POUR LA PETITE HISTOIRE DE LA ROUTE DU PARPAILLON

mardi 10 mai 2022, par velovi

par Georges GRILLOT, Le Cycliste, 1948, p.6
Il y a une cinquantaine d’années, l’Administration militaire, sans doute impressionnée par le renouvellement de la Triplice — cette alliance qui plaçait l’Italie (déjà) dans l’orbite austro-allemande — se mit en demeure de fortifier sérieusement notre frontière des Alpes. On construisit de nombreux forts, des redoutes, des bastions. Tout ceci, heureusement, ne servit à rien, puisque l’Italie, en 1915, abandonna la Triplice. Vingt-huit ans plus tard, en 1943, et avec la même désinvolture, elle planta là Hitler, le Mikado et leur fameux pacte d’Acier, pulvérisé lui-même par la bombe atomique deux ans plus tard !
Si, en général, il ne reste jamais rien des œuvres de guerre : canons, tanks, avions, cuirassés, etc,.., les fortifications de notre frontière alpestre nous auront valu la construction de fort belles routes qui, elles, sont demeurées. En effet, la route des grands cols, nous la devons pour une large part à nos bataillons de chasseurs alpins. Pour une fois, on a employé avec intelligence Croquebol et la Guillaumette. Quant aux généraux Berge et Zédé, leurs noms sont aujourd’hui bien oubliés. Ils n’en ont pas moins, sur la route des Alpes, conquis une gloire de bâtisseurs qui en vaut bien d’autres.
Actuellement, un certain nombre de routes stratégiques, c’est-à-dire entretenues — en principe — par l’autorité militaire, sont remises à l’Administration des Ponts et Chaussées. Parmi elles : la route du Parpaillon dont nous parlerons aujourd’hui. Les minces crédits, toujours rognés d’ailleurs, dont disposent les Ponts et Chaussées leur permettront-ils de remettre rapidement en état les routes nouvellement prises en charge ? Nous n’en avons aucune idée, mais nous ferons néanmoins confiance à ce corps d’ingénieurs qui a su doter la France d’un réseau incomparable que le monde nous envie.
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La première traversée du col du Parpaillon fut effectuée les 17 et 18 août 1900, par deux cyclotouristes lyonnais, M. Burdet et un de ses camarades demeuré anonyme. Partis de La Condamine après le déjeuner et sous une pluie battante, nos deux intrépides grimpeurs s’engagent sur le chemin du col en poussant leur machine, munie d’un unique développement de 5 m. 10, trop grand pour la pente. Remarquez en passant l’audace de ces Messieurs. Ils partent dans l’inconnu, à une heure tardive et par très mauvais temps. Ils ne savent pas s’ils pourront franchir le tunnel, en admettant qu’ils y arrivent, mais quoi ? écrit M. Burdet « nous ne pouvons pas refaire en sens inverse la route du Lauzet et comme nous devons être à Lyon le 19, il faut passer le col ». Tout simplement.. Les choses s’arrangent néanmoins, au bout de quatre heures de marche, nos deux cyclotouristes parviennent à un camp d’Alpins, où les renseignements sont mauvais : le tunnel est à huit kilomètres, obstrué par un éboulement. Il faudra passer par l’arête du col en pleine nuit et, sans doute, atteindre Crévoux vers trois heures du matin, s’il n’arrive pas de catastrophe. Les choses s’arrangent, avons-nous dit, sous forme d’un lieutenant qui offre l’hospitalité du camp aux deux audacieux. Il y eut même un dîner de premier ordre, et M. Burdet, sans nous dire lesquelles, s’étonne des ressources alimentaires en possession d’un détachement alpin perdu dans un coin pareil. Il fut bien plus étonné le lendemain matin en apercevant en cet endroit désolé un théâtre en plein air, dont le fronton porte cette inscription : « Folies Parpaillonnaises ». Enfin, après un déjeuner comportant escargots, coq de bruyère, faisan, alouettes, etc., les deux machines sont arrimées sur un mulet, en route pour le col. Il est franchi sans douleur par l’éboulis au-dessus du tunnel, toujours avec les mulets. De là, M. Burdet et son compagnon descendent à vélo sur Crévoux, par une route boueuse, mais bonne, tandis qu’ils doivent effectuer à pied l’effroyable tronçon de Crévoux à la Durance. Ils arrivent à Embrun, à dix heures du soir, enchantés de cette traversée.
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Au cours des années qui suivirent cette mémorable ascension, il n’est plus question du Parpaillon. On parle d’ailleurs très peu des autres cols français, la vogue du moment étant à la Suisse. Le Cycliste, sous la plume de ses collaborateurs habituels, se livre à une véritable débauche de Furka, Grimsel, Stelvio, Gothard, etc. Vélocio. lui-même, organise, pour le 14 juillet 1903, une excursion collective de l’École Stéphanoise à travers la Suisse. Elle doit durer huit jours et comporter des étapes formidables.
Peu avant le départ, Vélocio déclare ne pouvoir s’absenter plus de trois jours et laisse l’E. S. partir sans lui. Il ne renonce pas pour cela au périple helvétique, qu’il effectuera seul au 15 août de la même année.
La traversée du Parpaillon remplace, au 14 juillet, le voyaqe en Suisse. Vélocio va essayer, sur la route en question, une nouvelle machine de 16 kilos, munie de six vitesses en marche, lui donnant une gamme de 8 m. 40 à 2 m. 75, par bi-chaîne et moyeu Three Speed.
Voici donc Vélocio parti, dans la nuit comme d’habitude. Il a toujours eu de très mauvais yeux, mais jusqu’à sa mort il s’est obstiné à rouler de nuit, la plupart du temps éclairé par de chétifs lumignons. Si Vélocio s’est intéressé vivement à la bicyclette elle-même et au changement de vitesse, il a toujours considéré les accessoires comme quantités négligeables. Toujours muni de lanternes de quatre sous, préférant les ficelles aux porte-bagaqes, la carence de ses installations lui a valu, au cours de sa carrière, des bûches homériques. Il ne s’en cache d’ailleurs pas. Au cours du récit de voyage en Suisse, j’ai pu relever une moyenne de trois à quatre « gamelles » (sic) par étape. Vélocio tombait avec la maestria d’un cow-boy de l’Arizona. Jamais il ne se faisait de mal sérieux, toutefois, il dut regagner plus d’une fois Saint-Étienne par le train, sa machine brisée.
Au soir du 12 juillet 1903, M. de Vivie, venu de St-Étienne, couche à l’Argentîère - La Bessée. « Ma première étape, dit-il, n’est que de 240 kilomètres, pourtant je succombe au sommeil, aussi le lendemain ne partons-nous pas de très bonne heure ».
Pas de très bonne heure ? A cinq heures du matin Vélocio et son compagnon venu le rejoindre avec le train sont déjà par monts et par vaux ! Ils louvoient sur les routes difficiles et mal signalées des bords de la Durance. Le fâcheux état de la chaussée les oblige à marcher souvent à pied, aussi n’arrivent-ils à Crévoux qu’à midi. L’auberqe est fermée, la patronne étant malade et le curé qui aurait pu leur donner quelques victuailles, est parti enterrer un paroissien. Enfin, nos deux cyclotouristes trouvent quelques vivres et repartent à 14 heures vers le col, par un temps très menaçant. Vélocio, qui ne voit pas clair, risque de se trouver en pleine nuit et sous la pluie dans la difficile descente de La Condamine. Il n’a cure de ces considérations terre-à-terre. L’orage. bien entendu, se déclenche peu après Crévoux, la route devient un véritable torrent. Enlevons nos bas et retroussons nos pantalons, ça ira beaucoup mieux doit penser Vélocio. C’est dans cet équipage que parviennent au tunnel le maître et le disciple. Pour trouver la route libre, il leur faut traverser un banc de neige haut de trois mètres et large de dix, La descente commence enfin, coupée d’ornières, de caniveaux, le tout soigneusement dissimulé sous une épaisse couche de boue jaunâtre, tandis que la pluie tombe à torrents. Les voilà au camp du Parpaillon, où trois ans plus tôt M. Burdet fut si bien reçu. Les Alpins les appellent, certains courent après eux, mais Vélocio passe sans s’arrêter, il n’a pas le temps, il n’aura jamais le temps de s’arrêter.., La nuit tombe, la pluie cesse enfin, les derniers kilomètres de la descente sont faits à pied. Voici La Condamine, l’hôtel du Commerce. Vélocio ne cache pas son contentement.

