En randonnant (Bouillier)

mardi 12 mars 2024, par velovi

EN RANDONNANT

J’avais en tête de pousser une pointe vers la mer et cela à grands coups de pédales, avec but de randonnée les Saintes-Marie, en Camargue ; c’est, je crois, ce point de mer le plus rapproché de Saint-Étienne, environ 300 km. D’après mes prévisions, je devais couvrir L’aller-retour dans les 40 heures.

J’avais repéré pour ce raid la fine monture de l’ami A... et je dois à son obligeance d’avoir eu ainsi une machine relativement légère à grand rendement : pneus extra-souples, toiles apparentes, changement Cyclo 3 vitesses, doublé par une deuxième couronne au pédalier. J’enlevai les garde-boue pour alléger, pris ma selle habituelle et un guidon double position. A l’avant, dans le sac de guidon du T. C. F., ma pèlerine, une chambre à air et des provisions de bouche à la fourche, une bonne lanterne acétylène ; au cadre et facilement détachable, un bidon qui fait une navette plus ou moins accélérée vers mon gosier, suivant l’état de la température ; une sacoche à la selle contient tous les outils du bord.

Ainsi équipé, je prenais la route le samedi 6 septembre, à 2 heures, au pied de la côte des Grands-Bois. Mon fin coursier ne demande qu’à bondir sous la pédale, mais je sais par expérience qu’un départ rapide est toujours préjudiciable et que l’on récupère vite l’allure modérée d’un début d’étape.

Je grimpe posément, et c’est seulement une heure après que je passe aux Grands-Bois la ligne d’arrivée de la Journée Vélocio. Quelques coups de vent me font présager que c’est du midi que cela va souffler.

Je descends prudemment sur Bourg-Argental, en pleine nuit : le cône lumineux de la meilleure des lanternes n’est pas suffisant pour permettre les grandes allures, et puis y réellement avantage, même a-t-il en plein jour, de dégringoler les pentes en bolide, les cailloux épars s’évitent difficilement aux grandes allures et les crevaisons sont fréquentes. Je pédale mollement dans le vide, évitant ainsi le froid et l’engourdissement, et la reprise de la cadence se fait sans éprouver cette raideur qu’occasionne un grand temps de roue libre et, tout en descendant, je songe au retour, dans une quarantaine d’heures, après 550 km. il faudra ascensionner les 1.000 m. d’élévation qui nous attendent, Stéphanois, à nos fins d’étape lorsque, arrivant de la vallée du Rhône, nous regagnons notre ville par le col des Grands-Bois. Mais je fais profit des conseils de Vélocio et je sais qu’au retour j’aurai suffisamment de réserve pour cette escalade. S’alimenter fréquemment tout en roulant, rester toujours en dedans de son effort en utilisant le développement de sa poly le plus approprié au terrain, c’est là le simple secret des grandes randonnées.

Je passe Bourg-Argental, Boulieu-les-Annonay et, à Daveizieux, je vire sur Andance ; pour l’instant, je ne demande qu’à gagner le jour sans incident, mais à deux kilomètres de Daveizieux, mon pneu arrière s’affaisse brusquement. Je m’installe en bordure et m’efforce de réparer posément, car rien n’est plus horripilant qu’une réparation de nuit. Je démonte et répare avec une pastille. Je gonfle, ça ne tient pas, naturellement il y avait deux trous ; une autre pastille et je remonte, aucun résultat. Je commence à perdre patience et lance dans la nuit des tonnerres... de chambre à air ; c’est la première pastille qui n’adhère pas, je la remplace et tout va bien. Il est utile d’emporter, outre ces fameuses pastilles qui tiennent plus ou moins, le nécessaire habituel. Je n’ai pas fait usage de ma chambre de rechange, la gardant pour les cas extrêmes. J’ai perdu trois quarts d’heure à réparer, le jour arrive et c’est 5 h. 30 lorsque je gagne, à Andance, la vallée du Rhône.

J’ai sur mon grand jeu 6 m., 4 m. 80 et 4 m. Je regrettais au départ le 7 m. de ma machine habituelle, mais le vent s’éleva de plus en plus violent et 6 m. suffirent amplement, et tout en grignotant sucre et petits pains, je passe Tournon, Saint-Péray et arrive à Valence à 7 h. 30, où je me ravitaille en limonade, ma boisson de route préférée. Mes provisions de route me permettent d’arriver jusqu’à Montélimar (9 h. 30), où je garnis mon sac d’un long pain de pogne, délicieuse brioche de ces pays. A bonne allure, je monte la petite côte de Donzère, traverse Pierrelatte et, à la sortie de Lapalud, une petite route m’amène à Pont-Saint-Esprit (11 h. 15). Sans arrêt, par Bagnols, j’arrive à Remoulins à 13 h. ; arrêt d’un quart d’heure pour me ravitailler. Le vent souffle de plus en plus et, pour y faire face, je dois forcer l’alimentation. Je voudrais arriver à la mer vers les 17 heures et, les mains en position basse, je mène néanmoins bon train, pas longtemps à 2 km. de Remoulins, je talonne à l’arrière, c’est une pièce du matin qui ne tient plus : un peu de dissolution et je et je remonte pour me retrouver à plat 200 m. plus loin. Je change de chambre, rien à faire, je pompe dans le vide. On ne prend jamais assez de précautions pour les chambres emportées en rechange et, le moment venu de les utiliser, elles ne sont d’aucun se- cours. Je répare hâtivement et, pompant tous les trois ou quatre kilomètres, je finis par ar river à Arles à 16 heures, où une réparation définitive me retient jusqu’à 16 h. 45. Je suis encore à une quarantaine de kilomètres de la mer, et c’est vent debout et tête basse que je rentre en Camargue. J’ai pris soin à Arles de faire le plein du bidon, car ici c’est un peu le désert qui commence. Sous le vent qui me colle à la route, le 5 m. 40 de mon petit jeu est de rigueur à mi-parcours, un brusque retour de la route vers le nord, me donne une idée de ce que sera l’allure du retour si le vent se maintient. Le jour tombe rapidement, encore quelques kilomètres, j’arrive à Sainte-Marie à 18 h. 30. Je vais droit à la mer et inlassablement je regarde.

