SAINT-ÉTIENNE, GRENOBLE, GAP, BRIANÇON, CHAMBÉRY

mardi 3 mai 2022, par velovi

Par Paul de Vivie, alias Velocio, Le Cycliste, 1899, p. 121-132, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328

Ne sachant jusqu’au dernier moment si je serais libre pendant les trois jours de fête, 14, 15 et 16 juillet, je laissai partir mes compagnons habituels qui en Suisse, qui en Italie, ceux-ci à Genève, ceux-là pour le Cantal, sans me décider à les accompagner ou les inviter à venir avec moi, et je me trouvai seul le jeudi soir à préparer hâtivement ma bicyclette de grand tourisme au bruit des fanfares sonnant la retraite et parcourant la ville dans tous les sens.
J’ai toujours plein mon tiroir de projets de voyages et je choisis celui qui devait me permettre de remettre en lumière les qualités des machines à plusieurs développements. Sur mon porte-bagage arrière je fixai le paquet sous toile caoutchoutée qui me sert de valise, j’accrochai à mon guidon le sac-musette à trois compartiments où je place mes cartes, mon revolver, quelques objets de toilette, du pain et des fruits, j’accrochai au cadre sous la selle le frein à large patin de bois grâce auquel je puis faire les descentes les plus raides sans me fatiguer à contrepédaler, et j’allai dormir.
Bicyclette et pneu avaient été vérifiés de fond en comble et j’avais fait remplacer une cuvette de la roue motrice que je trouvais un peu piquée, remplacement in extremis qui faillit me faire manquer mon voyage, car cette cuvette, mal assujettie sans doute, se brisa le lendemain dès les premiers kilomètres. On ne doit jamais faire de réparations importantes au moment du départ et le cyclotouriste bien avisé ne s’embarque que sur une machine qu’il a préalablement soumise à des épreuves sérieuses. Je fus en cette circonstance bien mal inspiré, mais ce sera une leçon pour l’avenir.
À trois heures du matin, le 14 juillet, en pleine obscurité (les jours, hélas  ! se font déjà plus courts), je me mis en route pour Grenoble, mon premier objectif. J’avais à ma disposition quatre développements  : 2m,50, 3m,30, 4m40 , 6m,04 et la selle oscillante Cadet. Jusqu’à la Digonnière 4m,40 puis 3m,30 pour m’élever sur le plateau de la République, 7 kilomètres à pente moyenne de 61/4 %. Dès le second kilomètre, à la hauteur du Bois-Noir, j’entends des craquements épouvantables dans mon moyeu arrière  : ma cuvette neuve se brisait sur tout son pourtour  ; les billes en broyaient les éclats et les réduisaient en poussière. Ma première pensée fut de rentrer au logis et de renoncer à mon voyage  ; puis, sentant que le mal ne s’aggravait pas et que les craquements devenaient plus rares et plus faibles, je pensai que les débris de la cuvette s’immobilisaient dans la graisse consistante, dont mes roulements sont toujours garnis et qu’un mieux relatif se produirait. En tout cas, me dis-je, j’en serai quitte pour passer la matinée en montagne ou, si je puis descendre jusqu’à Andance, pour revenir par le train.
Il aurait pu, en définitive, m’arriver pis que cela et la philosophie nous apprend à prendre toujours du bon côté les choses qui nous surprennent.
Et je continuai mon monologue tout en pédalant vigoureusement  : peut-être est-ce là un avertissement de la Divinité dont j’invoque régulièrement la protection toutes les fois que je me mets en route et si le mal s’aggrave au point de m’empêcher de rouler cela signifiera qu’il devait m’arriver quelque chose de fâcheux en court de route.
Je parvenais ainsi peu à peu, malgré le plaisir que j’avais eu à entreprendre un si joli voyage, à me convaincre que tout serait pour le mieux si j’étais forcé d’y renoncer  ; cependant j’eus encore une sensation désagréable en entrant dès Planfoy dans un brouillard humide dont je ne sortis qu’à Bourg-Argentai pour constater que le ciel était couvert de nuages blancs, noirs et gris de très pluvieux augure.
Serait-ce un deuxième avertissement  ? Au troisième tu n’auras qu’à tourner bride et vivement, murmurai-je in petto.
J’avais pris naturellement le développement de 4m,40 en abordant le plateau de la République et, pour enlever les deux derniers kilomètres de montée à 5 % dans les bois, je le conservai, ce qui me permit d’écraser définitivement, par un effort plus considérable, ce qui restait de la cuvette malencontreuse et de la réduire au silence. De fait, je n’entendis plus rien et je n’eus pas d’autre ennui sérieux de ce côté pendant mes trois jours de voyage.
Dès le commencement de la descente (borne 185,5, altitude 1.150 mètres) j’avais pris mon plus grand développement 6m,04, et je dévalais à toute vitesse pour rattraper le temps perdu, car je m’étais arrêté souvent pendant la montée pour ausculter mon moyeu malade et pour délibérer sur ce qu’il convenait de faire.
Le vent du nord s’élevait, il faisait presque froid et plus j’avançais vers le Rhône, plus les nuages semblaient près de crever  ; quelques gouttes de pluie m’atteignirent même entre Daveizieux et Saint-Cyr, je n’en roulai que plus vite malgré le très mauvais état de la route depuis Boulieu. On entretient bien mal les routes dans l’Ardèche et si le T. C. F. a quelque influence sur les administrations chargées de ce service, je le prie d’en user dans l’intérêt du cyclo et du moto-tourisme..
À six heures précises j’étais à Andancette sur la rive gauche du Rhône, demandant le chemin du Creux de la Tine au lieu de consulter purement et simplement la carte de l’état-major, que cette fois je n’avais pas oubliée. Ce moment de paresse me valut de faire un bon kilomètre de plus, car on m’envoya vers la route nationale d’où je revins par un angle droit sur le point où j’aurais dû arriver par l’hypoténuse. J’étais dans la Drôme et la route que j’allais suivre jusqu’à Beaufort ne vaut guère mieux que celle dont je viens de me plaindre. Afin d’enlever sans discussion les montées qui agrémentent ce parcours (celle de Moras est même assez accentuée) je repris le développement de 4m,40. Le vent, du reste, m’était contraire et c’est là une raison suffisante pour justifier un abaissement de la multiplication lorsqu’on ne veut pas se fatiguer inutilement.
Depuis Andancette je suis en pays inconnu  ; je vais donc plutôt lentement, la carte à la main, m’efforçant de reconnaître, aussi loin que mes faibles yeux de myope me le permettent, les alentours.
La route remonte la pente douce d’un ruisseau et côtoie des massifs de verdure à peu de distance à droite, de ce côté le paysage est plaisant, à gauche il l’est peu  ; on moissonne ferme, les agriculteurs n’ont pas l’air de se douter que c’est jour de fête nationale et de réjouissances publiques  ; ils se rattraperont le soir.
