DE PARIS A VÉLOCIO par Maillane. 1929

vendredi 26 avril 2024, par velovi


DE PARIS A VÉLOCIO par Maillane, Georges Grillot, Le Cycliste

La Journée Vélocio de Saint-Etienne est une belle occasion pour quitter Paris. Pour un peu que l’on s’y prenne comme il faut, elle devient un prétexte de descendre en Provence, terre bénie des cyclotouristes.

C’est pour cette raison que le jeudi 1 août je débarquai de l’express de Paris, dans la bonne ville de Saint-Etienne. J’y connais une foule de gens, tous plus aimables les uns que les autres qui ne manqueraient pas de me retenir aussi, pour ne pas me retarder, je ne demeurai à Saint-Etienne que le strict minimum. Le temps de poser un tandem chez l’ami Raimond, de déjeuner et en route.

Je dois, trois jours après, disputer la course de côte du Grand-Bois, Je sais que mes adversaires sont de taille, les Lévêque, les Barbier et autres Ph. Marre, qu’ils ne me ménageront pas et comme je tiens à posséder une médaille à l’effigie du Maître, je devrai, au cours de la randonnée que je prépare, ne pas fournir d’efforts inutiles. Je tiens cependant à grimper le Grand-Bois correctement pour me faire une idée du temps que je pourrai réaliser dimanche. A 9 heures 20, exactement, je suis à La Digonnière et me mets en demeure d’appuyer sur les manivelles. Le temps est favorable, pas de vent contraire, mais une route innommable au début de la montée. A 10 h. 03’ exactement, je passe le col. Quarante-trois minutes ! Allons, ce n’est pas trop mal, je ne ferai pas trop mauvaise impression dimanche.

Les Stéphanois ne font pas plus attention au Grand-Bois que nous autres, Parisiens, admirons la vallée de Chevreuse. Ce col est néanmoins intéressant, surtout sur le versant de Saint-Sauveur-en-Rue. La route descend lentement sur les croupes verdoyantes de la montagne, et vient aboutir au petit village de Saint-Sauveur dans la vallée de la Déome, que je descendrai jusqu’à Bourg-Argental. La route, maintenant goudronnée, me permet, en raison de sa légère déclivité, de pousser mon 7 mètres à grande allure. Mais, dans le raccourci de Boulieu, le chemin est parsemé de pierres, de nids de poules et de têtes de chats qui me contraignent à ralentir considérablement. Heureusement, cela ne dure guère et après Davézieux, je reprends ma grande multiplication. Voici maintenant la plongée sur Andance et sur la vallée du Rhône.

C’est toujours avec grand plaisir que je retrouve la vallée du Rhône. Je l’ai parcourue en tous sens, mais ce ne m’empêche pas d’y trouver chaque fois un nouvel attrait. Dans la vallée du Rhône, que de souvenirs ! C’est par là qu’est passé mon premier voyage cyclo-touristique, en remontant de Tressan à Lyon : c’est par là que nous avons accompagné, Marre et moi, l’an dernier, sous la pluie, M. de Vivie l’étape Paris-Aix a emprunté, à Pâques, la rive gauche du Rhône, enfin, cha que année, une ou plusieurs fois, j’ai le plaisir de rouler au bord du grand fleuve dont Paris est éloigné de 500 kilomètres.

A Sarras, je passe le vieux pont suspendu qui m’amène à Saint-Vallier et, jusqu’à Valence, je roulerai assez rapidement, puisqu’il m’aura fallu 3 heures 55 pour réaliser la liaison de La Digonnière à cette ville, la porte du Midi.

Chose impardonnable chez un randonneur, je perds un temps considérable à déjeuner à Valence, m’attardant inutilement, trouvant la vie belle grâce à la bicyclette !

J’abandonne la rapide N 7 pour descendre par la rive droite que je n’avais pas parcourue depuis 1925. Ce côté du Rhône, riche en vieilles pierres, en châteaux démantelés, pourrait fort bien se comparer à la vallée du Rhin peuplée de burgs dominant le fleuve.

Si j’avais le temps aujourd’hui, car je me sens l’âme rêveuse, j’aurais aimé monter à Crussol, au château de Rochemaure, à la tour de Soyons, mais il faut que je sois ce soir dans la patrie de Mistral si je ne veux pas contraindre mes amis à veiller une partie de la nuit.

Sous le fallacieux prétexte d’admirer la vallée du Rhône, je roule lentement, mais je crois plutôt que le déjeuner de Valence est pour quelque chose dans cette séance de 15 à l’heure. Aussi a-t-on idée de s’arrêter si longtemps et de déjeuner comme le dernier des automobilistes !

