CARTES ROUTIÈRES (1892)

mardi 11 janvier 2022, par velovi

CARTES ROUTIÈRES fev1892 retro

J’ai déjà demandé aux abonnés du Cycliste leur gracieux concours pour mener à bonne fin l’œuvre ardue que j’ai entreprise, et qui consiste à établir une carte de France vélocipédique en prenant pour base les cartes d’État-major au 1/80.000e d’abord, et, plus tard, quand nous pourrons remplacer la lithographie à la gravure, au 1/200.000e.
Ce concours qui, je l’espère, ne me sera pas marchandé, devra, ainsi que je l’ai laissé entendre, se manifester sous forme d’envois de renseignements détaillés sur la viabilité des routes, au point de vue du cyclotouriste.
Pouvoir mesurer facilement et rapidement les déclivités du sol est la condition qui s’impose tout d’abord, et je vais montrer ici comment on peut, pour cet objet, se servir de sa propre bicyclette, sans avoir l’embarras de traîner avec soi un déclivomètre quelconque à niveau, dont l’emploi est passablement incommode.
Il y a juste deux ans, dans Le Cycliste de février 1890, mon savant collaborateur P. G... avait sur ma prière expliqué comment on pouvait graduer une bicyclette, de façon qu’avec un simple fil à plomb il fût possible de déterminer à chaque instant et presque sans s’arrêter la déclivité du sol. Voici en quels termes s’exprimait notre collaborateur :
Accrochez un fil à plomb à un point fixe et invariable de votre bicyclette, le sommet du tube de direction si vous voulez, et placez-le sur un terrain horizontal, comme un parquet. Le fil à plomb oscillera le long des tubes du cadre ; sur un de ces tubes, marquez zéro au point où s’arrête le fil à plomb. Puis placez la bicyclette sur une planche de deux mètres de long par exemple, dont vous exhausserez une extrémité successivement de 2, 4 centimètres, etc., et marquez 1, 2, etc., aux points où s’arrête le fil à plomb. Vous aurez ainsi une graduation qui vous permettra de mesurer les pentes des routes.
Très simple le truc comme vous voyez, et très pratique.
Si l’on veut s’épargner la peine de rechercher expérimentalement toutes les cotes, le long du tube, on peut les déterminer par le calcul et les reporter sur la jante d’une des roues, et, dans ce cas, il suffira de fixer le fil à plomb à l’axe même de la roue.
Soit une roue de 100 centimètres de diamètre, dont la jante serait graduée en centimètres et millimètres ; il est évident que l’aiguille du fil à plomb suspendu à l’axe de cette roue, marquant zéro sur un terrain horizontal, marquera successivement 5, 10, 15, 20, 25 mm. pour des pentes 1, 2, 3, 4, 5 %. Si la roue n’a que 70 centimètres, les intervalles ne seront que de 3 mm. 5, et ainsi de suite.
La jante, cela va sans dire, devra être repérée par rapport à la fourche et toujours mise au point, avant de relever les indications du fil à plomb ; on pourra fixer celui-ci soit à demeure, à l’extrémité de l’axe, soit l’emporter dans la sacoche.
Afin d’éviter toute erreur, il sera prudent de faire avancer la bicyclette de quelques tours de roue à chaque lecture, car il pourrait arriver qu’une des roues se trouvât justement dans une dépression du sol au moment de l’expérience, ce qui est du reste facile de voir et d’éviter.
Tout compte fait, comme les divisions de 3 mm. 5 en 3 mm. 5 sont bien lisibles, c’est à la graduation sur la jante que je donnerai la préférence, et j’engage mes lecteurs à procéder de la façon suivante.
Placer la bicyclette sur un plan horizontal, repérer la jante de la roue directrice, qui est généralement la plus haute, au point où elle rencontre les fourches ; marquer 0 au point de la jante sur lequel tombe alors l’aiguille du fil à plomb ; mesurer exactement la longueur du fil à plomb du centre de l’axe, à la surface de la jante sur laquelle seront marquées les divisions ; graduer ensuite de chaque côté du zéro par autant de dixièmes de millimètre que le fil à plomb aura de centimètres. Si le fil à plomb, qui n’est autre chose qu’un rayon, a 40 centimètres, les divisions seront de 4 millimètres et un pente de 10 % sera représentée par un écart de 40 millimètres.
Il est quelquefois difficile de trouver un plan absolument horizontal, on peut tourner la difficulté de la façon suivante : sur un plan à peu près horizontal, placez votre bicyclette successivement dans deux directions opposées et notez les points sur lesquels tombera dans chaque expérience, le fil à plomb, le milieu de ces points sera le zéro avec une approximation suffisante.
Nous voilà donc en possession d’un déclivomètre parfait, rapide et peu coûteux, pour lequel je n’ai pas l’intention de prendre de brevet, et que chacun pourra, en quelques minutes, installer sur la roue directrice de sa bicyclette.
Je reviens maintenant à nos cartes vélocipédiques. Pour que nous puissions les établir d’après le système indiqué dans le précédent numéro, il est essentiel que nous connaissions les déclivités d’une route kilomètre par kilomètre ; on devra donc s’arrêter de temps en temps et prendre des mesures toutes les fois que l’on soupçonnera une différence sensible d’inclinaison. Nous n’avons ni la prétention ni l’envie d’indiquer sur nos cartes les pentes exactes, à un dixième près. Nous n’avons adopté que quatre signes conventionnels qui signifient : pente faible (de 0 à 2 %), pente rapide (de 4 à 6 %) et pente roide (de 6 à 8 %), au-dessus de 8 et même de 7 %, nous n’admettons pas qu’un touriste ait quelque avantage à s’escrimer quand même sur ses pédales, à moins qu’il ne s’agisse d’un raidillon très court qu’on enlève d’un élan, et encore !
Le plus important est de noter les creux et les sommets d’une route par rapport aux bornes kilométriques ; un touriste est bien aise de savoir que telle montée qui commence à la borne 24 finira à la borne 31 ; il sait à quoi s’en tenir et, quoique la montée ne soit pas abrégée, il n’a pas au moins de ces désenchantements si pénibles lorsque, parcourant une route pour la première fois, on voit des montées se succéder, coupées de courtes et rapides descentes, alors qu’on s’attendait à une longue descente uniforme. Cela m’est arrivé il n’y a pas un mois, en allant de Feurs à Ste-Foy-l’Argentière par Saint-Martin-l’Estra.
Il importera tout autant de noter les détours qui pourraient être plus avantageux que la route directe ; autour des grandes villes on sera naturellement forcé de multiplier les indications et de faire figurer les rues non pavées et les trottoirs véloçables. Les auberges où les cyclistes reçoivent bon accueil ne devront pas être oubliées. Il faut, en posant ainsi les jalons d’une carte vélocipédique, se mettre à la place du touriste étranger qui, dans le silence du cabinet, prépare les étapes de son excursion prochaine et s’efforce de se rendre compte des difficultés qu’il aura à surmonter. J’en connais, de ces touristes, qui préfèrent s’arranger pour visiter une ville pendant la journée, et s’en aller gîter à quelques lieues de là, dans une vieille hostellerie en rase campagne ; qui arriveront par exemple à Saint-Étienne à 10 heures du matin, ayant couché et déjeuné à Montrond, qui verront en quelques heures ce que notre ville a d’intéressant, usines métallurgiques, mines et fabriques de rubans et qui, de 4 à 5 heures du soir, se remettront paisiblement en marche et iront faire une bonne nuit à l’Hôtel Girondet, au milieu des grands bois de sapins. Mais encore, leur faut-il savoir d’avance qu’il y a par là-haut, sur la montagne qui nous sépare de la vallée du Rhône, un hôtel où l’on trouve bon souper et bon gîte.
C’est aux cartes vélocipédiques à le leur apprendre, en même temps qu’elles leur apprendront que la côte qui grimpe à la République n’est pas piquée des vers, et que les bureaux du Cycliste sont constamment à la disposition des vélocemen de passage à Saint-Étienne ; une vraie macédoine de renseignements, vont s’exclamer les mauvais plaisants, que les cartes routières de Velocio !