Je passe Anneyron, Saint-Sorlin, villages insignifiants, Moras plus pittoresquement perché sur une sorte de pic verdoyant dont la route fait l’ascension sans se donner la peine de le contourner, ce qui rend la rampe assez dure pour que je ne puisse l’enlever convenablement avec 4m,40 que grâce à ma selle oscillante. Des collines très boisées, des prés très verts et des eaux abondantes entourent le mamelon qui porte le village, et font de ce coin de terre un lieu fort agréable. Un de mes amis qui passa par là, il y a quelques années, me dit qu’il y avait visité une belle usine, bien aménagée, avec force motrice, éclairage électrique et tout le confort moderne, mais réduite pour il ne savait quelle cause au silence et attendant un acquéreur. Ne serait-ce pas parce que les habitants aiment mieux la vie et le travail en plein air, que l’atmosphère viciée d’une usine et qu’il est difficile de trouver des ouvriers dans un pays si favorisé de la nature  ? Quand on songe à fonder une usine il faut, à mon avis, choisir ou les faubourgs d’une grande ville ou une région déshéritée de la nature où les conditions de l’existence sont âpres et les gens habitués à la dure.
Telles petites villes, Montbrison par exemple, notre ancien chef-lieu, se sont toujours montrées rebelles aux efforts que des personnes bien intentionnées ont faits pour y amener de l’industrie  ; des quelques usines qui s’y sont fondées les unes ont sombré, les autres ont été forcées d’aller recruter leur personnel dans les montagnes voisines. Tel sans doute le cas de l’usine de Moras où j’aimerais assez venir villégiaturer, où je déjeunerais volontiers ce jour-là car il est 7 heures 40 et mon estomac qui a absorbé, avant le départ, une grande assiettée de riz, voudrait récidiver  ; mais un cycliste stéphanois qui se dirige comme moi sur Grenoble par petites étapes, m’a assuré qu’il se trouverait de 8 à 9 heures sur la route entre Beaurepaire et Saint-Etienne de Saint-Geoirs et j’aimerais assez déjeuner en sa compagnie. C’est pourquoi j’active autant que je puis la cadence des jambes, d’autant plus que la route devient passablement monotone. Pour calmer mon estomac je grignote deux biscuits Heckel à la kola, dont il est sage d’emporter une petite provision pendant une longue excursion  ; ces biscuits ont la propriété de faire prendre patience à messer Gaster et permettent ainsi d’allonger d’une heure ou deux l’étape sans tomber en défaillance. Plus que jamais la carte à la main, à cause des nombreux croisements de route, je laisse à ma droite dans un creux de verdure Lens-Lestang, puis sur des sommets boisés Beaufort et d’autres villages. J’arrive enfin à la jonction de ma route à celle de Vienne à Grenoble que je vais suivre désormais et sur laquelle je dois rattraper mon concitoyen qui selon toute probabilité a quelque avance sur moi  : voici justement des cyclistes qui ont dû le croiser, je les interroge  ; ils n ont vu personne qui réponde au signalement donné  : un peu plus loin j’interroge un chemineau, même réponse. Je conclus que mon homme est encore derrière moi et qu’il vaut mieux que je l’attende en déjeunant, raisonnement que mon estomac trouve parfait et à la suite duquel je m’arrête à Marcilloles, de 8 heures 20 à 9 heures, après avoir franchi d’un trait 85 kilomètres. À 9 heures toujours pas de cycliste  ; la route devenant plus plate et meilleure je me mets à la grande multiplication (6m,04) et j’augmente mon train, j’atteins bientôt Saint-Etienne de Saint-Geoirs, patrie de l’illustre Mandrin, gros bourg très pavoisé, le premier où le 14 juillet se rappelle à mon souvenir, puis Sillans, Beaucroissant et j’arrive sur un pont où aboutit la route de Lyon à Grenoble qui m’avait paru si pénible, il y a deux ans, alors que j’avais formé le ridicule projet d’aller en un jour de Lyon au col du Lautaret. Rives n’est pas loin, j’y plonge, c’est le cas de le dire, tant est rapide et soudaine la descente qui conduit au ruisseau  ; en voilà un casse-cou  ! Pour remonter je prends 3m,30, mais le grimpillon est court et je ne tarde pas à reprendre 6 mètres pour descendre (encore une descente dangereuse) sur Moirans et au-delà. Quand on n’est pas pressé, on peut éviter ce passage scabreux en allant faire le grand tour par Fure, quatre ou cinq kilomètres de plus mais on n’a pas besoin de numéroter ses os. De Moirans à Grenoble belle route facile et agréable en plein soleil par exemple  ! Le temps, brumeux tout le matin, a fini par s’élever, le vent du nord qui m’est devenu et va me rester favorable longtemps, a pris décidément le dessus et le beau temps est assuré  ; ma machiné roule sans bruit malgré la cuvette cassée et je me laisse aller au doux espoir de finir sans encombre mon excursion.
Tout à coup je m’entends héler et bientôt un cycliste m’accoste  : Avez-vous une clef anglaise  ? --- A votre service. Je mets pied à terre et fouille dans ma sacoche  ; un deuxième cycliste arrive, compagnon du premier, le genou sanglant et le poignet bandé, conséquences peu graves heureusement d’une pelle ramassée entre Rives et Moirans. Ce sont deux jeunes Lyonnais montés sur des bicyclettes légères, sans frein et sans le moindre outil, ni pompe, ni nécessaire, ni clef anglaise. Ils m’avaient vu passer armes et bagages à Moirans et se doutant bien que je devais être muni de tout ce qui leur manquait, ils m’avaient poursuivi. Il s’agissait de remettre en place une pédale qui avait quitté son axe et je doute qu’ils aient pu y arriver d’une façon satisfaisante parce que le filet du bout de l’axe était en bien mauvais état. Dans ce cas on en est quitte pour pédaler sur l’axe, ce n’est pas très agréable, mais j’ai pu faire parfois ainsi 20 ou 30 kilomètres sans trop de peine, il m’est arrivé même de rentrer avec une seule pédale, accidents minuscules qui laissent un vieux routier indifférent. À Voreppe, par un sot amour-propre je m’obstine à faire la montée très raide avec le grand développement. Deux cyclistes me suivaient, un autre cycliste montait à pied, ce n était pas le moment de flancher et puis vraiment, je ne la croyais pas si dure cette ascension à Voreppe  ; à la descente je file grand train les pieds au repos, mais au pied de la montée suivante je me hâte de lâcher les 6 mètres et de prendre 4m,40. Que je ne conserverai pas longtemps, car après Fontanil il n’y a plus jusqu’à Vizille de montée perceptible et le développement de 6 mètres n’est pas déplacé. Depuis Voreppe on circule entre les massifs du Vercors et de la Grande Chartreuse et l’on commence à faire connaissance avec les sommets escarpés étrangement découpés en arêtes, dents, crochets ou aiguilles qui n’ont rien de commun avec les croupes arrondies des collines que chez nous nous appelons montagnes  ; mais on ne voit pas encore de glacier.
À midi moins 10 minutes j’entre à Grenoble  ; je ne m’y arrête pas, filant tout droit sur Pont-de-Claix afin de me rapprocher le plus possible avant déjeuner de La Mure, but de ma première journée.
J’aperçois à Pont-de-Claix, sous de beaux ombrages à droite, un restaurant propret — Café du Globe si j’ai bonne mémoire — je m’y arrête de midi et demi à 2 heures et y déjeune bien à ma fantaisie  : haricots sautés, tomates crues, pommes frites, oseille et fruits, eau pure et café, voilà tout mon menu  ; et dire qu’il y a encore tant de bons esprits imbus du préjugé que sans viande et sans vin on ne peut fournir un travail considérable  ; j’aurais voulu les avoir, deux heures plus tard, à mes côtés, entre Vizille et Laffrey  ; en fait de travail considérable en voilà un, je crois, ou je ne m’y connais pas, et ce n’est pas avec un estomac gavé d’alcool et de viande qu’on pourrait en venir à bout, immédiatement après avoir parcouru 158 kilomètres.
