La gauloise à 4 vitesses (1897)
mardi 30 avril 2019, par
Par Curtius, Le cycliste Février 1897, republié en Février 1947
Tant que le développement des bicyclettes est resté dans une sage moyenne, oscillant entre 4 et 5 mètres, le besoin d’un changement rapide de multiplication ne s’est fait sentir que dans des cas exceptionnels, et les systèmes nombreux imaginés pour y répondre n’ont pas eu beaucoup de succès ; aujourd’hui, la mode est aux développements exagérés et il n’est pas rare de rencontrer des bicyclettes développant de 6 à 7 mètres. Ces hauts développements ne sauraient convenir que dans des conditions très favorables, descente douce ou vent arrière ; mais, dès que la montée s’allonge ou s’accentue, que le vent est contraire ou seulement, quand au retour d’une excursion un peu longue, on se sent fatigué, on regrette de n’avoir pas une multiplication moindre à sa disposition. Le moment est donc opportun pour présenter des machines à changement de multiplication facile et rapide, sinon instantané ! Les changements instantanés (que nous pouvons adapter sur demande à nos machines au moyen du moyeu Cohendet ou du Bi-gear américain ou du Crypto, le premier du genre) ont de graves inconvénients qui les ont fait successivement abandonner. Ils entraînent d’abord des complications d’engrenage et des surcroîts de frottement qui sont autant de causes nouvelles de fatigue pour le cycliste et d’accidents pour la machine ; ensuite ils prédisposent à de trop fréquents changements d’allure qui n’ont d’autres résultats que de vous couper les jambes ; enfin la différence entre les deux vitesses n’est et ne peut être bien importante. Pour les appareils employés aujourd’hui, elle est d’un quart en plus, c’est-à-dire 4 mètres et 5 mètres, 5 mètres et 6 m. 25, etc. Ce n’est pas suffisant dans la plupart des cas.
Nous eûmes, il y a quinze ans, sur quelques tricycles, un système assez simple de changement de multiplication au moyen de deux chaînes et de quatre pignons ; par un levier placé à la portée de la main on embrayait le pignon de gauche et on désembrayait en même temps le pignon de droite, et vice versa. Cela fonctionnait convenablement ; l’on s’en contentait à une époque où les tricycles pesaient 50 kilos et où l’on ne s’inquiétait pas de quelques kilos de plus ou de moins. Sur les pédaliers étroits des bicyclettes modernes, ce système de changement de vitesse instantané n’aurait absolument aucune chance de plaire.
Après les changements instantanés, nous avons à examiner les divers systèmes de changement rapide, mais obligeant le cycliste à mettre pied à terre. Le plus simple est incontestablement celui qu’inaugura Raleigh en 1887 ; mais il fallait quelques minutes et beaucoup d’opérations désagréables. Dans un récent numéro du Cycliste, un correspondant signalait un appareil nouveau employé par un constructeur dijonnais : un seul pignon, 18 dents par exemple sur le pédalier, et deux pignons, 8 et 9 dents côte à côte sur le moyeu ; l’axe du pédalier, au moyen d’un verrou, se déplace d’abord lentement pour mettre bien en face les pignons qui doivent travailler ensemble, puis se meut d’arrière en avant, afin, d’abord, de détendre assez la chaîne pour la faire passer du pignon de 8 dents sur celui de 9 dents, je suppose, et, ensuite, pour lui rendre la tension nécessaire. Ce système a deux inconvénients. Premièrement, il met chaque fois en mouvement une pièce de la machine qui doit être ébranlée le plus rarement possible, le pédalier, qui finira fatalement par prendre du jeu dans sa boîte ; deuxièmement, si l’on tient à n’être pas obligé de tendre chaque fois la chaîne par les moyens ordinaires, c’est-à-dire en débloquant la roue motrice et en la faisant avancer ou reculer dans la fourchette de tension, on ne peut obtenir que peu de différence entre les multiplications, car on ne peut ; faire varier les petits pignons entre eux que d’une dent, de deux dents au grand maximum ; or, entre 8 et 9 dents, la différence est de 12 %, entre 8 et 10 dents, de 20 % ce n’est pas assez, moins encore qu’avec le Bi-gear américain à quatre vitesses
Si nous rejetons cette solution, il ne nous reste qu’à placer côte à côte, ou de chaque côté de l’axe, quatre pignons dont les diamètres seront calculés pour que la même chaîne, sans avoir besoin d’être raccourcie ou allongée, tendue ou détendue, s’adapte à chaque paire de pignons, nous pourrons ainsi varier les multiplications, voire les démultiplications à l’infini.
