’est à dire ne faire aucun mouvement de la cheville et prolonger le coup de pédale absolument à fond, la jambe étendant complètement sur la cuisse.

Le coup de pédale ample est très simple, mais comme il contrecarre les habitudes acquises, il demande au début beaucoup d’attention pour être appliqué correctement. Lorsqu’il est appliqué convenablement, le coup de pédale ample supprime complètement le point mort et permet, par suite, de monter les côtes à une vitesse très faible que limite seulement la condition d’équilibre de la machine, d’où possibilité de régler à sa guise le degré d’essoufflement.

Dans le coup de pédale restreint, le jeu de la cheville entrant en jeu, le mouvement de rotation du fémur et du genou peuvent être sensiblement les mêmes qu’en pédalage direct, les grands muscles travaillent donc peu, si, au contraire, on passe soit d’un coup, soit progressivement, ce que est facile, au coup de pédale amble, l’angle fait par les grands muscles devient beaucoup plus grand et passe de 45à 65 degrés et de 70 à 101 degrés. Par suite, le travaille mécanique fourni par ces muscles croit dans les mêmes proportions, ce qui constitue un véritable changement de vitesse, à petite échelle, bien entendue, que le cycliste a à sa disposition et dont il peut se servir automatiquement.

Le coup de pédale ample, légitime une augmentation de développement de 20% environ. Nous ne le croyons pas et nous estimons même que pour éviter toute déception, les débutants feront bien de s’en tenir aux mêmes développements qu’en direct et de n’attendre qu’une légère amélioration dans le rendement dû à une façon de pédaler plus rationnelle et plus physiologique.

Dans un de nos précédents articles nous avons décrit les différents modèles de bicyclettes rétrodirectes qui se fabriquent actuellement  ; nous croyons donc inutile de nous étendre à nouveau sur ce point. Nous rappelons simplement la simplicité énorme que le rétropédalage permet d’apporter dans les changements de vitesse. Celui-ci se fait en effet par un simple renversement des pédales, de sorte que l’on peut faire un demi-tour en grande vitesse et un demi-tour en petite vitesse, en un mot changer à tout instant de développement sans que la machine cesse de fonctionne ou ait à en souffrir.

Cette simplicité du changement de vitesse est véritablement merveilleuse, elle constitue certainement l’un des avantages les plus frappants des bicyclettes rétro-directes. Quand on en a goûté on a peine à revenir aux anciens systèmes, les manettes et poignées de commande paraissent barbares et primitives et d’instincts on renverse le mouvement des jambes pour changer la multiplication et rétropédaler.

La bicyclette rétro-directe fit ses débuts officiels l’année dernière au concours du T.C.F  ; du coup elle s’affirma comme une machine de tourisme de premier ordre, nous sommes persuadés que l’avenir ne fera que confirmer ce premier succès. nous tenons, en effet, de bonne source que les maisons qui fabriquent actuellement des bicyclettes rétro ont peines à suffirent aux demandes qui leur sont faîte. Pour une fois une invention essentiellement française aura trouvé grâce devant les cyclistes de notre pays et tous n’auront pas attendu pour en apprécier les avantages qu’elle nous soit resservie, comme la roue libre, par nos voisins d’Outre-manche et d’Outre-Atlantique.

Cela fait honneur au bon sens français et à l’initiative de nos constructeurs  : cela est, en outre, un précieux encouragement pour les savants et techniciens qui, comme M. Perrache, ne craignent pas de consacrer leur talent et leurs loisirs, à la recherche de cette reine du jour, la bicyclette idéale de tourisme.

B.F.

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