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L’écurie de Vélocio

Le tas de ferraille de Vélocio a été sauvé de l’oubli grâce à Albert Raimond qui l’a conservé lorsqu’il s’est installé avec le Cyclo dans les locaux de l’atelier de La Gauloise, puis par le don qu’il en a fait en 1947 au Musée d’art et d’industrie de Saint-Étienne, où sont exposées aujourd’hui certaines de ses machines. Vélocio a voyagé aux côtés de la première bicyclette française des frères Gautier, il fut le témoin et l’acteur de cinquante ans d’histoire vélocipédique, avec pour lui le rôle de vulgarisateur et propagateur de la polymultipliée, mais aussi de la randonneuse, des pneus-ballon. Raymond Henry décompte une trentaine de machines dans la biographie qu’il a consacrée à Paul de Vivie, dont un vélo Pedersen, une rétrodirecte, une touricyclette, une lévocyclette. Il les modifiait régulièrement, combinait des systèmes de vitesses, échangeait des pièces. Rien ne lui était agréable comme de retirer du grenier une ancienne bicyclette qui s’y rouillait et de la remettre en circulation. Malgré son influence technique sur l’histoire du cycle, les vélos personnels de Paul de Vivie ne lui étaient parfois pas flatteurs, surtout après la Première Guerre où il cherchait à ne plus gaspiller et à réutiliser  : bicyclettes usagées, avec des bouts de fils de fer, de ficelles, vieille sacoche de guidon... Alors que l’industrie du cycle stéphanoise devenait florissante  ! La visite du garage et du bureau de Vélocio valait la peine  : sous leur poussière chaque spécimen avait des spécificités, une histoire, et rappelait au maître aux 600 000 km parcouru des souvenirs de randonnées. Les discussions techniques ou touristiques amenaient des réponses nettes et précises, les idées s’entraînaient les unes les autres, dans une conversation alerte, spirituelle, enjouée, et aussi pleine de philosophie souriante, selon les mots de Ph. Marre. Dans le souvenir qu’en gardait Henri Chaix, c’était toute l’histoire de la polymultiplication que l’on pouvait embrasser d’un coup d’œil, véritable capharnaüm, décoré d’affiches des premières maisons françaises et anglaises de cycles, encombrés au-delà du possible par un amoncellement de bicyclette de tout âge, véritable musée.
Sauvignet rapportait un souvenir d’enfance de 1926 ou 27, à l’école communale du quartier de Tardy, à Saint-Étienne. Les récréations se donnaient sur une place publique, faute de cour  :
«  Chaque matin, vers le milieu de la récréation, nous le voyions passer, monté sur une curieuse machine aux roues trop petites, au pédalier ovale et au guidon sans cesse différent.
Nos maîtres se retournaient sur son passage, mais lui roulait paisiblement, nous adressant parfois un gentil sourire. Nous nous poussions du coude
«  Savoir demain, ce qu’il aura encore inventé  ?  ».
Il y avait dans nos propos une moquerie mélangée de respect.
[...]
De Vivie, pour nous, c’était le symbole de cette aventure tant désirée, et nous le mettions sans aucune hésitation sur le même plan que Buffalo Bill ou les Pieds-Nickelés. Puis sonnait la fin de la récréation. Le père de Vivie était loin déjà et nous rentrions en classe, en rang par deux. [...]  »
Sauvignet, Paul, «  Un souvenir sur Vélocio », Le Cycliste, 1950, p.130

Dans le récit de ses randonnées, Paul de Vivie présentait ses machines souvent sous la forme d’un court croquis, et parfois le récit se transformait en longues digressions techniques. Dans ses articles techniques, il évoquait parfois ses expériences de randonnées. Nous pouvons toujours y trouver un intérêt, par la manière de mener le débat, ou de présenter son écurie.


EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, NOVEMBRE DÉCEMBRE 1928

«  Excursions  ? C’est beaucoup dire et ce serait prétentieux, mettons promenades, simples promenades de santé. Je n’ai jamais guère fait que cela pendant novembre et décembre  ; cependant la Toussaint nous vit souvent, avant guerre, partir pour le Midi, et la Noël aussi, et le Jour de l’an, quand ces fêtes nous donnaient trois jours de liberté, comme elles le feront cette année. Ces randonnées hivernales m’ont laissé de bons souvenirs  ; ne les éveillons pas, sinon j’en oublierais ce que je voulais dire. Tous les dimanches, je pédale donc par hygiène et j’abats dans ma matinée de 80 à 100 km., qui ne vont pas sans m’apporter quelques clartés sur des points de cyclotechnie encore obscurs. Je n’emmène jamais, quand je pars seul, la même machine  ; toute ma vieille écurie y passe et, à ce propos, je me rappelle avoir promis de la présenter aux lecteurs du Cycliste, et il faudra que je me hâte, car le flot montant de mes récentes montures à pneus Ballons, dont j’ai déjà quatre exemplaires, submergera bientôt randonneuses et carrosses de gala du bon vieux temps. Ma lévocyclette et ma Touricyclette me servent donc actuellement, concurremment avec mon premier Whippet de 1907, ancêtre de tous les systèmes de dérailleurs qui n’obligent pas à des cadres spéciaux et peuvent s’adapter aux anciennes machines, concurremment aussi avec ma randonneuse légère à cinq vitesses par flottante et bichaîne, avec ma première flottante de 1912, avec mon n° 1 de 1903  ; etc., car il n’est pas une de ces vieilleries qui ne possède quelque détail de construction particulier, et je désire comparer, comme ont la manie de le faire les vieillards, les temps passés aux temps présents. On peut trouver dans ces comparaisons, le germe de quelque perfectionnement.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », Le Cycliste, novembre-décembre 1928, p. 100-102, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15