La route, après Le Pouzin, devient très mauvaise. J’ai presque envie de passer le Rhône et d’aller à Loriol chercher la N 7. Et bien non, puisque j’ai décidé de suivre la rive droite, je la suivrai. Au fait n’ai-je pas des ballons ? Des ballons facon-main à chapes plates ? Jusqu’à ce jour, j’ai roulé sur des façon-main, la chape renforcée sur la bande de roulement me donnait toute satisfaction, mais, si je me suis aperçu que cette bande de roulement était inusable, j’ai constaté une nette usure sur les côtés. Pour remédier à cela cela, la bande de renfort a été supprimée, et tout en gardant leur section ovale mes pneus s’usent maintenant normalement. Le rendement est toujours parfait, si l’on a la précaution de gonfler lorsque l’on veut aller vite ou monter des côtes.

Trève de ballons et reprenons le fil de la randonnée qui m’amène à Cruas où les émanations d’une usine de ciment manquent de m’étouffer.

A 16 heures 30, je suis à Rochemaure d’où je télégraphie à Maillane l’heure probable de mon arrivée. Aux environs du Teil, les usines de ciment sévissent de nouveau. Il faut rouler rapidement pour se sortir de cet enfer. La vallée s’élargit maintenant. A ma gauche, j’aperçois le Ventoux qui m’a donné tant de mal en juin dernier. Comme dit Vélocio, le Ventoux est un gros morceau difficile à avaler. De fait, lorsque j’y suis monté par Malaucène, je n’ai jamais été si à l’ouvrage, fût-ce même dans les cols alpins les plus illustres.

Un petit vent du sud se lève brusquement. Il ne manquait plus que lui. Heureusement que ma nuit en chemin de fer s’est relativement bien passée et que j’ai pu reposer convenablement. Je me suis tellement habitué, cette année, à passer des nuits sur la route, à rouler des journées entières que la fatigue du chemin de fer n’a plus guère de prise sur moi. Je ne suis si peu fâché d’avoir acquis à force d’entraînement une certaine résistance, que j’espère bien, en compagnie de mon ami Ph. Marre, m’offrir, l’an prochain, un Paris-Les Baux en une étape, avec le tandem utilisé cette année dans Paris Toulon. Puisque Vélocio a dit que c’était en randonnant que l’on prouvait la valeur de la bicyclette, il n’y a aucune raison de ne pas randonner pour prouver la valeur de ladite bicyclette.

Employant la méthode chère à notre ami Cazassus, je ne m’alimente plus qu’avec des fruits durant les cent derniers kilomètres. Je remplis ma musette de temps en temps et mange en machine, ce qui évite les pertes de temps. J’ai télégraphié à Maillane l’heure de mon arrivée, il ne s’agit donc pas d’être en retard.

Je passe Viviers, Bourg-Saint-Andéol, Pont-Saint-Esprit et m’arrête à Bagnols-sur-Sèze, sur un petit pont historique depuis que j’y ai quitté Ph. Marre lors de mon premier voyage à bicyclette. Je me revois encore laissant mon ami continuer sur les Vans seul et abandonné dans cette vallée du Rhône, sans carte, bien entendu, et chevauchant une mono-brise-os dont les boyaux défaillants demandaient grâce. Depuis ce temps-là, l’eau de la Cèze a coulé sous le Pont de la Séparation, la mono-brise-os a été remplacée par une poly-ballon, et le débutant de naguère sait maintenant, grâce à sa carte, aller d’un bout à l’autre de la France sans demander son chemin.

Le Cycliste et l’infortunée Pédale ont contribué pour beaucoup à mon évolution et fasse le ciel que beaucoup de cyclotouristes évoluent dans le même sens en suivant, comme moi, les principes du Maître.

Je m’engage maintenant sur la route de Roquemaure, tantôt bonne, tantôt passable, tantôt épouvantable, ce qui ne m’empêche pas de forcer les feux, l’arrivée étant proche et la forme excellente. Je m’étonne moi-même. Ayant essayé quinze jours avant cette randonnée d’aller à Strasbourg en une étape, j’avais dû prendre le train pendant une centaine de kilomètres, afin d’arriver à l’heure dans la cité de la choucroute. Maintenant, tout marche à souhait. Est-ce la Provence qui m’influence à ce point ? Mystère de la forme que nul ne pénétrera jamais !