Pont-de-Claix est pour les Grenoblois un but de promenade très gentil, de belles allées y conduisent les piétons, une belle route qui l’année passée était détestable, mais qu’on répare activement, y amène cycles, voitures et automobiles, enfin un tramway et le chemin de fer y apportent les paresseux  ; les moyens de communication ne manquent pas, comme on le voit. Il y a beaucoup d’ombre et beaucoup d’eau  ; le Drac et la Romanche se chargent d’y entretenir une éternelle fraîcheur.
À deux heures, je remonte à bicyclette et me dirige en flânant et en faisant des haltes fréquentes sur Vizille où je ne tiens pas à arriver trop tôt. Je laisse ainsi à la digestion le temps de se faire dans de bonnes conditions,.car il ne convient de n’aborder la dure côte de Vizille à Laffrey qu’avec l’estomac entièrement libre, sous peine de congestion. Chemin faisant, je trouve encore une fois l’occasion de tirer d’embarras un cycliste qui vient de perdre le boulon de sa chaîne et qui me demande si je n’aurai pas par hasard, dans mes bagages de quoi la réparer sommairement. Je cherche, mais ne trouve rien qu’un bout de ficelle qui résistera tout de même pendant quelques kilometres jusqu’à Vizille. Si je n’avais été fermement résolu à farnienter j’aurais offert à ce confrère en détresse de le remorquer  ; ce n eût pas été la première fois et ce n’est pas une tâche bien ardue.
Je traverse Vizille dont tous les habitants sont en fête, il n’est pas de fenêtre qui n’ait son drapeau  ; de toutes les localités y compris Grenoble, que j ai traversées ce jour-là, je n’en ai point va de plus pavoisées  ; est-ce à cause de Casimir Périer dont le château historique est le plus bel ornement de la ville  ?
Les gens qui n’ont rien à faire et qui paressent sur le pas des portes s’amusent à épiloguer sur le compte des gens qui passent. Le bagage que je trahie sur ma roue motrice, m’attire quelques observations, oh  ! pas méchantes, qui me prouvent qu’on n’est pas habitué à voir des cyclotouristes en tenue de campagne et qu’on me prend pour un étranger. Cependant, je porte la coiffure alpine, le béret bleu et non le casque en liège et mon costume n’a rien d’exotique, mais c’est mon bagage qui, paraît-il, n’est pas ordinaire.
À 3 heures et demie, je traverse le Drac et m’arrête à une auberge qui se trouve exactement au pied de la fameuse rampe Vizille-Laffrey.
J’y bois une bouteille de limonade en prévision de la suée qui m’attend et je place ma chaîne sur mon plus faible développement 2m,5o. Pendant que je fais mes préparatifs de départ, le patron de rétablissement s’approche et me demande si j’ai sérieusement l’intention de faire la montée sur ma bicyclette.
— Dame, lui dis-je, je l’ai amenée ici dans ce but.
— C’est que je n’ai vu encore que deux cyclistes qui aient pu arriver jusqu’au bout  ; tous ceux qui l’essaient vont à peine jusqu’au premier tournant (à 100 mètres de là).
— Bah, je vais toujours essayer à mon tour, et puisqu’on voit d’ici le sommet de la côte regardez si je n’y suis pas dans trois quarts d’heure ou une heure au maximum.
Et j’y allai courageusement tout le temps, parfois rageusement, car il y a des passages véritablement durs à avaler, les cinq cents mètres par exemple qui suivent immédiatement le hameau que l’on atteint à deux kilomètres environ du pont. D’un omnibus qui descendait plein de voyageurs, des bravos et des encouragements partirent à mon adresse et tout le long du chemin je recueillis des éloges quelquefois légèrement ironiques de gens qui doutaient fort que j’allasse jusqu’au bout. J’y arrivai pourtant en 50 minutes sans avoir mis pied à terre une seule fois, mais non sans avoir été obligé à plusieurs reprises de ralentir pour éviter l’essoufflement et pour jouir aussi du magnifique panorama qui se développe à mesure que l’on s’élève. La selle oscillante me fut en cette circonstance d’un grand secours  ; je suis persuadé que sans elle, je n’aurais pu accomplir cette performance. Les cyclistes poussant leur machine et les voitures mettent, m’a-t-on dit, 1 heure 45 pour gravir ces 6.400 mètres de rampe continue à 9 1/2 % en moyenne et qui à certains endroits va certainement à 12 %. C’est une des plus rudes montées que j’aie jamais faites, elle est comparable à celle de la Tronche au col de Portes  ; il ne serait pas prudent de l’entreprendre avant de s’être un peu échauffé et d’avoir préparé le cœur à ce travail exceptionnel. Chemin faisant, je me demandai s’il était réellement plus avantageux de faire de telles côtes en machine qu’à pied et la question peut être mise en discussion. Pour des raidillons de quelques centaines de mètres je répondrais sans hésiter  : il vaut mieux aller à pied et pousser sa machine, mais pour des côtes de cette longueur, mon avis est qu’il vaut mieux les faire en machine quitte à suer un peu plus que d’habitude. Dix minutes de repos au sommet vous remettent en meilleur état que celui qui arrive après avoir poussé pendant deux heures, travail qui n’est pas négligeable et qui fait suer aussi et vous conservez néanmoins sur celui-ci une heure d’avance. Quelle que soit la lenteur avec laquelle on pédale, on peut tabler, sauf cas exceptionnels, sur une vitesse double de celle de la marche  ; j’entends par cas exceptionnels la montée Vieille-Laffrey par exemple avec violent vent contraire ou avec soleil tropical  ; j’étais favorisé par le vent et par l’ombre de la montagne  ; malgré cela, j’avoue que c’était dur. Oh  ! par exemple, je fus bien récompensé de cet instant de fatigue parle délicieux trajet de Laffrey à La Mure  ; je ne connais rien de plus charmant, pas de paysage plus poétique, pas de route aussi agréable pour un cycliste. On côtoie trois lacs successifs dont le premier, le lac de Laffrey, est incontestablement le mieux fait pour plaire. Je m’arrêtai un instant sur ses bords pour me calfeutrer de journaux, l’air à ces hauteurs devenant très frais, et pour admirer l’encadrement verdoyant à droite, grisâtre à gauche que la nature a mis autour de ces eaux limpides et d’un bleu intense. La route s’avance vers La Mure par une succession de montées faibles et de descentes suffisantes pour vous entraîner à un train de prince, mais sans danger. Il y avait bien çà et là des bêtes à cornes et des moutons paissant sur les bords, mais les bergers avaient soin de les écarter de la chaussée et je passais rapide comme une automobile, les pieds au repos mais toujours le frein sous la main et le pied prêt à s’appuyer sur le bandage de la roue directrice, une façon de freiner qui en vaut une autre et qui exige simplement un peu de pratique pour éviter le coincement de la pointe du soulier sous la tête de fourche.