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Les années passèrent. La route du Parpaillon ne fut jamais très fréquentée. Inaccessible aux autocars, même aux voitures, les avalanches, les éboulements ruinèrent rapidement le travail des Alpins. L’herbe poussa, timidement d’abord, puis sans vergogne. Petit à petit retournèrent à ia terre les bâtiments et refuges qui avaient été construits au début du siècle. Lorsqu’en 1928, nous franchîmes, Philippe Marre et moi, le col du Parpaillon, la route était devenue mauvais sentier, seul demeurait intact le tunnel du sommet. Frappés l’un comme l’autre de la grandeur de ces lieux, nous engageâmes vivement les cyclotouristes à passer le Parpaillon, agréable variante du col de Vars. Les années 1929 et 1930 virent un véritable afflux de cyclo-montagnards vers les Alpes en général, et le Parpaillon en particulier. Un fanion spécial était même offert à qui pouvait prouver son passage ; le registre que nous avions déposé à Crévoux se couvrit d’appréciations et de signatures. On peut dire que le fanion du Parpaillon fut le précurseur des B. R. A., R. C. P. et autres brevets de montagne. Il fît beaucoup, à l’époque, pour la cause des grands Cols Alpins.
Puis l’oubli est de nouveau revenu. D’autres années passèrent encore. La route du Parpaillon a 47 ans. Dans quel état se trouve-t-elle ?
Un jour, peut-être, nous la verrons large et bonne, mais elle aura perdu sa solitude, et sur les ruines des bâtiments des chasseurs d’autrefois, s’érigeront, rouges ou vertes, les pompes de la Standard ou de la Texaco.

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