Meeting d’été (Juillet-Août 1921)

vendredi 31 juillet 2020, par velovi

Par Paul de Vivie alias Vélocio, Le Cycliste, Juillet-Août 1921, source Archives départementales de la Loire, cote IJ871/3

Le Cycliste a de bons amis, de très bons amis qui, de loin comme de près, ne laissent passer aucune occasion de lui être agréable ou de lui rendre service.
Tels ceux qui alimentent son budget de propagande ou qui, un peu sur tous les points du territoire, et surtout à Paris, se donnent la peine de lui conquérir des abonnés, de le faire connaître autour d’eux, d’en parler au cours de leurs voyages, à tel point que nous recevons souvent des demandes ainsi formulées : « Un touriste rencontré par hasard m’a assuré que Le Cycliste m’intéresserait. Veuillez donc m’en adresser un spécimen. »
Tels encore ceux qui, collaborateurs absolument désintéressés, après avoir fait quelques excursions intéressantes ou quelques observations utiles, passent de longues heures à en tirer des récits, à en déduire des commentaires, dont tous les lecteurs feront ensuite leur profit, ceux qui en un mot font Le Cycliste, il lui donnent tout son intérêt, sa seule raison d’être.
Tels aussi ceux qui nous sacrifient un dimanche pour se rendre à nos meetings, même quand nous les fixons en des lieux d’accès assez difficile, comme l’est actuellement le Crêt-de-la-Perdrix, à cause du mauvais entretien des routes qui y conduisent.
Et ces derniers ont été le 24 juillet deux, trois fois plus nombreux que nous n’étions en droit de l’espérer. Plus de deux cents cyclotouristes ont évolué, entre 6 heures et 12 heures, autour de la Jasserie du Pilât, venant de tous les points de l’horizon et dont beaucoup, pour ne point manquer le lever du soleil, qui entre parenthèses a plutôt été terne, avaient dû passer la nuit dans le foin, qui au Bessat, qui aux Grands Bois, qui à la Valla, ceux-ci dans une ferme isolée, ceux-là à la Jasserie même, faute de place dans les hôtels.
Nous ne vîmes pas le moindre essai de campement, et deux jeunes abonnés du Cycliste, qui passèrent deux jours auparavant à Saint-Étienne, auraient obtenu un grand succès s’ils avaient eu la bonne idée de faire coïncider leur passage dans nos montagnes avec le jour du meeting. Ces jeunes gens portaient sur leurs machines une complète installation de camping, comprenant une vaste tente triangulaire, avec porte et deux fenêtres munies de moustiquaires, lampe Primus et batterie de cuisine, sacs de couchage très chauds et très légers. Joignez à cela vivres, effets de rechange, appareils photographiques, et vous ne serez pas Surpris du poids global de 26 kilos qu’emmenait gaillardement chaque cycliste depuis dix jours, à travers les Alpes, le Vercors et les Cévennes. On campait chaque soir, tantôt dans
un bois, tantôt sur le bord d’un lac ou d’une rivière, on vivait des provisions achetées : lait, œufs et fruits, dans le dernier village, et la dépense quotidienne ne dépassait jamais dix francs par tête.
Aurions-nous tous été surpris et ravis de trouver une aussi complète et confortable installation dans le dernier petit bouquet de bois qui domine la jasserie, et qui s’y prêtait d’ailleurs admirablement  ! Vraiment, si j’étais un peu plus maître de mon temps, je tenterais d’organiser là un campement à l’anglaise, où l’on pourrait venir passer à tour de rôle, les uns quelques jours, les autres une semaine, où, chacun à son tour, on aurait à pourvoir à l’ordinaire et à garder le camp. Ce retour à la vie primitive ne manquerait pas de charme  ; les excursions, la cueillette des airelles, les causeries, peut-être même quelques concerts, et enfin la sonnerie matinale appelant au Crêt de la Perdrix les admirateurs du soleil levant, suffiraient à remplir la journée, sans parler des cures d’air, de vent et de soleil que l’on pourrait s’offrir dans les profondeurs des bois solitaires. Les ruisseaux, à la vérité, sont un peu loin, mais les truites y foisonnent, et des cascades d’importance, comme celle du Saut-du-Gier, offrent des douches gratuites et fraîches à souhait par ces températures caniculaires.