J’ai mis 16 h. 30 pour couvrir ces 300 km., y compris deux bonnes heures perdues à réparer. J’avais, il est vrai, une machine d’un haut rendement, qui répondait à la pédale, mais pas au règlement que nous imposa le T. C. F. en juin dernier au concours du Dauphiné.

Il sera toujours possible à un constructeur, avec du temps et de l’argent, d’établir une machine qui répondra point par point à un règlement imposé. On peut accumuler sur une bicyclette tous les accessoires d’un catalogue de cycles, mais on n’aura créé là qu’un échantillon mort-né. Un tel engin sera invendable, d’abord par son prix qui sera inabordable, ensuite parce qu’il ne répondra pas aux besoins des cyclotouristes.

On peut très bien faire du grand tourisme, rouler sur les petites routes ravagées des cols alpins, descendre les vallées à grands coups de pédales, ou côtoyer les rives de la mer, sans pour cela traîner comme un boulet tout un stock de ferraille, tôle, tringles, boulons et écrous.

Sus à la machine lourde, et vive la simplicité !

Est-ce que deux courroies judicieusement employées à l’avant et à l’arrière ne constituent pas le plus simple et le plus léger des porte- bagages ? Pourquoi avoir en permanence sur une machine, toute une série d’accessoires destinés à protéger de la boue et de la pluie, bicyclette et cycliste. Le touriste se pare-t-il, lui continuellement de sa pèlerine ? La machine devrait avoir pour la pluie son équipement amovible, léger, toile molesquine qui s’adapterait rapidement par courroies ou pressions. Pour diffuser le cyclotourisme, il faut mettre dans les jambes de l’amateur un outil de prix abordable et d’un excellent rendement, c’est- à-dire simple et léger.

La nuit est arrivée, et je suis toujours sur la jetée. Je ne sais si je vais reprendre la route après avoir dîné ou si je dormirai quelques heures, mais la perspective des crevaisons de nuit ne me sourit guère ; j’ai de l’avance et l’aide du vent au retour : je pique un somme jusqu’à 2 heures du matin. Je devais, par la suite, regretter de n’être mas parti deux heures plus tôt. Lanterne et sac rechargés, me revoilà en selle sous la poussée du vent, je tourne sans effort, sans d’autres arrêts que ceux occasionnés par ma lanterne qui s’éteint parfois. Je suis à Arles à 4 heures et, toujours par la même route de l’aller, je passe Beaucaire, et c’est plein jour lorsque j’arrive à Remoulins, à 6 heures ; tout va bien pas de crevaisons et les jambes tournent alertement. Je veux tirer le maximum de l’aide du vent et je ne m’arrête qu’à Pont-Saint-Esprit (8 h. 15) ; petit déjeuner et réapprovisionnement jusqu’à 8 h. 30, et en route pour Pierrelatte, Montélimar (10 h. 30) ; un autre pain de pogne dans le sac et une li- monade dans le bidon. A Valence, où j’arrive à 12 h. 30, je déjeune assez copieusement jusqu’à 14 heures, puis Tournon. Là-haut, de gros nuages noirs, quelques gouttes d’eau, c’est l’orage et, pensant y échapper, j’accélère, mais, après Sarras, coups de tonnerre et trombe d’eau ; en rien de temps ma pèlerine est transpercée ; trempé, je me réfugie sous un arbre ; une petite accalmie et je repars. Sous la pluie qui redouble, j’arrive à Andance à 16 heures, et dans le café où je m’arrête, au grand amusement des consommateurs, je forme un petit lac autour de moi. Je regrettais à ce moment-là mon arrêt trop prolongé à Sainte-Marie ; deux heures plus tôt, j’échappais à l’orage. A 16 h. 30, sous une éclaircie, je me remets en route et, sur 4 m., j’attaque la grimpée, pas longtemps ; le déluge recommence, je fais demi-tour sur Andance, et cette randonnée de 550 km. se termine à Saint-Rambert-d’Albon, où je trouve un train de retour.

J’aurais été curieux de voir de quelle façon j’aurais escaladé les 1.000 m. d’élévation après 550 km. Je ne fus à l’ouvrage qu’à l’aller contre le vent dans les cinquante derniers kilomètres. Ces longues randonnées paraissent pour certains exagérées ; il n’y a rien d’extraordinaire : il faut pédaler un peu avec sa tête, être bien outillé et attacher une importance primordiale à l’alimentation. Les épreuves du brevet cyclotouriste du T. C. F. et d’Audax sont tout indiquées pour un entraînement progressif, et puis suivez les conseils de Vélocio dans son catéchisme de l’E. S. et vous vous surprendrez vous-même de ce que vous pouvez faire à cheval sur une polymultipliée.

BOUILLIER, T. C. F. 349.202.

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