À 6 heures, j’entrai à l’Hôtel de la Gare, la première maison que l’on trouve en arrivant à droite  ; M. de Baroncelli recommande cet hôtel et après lui j’en viens faire l’éloge  : le patron, M. Marron est un excellent homme plein de prévenances pour ses clients et Mme Marron s’entend merveilleusement à préparer le potage aux légumes, avec beaucoup de légumes. Je passai à La Mure une excellente soirée et une bonne nuit malgré le tapage nocturne qui est le fatal corollaire de toute fête, nationale ou non. Dès mon arrivée après avoir fait un brin de toilette, j’avais visité la ville et recueilli quelques renseignements sur la route que j’aurais à suivre le lendemain  ; la ville est proprette, gaie et tout y respire l’aisance qu’apporte un flux incessant de visiteurs et de touristes. L’Hôtel de Ville étale sa superbe façade en face de la route qu’elle semble barrer  ; des breaks d’excursion à trois et quatre banquettes débarquent leurs voyageurs, les cafés sont garnis de consommateurs et le vent du Nord, froid pour tous ceux qui n’ont pas franchi 180 kilomètres dans la journée mais qui ne me paraît que rafraîchissant, fait ondoyer les drapeaux tricolores. Les renseignements que je sollicite tant sur les distances que sur les difficultés de ma route du lendemain me sont fournis de la meilleure grâce du monde par M. Marron et par un très obligeant voyageur de commerce descendu au même hôtel.
Un funeste hasard veut que je n’en profite pas et que dès le premier kilomètre le lendemain matin je commette une lourde gaffe qui m’a valu au moins 12 kilomètres de rabiot à travers des chemins impossibles.
À quatre heures du matin le 15 juillet je quitte l’hôtel de la Gare sans tambour ni trompette, mais avec une copieuse jatte de riz dans l’estomac, lest qui me permet de travailler plusieurs heures à l’abri de la fringale  ; je tourne à gauche en face de l’hôtel Pelloux, puis à un croisement de routes sans consulter ni ma carte ni le poteau qui se dresse devant moi, je tourne à droite. Quos vult perdere Jupiter dementa  ! J’étais tout à la joie de la descente qui m’entraîne, des kilomètres durant, jusqu’à un pont supendu, hardiment jeté sur un torrent mugissant à deux cents mètres plus bas entre deux parois lisses de rochers. La descente avait eu lieu à travers bois et prés et je me trouvais soudain en présence de la nature sauvage et abrupte. Quel était ce torrent  ? le Drac sans doute  ; je traverse le pont à pied et déploie ma carte. Je ne reconnais pas mon erreur car un malicieux caprice de dame nature a voulu que les deux ponts, celui où je me trouve, sans m’en douter, et celui où je devrais me trouver soient l’un et l’autre placés, par rapport aux torrents qu’ils surplombent, dans la même orientation. Tiens, ce n’est pas le Drac, c’est la Bonne et je compare ironiquement les minces filets bleus qui désignent indistinctement sur la carte les torrents royaux des Alpes et les ruisselé que j’ai traversés la veille dans la plaine.
Or, ce n’était pas la Bonne, c’était bien le Drac que je franchissais de si haut sur ce pont fragile et le hasard m’avait conduit à l’un des sites les plus extraordinaires que l’on puisse voir  ; comme à l’époque des grandes eaux ce torrent doit monter avec rapidité dans un lit aussi étroit  ! La route en remontant sur la rive gauche longe pendant quelque temps le Drac, à peine protégée contre l’attirance du gouffre par un faible parapet de pierre, fenestré çà et là pour le passage des eaux.
J’ai replié ma carte et je continue avec le développement de 3m,30 jusqu’au prochain village qui doit être, un peu à droite de la route, Saint-Laurent  ; or me voici tout à coup dans un village à cheval sur plusieurs routes  ; personne ne se montre  ; j’enfile une belle avenue bordée de beaux peupliers et je descends jusqu’à un petit ruisselet  ; de l’autre côté ça remontait assez durement, je réexamine la carte et des doutes enfin s’élèvent en mon esprit. Dare dare, je rebrousse chemin jusqu’au village et j’interroge  :
— Suis-je bien ici à Saint-Laurent  ?
— Ah  ! mais non, vous êtes à Saint-Jean- d’Hérans.
D’un rapide coup d’œil sur la carte je reconnais ma position et mon erreur.
Je ne puis pourtant pas me résoudre à remonter à La Mure et je demande des renseignements sur l’état des chemins d’abord et de la route ensuite qui conduisent de Saint-Jean-d’Hérans à Corps. On me donne ma direction, ce qui ne m’empêche pas de me tromper deux ou trois fois et de revenir sur mes pas pour demander de plus amples informations  ; à ce manège, je perds une heure avant d’atteindre par Saint-Sébastien la route de Afens à Corps. Cette route est bonne comme sol et convenable comme tracé, mais elle est obligée de franchir plusieurs ravins successifs assez profonds, et dame, il faut bien qu’elle descende pour remonter ensuite. Le paysage est nouveau  : à droite se dresse un rocher anguleux qui cache encore en ses replis des paquets de neige  ; le soleil qui jusqu’alors s’était tenu coi derrière les nuages s’en dégage et projette quelques rayons sur ces rochers neigeux  ; l’effet est très heureux  ; à gauche s’étend parallèlement à la route la dépression profonde dans laquelle coule le Drac.
Après la Croix de la Pigne où un chien hargneux, que je fus obligé d’éloigner d’un coup de revolver, fit tout ce qu’il put pour me saisir le mollet, je plongeai par une série de lacets très serrés jusqu’au pont du Sante t et traversai pour la deuxième fois le Drac à son entrée dans la gorge rocheuse, plus resserré, plus grondeur, plus furieux que je ne l’avais vu deux heures auparavant. Je recommande cette route et ces deux ponts aux amateurs du pittoresque farouche  ; on n’en voit pas souvent de semblables et je ne regrette pas le détour involontaire qui me força à y passer.
Au bout du pont commence une montée dure de 3 kilomètres jusqu’à Corps, je la fais avec 3m,30 et j’avais déjà laissé 2 kilomètres derrière moi lorsqu’une malencontreuse épine perfore mon pneu de devant qui se dégonfle presque incontinent, je finis à pied la montée et entre à Corps en tenant mon cheval par la bride. Pendant qu’on me prépare au Café des Alpes à déjeuner, je répare en quelques minutes mon Michelin blessé. Cependant le temps passe et huit heures sonnent  ; j’aurais dû être à Corps à 6 heures et j’aurais en le temps de monter jusqu’à La Salette qui n’est qu’à 6 kilomètres de là.
Je quitte Corps à huit heures et demie après avoir appris que Gap est distant de 38 kilomètres et que la route n’est pas fameuse  ; je compte bien cependant être à Gap à onze heures.
La route est mauvaise, en effet, à la descente comme à la montée  ; les eaux qui descendent des montagnes l’ont à certains endroits tellement ravinée ou ensablée qu’il faut, bon gré mal gré, mettre pied à terre, surtout à la hauteur de Saint-Firmin et au passage de la Severaise.
Mais tout à coup, comme par enchantement un ou deux kilomètres avant Chauffayer, la route se transforme et des pires passe parmi les meilleures  ; pour la troisième fois depuis le matin je traverse le Drac qui se présente ici sous un aspect relativement débonnaire  ; à la largeur de son lit on voit bien jusqu’à quelle impétuosité il peut aller, mais ce jour-là rien ne le met en colère et il serpente sans grande hâte à travers sables et galets.