Les dames étaient nombreuses, comme toujours, mais les tandems furent rares  ; les appareils propres à transporter les enfants se réduisirent. à deux : le double porte-bébé de M. M..., de Bourg-Argental, et la très confortable remorque de Vavitto d’Essantes, que nos lecteurs connaissent, depuis longtemps. Ni la roue porteuse, ni la roue latérale motrice, ni la monodame, ni enfin aucun des nombreux modèles de side-cars pour enfants qu’un constructeur parisien s’efforce de lancer et qui, de plus en plus nombreux en Angleterre, commencent à être fréquemment rencontrés autour de la capitale. Le Pilât est un peu haut et ses voies d’accès sont trop peu engageantes pour qu’on ose s’y aventurer en remorquant des fardeaux précieux.
Inutile de dire que la polyxion fut brillamment représentée et que deux ou trois monos a peine osèrent se montrer, après avoir été poussées à la côte par leurs propriétaires, jeunes pourtant et vigoureux  ; alors que grâce à sa six vitesses par whippet Chemineau, notre aimable doyen, M. G..., dans sa 73e année, avait pu grimper gaillardement de Saint-Étienne au Crêt-de-la-Perdrix, où il fit tout le jour notre étonnement et notre joie par son entrain, son brio, sa bonne humeur qui, ne se démentant pas un instant, témoigna, très clairement qu’avec une bonne poly, un trois quarts de siècle peut cyclotourister sans fatigue, même en haute montagne  ; j’espère pouvoir dans quatre ans confirmer à mon tour cette vérité .
Faut-il redire une fois de plus que, dans notre région du moins, les whippets ou dérailleurs de chaîne tiennent toujours le premier rang. Il y aurait eu, parmi les deux cents et quelques bicyclettes présentes, plus de cinquante Chemineau, comme on me l’a assuré, que je n’en serais pas étonné, tant on en voyait dans tous les coins. Les Audouard étaient venus moins nombreux que d’habitude, mais les « As » qui se multiplient prodigieusement, ont comblé le déficit, et l’on m’en a fait compter seize, alors qu’au précédent meeting du 10 avril nous en avions vu seulement quatre. Les dérailleurs P. d’A, Boizot, Hervier, Alpin, Gauloise, étaient aussi représentés le 24 juillet, quelquefois, il est vrai, par une seule machine, qui n’en avait que plus de mérite à nos yeux, car ce sont là systèmes oubliés, que la réclame aux cent trompettes ne connaît pas. La 4 ou 8 vitesses H. T. de Terrot, qui réunit le cachet et le luxe de la grande marque à la « practicability » du démocratique dérailleur, se montrait ou plutôt se laissait voir en nombreux exemplaires. Ce qui s’oppose un peu au prompt développement des systèmes Terrot, Hervier, Audouard et Boizot, c’est qu’ils ne s’adaptent pas aussi facilement à n’importe quelle machine, qu’ils obligent à remplacer le moyeu de l’arrière-train, ce qui ne se fait pas en un clin d’œil et sans frais. Tandis que le Chemineau et l’As, pour ne parler que des survivants de la grande guerre, s’adaptent en quelques heures aux bicyclettes de toutes marques  ; ainsi, j’ai vu une Clément de course, c’est-à-dire à arrière très étroit, qui le samedi matin n’était encore qu’une vulgaire et éreintante mono, et qui le samedi soir pouvait grimper au Pilât munie d’un Chemineau à six vitesses  ! Voilà le secret de la propagation rapide de ce système, avec lequel seul l’As peut rivaliser sous ce rapport en ne donnant, il est vrai, que 4 vitesses  ; mais pour un bon randonneur est-ce que 4 vitesses bien choisies de 3 mètres à 6 m,35, ne suffisent pas  ? Vous allez me répondre peut-être que j’ai souvent engagé les cyclotouristes à avoir à leur disposition une plus complète échelle de 2 mètres à 7 mètres, afin d’être toujours en état de répondre à toutes les provocations de la route. Je l’avoue, mais j’établis quelque différence entre randonneur et cyclotouriste.
Les moyeux à 2 et 3 vitesses étaient très nombreux, seuls ou combinés avec la flottante ou la bi-chaîne  ; ces deux derniers dispositifs se voyaient aussi seuls, ou liés ensemble, sur une trentaine de bicyclettes. Ce sont là, et surtout
la flottante, systèmes que ni la réclame, ni les succès sportifs, ne mettront jamais en vedette, mais qui se maintiendront et se propageront par la seule force du bon sens. Une lévocyclette apparut, toujours majestueuse, puis trois ou quatre rétros, parmi lesquelles la vénérable monture du capitaine Perrache, qui date de 1904, mais qui entre les mains de son propriétaire, M. F.., d’Annonay, conserve et conservera longtemps encore l’éclat de la jeunesse  ; elle effaroucha un peu les tout jeunes par sa roue libre de 42 dents  ! car elle naquit au temps où l’on ne jurait que par les pignons d’immense envergure. Il y aurait eu une touricyclette si j’avais amené la mienne, mais j’avais préféré monter avec une légère randonneuse  ; sans cela toutes les lauréates des concours T. C. F. auraient été représentées.