Voici Villeneuve-lès-Avignon et ses pavés excellents, voici le pont célèbre et enfin le Palais des Papes et Notre-Dame des Doms qui achèvent de s’éteindre avec les derniers rayons du soleil. Je suis présque du pays, aussi je n’hésite pas dans la traversée de la ville et dans la route à prendre pour Maillane. Il fait nuit maintenant, le vieux pont de Rognonas craque sous mes roues, tandis que la Durance coule bruyamment. Comme je l’ai dit plus haut, je suis presque du pays, ce qui ne m’empêche pas de m’égarer après Rognonas et d’errer quelque peu. Il est vrai que le célèbre guide Marcel, citoyen de Saint-Rémy, avait bien perdu Vélocio, en mai dernier, dans le dédale de petites routes des environs de Mail- lane. Enfin, je repère Graveson, et cinq minutes après j’entre dans Maillane où mes amis Roumanille m’attendent. Il est 9 h. 15, J’ai donc mis douze heures pour couvrir les 256 km, du parcours. La rive gauche un peu moins longue et surtout plus roulante doit permettre un gain de deux heures avec la même somme d’efforts.

Il est agréable de se retrouver avec une famille de cyclotouristes, au cœur de la Provence, quand je songe qu’il y a tout juste vingt-quatre heures, je quittais Paris, son tumulte, son métro et son atmosphère empestée, pour reposer dans le calme de la nuit provençale, troublée seulement par le bruissement des insectes. Que de belles choses on fait avec la bicyclette... et le chemin de fer !...

Je suis à peine arrivé qu’il faut songer à reparfir et à remonter à Saint-Etienne. Cette fois, je ne serai plus seul, puisque je serai accompagné de Thérèse Roumanille, de son oncle, de MM. Suné et Lavigne, d’Arles, ainsi que de M. Coste, de Saint-Rémy. Comme le mistral souffle, nous prenons à Avignon un excellent express qui nous dépose quelques heures après à Saint-Vallier où nous retrouvons notre ami Lévêque, mon concurrent dans la Journée Vélocio.

Cette étape ferroviaire a fait une victime, mon glorieux et regretté bidon, compagnon fidèle de mes voyages. Depuis quatre ans, parcourait avec moi les routes de France. Bosselé et défoncé, il était toujours fidèle au poste. Quelle tristesse de finir oublié sous une banquette de chemin de fer ! Et mes lamentations sans fin ont le don de faire rire Thérèse aux éclats. Cette jeune fille n’a pas de cœur, car mon bidon était unique, et jamais je n’en retrouverai un pareil !

Vélocio a bien fait, cette année, 200 km. pour aller rechercher son passe-montagne et si je savais où est mon bidon, si par hasard il était dans Midi, quel beau prétexte j’aurais de retourner là-bas !

En file indienne, nous remontons la vallée de la Cance, par une route aux multiples virages, bien connue des Stéphanois. Jusqu’à Annonay nous menons bon train, sans pour cela nous fatiguer. Nous cassons ensuite la croûte, assis sur la bordure du trottoir, lorsqu’un monsieur qui avait perdu son bon sens dans le fond de quelque verre vint nous invectiver, mais il ne put avoir raison de notre inaltérable bonne humeur ! Jusqu’à Bourg-Argental, rien de bien saillant, le peloton s’étire à cause du sommeil, mais nous allumons quelques feux de Bengale au magnésium pour faire des photos, et les endormis se réveillent La côte de La Versanne, réputée mauvaise, nous incite à monter aux Grand-Bois par St- Sauveur-en-Rue, où nous faisons un petit repas sur les marches de l’église vers quatre heures du matin. Une brave femme qui ouvrait sa croisée à ce moment n’en est pas encore revenue ! Lentement, nous nous élevons, tandis que le soleil essaye de percer une épaisse couche de brume. Aux environs du sommet, nous arrivons à la hauteur des nuages qui, chassés par le vent, sont d’un bel effet.

L’hôtel du Grand-Bois nous abrite heureu sement car il fait un froid piquant sur la route. En nous enfonçant à pied dans le Grand- Bois, bien abrités du vent par les arbres, nous pouvons goûter la fraîcheur matinale de la montagne sans pour cela geler sur la route. Le jeune Sauzet arrive peu après, et c’est en sa compagnie que nous descendons à Saint- Etienne par Planfoy et les barrages de Roche taillée.

C’est ensuite la traditionnelle visite à M. de Vivie que nous trouvons chez lui au milieu d’une foule de cyclotouristes essayant à qui mieux mieux le fameux vélo des Vieilles Gloires.

Aujourd’hui, samedi, veillée d’armes. Demain nous nous alignons dans la classique course de côte organisée par le Forez Sportif en l’honneur des 77 ans du Maître Vélocio.

Georges GRILLOT.

Georges GRILLOT

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