En plaçant les quatre pignons côte à côte deux par deux, nous pourrons faire passer la chaîne d’une multiplication sur l’autre sans la dégrafer, à condition de la détendre et de la retendre chaque fois, ce qui peut se faire facilement avec un pédalier excentrique ou avec notre nouveau système de tension arrière breveté. Nous nous verrons, il est vrai, obligés d’élargir d’un bon centimètre le pédalier et la ligne de chaîne, mais bien des personnes préféreront se soumettre à cette condition plutôt que d’être forcées de déboucler et de reboucler la chaîne qui, pendant l’opération, peut vous échapper et tomber dans la poussière, qui vous salit les doigts, etc. Pour les amateurs qui préfèrent l’axe du pédalier et la ligne de chaîne aussi étroite que possible, nous placerons les deux multiplications à droite et à gauche de la machine (voir la gravure ci-contre). Ils seront donc obligés de déboucher et de reboucher la chaîne, mais ils n’auront, par contre, pas à se préoccuper de toucher à la tension, et, grâce à un verrou spécial, cette opération un peu délicate et longue avec le boulon classique, se fera en moins d’une minute.
Un autre avantage des quatre pignons fait pour attirer l’attention des cyclistes pratiques et des novices, qui ont à rechercher quelle est la multiplication qu’il leur faut, c’est la facilité avec laquelle en retournant, soit la roue motrice, supposée dans les exemples ci-dessous de 70 centimètres, soit les deux roues dentées du pédalier disposées en conséquence, on peut obtenir deux multiplications moyennes supplémentaires, exemple : Nous avons sur notre Gauloise à deux multiplications, d’un côté 20 X 11, de l’autre côté 23 X 8, c’est-à-dire 4 mètres et 6 m. 35 ; si nous retournons la roue motrice nous mettrons le pignon de 11 dents en face de la roue dentée de 23 dents et celui de 8 dents en face de celle de 20 dents, ce qui nous donnera 23 X 11 = 4,60 et 20 X 8 = 5,50. Nous devrons, il est vrai, raccourcir et allonger la chaîne, mais il s’agit d’une étude comparative à faire une fois pour toutes, et nous sommes bien aise d’avoir à notre disposition, sur la même bicyclette, quatre multiplications : 4 mètres — 4 m. 60 — 5 m. 50 et 6 m. 35. Avec d’autres jeux de pignons nous aurions une autre progression ; ainsi 20 X 10 et 22 X 8 nous donneraient 4 m.40 — 4 m. 84- — 5 m. 50 et 6 m. 05, etc.
Nous revendiquons donc pour La Gauloise à quatre multiplications les avantages suivants : facilité d’avoir 4 multiplications aussi différentes que l’on voudra ; changement presque instantané des deux multiplications extrêmes : 1° sans toucher soit à la tension de la chaîne, soit au pédalier ou 2° sans déboucler la chaîne et remplacement rapide des multiplications extrêmes par les multiplications moyennes ; disposition symétrique des pignons et répartition égale du travail sur l’arrière-train qui ne pourra se fausser si peu que ce soit sans qu’on s’en aperçoive immédiatement (car, dans ce cas, la chaîne trop tendue à gauche serait trop lâche à droite et vice-versa ; pour qu’elle s’ajuste aussi bien d’un côté que de l’autre, il faut nécessairement que les lignes de chaîne soient absolument parallèles au plan de la bicyclette) ; étroitesse du pédalier conservée ; prix très modéré.
Les personnes à qui il ne conviendrait pas d’avoir constamment sur leur machine les deux pignons de la deuxième multiplication pourront les détacher très aisément et leur bicyclette n’aura rien, qui la distingue des bicyclettes ordinaires.
CURTIUS.