La hantise de la légèreté (1913)

mercredi 17 août 2022, par velovi

Par Paul de Vivie, alias Vélocio, Le cycliste, Avril 1913, p.76-77, Source archives départementales de la Loire, cote PER1328_12

Un assez grand nombre de lecteurs du Cycliste paraissent en être affligés. Peut-être bien en suis-je quelque peu responsable pour avoir trop souvent, en ces dernières années, poussé le cri de guerre : Le poids c’est l’ennemi.
Le corollaire s’imposait de la légèreté à tout prix. Mais, en ceci comme en tout, qui veut la fin doit accepter les moyens, et il faut se bien pénétrer de cette vérité que la légèreté dans une bicyclette se paie forcément par l’abandon de certaines autres qualités.
Il serait par exemple tout à fait illogique de dire : je veux que ma bicyclette ne pèse pas plus de 12 kilos, et pourtant qu’elle ait les deux bons freins, les garde-boue, la selle et Les pneus à talons de mon carrosse de gala., et surtout qu’elle n’ait pas moins de 6 vitesses en marche et le double guidon auquel je suis habitué, sans oublier les cale-pieds, la large bavette au garde-boue avant et le prolongement du garde-boue, en avant de la tête de fourche  !
Je ne contesté pas que toutes ces exigences soient très raisonnables, mais elles ne s’accordent plus avec l’exigence première et principale de la légèreté.
Peut-être convient-il, afin qu’on ne s’attarde pas trop dans une voie sans issue, de dire ce qu’on peut et ce qu’on ne peut pas demander à une bicyclette légère.
Rien n’est si convaincant que les faits, et comme je suis entouré de polycyclettes de tous poids, depuis 10 kilos jusqu’à 21 kilos, je vais en faire passer quelques-unes parmi les légères, sous les yeux des lecteurs.
Les cadres de mes randonneuses sont de différentes marques et pèsent tous, à 100 grammes près, le même poids : 4.600 grammes ; là dedans sont compris la fourche de direction montée, le pédalier complet avec pignons 48 dents, manivelles de 17 centimètres et pédale à scie, mais sans le guidon ni la tige de selle Ces cadres sont tous brasés et à raccords visibles, courts à l’arrière avec ponts cependant pour roues de 65 centimètres, et leur hauteur varie de 53 à 55 centimètres ; un seul d’entre eux est à soudure autogène et pèse 100 grammes de moins. A tort ou à raison, les cadres soudés à l’autogène et même les cadres à raccords invisibles, à moins qu’ils ne portent la marque d’un constructeur de premier ordre, ne m’inspirent pas autant de confiance que les cadres brasés à raccords extérieurs. La paire de roues à jantes bois, bords plats, boyaux recouverts de 650 x 28, avec roue libre de 16 dents, pèse 2,900 grammes ; la chaîne 400 grammes ; le guidon simple, sans poignée, avec expandeur, la tige de selle et une selle, de course font ensemble 1.400 grammes, total 9.300 grammes pour la machine prête à rouler, équipée en monolibre sans frein. Or, ma randonneuse la plus simple a cependant deux vitesses par chaîne flottante, et le plus léger frein à tenaille sur roue avant que j’ai pu trouver et qui pèse 400 grammes, si bien qu’elle pèse complète et telle que je m’en sers, 10 kilos bien ronds, et elle n’a ni garde-boue ni sacoche, ni avertisseur, ni perte-lanterne, bref, elle est nue autant que peut l’être une polycyclette de randonneur. On m’a dit que sur le poids des boyaux je pourrais gagner 200 grammes en prenant des 26 millimètres demi-recouverts.
Je ne demande pas mieux que de m’alléger sous d’autres rapports, mais qu’on m’en donne le moyen.
Si l’on devait s’en servir en monoserve, cette même bicyclette, pourrait apparemment ne peser que 9 kilos.
Une autre de mes randonneuses pèse au total 11 kilos ;’elle diffère de la première en ce qu’elle a des roues de 70 centimètres, des boyaux à toile apparente de 32 millimètres et un frein sur jante arrière guère plus lourd que le précédent ; mais elle a 3 vitesses par chaîne flottante. Équipée en monolibre, elle fait 9 kg. 600 au lieu de 9 kg. 300 comme la précédente, que nous appellerons A, tandis que nous nommerons B cette deuxième machine.
