Bicycle et vélocipède Michaux
jeudi 18 avril 2024, par
En 1880, des bicyclistes s’étaient rendus de Saint-Étienne à Lyon puis Grenoble, et retour, soit 320 km. L’histoire avait été colportée partout, et suscita des vocations. Paul de Vivie fit son apprentissage de l’équilibre et ses premiers coups de pédale sur un vélocipède type Michaux, puis acheta un grand-bi d’occasion aux frères Gauthier, en 1881. Il devint secrétaire du Club des cyclistes stéphanois, créé la même année. Les chutes firent parfois rester remisée sa monture. Il réalisa tout de même une belle étape de 100 km vers le Livradois-Forez.
En allant au Puy Mary, 1922
Je ne passe jamais à Pontempeyrat sans me remémorer mon premier essai de cyclotourisme. C’était en septembre 1881 ; nous étions partis deux la veille au soir de Saint-Étienne et nous étions venus coucher à Saint-Bonnet ; nous avions ensuite fait la descente sur Pontempeyrat, que j’avais jugée effroyable ; elle l’était assurément avec les outils rudimentaires dont nous nous servions en ce temps-là : bicycles en fer forgé dont la roue motrice et directrice de 125 centimètres de diamètre roulait sur des coussinets lisses avec tant de jeu que le bandage en caoutchouc plein carré, collé et cloué sur la jante plate en fer, venait frotter parfois contre la fourche. J’avais appris au printemps à me tenir en équilibre sur un vélo Michaux et je m’étais offert pour 200 francs ce misérable clou d’occasion.
Vélocio, En allant au Puy Mary, Le Cycliste, sept-oct 1922, source archives départementales de la Loi, cote PER1328_13
DE SAINT-ÉTIENNE A THIERS EN VÉLOCIPÈDE
Le samedi 12 mai, à sept heures du soir, ainsi que l’avait annoncé le Petit Stéphanois, nous partions joyeux et fiers d’aller parcourir des routes encore vierges des empreintes du bicycle.
Après avoir espéré que le Club tout entier des Cyclistes stéphanois serait de la partie, nous ne nous sommes trouvés que deux, Fantasio et moi, au moment du départ ; mais, Fantasio présent, cela suffisait pour que le Club fût dignement représenté
[...]
« Rapides comme l’éclair, nous surprenons aux détours de la route, des groupes de paysans et de paysannes qui, des hameaux voisins, se rendent a l’église ; à chaque nouvelle rencontre ce sont des cris de frayeur, des exclamations, des rires, des bras levés au ciel et, quoique nous ayons fait notre possible pour qu’on nous prît pour ce que nous étions réellement, de joyeux excursionnistes, nous craignons qu’on ne nous range désormais, dans les contes des veillées d’hiver, parmi les sorcières et les démons qui se rendent au sabbat sur des montures fantastiques. »
[...]
« Nous étions attendus à Ambert. Le Petit Stéphanois avait apporté jusque là la nouvelle de notre arrivée ; l’exagération s’en était mêlée et l’on espérait voir au moins une vingtaine de tricycles ou de bicycles ; ce qui, assurément, eût été un beau spectacle.
Aussi une grande partie de la population s’était-elle portée au devant de nous et l’on dut éprouver quelque désappointement lorsqu’on ne vit arriver que la dixième partie de ce qu’on espérait.
Fantasio qui, mieux monté, m’avait devancé, fit en m’attendant le tour de la ville et recueillit sur son passage les témoignages d’une sympathie qui, sans s’afficher bruyamment, s’affirmait d’une façon discrète et affectueuse. C’est que, sans le savoir, nous tombions dans un centre imprégné de souvenirs vélocipédiques.
Ambert vit, il y a 10 ou 15 ans, tout ce qu’il . comptait de personnages notables s’adonner avec passion à cet exercice. Il nous a même été dit qu’alors le procureur de la République lui-même, ne craignait pas d’aller sur ces méchants vélocipèdes de bois que nous dédaignons aujourd’hui, réfléchir chemin faisant à quelque affaire embrouillée.
