Quand Vélocio se rend au concours de frein avec un système a.b.s

jeudi 18 avril 2024, par velovi

Dans le récit « Çà et là  » et dans l’article « Autour du Concours de frein » de 1901, Vélocio nous décrit en détail son vélo et son système de frein anti-panache.
Sur la route, il fait le 15 août une pause à Châtillon de Michaille, chez la famille Juillard. Le docteur Juillard a pris en photo sa machine et lui, ensemble et séparément, juste avant son départ à 5 heures moins le quart de l’après-midi.
La première photo conservée au musée d’art et d’industrie est reproduite dans la biographie de Vélocio par Raymond Henry. Elle a été aussi exposée lors du week-end pascal 2024 au musée Comtadin du cycle de Pernes-les-Fontaines.

La seconde photo pourrait bien avoir été publiée dans le livre La bicyclette grosse routière du Dr D’Encausse, même vélo et bagages identiques, sauf que le nombre de vitesses de la légende ne correspond pas (12 plutôt que 8). Vélocio pouvait très bien modifier les combinaisons de transmission sur un même machine au fil du temps, d’où une possible confusion.

Routière
Photo tirée de G. Encausse, La bicyclette grosse routière et l’hygiène du cyclo-touriste : conseils pratiques aux vrais routiers, 1902, p.18
Source Bibliothèque municipale de Lyon (Rés K 00285)

Quoique qu’il en soit, voici les descriptions de ce vélo l’été 1901 par Vélocio :

Çà et là :

Je montais ma nouvelle bicyclette à huit développements  : 2m,40, 3, 4 et 5 mètres, à droite sur roue libre ; 4m,50, 5m,70, 7 et 8m,40 à gauche sur roue serve. Ces huit développements sont interchangeables deux à deux en marche par le système des deux chaînes et je puis accoupler indifféremment tel ou tel développement de droite avec tel ou tel développement de gauche. J’ai de cette façon toujours à ma disposition roue serve et roue libre, grande et petite multiplication.
Mes développements favoris sont 7 mètres et 4 mètres. Cependant, au cours de ce voyage de 4 jours, il n’y a pas de développement que je n’aie utilisé au moins une fois.
Bien outillé pour les montées, je ne l’étais pas moins pour les descentes. Premier frein sur jante AR. à contrepression, deuxième frein sur pneu AR à large patin de caoutchouc tendre actionné par la selle oscillante et suffisant pour bloquer la roue sur n’importe quelle pente, et troisième frein à long et large patin de bois sur le pneu AV. En outre, comme il pouvait arriver que j’eusse besoin d’arrêter rapidement alors que je me trouverais sur la roue serve et que mon frein sur jante à contre-pression serait par conséquent inutilisé, j’avais disposé mon patin AV de telle sorte, qu’en l’appliquant il exerçait une traction vigoureuse sur les patins dudit frein sur jante et qu’il bloquait la roue AR avant de bloquer la roue AV.
Je m’étais offert des chambres à air dites indégonflables et qui malheureusement ne l’ont pas été suffisamment pour me mettre à l’abri de tout accident de pneu ainsi que je l’avais espéré. Après avoir passé le premier jour à pomper tous les dix kilomètres, il me fallut procéder à un démontage long et ennuyeux, et le quatrième jour, un clou m’immobilisa et me força de coucher à Saint-Laurent-de-Mure à 20 kilomètres de Lyon. J’ai cette année une de ces guignes  ! Pendant ces mêmes quatre jours, cinq Stéphanois parcourent en tous sens le Vercors, trois autres vont de Saint-Étienne à Turin et en reviennent sans avoir un coup de pompe à donner  ; ils n’ont pourtant ni les uns ni les autres des chambres indégonflables. J’en suis muni, je suis seul et je ne m’en tire qu’avec deux crevaisons. Ai-je pas raison de récriminer  ?
Qu’avais-je encore sur ma machine  ? Mon hamac, mon bagage, mes provisions  ; le tout pesait 28 kilos. Depuis que les mathématiciens m’ont prouvé que le poids signifiait peu de chose, je me soucie comme d’une guigne de quelques kilos de plus ou de moins, mais tout de même il me semble que j’étais un peu lourd cette fois et que si je n’avais traîné que 18 kilos par exemple j’aurais pu enlever les montées d’une façon beaucoup plus alerte. Il faudra, l’année prochaine, tâcher de m’alléger.

Autour du Concours de frein :

La bicyclette à huit développements qui m’avait amené au concours de freins du T.C.F. est munie de trois freins ainsi distribués  :

1° Un long patin de caoutchouc tendre sur la roue motrice, reporté très près du sol afin que la boue et la poussière ne soient pas projetées sur les chaînes ; une forte ficelle le tient appliqué sur le pneu, passe à droite et à gauche sur les marchepieds faisant office de poulies et vient se fixer par ses extrémités à l’arrière de ma selle oscillante  ; ce dispositif me permet d’avoir ainsi, à volonté, un frein d’arrêt ou de ralentissement selon que je jette plus ou moins brusquement mon poids sur le bec de la selle, cette façon de commander un frein n’est possible, évidemment, que pour les cyclistes munis d’une selle oscillante, mais les autres peuvent amener les extrémités de la ficelle jusque sur le guidon et les y assujettir par une baguette qui servira à régler, par torsion, l’action du patin.