Pour cette fois, la Loire l’emporta de beaucoup par le nombre sur tous les départements voisins  ; cependant le Rhône nous envoya un très fort contingent, l’Ardèche et la Drôme, l’Ain et la Haute-Loire déléguèrent quelques unités, et quand tous, après le lever du soleil, furent réunis à la Jasserie, il ne nous manqua qu’un orateur de plein air, capable de nous entretenir pendant dix minutes des bienfaits de la Polyxée, ne fût-ce que pour faire pièce aux nouveaux pontifes du Touring qui la déclarent inutile et même dangereuse  !  !
A défaut de discours, on obtint à la ferme d’excellent café au lait, de bonne soupe, des œufs, du pinard, de la bière, du café, tout ce qui pouvait compléter heureusement les provisions apportées, et l’on déjeuna joyeusement. Par petits groupes ou isolément, des cyclistes arrivaient encore, en même temps que d’autres partaient, et il en arriva ainsi jusqu’à 13 heures.
Bref, par le nombre des participants, ce meeting a battu de loin tous les précédents, mais par le nombre et l’intérêt des nouveautés y amenées il leur a été inférieur. Un cyclotracteur avait essayé d’y grimper, mais une panne d’allumage avait obligé son propriétaire à pousser sa machine et son moteur pendant plusieurs heures. Ces moteurs adjuvants n’aiment pas les dures et longues rampes.
À ce propos, permettez-moi de comparer en quelques lignes les méthodes de vulgarisation des nouveautés françaises et étrangères. Quand les moyeux Sturmey, Pedersen (anglais), Torpédo (allemand), parurent, je priai les constructeurs de me prêter un de leurs moyeux pour que je puisse me faire une opinion motivée de leurs mérites, afin de renseigner en connaissance de cause Les lecteurs du Cycliste. Ils m’en confièrent immédiatement des échantillons.
La Svéa, à Stockholm, me confia plus tard une lévo, la Touricyclette à Paris, Terrot à Dijon, me mirent à même d’essayer longuement l’une son acatène à deux vitesses, l’autre son dérailleur H.
Je pensais donc que le Cyclotracteur et le Sicam, qui se disputent en ce moment les faveurs des cyclistes qui désirent s’aider d’un petit cheval de renfort, me fourniraient l’occasion de faire quelques essais personnels et me donneraient des adresses de cyclistes habitant notre région accidentée, et se servant déjà de ces appareils. Mais ces constructeurs ne m’ont répondu que par l’envoi d’un bulletin de commande, sans le moindre commentaire. Pour agir ainsi, il faut bien être certains qu’un système ne peut manquer de donner satisfaction à tout le monde, ou bien n’avoir pas soi-même confiance dans ce que l’on vend, et n’avoir d’autre but que de débiter sa camelote sans se soucier de ce qu’il en adviendra  !
Nous avions eu l’intention, obéissant en cela aux indications de notre ami F..., d’Annonay, de fixer le meeting d’automne à Saint-Maurice-l’Exil, sur la rive gauche du Rhône, entre les Roches-de-Condrieu à 7 kilomètres, et le Péage-du-Roussillon, à 3 kilomètres. Le site est parait-il, charmant et l’on y a une très belle vue, de bas en haut, sur toute la chaîne du Pilat. Réflexion faite, nous croyons préférable de garder pour un meeting de printemps ce site champêtre qui, après l’été que nous subissons, sera plutôt dans quelques semaines aride et brûlé du soleil, et qui gagnera à être vu au moment où les bords de notre grand fleuve se couvrent de verdure et de fleurs.
Le dimanche 23 octobre prochain, nous nous réunirons donc, de 9 à 14 heures, au col de Pavezin, situé à peu près à égale distance de Lyon et de Saint-Étienne, entre Rive-de-Gier et Condrieu.
Nous nous y sommes déjà réunis souvent avant la guerre, et nous avons tous conservé de ces meetings un excellent souvenir, car ce col minuscule est un très beau belvédère ouvert sur les Alpes et sur la vallée du Rhône.
Le prochain numéro du Cycliste ne devant paraître qu’en octobre, nous prions les lecteurs d’inscrire dès maintenant sur leur agenda la date du 23 octobre, de crainte que nous ne puis-sons la leur rappeler à temps.

Vélocio.

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