Nous eûmes, d’ailleurs, l’occasion de voir parader sous nos fenêtres un de ces vieux instruments de torture, tiré pour la circonstance du fond de quelque grenier. Un jeune amateur ambertinois, qui cultive facilement l’hyperbole, nous a assuré que, sur un de ces véhiculés primitifs, il allait pendant 8 ou 10 kilomètres à raison de 34 kilomètres à l’heure, quand de Civry, le champion de France et le vainqueur de toutes les courses de vélocipèdes, n’obtient, avec les machines les plus légères et les plus parfaites, qu’une vitesse maximun de 32 kilomètres à l’heure.
Les blagueurs ne sont pas tous à Marseille »
Vélocio, Le Cycliste forézien, 1887
LE VÉLOCIPÈDE À L’ÉCOLE, 1887
« Et comme l’usage fréquent du vélocipède n’est pas sans vous mettre parfois aux prises avec de réelles difficultés, on ne tarde pas à acquérir ce calme, ce sang-froid, cette décision dont on a tant besoin dans le cours de la vie.
Il me souvient à ce propos d’un incident qui m’arriva aux jours de mon noviciat ; je montais depuis peu un bicycle caoutchouqué de lm,20 ; ce n’est pas très haut, direz-vous, j’en conviens, mais, enfin ! je ne me hissais pas sur ma selle sans quelque inquiétude et sans murmurer à part moi :
Plus l’on est élevé, plus la chute est profonde
indiscutable vérité, dont je n’étais pas sans avoir déjà fait l’expérience.
Bref, je roulais tant bien que mal sous une allée bordée de platanes, lorsque mon pied gauche s’engagea tout à coup entre la manivelle et la fourche de mon bicycle qui s’arrêta brusquement. La chute était inévitable. Ce n’est pas cela qui m’effrayait, j’en avais vu bien d’autres et j’étais déjà assez familiarisé avec les différentes manières de me séparer involontairement de ma selle pour m’effrayer de si peu, mais il me vint naturellement à l’esprit que si je tombais dans la position critique où je me trouvais, avec ma jambe gauche prise comme dans un étau, je m’exposerais immanquablement à quelque blessure grave. Il ne fallait donc pas tomber ; je regardai rapidement autour de moi : tout cela se passa assurément en moins d’une seconde ; un arbre se trouvait à ma portée, j’étendis les bras, je l’enlaçai.
Ce platane fut mon premier sauveur ; un brave cantonnier, qui travaillait à quelques dix mètres de là et que je hélai, fut le second ; il accourut à mes cris, me dégagea, non sans peine, et je pus descendre de ma machine sain et sauf.
Il est incontestable que cet accident qui, du reste, est désormais, impossible avec les bicycles actuels, aurait pu avoir des suites fâcheuses, sans la présence d’esprit que j’avais acquise par un usage fréquent du vélocipède. »
Vélocio, « Le vélocipède à l’école », Le Cycliste, 1887, p.10-11, Source Archives départementales de la Loire, cote Per1328_1
N’oublions pas que le grand-bi avait pour lui la simplicité de transmission, minimisant les pertes d’énergie, et la hauteur de point de vue :
DU CHOIX D’UNE MACHINE, 1887
« Le bicycle courant remporte encore, dans les courses, la palme de la vitesse ; il est plus gracieux, moins encombrant, plus léger que la bicyclette ou le tricycle et il donne aux passants une plus haute idée de l’adresse du veloceman qui, haut perché sur sa selle, domine mieux le paysage, voit de plus loin et n’a pas son horizon brusquement resserré entre ces odieux murs de clôture qui, si souvent, bordent les routes et rendent la chaleur plus accablante, la poussière plus aveuglante et le voyage plus fatigant au pauvre piéton, que la vue des prairies verdoyantes délasse et récrée.
Le bicycliste échappe à cet ennui, sa tête dépasse ces murs blancs ou gris qui sont sans doute la cause des attaques de Proudhon contre la propriété, il peut même jeter des regards de dédain sur le propriétaire paresseusement étendu à l’abri de ses ormeaux ; il peut mais hélas tous ces privilèges sont parfois bien chèrement payés par des culbutes dangereuses. »
Vélocio, « Du choix d’une machine », Le Cycliste, 1887, p. 38-39, Anthologie du “Cycliste”, Cahier 3 mai-juin 1963, p.39