Des freins de ce genre ont le mérite de pouvoir être confectionnés et mis en place en quelques minutes.

2° Un frein sur jante, genre du B S A, à contrepédale, sans le ressort compensateur qui est un obstacle à l’action rapide, brusque du pied, quand besoin est, et qui peut être remplacé avantageusement par la délicatesse du doigté ; ce frein n’a que deux points d’application, un de chaque côté, quand la pédale remontante est encore un peu au-dessous de l’horizontale  ; je puis ainsi balancer les pieds sur les pédales et changer de position sans agir sur le frein.

Mais ce frein n’est à ma disposition que lorsque je suis en roue libre ; or, sur mes huit développements, quatre étant à roue serve, j’ai toujours sous les pieds roue libre et roue serve à volonté  ; mais, telle éventualité peut se produire qui m’oblige à freiner brusquement quand je me trouve en roue serve et avant d’avoir pu me mettre en roue libre. Il s’agissait donc de trouver un dispositif qui me permit d’agir sur mon frein de jante même lorsque je serais en roue serve.

Pour ce faire, j’ai relié par une cordelette la fourchette du dit frein AR à mon 3e frein, lequel agit sur le bandage de la roue AV et consiste en un large et long patin de bois doublé de cuir déjà très puissant par lui-même. Ce patin est libre de coulisser dans une rainure, si bien qu’à peine arrivé au contact de la roue, il est vivement entraîné en avant  ; dans ce mouvement il tire à son tour par la cordelette le frein sur jante AR, de sorte que la vitesse de la roue motrice se trouve diminuée par la vitesse même de la roue directrice ; plus celle-ci tourne vite au moment de l’application du frein AV, plus énergiquement est actionné le frein AR, sans qu’il soit nécessaire de serrer très fort le levier.

Ce dispositif a ceci d’excellent qu’il supprime, par surcroît tout danger de panache résultant de l’application brutale du frein sur la roue directrice. En effet, en maintes circonstances, j’ai constaté que toujours la roue motrice se trouvait bloquée avant la roue directrice.

Le jour même du concours en descendant du col du Cucheron à Saint-Pierre-de-Chartreuse, la ficelle de mon premier frein sur pneu AR dont je me servais exclusivement à ce moment, casse net, et je me sens tout à coup lancé à la poursuite de la vitesse limite qui, sur une pente de 11 %, doit être assez dangereuse. Dès que j’ai compris ce qui m’arrive, je serre d’instinct vigoureusement mon frein AV qui agit encore plus vigoureusement, étant donné la vitesse que j’avais déjà prise, sur mon frein de jante AR, et je stoppe en quelques mètres sans le moindre écart à droite ou à gauche, tandis qu’en semblable occurrence, un an auparavant, j’avais bel et bien passé par dessus mon guidon.

Vélocio utilise son frein à sabot depuis 1898, qu’il fabrique parfois en bord de route avec la ficelle et le canif qu’il conseille d’avoir toujours dans sa poche. Cela lui permettait d’éviter l’utilisation du fagot, qu’il fallait laisser traîner derrière la machine avec une cordelette « dans une auréole de poussière » . Il utilise aussi une selle oscillante « Cadet ».

Excursion au Lautaret et à la Grande Chartreuse :

Quelques détails sur ma monture et sur mon équipement.
Bicyclette Gauloise, type omnibus, à 4 développements  : 3m30, 4m40, 6m04 et 7m22, pneumatiques Michelin avec jantes bois et aluminium, frein ordinaire sur la roue directrice et, suspendu derrière la selle, le puissant sabot en bois dont j’ai souvent parlé et que j’applique sur le pneu d’arrière, au moyen d’une ficelle, avant d’aborder les longues pentes de 5 % et au-dessus  ; — au-dessous de 5 % ou quand la pente quoique plus forte est courte, le frein ordinaire me suffit.
Ce sabot en bois est si simple de construction et d’adaptation à n’importe quelle machine, que tout cycliste peut, en un quart d’heure, s’en fabriquer un semblable avec un couteau et de la bonne ficelle, deux choses qu’on doit toujours avoir sur soi.
Il est aussi plus puissant que le fagot traîné et n’a aucun désagrément pour les passants, tandis que celui-ci finira par être interdit tant il laisse derrière lui de poussière et d’imprécations.

Suite à son excursion au Lautaret de l’été 1898, il donne les explications pour le fabriquer soi-même à ses lecteurs.