La route toujours très bonne remonte le Drac qu’elle touche presque constamment  ; vaguement ondulée elle me fournit de temps en temps l’occasion d’une descente pieds au repos, exercice que j’affectionne  ; par exemple elle manque d’ombrage et le soleil devient d’un chaud mais d’un chaud qui m’oblige a recourir aux grands moyens et à me coiffer sous mon béret d’un mouchoir mouillé que je retremperai dans l’eau tous les dix kilomètres  ; l’eau ne manque pas heureusement, à chaque instant, je traverse de petits ou de gros ruisseaux, dont une partie est dérivée dans le fossé qui borde la route, de sorte que je me sens presque rafraîchi par le constant gazouillis de l’eau qui court à mes côtés. Bientôt j’aperçois à ma gauche de l’autre côté du torrent, perché à mi-coteau, un gros bourg Saint-Bonnet et, non loin de là, je m’éloigne du Drac que je ne reverrai plus, et devant une montée passablement raide (7 à 8 %) de 1 à 3 kilomètres, je mets pied à terre à Bruttinet pour passer de 4m,40 à 2m,50  ; les voitures prennent là des renforts, mon tout petit développement m’en tiendra lieu et je marcherai encore à 8 ou 9 kilomètres (cadence de 50 à 60 tours de pédale à la minute).
Je suis du reste condamné à n’user pour le restant de mon voyage que de mes deux multiplications de droite 4m,40 et 2m,5o  ; celles de gauche, côté de la cuvette brisée, 6m,04 et 3m,30 dont j’ai voulu à diverses reprises me servir, déterminent dans la partie malade du moyeu un frottement suspect dont je ne m’explique que trop la cause  ; or comme je crains en démontant la roue de ne pouvoir remettre les choses en état et d’être obligé de revenir par le train, je fais comme les malades qui préfèrent vivre avec leur maladie et se soumettre à ses caprices plutôt que d’aller voir le médecin et connaître par lui l’étendue du mal dont ils souffrent de crainte de ne pouvoir ensuite le supporter. Je ne contrarierai donc pas cette coquine de cuvette en lui imposant un travail qui la fait ronfler et j’irai tant que ça ira, m’en remettant à la Providence du soin de ne pas me laisser dans un trop grand embarras  ; je me hâte de reconnaître qu’elle s’en est bien acquittée et de la remercier.
Après avoir bien sué sous mon mouchoir mouillé, je me trouve au haut de la rampe à Laye  ; la montée persiste mais très modérée et je reprends 4m,40 jusqu’au col Bayard (alt. 1246). J’avais déjà les pieds au repos et j’allais me livrer à l’ivresse d’une descente de plusieurs kilomètres quand un large poteau du T. C. F. attire mes regards. Diable  ! est-ce que ce serait une descente dangereuse  ? J’appuie le bout du pied sur mon pneu d’avant et je stoppe en quelques mètres. Un passant s’était arrêté déjà pour voir jusqu’où irait mon imprudence. Il parut satisfait de me voir mettre pied à terre et avant même que je l’interroge il me crie  : La descente est mauvaise, prenez garde aux tournants.
Parfait, ce me sera donc une première occasion pour me servir de mon frein facultatif à sabot sur la roue motrice qui depuis le départ pend sous ma selle, je l’installe en un clin d’œil et je bille vigoureusement, à tel point que malgré la raideur de la pente je ne bouge pas de place  ; je détords la corde et prends une allure de 10 ou 12 kilomètres à l’heure que j’augmente graduellement à mesure que je me familiarise avec cette descente qui a en effet de très mauvais tournants mais dont la déclivité ne me semble pas dépasser 7 %. L’estimation du pourcentage d’une pente est plus difficile à la descente qu’à la montée. Inutile de dire que je n’ai pas cessé d’avoir les pieds sur les repose-pieds et que je ne me suis pas fatigué une minute à contrepédaler, travail négatif, absurde à mon avis.
J’entre à Gap à 11 heures moins le quart, bien en retard sur mes prévisions de la veille et comme, chemin faisant, j’ai modifié mon itinéraire de retour qui, du Lautaret me ramenait à Grenoble par une route déjà parcourue l’année passée, et qui du Lautaret me conduira par le Galibiers à Chambéry, je me décide à prendre le train quelque part entre Gap et Briançon afin d’aller coucher au Monétier-de-Briançon. Je passe devant la gare où je reviendrai tout à l’heure m’informer de l’heure des trains et vais faire le tour de la ville  ; quelques places, des statues, de nombreux soldats, puis d’étroites ruelles où je m’enfonce au petit bonheur  ; j’arrive devant un échafaudage qui me cache la cathédrale et je tombe en plein marché  ; j’en profite pour remplir mon sac de pêches, de raisins et de gâteaux, élément du repas que je prendrai dans un moment sur les bords bien ombragés d’un limpide ruisselet et je me rends à la gare où j’apprends d’un employé que le premier train pour Briançon ne partira pas avant 2 heures ou 2 heures et quart  ; venant d’un employé c’est un peu vague mais cela me suffit. Tout est pour le mieux, j’aurai donc le temps d’aller l’attendre à quelque station intermédiaire et comme ma route passe justement à deux pas de là, je remets ma veste sur le guidon, je rattache mon frein sous la selle et je pars sous toute petite voilure toujours avec le vent dans le dos  ; il est 11 heures 1/2.
Non loin de Gap je m’arrête pour me doucher, manger mes fruits et mes gâteaux, faire la sieste et je ne me mets résolument en selle qu’à midi et demi.
Un beau brin de route, ma foi, qui m’a fourni bien des occasions de descentes à folle allure et que je reparcourrais volontiers.
Depuis quelque temps je n’ai rien dit du paysage  ; il est constamment fort beau bien que relativement peu varié  ; les pics neigeux sont spectacle fréquent entre Corps et Gap et les hauts sommets m’entourent tantôt secs, arides, gris, ternes, farouches, tantôt boisés, verdoyants, fertiles, riants, cela dépend du côté où l’on regarde.
La Bâtie-Neuve, le premier village que je traverse, a conservé son vieux château-fort qui s’allonge décrépit sur le bord même de la route et, qui doit être bien surpris de voir passer des cyclistes où passèrent autrefois les destriers des grands seigneurs ou les haquenées des évêques se rendant à Briançon. À Chorées je me rafraîchis rapidement à une fontaine à double bec qui coule à l’entrée du village car je commence à espérer que je puis arriver à Embrun avant le train et plus j’irai loin plus je serai enchanté tant la route est belle et le pays agréable. Mais voici qu’en sortant de Chorges un mauvais génie ou pour mieux dire ma carte d’État-major m’induit en erreur  ; au lieu de prendre à droite et de suivre le ruisseau des Moullettes je me fie au tracé de la carte et file droit devant moi. Quel changement soudain  ! la route est empierrée d’une étrange façon et l’herbe y pousse entre les cailloux, on dirait une route abandonnée dans le genre de celle de Saint-Etienne au Puy. Elle descend pourtant et sa direction correspond à celle de la carte, je tourne à gauche, la pente s’accentue et le sol devient impraticable  ; mais je ne m’arrête pas pour si peu et les pieds sur les pédales pour amortir les chocs je passe où personne ne passe plus et je fais lever devant moi des geais et autres oiseaux sauvages qui se tiennent généralement loin des lieux fréquentés. La pente n’est pas très rapide, quel dommage que je ne puisse la dévaler à toute vitesse  ! De temps à autre j’aperçois la Durance vers laquelle je plonge et que je vais remonter jusqu’à Briançon. Enfin me voici au bout de mes peines, je traverse le chemin de fer et débouche sur la grande route. J’apprends alors d’une bonne femme qui sort de sa maisonnette que je suis venu par l’ancienne route et que j’aurais dû à Chorges prendre la nouvelle route  ; presque tous les cyclistes qui descendent font comme moi... Vous avez souffri, pauvre monsieur  ! conclut-elle  ; ah  ! je vous crois, que j’ai souffri  ! moins pourtant que si au lieu de descendre il avait fallu monter. Tout est bien qui finit bien, mais l’éditeur des cartes au 1/200000 de l’État- major ne ferait pas mal de rectifier le tracé de la route de Chorges à la Durance, il y a plus de dix ans que cette rectification devrait être faite.