Une troisième randonneuse C, a le cadre, le guidon, la selle de la machine A, dont elle diffère que par les jantes et les pneus, qui sont des démontables à tringle, toile apparentée de 650 x 35, sur jantes bois et aluminium à bords plats ; elle a aussi 3 vitesses par chaîne au lieu de deux. De plus, les moyeux légers sont remplacés par des moyeux à roulement annulaires et à broche permettant le retour ment rapide de la roue motrice qui porte à gauche une deuxième roue libre de 20 dents par quoi l’on obtient en retournant le deuxième jeu de 3 vitesses. Cette randonneuse pèse au total 12 kg. 260. Dans ce poids les roues comptent pour 4 kg. 650, le doigt d’acier pour 100 grammes et le cadre, avec selle, guidon, tige de selle, chaîne, poignées, frein sur jante avant, pédales, trois pignons au pédalier, décrocheur et guide chaîne pour 7 kg. 510. Voilà des faits précis, des poids réels pris sur la balance.
Ma quatrième randonneuse D ne diffère de A et de G que par ses roues et son changement de vitesse et pèse 11 kg. 600. Elle a des boyaux de 650 x 28, à toile apparente, au lieu des boyaux entièrement recouverts de A, mais elle a, à gauche : trois roues dentées montées sur manivelle à embrayage au pied de la Gauloise, une chaîne, une roue libre de 16 dents et un doigt d’acier ; à droite : une roue dentée, une chaîne et une roue libre à frein intérieur à contrepédale (la machine n’a d’ailleurs pas d’autre frein). Cela fait au total quatre vitesses en marche : 7 mètres, 5m,20, 4 mètres à gauche et 2m,90 à droite.
Les moyeux à roulements, annulaires et à broche de C pèsent, sans pignon, 760 grammes la paire, alors que les moyeux de A, de B et de D ne pèsent, également sans pignon, que 390 grammes la paire ; cela explique un peu le poids de la paire de roues de C, 4 kg. 650. Mais si nous en déduisons ces 370 grammes de moyeu, et les 200 grammes de la deuxième roue libre, cette paire de roues n’en est pas moins plus lourde, à cause de ses jantes et pneus, auxquels seuls on peut imputer la différence entre 4.650 — 370 grammes — 200 grammes = 4.080 grammes, et les 2.900 grammes de A, soit 1.180 grammes.
Il n’est pas téméraire d’affirmer que la chaîne flottante est le plus léger de tous les changements dé vitesse en marche ; donc, quel que soit le système donnant six vitesses ou deux jeux de trois vitesses en marche que nous lui substituerons, nous augmenterons le poids ; des garde-boue l’augmenteront aussi ; entre la selle de course de ces randonneuses et une bonne selle de touriste il y aurait 500 ou 600 grammes d’augmentation qu’il n’en faudrait pas être étonné ; un deuxième frein, c’est encore de 400 à 500 grammes qu’on ajoute ; des calepieds, cela n’est pas une plume ; un guidon à grande envergure et à long plongeur pèse 300 grammes de plus. Que le guidon droit très simple de mes quatre randonneuses, etc. etc.
Vous voyez où l’on va en fait de poids global, même en partant de la bicyclette de 9 kilos, qui me semble peu réductible pour la route.
Mais je ne monte pas que des randonneuses, j’ai une bicyclette un peu plus confortable, équipée pour le tourisme, ma vieille chaîne flottante souvent décrite dans Le Cycliste, dont le cadre n’est pas plus lourd que celui de mes quatre randonneuses, mais qui a des garde-boue en bois, une selle B 10, large et forte, des pneus démontables de 650 x 35, à toile apparente sur jantes bois et aluminium, comme ceux de C, un moyeu genre New Departure avec frein à contrepédale, un frein sur jante avant, sacoche garnie, timbre, porte-lanterne, et rien de plus, ma foi, pas le moindre porte-bagage... ce qui ne l’empêche pas de peser sur la balance un peu plus de 15 kilos.
Et maintenant, méditez et concluez, vous tous qui avez la hantise de la légèreté à outrance.
LOCIO. .

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