De Saint-Étienne à Chambéry en vélocipède (1887)

vendredi 19 juin 2020, par velovi

Par Paul de Vivie, alias Vélocio, Le Cycliste, N°1 Février 1887, p. 4-5, Source Archives départementales de la Loire, cote Per1328_1

Avant de se laisser claquemurer dans leurs quartiers d’hiver par le mauvais temps les routes empierrées et les jours de plus en plus courts, les cyclistes stéphanois ont tenu à mettre à exécution le projet longtemps caressé, d’une excursion à Chambéry ou les hasards de la vie retiennent, depuis plusieurs mois, en exil, notre ex-trésorier P...., à qui ses fioritures vélocipédiques, ses larges favoris, ses bottes et son voile vert, ont valu tour à tour les surnoms de Fantasio et d’Anglais de Valbenoite.
Or, toutes les fois que Fantasio avait mal dormi, il écrivait à Vélocio, son compagnon habituel dans plus d’une excursion mémorable  «  Quand me sera-t-il donner d’ouïr le froissement des feuilles automnales sous vos cycles voluptueusement assoupis et éteints dans l’enivrement de la passionnée et incessante caresse de leur ceinture brésilienne. » (Entre nous je soupçonne que ce cher Fantasio est devenu le correspondant savoisien du Décadent.)
Quoiqu’il en soit, en nous mettant à six, nous arrivions à comprendre que cela signifiait, à peu de chose près  : quand viendrez-vous à Chambéry en vélocipède  ?

Et nous sommes enfin partis moi quatrième, samedi 23 octobre, à midi, roulant sans fatigue jusqu’à Givors que nous quittions à deux heures, pour être une heure après à Vienne, d’où nous expédions à Chambéry un télégramme ainsi conçu :  Serons demain, onze heures, aux Échelles.
Puis nous laissons Vienne derrière nous  ; nous traversons Pont-Évêque sans nous en apercevoir. Malgré trois cartes d’état-major qui devaient nous préserver de toute erreur, nous prenons à droite au lieu de prendre à gauche, et ce n’est qu’à la Détourbe, à quinze kilomètres plus loin, que nous nous apercevons de notre bévue, dont le bénéfice net, toute illusion déduite, est d’allonger notre route de quatorze longs kilomètres en nous forçant à passer par Beauvoir et Diémoz, où la nuit nous surprend et nous oblige à allumer nos lanternes.
À un kilomètre de Diémoz nous rattrapons la bonne route de Vienne à Bourgoin, que nous n’aurions jamais dû perdre, et nous filons sur Vaux-Milieu, à la lueur tremblotante de nos kings of the road, qui nous permet d’éviter tant bien que mal les empierrements trop fréquents dans ces parages.
Une légère averse nous aiguillonne à ce moment  ; nous accélérons notre allure et nous nous trouvons à sept heures, à Vaux-Milieu, assis devant un dîner simple mais suffisamment copieux pour nous permettre de repartir à neuf heures et d’aller, à vingt-cinq kilomètres de là, coucher à La Tour-du-Pin, hôtel Neyret, que nous recommandons à tous nos frères en vélocipédie.
Il est onze heures, et nous prions de nous réveiller à cinq heures et demie  ; mais, en définitive, nous ne nous remettons en selle qu’à huit heures, car il ne nous reste à franchir que trente-quatre-kilomètres pour arriver aux Échelles, et la route, nous assure-t-on, est continuellement bonne.
Nous traversons successivement Saint-André-le-Gaz, Les Abrets, Pont-de-Beauvoisin, point de partage de l’Isère et de la Savoie, et nous voici à Saint-Béron, au pied d’une côte de quatre ou cinq kilomètres, que nous enlevons du reste très convenablement. Nous sommes récompensés de cet effort par une vue superbe sur toute la vallée du Guiers  ; puis la route longe une gorge profonde d’où monte, avec un fracas épouvantable, le bruit d’un torrent invisible. Tout cela est assurément très beau, et cette manière de voyager, qui nous permet de tout voir à loisir, est incontestablement très agréable.
À onze heures moins le quart, nous tombons aux Échelles, dans les bras de notre ami P..., qu’un de ses nouveaux collègues du Vélo-Club de Chambéry a eu l’amabilité d’accompagner.
Je ne m’arrêterai pas à vous décrire les grottes des Échelles, le tunnel de 300 mètres sous lequel passe la route de Chambéry, la cascade de Coux, bien faite pour engager notre ami Kli..., du Club Alpin, à y prendre une douche colossale, et surtout, je ne vous servirai aucune description de Chambéry.
22 kilomètres séparent Chambéry des Échelles  ; nous les enlevons, après dîner, en une heure et demie, allure modérée et faite pour activer la digestion sans la précipiter.
Nous sommes cordialement accueillis par le président, le vice-président et de nombreux sociétaires du Vélo-Club de Chambéry, qui nous font passer une soirée charmante et nous font si bien oublier les 168 kilomètres que nous avons dans les jambes, que nous ne songeons à aller nous mettre au lit qu’à minuit  ; et, cependant, nous devons prendre le lendemain matin, à 5 heures 30, le premier train jusqu’à Saint-Béron  !
Nous remercions encore une fois MM. les cyclistes chambériens et tout particulièrement leur dévoué président, M. Galioz, et leur trésorier, qui fut le nôtre, l’excellent ami P..., et nous leur rappelons qu’ils nous ont promis de venir, au printemps prochain, nous rendre notre visite, en vélocipède, bien entendu.
Qu’ajouterai-je à ce rapide compte rendu  ? Notre retour de Saint-Béron à Givors, 85 kilomètres, s’est effectué entre 8 heures du matin et 5 heures du soir, tantôt sous la pluie, tantôt dans le brouillard, toujours dans la boue, un peu mélancoliquement, comme tous les retours, du reste.
Nos machines, un cripper Eurêka, un tandem Centaure, et une bicyclette Gauthier, se sont parfaitement comportées pendant tout le voyage.
LOCIO.

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