Si le Drac peut se dire torrent royal, la Durance a le droit de se qualifier torrent impérial  ; elle est de belle venue et quand je la traverse au pied de Sapines elle est impressionnante par le tumulte de ses eaux écumantes  : or, il paraît qu’elle n’a jamais été si calme et qu’il faut la voir au moment des crues soudaines du printemps.
Je traverse Savines en grimpant pour redescendre ensuite et regrimper  : je ne fais que pela depuis Gap mais pour finir on descend plus que l’on ne monte, le pont de la Durance à Embrun étant sensiblement plus bas que Gap. Tout à coup et en pleine descente halte et pied à terre  : la route a été emportée par quelque trombe et l’on passe dans une sorte de lit de torrent à sec, pendant quelques centaines de mètres, puis la route redevient très belle et la descente en ligne droite reprend jusqu’au village des Crottes que j’aperçois au loin. Personne sur la roule ensoleillée. Ah  ! cette fois rien ne m’empêche de me laisser emporter avec là vitesse d’un train express  ; pieds au repos et tête baissée je roule, je glisse, je plonge...vraiment je ne croyais pas si bien dire, ma bicyclette plonge en effet jusqu’au moyeu dans les eaux très impétueuses d’un torrent dont on a tout tranquillement creusé le lit à travers la route. J’aurais peut-être bien eu le temps de m’arrêter et de passer sur le trottoir inondé lui aussi, mais à quoi bon  ? puisque les voitures y passent j’y passerai bien aussi et je n’ai pas même serré le frein, je maintiens fortement mon guidon pour que le courant ne me fasse pas dévier et je passe sans me mouiller les pieds. Les roues, par contre, entraînent deux gerbes d’eau qui m’inondent l’une le dos, l’autre les jambes, douche complète.
Et dûment crotté j’arrive aux Crottes d’où je descends plus lentement jusqu’à la Durance, laissant au soleil le soin de me sécher, soin dont il s’acquitte du reste promptement.
En levant les yeux j’aperçois alors Embrun perché comme une citadelle sur un rocher très élevé et à pic du côté de la Durance. Voilà une ville qui n’a pas dû exiger de grands travaux d’art pour être fortifiée et cette position exceptionnelle a dû être très appréciée au bon vieux temps quand on se battait à coups de matraque.
Je grimpe à Embrun-Gare avec 4m,40 du 5% environ pendant 2 kilomètres  ; une automobile descend à fond de train en cornant, teuf-teufant et m’empoussiérant  ; faut-il dire que c’est la première fois que je rencontre un de ces véhicules et que je n’en verrai aucun dans les parties accidentées de mon itinéraire. Je ne crois pas que le moto-tourisme soit mûr de sitôt et il y a encore bien à faire pour rendre ces instruments pratiques  ; il faut surtout sortir de la voie où l’on s’engage de plus en plus et cesser de travailler en vue des courses de vitesse, sinon on court le risque de faire de l’automobile ce qu’on a fait de la bicyclette  : un jouet inutilisable pour tout service pratique et utilitaire.
Nous venons de voir passer à Saint-Étienne les débris de la grande course du Tour de France organisée par le Matin  ; sur 66 partants, il n’en est passé que 20 à Saint-Etienne et ce n’était que la troisième étape  ; lorsque les quatre dernières étapes auront décimé à leur tour ces vingt braves je me demande combien rentreront à Paris  ; cinq peut-être à moins que par un truquage habile on ne comble le déficit. Ce piètre résultat confirme ce que je viens de dire.
Je descends à 2 heures 1/2 devant le café de la Gare où, en attendant le départ du train à 3 heures 20 je trempe quelques tranches de pain dans une tasse de café, combustible pour la fin de l’étape. Le train m’emporte à une vitesse très modérée et en voyant par la portière la route toujours belle suivre la pente de la voie tantôt à droite, tantôt à gauche, je me prends à regretter de l’avoir quittée et je me promets de la suivre quelque jour. Il y a çà et là, de très beaux points de vue  : Mont-Dauphin, montagne crénelée, Saint-Crépin, village perché sur un monticule et dont les maisons sont serrées les unes contre les autres comme des moutons qui se seraient réfugiés sur un tertre pour échapper à inondation, les gorges au fond desquelles gronde la Durance à la hauteur de l’Argentière  ; tout est à voir.
À 5 heures r/4, le train entre en gare, et débarquent quelques cyclotouristes admirablement équipés, auprès desquels je fais triste figure, des alpinistes armés de pied en cap et des soldats. Briançon est une ville essentiellement militaire.
Bien que la langue nous ait été donnée pour nous en servir, je néglige vraiment un peu trop de faire usage de cet appendice, cela m’a déjà valu quelques kilomètres de supplément et cela me vaut encore l’agrément de monter au sommet de la ville et d’en redescendre pour y regrimper illico. À la première ascension, je ne vais pas assez loin pour apercevoir l’amorçage de la route du Lautaret, je ne trouve personne pour me renseigner et craignant une erreur, je redescends jusqu’à un chemin que m’indique ma carte et qui va à Forville  ; j’allais m’y engager lorsqu’un cycliste du pays a l’obligeance de m’arrêter et de m’avertir que ce chemin est très mauvais et que j’aurais meilleur compte à aller rejoindre la route d’en haut.
— Mais j’en viens et ne l’ai pas vue.
— C’est sans doute que vous n’êtes pas allé assez loin. Je m’étais arrêté à la route qui descend à Briançon et qui, d’après ma jugeotte devait coïncider avec celle du Lautaret, laquelle au contraire, aboutit à deux cents mètres au-dessus.
Cette montée n’est heureusement pas bien terrible, non plus que celle qui mène au Monétier-de-Briançon et je conserve le développement de 4m,40 que je n’ai pas eu à changer depuis Laye et que je garderai jusqu’au Lautaret.
La route jusqu’au Monétier est très bonne, et le paysage n’est plus seulement beau, il devient imposant  ; on approche des glaciers et des solitudes éternelles que trouble seul le bruit des avalanches et qu’irrite pendant quelques mois d’été le grattement des piolets taillant des marches dans la neige, prise de possession intermittente de l’homme qui pense ainsi se montrer le maître de la nature alors qu’il n’en est que le jouet.
Je traverse plusieurs villages ou hameaux ayant tous un cachet indéniable de parenté  ; ce sont partout les mêmes maisons grises aux toits fortement pontés, c’est le même clocher massif carré presque jusqu’au haut et surmonté d’une pointe écrasée, très différent des clochers sveltes, à flèches élancées, de la plaine.
Cette architecture est-elle vraiment nécessitée par les neiges ou bien est-ce simplement par routine qu’on construit aujourd’hui comme on construisait il y a cinq cents ans  ? L’on voit pourtant au Monétier des maisons en tout semblables aux nôtres et qui ont l’air de résister très bien aux intempéries.
