CHRONIQUE DU PASSÉ 25 octobre 1890
mardi 6 décembre 2022, par
Par Jeanne C., Le Cycliste, 1890, p.306, Source Archives départementales de la Loire, cote Per1328_2
25 octobre.
« Le printemps charme, mais l’automne pénètre », a écrit quelque part je ne sais plus quelle femme de lettres. Je ne puis m’empêcher de le répéter après elle, en ajoutant que l’automne est la meilleure saison pour vélocer, j’entends au point de vue du pittoresque. En effet, au printemps, que voyez-vous ? Du vert, et toujours du vert, la couleur en est tendre,je le veux bien, mais cette délicatesse de ton n’amoindrit pas la monotonie des aspects, au contraire. Voyez un arbre, vous en avez vu cent. Je ne parle pas de l’été, la poussière, le soleil, la chaleur font rechercher l’ombre épaisse ; il ne fait bon courir les chemins que pour les enragés. Mais l’automne ! quelle merveilleuse diversité de couleurs dans la nature ! Les feuillages passent par toute la gamme : du vert au jaune paille en se teintant parfois de rouge. Les paysages aux tons si variés sont admirables à contempler. Je ne connais rien de plus beau qu’un bouquet d’arbres en automne, alors que les derniers rayons du soleil du soir viennent dorer les premiers rangs et que la brume hâtive en cette saison noie déjà de vapeurs indécises les plus éloignés.
Je ne sais pas si c’est au point de vue artistique que l’amiral Gervais conseille à ses officiers de parcourir les côtes en vélocipède, mais il est certain que plus d’un de ces jeunes gens doit mettre pied à terre devant un paysage automnal comme celui que je désigne plus haut et oublier pour quelques instants les bas-fonds et les débarquements.
Et puisque j’en suis à la marine, je ne veux pas la quitter sans dire un mot du vélocipède nautique de M. Rousseau, qui a été dernièrement expérimenté à Marseille, et avec le plus grand succès. Cet appareil est un tricycle dont les roues, en feuilles métalliques, ont la forme de lentilles et sont creuses. Il va sans dire que des palettes sont adaptées aux endroits convenables et servent à la propulsion. Ce véloce est, paraît-il, inchavirable et insubmersible ; un journal sportif en conseille l’usage aux marins et pour un peu prédirait la substitution de semblables machines, légères et maniables, aux cuirassés de haut bord...
Peut-être est-ce sur un tricycle nautique que s’est enfui le caissier de la maison Humber, le sieur Colvin, qui reste introuvable, ainsi du reste que les 80.000 francs manquant à la caisse !
Est-ce en pariant aux courses vélocipédiques du Palais des Arts libéraux que ce fidèle employé a dissipé les fonds confiés à sa garde ?
Elles ont vécu, les pauvres courses, et pas bien longtemps ! Versez un pleur, Messieurs, sur la belle piste bitumée et les illuminations à giorno que nous décrivait la presse.
Mais on dit que le sport se retirait peu à peu de ces réunions pour faire place à la seule industrie et, soucieux de la dignité de leur monture, les vélocipédistes ont fui à tire-pédale, laissant là les bookmakers
Avez-vous appris la disgrâce de M. Fournier,qui a été disqualifié pour une année et déclassé comme amateur parce qu’il a touché des prix en espèces ? Le cas est pendable et je m’étonne très fort qu’on ait laissé vivre le coupable. Ah ! si les femmes étaient admises au Comité de l’U. V. F., quel plaisir j’aurais eu à réclamer la mort de M. Fournier (qui a osé toucher des prix en argent) !
Aussi pourquoi va-t-il courir, au lieu de faire tranquillement de petits voyages comme celui que viennent d’accomplir trois membres du V. C. bernayen ? Ces messieurs ont visité Trouville, Cabourg, Caen, Saint-Lô, Granville, Jersey, Avranches, Pontorson, Dinard, Dinan, Rennes, Fougères, Dol, Granville et toutes les localités intermédiaires et sont rentrés à Bernay par Trouville. En tout : 147 lieues dans l’espace de sept jours.
Deux jeunes Américains, MM. Allen et William Sachtleben, de Saint-Louis (États-Unis), font en ce moment le tour du monde en bicyclette. Leur itinéraire comprend : l’Angleterre, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche, la Turquie, la Perse, la Chine, le Japon et l’Amérique du Sud. Ils pensent être de retour dans leurs familles dans dix-huit mois ou deux ans. Honneur à ces intrépides !
Une petite excursion dans la presse et je clos ma chronique, déjà trop longue, n’est-ce pas, Messieurs ?
Un nouveau journal qui s’occupe de vélocipédie : L’Écho des Sports, à Paris.
Le Petit Journal a fait l’acquisition d’un certain nombre de vélocipèdes pour le service de l’administration. C’est un fait caractéristique qui mérite d’être noté.
Le Figaro a publié dans son supplément du 4 octobre un article à sensation de M. Pierre Giffard, illustré par Mars. Titre : La Reine Bicyclette.
Et maintenant que j’ai bien bavardé, merci à vous tous, Messieurs, qui m’avez écoutée jusqu’au bout.
Jeanne C..