Mon voyage au Lautaret et la sauce à laquelle je l’ai accommodé m’ont valu, de la part de nombreux et beaucoup trop indulgents abonnés du Cycliste, des lettres d’encouragement à faire plus souvent des excursions — je ne demanderais pas mieux ! — et des demandes de renseignements sur divers points. Je m’empresse d’y répondre.
Les touristes de montagne m’ont prié de leur décrire mon frein arrière, suffisamment pour qu’ils puissent, le cas échéant, s’en fabriquer un semblable. C’est très facile et la figure ci-après (p. 187) le leur permettra. A est un patin en bois taillé grosso modo en forme de garde-boue, long de 20 centimètres et assez épais pour être rigide, ce patin est suspendu par une ficelle aux tubes de chaîne ou à l’entretoise ; l’objet de cette ficelle est, on le comprend, d’empêcher le patin d’être entraîné par la roue et de devenir sabot effectif, ce qui serait trop radical ; ce patin est long afin de réduire à rien ou du moins à très peu de chose réchauffement produit par le frottement du bandage sur le bois et à éviter ainsi la détérioration du bandage. L’échauffement est en proportion de la surface et telle intensité de frottement qui mettrait n calories dans un patin de (4×4) 16 centimètres carrés n’en mettra que n/5 dans un patin de surface cinq fois plus grande (4×20) ; or si n calories brûlent un bandage on peut admettre que le cinquième de cette quantité n’aura aucun effet nuisible sur ledit bandage, et c’est ce que l’expérience m’a prouvé.
La nature du bois employé n’est pas sans importance, il faut un bois tendre et qui s’use sans faire d’éclat, à la façon d’un morceau de savon, sinon les petits graviers que la roue entraîne avec elle attaqueraient le caoutchouc plutôt que le bois et les éclats du bois risqueraient d’érailler le bandage ; les nœuds sont aussi nuisibles ; un morceau d’écorce épaisse fait très bien office de patin. Lorsqu’on confectionne ce frein à loisir, at home, avant le départ, on peut se servir d’un débris de garde-boue métallique que l’on double intérieurement d’un autre débris de vieux bandage ou d’une bande de cuir collée non rivée, car vous voyez d’ici l’effet de la tête du rivet sur votre caoutchouc. Bref, il faut présenter à la surface du bandage une autre surface plus tendre et plus facilement usable ; si le patin ne s’use pas, c’est le bandage qui s’usera et il s’agit justement d’éviter cette usure.
Le patin étant ainsi suspendu, on l’applique sur le bandage au moyen d’une ficelle solide qui l’entoure en un ou deux points O où elle est retenue, qui vient ensuite passer sur les bouts d’axe ou de cône de la roue motrice faisant office de poulies fixes à défaut de poulies folles qui conviendraient mieux , remonte jusqu’en B sous la selle, ou en C sommet du guidon, ou en D arrêt spécialement préparé à cet effet, où les bouts sont noués. Dans cette boucle, introduisons maintenant un morceau de bois quelconque et tordons la ficelle de façon à obtenir une pression énergique du patin sur le bandage, nous pourrons ensuite augmenter ou diminuer cette pression en cours de route en tordant ou en détordant, et la ficelle est si bonne fille qu’il suffit d’un arrêt insignifiant du morceau de bois pour qu’elle ne se détorde pas toute seule.
Il est bien entendu que ce frein ne doit être mis en place que pour de longues descentes ; dans toute autre circonstance on l’attache à un des tubes du cadre, il serait imprudent de laisser le patin pendre sous les tubes de fourche, la chaîne, la roue dentée, la jante s’en amuseraient, se le rejetteraient comme une pomme et cela finirait mal ; cependant, si le cours de la descente est coupé de paliers, voire de quelques rampes, on peut desserrer suffisamment la ficelle pour que le frottement du patin sur le bandage puisse être considéré comme nul et n’augmentant pas d’un iota le coefficient de roulement.
Les explications qui précèdent et le dessin qui les accompagne permettront, je l’espère, à tous les lecteurs du Cycliste de se confectionner un frein semblable. Aux personnes qui trouveraient mauvais de faire porter la pression principale du patin sur la partie médiane du bandage, c’est-à-dire sur la partie même qui s’use au contact du sol, nous conseillerons de creuser dans le milieu du patin une rainure correspondant à la partie médiane du bandage, de sorte que le patin mordra celui-ci par les côtés, à la façon du frein Hall ou à mâchoires  ; cette disposition aura de plus l’avantage de permettre aux graviers et autres petits corps rongeurs du caoutchouc que la roue entraîne, de se loger dans la rainure où ils ne nuiront pas.
Je n’avais pas pris toutes ces précautions et cependant mon frein appliqué très énergiquement pendant 3 kilomètres, descente des Commères, 9 kilomètres, descente du col de Porte, et 5 kilomètres, du couvent au pont Saint-Bruno, n’a pas laissé de traces appréciables sur mon Michelin.

Le Cycliste, 1898, Source Archives départementales de la Loire, côte PER1328

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