Mon admiration pour la nature inviolée auprès de laquelle je passe, ne m’empêche pas de songer aux prescriptions de l’hygiène, et un joli ruisseau qui cascade à ma droite, me fournit l’occasion d’une jolie douche, après laquelle je me bouchonne vigoureusement et me calfeutre de journaux, le vent fraîchit à mesure que le soleil s’abaisse et il s’agit d’être prudent  ; rien en effet, dans les pratiques de l’hygiène par l’hydrothérapie, n’est aussi près du mal que le bien  : une fausse manœuvre et vous voilà sur le flanc.
Le Monétier où j’entre à 6 heures 40, 1 heure 1/4 après avoir quitté Briançon, est plein de soldats  ; les uns jouent aux boules, les autres font leur lessive, ceux-ci se promènent en fumant, ceux-là vaquent aux besoins du service. Leur présence met quelque animation dans ce bourg, qui, sans eux, serait morne.
Un habitant m’indique l’hôtel Allier à gauche, presque à l’extrémité du village. J’y suis très bien accueilli, et après avoir changé de linge, je vais, en attendant l’heure du repas, faire un tour dans le village  : c’est l’heure où le bétail revient des pâturages, les puissants mufles des ruminants barbotent une dernière fois dans les ruisseaux où l’eau coule à pleins bords, et ces braves bêtes dont je vais goûter l’excellent lait paraissent entrer à regret dans l’étable, je comprends ça.
Je me mis à table à huit heures, bien reposé et disposé à faire grand honneur au menu végétarien que j’avais demandé  : potage aux légumes, beurre, tomates, épinards, riz et fruits, lait chaud à discrétion. Là-dessus j’allai faire une promenade de digestion, au cours de laquelle je vis soudain un beau croissant de lumière descendre entre deux pointes de rochers dans le massif du Pelvoux et la lune éclairait d’une façon étrange la neige qui étincelait mollement, sans fulgurance, sous cette blafarde clarté. Cette vision dura peu et l’ombre se fit plus profonde quand Phébé eut disparu parmi les arêtes innombrables et inaccessibles qui percent les glaciers.
Je ne fis qu’un somme et 4 heures sonnaient quand je m’éveillai  ; ma chambre était vaste, aérée, le lit d’une propreté irréprochable  ; je laissai toute la nuit, suivant mon habitude, la fenêtre ouverte afin de respirer un air constamment pur et je me trouvai, musculairement parlant, au moment d’entreprendre ma troisième étape dans les meilleures conditions possibles.
En guise de premier déjeuner, j’absorbai la pâtée de riz réglementaire, arrosée d’une tasse de thé froid, et je partis sous un ciel d’une pureté divine, dans une atmosphère d’une limpidité parfaite, sur une route excellente encadrée par les tableaux les plus grandioses que nous ait encore offerts le Créateur.
Et voici qu’une flèche d’or, passant à des milliers de mètres au-dessus de ma tête, vint frapper avec tant de violence la cime des rochers neigeux que la lune caressait quelques heures auparavant, qu’il en jaillit des gerbes d’étincelles ensanglantées. Le roi du monde, le magnifique dispensateur de lumière, de chaleur et de vie, le soleil lançait ses premiers rayons, dardait ses premières flammes et la nature s’éveillait. La gorge où je rampais m’en parut plus sombre et mes yeux cherchaient en haut la lumière.
Il y a des cyclistes à qui la solitude pèse et qui préfèrent rester chez eux plutôt que de s’en aller seuls par les grands chemins à la recherche de sensations nouvelles, de spectacles invus  ; je les plains.
Admirer à deux est assurément préférable, surtout quand l’un s’appelle Jeunesse et que l’autre se nomme Amour  ; mais admirer seul vaut encore mieux que ne pas admirer du tout.
La magnificence du spectacle fut courte, les flamboyants reflets, les lueurs fulgurantes s’éteignirent peu à peu et la neige reprit sa face morne et froide bien qu’éclatante sous les feux qui la dévorent et qui la transforment en eau et en vapeur.
Je pédalais nonchalamment mais sans faiblesse d’autant plus que la rampe n’est pas forte, qu’il faisait frais et que j’étais très dispos, mais je ne me pressais pas par exemple et mettais pour un rien pied à terre  ; dans chaque ruisseau j’allais plonger les mains ou les lèvres  ; une fleur me plaisait, je la cueillais  ; une croix plantée sur le bord du talus attira mon attention. Ici, m’apprit l’inscription qu’elle portait, mourut le 23 mai 1865, à l’âge de 33 ans (le nom m’échappe). Et de penser comment et pourquoi cet homme était mort là occupa un instant ma pensée. Est-il une place ici-bas, aussi étroite soit-elle qui n’ait encore vu mourir un homme et la terre que nous remuons, le sol sur lequel nous marchons, l’air que nous respirons, est-ce que tout cela n’est pas fait en grande partie de poussière humaine  ?
Un tunnel puis un autre sur lequel passe un lit de torrent  ; ils sont courts et éclairés par des ouvertures latérales  ; j’arrive au Lautaret sans avoir vu le chemin du Galibier et je suis obligé de redescendre d’un bon kilomètre et demi, voilà ce que c’est que d’être distrait  ; mais c’est un peu la faute du T. C. F. qui devrait placer à l’embranchement de ce chemin presque muletier un poteau indicateur.
Je n’aime pas, on le sait, faire les montées à pied  ; mais cette fois je m’incline devant 14% d’inclinaison et un sol mouvant sur lequel jamais rouleau n’a passé. Ce serait du reste un sacrilège que de se hâter à franchir les cinq ou six kilomètres qui me séparent du col du Galibier alors que derrière moi, devant moi, autour de moi je ne découvre que de merveilleux panoramas.
Eh que vois-je  ? des traces toutes récentes de bicyclettes  : tout à l’heure je me suis entendu licier  ; je suis devancé par des confrères qui ont passé la nuit au Lautaret. Bravo, vive le cyclotourisme. Que n’y a-t-il aussi par là quelques motocyclistes et quelques chauffeurs  ! Ah, les pôvres, quelle triste figure ils feraient  !
Je passe très peu rassuré à côté de bêtes à cornes qui me font de gros yeux et qui paissent autour de misérables huttes qu’on décore du nom de chalets  : la pente, un moment après, s’adoucit un peu et j’essaie de finir la montée avec mon développement de 2m,50, ce n’est, en somme, pas plus dur que la côte Vizille-Laffrey et ce n’est pas long, car je me trouve à l’improviste après un dernier tournant sur un plateau en face du tunnel, à 2600 mètres d’altitude  ; le col au-dessus du tunnel où passait autrefois la route est de 58 mètres plus élevé. Je suis entouré de neige  ; sur le tunnel grimpent cinq cyclistes qui ont fait hisser leurs machines par les bergers des chalets de la Mandette. Il est 7 heures 1/12, je suis parti à 4 heures 1/12, je n’ai pas brûlé l’étape  ! Mais tout ce que j’ai vu est si beau  ; les champs de neige succédant aux champs de fleurs, font un effet très pittoresque. On a de là-haut une vue très étendue sur les glaciers du Pelvoux, mais il faut, pour en jouir, de meilleurs yeux que je n’en possède et je dois me contenter des alentours immédiats et du spectacle panoramique du massif.
Je m’engage à pied sous le tunnel de 400 mètres où je patauge à plaisir pendant dix minutes  ; j’essaie de monter, mais la boue est si gluante que je ne puis faire trois tours de roue et j’en suis réduit à barboter dans une profonde obscurité, exercice qui me déplaît souverainement et qui me cause toujours une impression désagréable.