Mon plan consiste à partager en quatre chaque feuille de la carte au 1/80.000 et de faire paraître aussi vite que possible autant de carrés qu’on voudra bien nous adresser avec les indications nécessaires. Nous encartons dans ce numéro le carré nord-ouest de la feuille 177. Il est malheureusement incomplet, et il montre combien, pour mener à bien un travail de ce genre, il est indispensable de pouvoir compter sur la coopération de tous ; nous avons annoté les routes qui nous sont familières, mais nous aurions eu besoin de resuivre, le carnet de notes à la main, celles qui descendent sur les bords du Rhône et qui sont sans doute connues dans leurs plus petits détails par nos amis d’Annonay et Saint-Julien et de Pélussin.
On comprend donc que, si tous les cyclistes travaillent à la fois sur un même plan à la carte vélocipédique de France, les documents précis abonderont, et nous n’aurons plus qu’à nous préoccuper des moyens d’exécution rapide.
Nous recommandons, pour l’estimation des pentes, l’emploi du déclivomètre, parce que si l’on se contente de les estimer au jugé, on risque de se tromper lourdement. Le vent contraire ou favorable, un changement de multiplication, un sol plus ferme ou plus mou seront autant de causes d’erreurs dans les appréciations.
Nous attendons avec confiance le résultat de l’appel que nous adressons au zèle et au dévouement de tous les vélocipédistes français, et nous tâcherons de nous tenir à la hauteur de la tâche que nous avons entreprise. Mais ce serait plutôt l’affaire d’un éditeur spécialiste, et nous passerons volontiers la main et les documents que nous aurons réunis à l’industriel intelligent à qui cette entreprise sourirait et auquel nous apporterions bien volontiers notre concours et notre publicité.
Velocio.

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