De l’autre côté, je trouve les cinq bicyclettes dont les plaques m’indiquent que les excursionnistes qui me précèdent depuis le Lautaret sont des Lyonnais. L’un d’eux est, paraît-il, au dire des petits bergers, un habitué du col du Galibier où ils l’ont déjà vu plusieurs fois. Voilà un vrai touriste  : je ne vois pourtant à sa machine qu’une multiplication.
À mon tour, je vais les précéder, car ils ne semblent pas disposés à se mettre en route de si tôt et je veux aller déjeuner au plus vite à Valloire. Je bille mon frein et je dégringole les pieds au repos, en une petite heure, les 18 kilomètres de descente continue qui de 2.600 mètres au Galibier me ramènent à 1 430 mètres à Valloire. Au départ, je passe entre deux murailles de neige fondante qui transforme le chemin en ruisseau. La pente est de ce côté, bien moins forte que du côté du Lautaret et malgré quelques coudes assez brusques, elle ne présente aucun danger. Le paysage n’est aussi plus du tout le même  ; les prairies sont moins fleuries et les flancs des montagnes sont uniformément d’un gris ardoisé. À peu de distance du sommet on rencontre les chalets du Galibier qui font pendant aux chalets de la Mandette mais paraissent moins sordides  ; les prés sont tout autour semés de blocs de rochers entre lesquels paissent quelques bêtes à cornes.
La route suit de nombreux lacets qui m’obligent à une attention soutenue, traverse plusieurs fois le torrent et arrive enfin dans le vallon où la pente qui s’adoucit me permet de diminuer la pression de mon frein et de filer grand train  ; ni passants ni voitures, je suis absolument seul entre ces montagnes qui se font de plus en plus hautes à mesure que je m’enfonce dans leurs replis. Voici quelques maisons, je rentre dans la nature cultivée  ; puis un excursionniste isolé qui m’a tout l’air de vouloir grimper au Galibier, ce qu’il aura chaud  ! Il a déjà mis bas la veste et marche d’un pas relevé. Pourquoi n’a-t-il pas de bicyclette  ?
En approchant de Valloire, il semble qu’on entre, dans une oasis  ; des groupes nombreux se rendant à la messe occupent toute la chaussée et m’obligent à corner incessamment  ; en me voyant arriver à vive allure, les pieds au repos, les bonnes femmes me croient sans doute emballé et s’écartent comme devant un pestiféré  ; mais je les rassure, en m’arrêtant presque net et en les dépassant au petit pas  ; le bagage que je traîne, comme un escargot sa maison, les amuse et sous leurs coiffes à grandes ailes je les entends rire derrière moi.
Valloire, trente minutes d’arrêt, buffet  ! je descends à 9 heures moins le quart à l’hôtel Giraud où je déjeune copieusement au café au lait, avec accompagnement de tartines de beurre excellent et d’une fraîcheur incontestable.
J’espérais vaguement voir passer pendant cette halte les cinq cyclistes que j’avais laissés sur le Galibier, mais personne ne parut et je repartis à 9 heures 1/4 pour Saint-Michel, quatre ou cinq kilomètres de montée très moyenne jusqu’au tunnel du Télégraphe, puis longue descente en lacets qui va me ramener de 1.550 mètres à 700 mètres.
De Valloire au tunnel la route côtoie un précipice profond de plusieurs centaines de mètres au fond duquel gronde le torrent qu’on aperçoit très bien et où l’on dégringolerait en moins de deux minutes si un moment d’inattention vous jetait par dessus les faibles barrières qui séparent la route de l’abîme. La vue est magnifique, les montagnes sont boisées de bas en haut et des villages se cachent çà et là dans la verdure.
Après le tunnel on se trouve mieux protégé contre une chute par les arbres qui bordent la route.
Cette descente faite à très petite vitesse, pieds au repos, a été le moment le plus agréable de ma troisième étape  ; je rencontrai quelques cyclistes et cyclettistes qui poussaient leurs machines à la montée et qui paraissaient avoir bien chaud.
À 10 heures 1/2 j’entrai à Saint-Michel que je ne fis du reste que traverser et qui ne m’a pas laissé de souvenirs particuliers. Je m’arrêtai un peu plus loin pour tâcher de remettre ma bicyclette en état de supporter la grande multiplication  ; mais la cuvette récalcitrante ne voulut rien entendre et après plusieurs vaines tentatives qui me firent perdre vingt minutes, je me mis en route définitivement avec le développement de 4m,40 qui me fit trouver longs les 86 kilomètres de descente douce de Saint-Michel à Chambéry.
Un vent du nord plutôt violent qui ne me laissa pas un instant de répit me fit tout d’abord penser que ce développement moyen répondrait parfaitement aux circonstances  ; mais il n’en fut rien et, sauf quelques passages où le développement de 6m,04 aurait été certainement lourd à mes jarrets (l’arrivée à Saint-Jean-de-Maurienne par exemple), j’aurais marché plus vite et me serais moins fatigué avec ce grand développement qu’avec celui auquel j’étais condamné, sans compter que vent, soleil, poussière, tout conspirait contre moi.
Je ne dirai donc rien de ce long trajet qui m’a laissé sous une mauvaise impression et que je me propose du reste de refaire en sens inverse, quand j’irai au Mont-Cenis. Je m’arrêtai de midi et quart à 1 heure dans un petit café sur le bord de la route, en face de la gare de La Chambre où j’eus grand peine à obtenir de quoi me sustenter.
À Châteauneuf, nouvel arrêt dans un cabaret isolé au bout du pont, et j’arrivai enfin à Chambéry à 5 heures 1/.4. Je fis une halte à l’entrée de la ville, pour mettre un peu d’ordre dans ma toilette et m’acheminai lentement vers la gare, non sans me lester à tout hasard, en passant au milieu d’une fête foraine, de deux de ces pains de safran que j’avais trouvés si bons l’année précédente et qui suffirent à mon repas du soir.
Je fis en arrivant à la gare deux rencontres agréables, celle d’un cycliste stéphanois qui m’apprit qu’il venait d’embarquer dans le train de 5 heures 43 un groupe de nos amis de Saint-Étienne revenant de Turin et que j’avais sans le savoir suivis à quelques heures de distance depuis Saint-Michel, et celle d’un des plus anciens abonnés et collaborateurs du Cycliste, M. R. B., qui revenait d’une excursion de 4 jours dans les Alpes dont le récit paraîtra, je l’espère, ici même, et qui avait manqué de quelques minutes ce même train de 5 heures 43 que j’aurais pu et dû prendre moi-même, si je n’en avais totalement ignoré l’existence et où j’aurais probablement retrouvé mes cinq cyclistes du Galibier.
J’en fus quitte pour attendre a heures le passage d’un express qui arriva à Lyon avec 3 heures de retard, si bien que j’en vins à regretter de n’être pas rentré pedalibus chez moi d’autant plus qu’en descendant à une heure du matin, à demi endormi à la gare des Brotteaux, j’oubliai dans le compartiment mon bagage de touriste qui, malgré une immédiate réclamation au chef de gare, ne m’a pas encore été rendu, perte qui augmente sensiblement le prix de revient des 45o kilomètres de mon excursion, ainsi que me le fit malicieusement remarquer un chauffeur de mes amis à qui je vantais l’économie des voyages à bicyclette.
VÉLOCIO.

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