Extraits du carnet de route de Vélocio (1899)

mercredi 6 octobre 2021, par velovi

Par Paul de Vivie alias velocio, Le Cycliste, 1899, p.187-188, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_6

Dimanche 22 octobre. — Départ de Saint-Étienne à midi  ; temps superbe  ; passage à la gare de Saint-Galmier à I heure  ; 500 mètres de route empierrée sur toute la largeur  ; je pédale quand même. Au pied de Saint-Galmier je passe de 6 mètres à 3m,30 de développement et je contourne la ville, montée dure de deux kilomètres environ, après quoi je prends 4m,40  ; belle route jusqu’à Chazelle où je passe à 1 h. 50  ; très belle vue sur la vallée de la Brévenne, un peu avant Duerne.
J’entre à Duerne à 2 h. 45 avec mon pneu d’avant aplati, perforé par un clou que l’application du frein a arraché en descendant dans le village, je répare facilement et me leste de pain trempé dans du café noir. Je quitte Duerne à 3 h. 15 et atteins le point culminant (borne 27) à 3 h. 30, j’y reprends le développement 6 mètres et me laisse dévaler pieds au repos jusqu’à la Brally (borne 20)  ; la descente ensuite n’étant plus assez forte pour m’entraîner à bonne allure, je pédale vivement et j’arrive à 4 heures au pied de la descente (borne 11,500), vitesse de marche  : 30 à l’heure depuis le point culminant  ; à 4 h. 40 à la Demi-Lune et à 5 heures précises à Lyon-Brotteaux  ; temps de marche 4 heures 1/2  ; distance environ 85 kilomètres.
Le lendemain 23 octobre, départ de Lyon-Brotteaux à 7 heures du matin, brouillard intense dont je ne sortirai qu’à la Maison Blanche. À Vaise je prends le développement 4m,40 que je conserverai jusqu’à proximité de Saint-Étienne, malgré les montées assez dures de la Brally à Yzeron, de Larajasse à l’Aubépin et au-delà.
Je suis à 9 heures à Yzeron en retard d’un quart d’heure sur mon temps habituel  ; avant de pénétrer dans le village je tourne à droite et me dirige par une route nouvelle pour moi et d’où l’on a une très jolie vue, sur Saint-Martin-en- Haut. Après Saint-Martin j’emprunte pendant 4 kilomètres la route départementale qui mène à Saint-Symphorien-sur-Coise et qu’on répare sérieusement en ce moment, puis je bifurque à gauche vers la Coise, que je traverse en un site assez pittoresque  ; une maison absolument isolée au coin de la route porte une plaque à indications peu claires et je dois me renseigner auprès de la maîtresse de céans qui est, ma foi, une fort belle femme qu’aux temps druidiques, en ce coin sauvage et boisé, un Gaulois aurait prise pour une prêtresse du gui sacré, un Hellène pour la déesse des forêts.
En m’élevant sur la rive gauche de la Coise j’ai une vue de plus en plus étendue vers la plaine du Forez que je devine au loin sous la brume. Quant à moi, depuis la Maison Blanche au pied de la montée d’Yzeron, je pédale sous un ciel sans nuage  : je grimpe et je descends sans cesse, pas un kilomètre de plat dans ce charmant pays. Entre l’Aubépin et Saint-Christô-en-Jarez je côtoie un instant une profonde dépression de terrain qui s’étend jusqu’au Gier et de laquelle s’élève jusqu’à moi un brouillard épais et humide proche parent de celui sous lequel j’ai presque grelotté en quittant Lyon  ; j’en conclus que le brouillard couvre encore la vallée du Rhône et ses habitants tandis que les versants tournés vers la Loire sont inondés de soleil. J’ai souvent remarqué ce phénomène tout en faveur des Stéphanois  ; le phénomène contraire se voit aussi, mais moins fréquemment.
À Saint-Christô-en-Jarez je suis, depuis un kilomètre, en pleine descente, je reprends mon grand développement et rentre sans incident à Saint- Étienne à midi précis (environ 85 kilomètres).

Une autre page. — Jeudi 26 octobre, deuxième expérience du transport de voyageur en cabcyclette de Saint-Étienne à Lyon. Mon voyageur, quelques-uns disent mon patient, pèse, tout vêtu de cuir, 70 kilos, la cabcyclette 24 kilos et moi-même 68 kilos, total  : 162 kilos, c’est-à-dire à peu de chose près le double du poids que je transporte quand je voyage seul. Je dispose de 4 développements 4m80, 2m,30 et 1m,55, d’une potence de selle F. N. et de manivelles de 18 centimètres. Le parcours Saint-Étienne-Givors est en pente douce avec quelques montées d’autant plus sensibles qu’il faut les faire avec le développement du plat et de la descente c’est-à-dire 4m,80  ; de Givors à Lyon par Saint-Genis-Laval la route monte constamment jusqu’à Saint-Genis et redescend assez vivement jusqu’à Lyon  ; j’ai recours au développement 3m,75 jusqu’au pied de Saint-Genis, puis à 2m,30 pour la traversée du village et je reviens ensuite à 4m,80.
Déduction faite d’une halte de 30 minutes à Givors, le trajet total de 61 kilomètres (39 de Saint-Étienne-Marengo à Givors et 22 de Givors à Lyon-Bellecour) a exigé 4 heures 1/4 et je suis arrivé en assez bon état pour que j’aie pu faire encore 60 kilomètres (seul cette fois) l’après- midi.
Le temps était beau, chaud même et l’air absolument calme  ; le sol en bon état, sauf entre Briguais et Saint-Genis où la route est absolument défoncée, sauf aussi les 12 ou 13 kilomètres de pavé qui agrémentent régulièrement le trajet et dont en cabcyclette il est impossible d’éviter la plus petite partie.
La vitesse moyenne de marche a donc été de 14.300 à l’heure  ; jusqu’à Givors elle s’était maintenue à 16 et le déchet est dû à la montée constante de 15 kilomètres de Givors à Saint-Genis.
Je suis arrivé beaucoup moins fatigué que le jour où par un temps et des routes absolument identiques j’avais transporté le même voyageur et le même poids total en voiturette attelée à une bicyclette. D’où je conclus qu’il est plus avantageux de porter que de traîner un poids donné, à la condition de s’habituer à la direction beaucoup plus dure quand on porte que lorsqu’on traîne. Cependant lorsqu’il s’agira de transporter un voyageur peu ingambe la cab(bi)cyclette devra être remplacée par le cab(tri)cycle.
Avec le développement de 1m,55 j’ai pu monter le même poids (162 kilos) sur une pente de 6 à 7 p. % à 6 kilomètres à l’heure (effort sur la pédale  : 18 kilog.  ; travail  : 21 kgm. à la seconde).
L’avancement de la selle est indispensable toutes les fois que la résistance à vaincre augmente momentanément  ; c’est la dernière ressource, après laquelle il ne reste plus qu’à mettre pied à terre.
En même temps qu’on avance la selle, il faut hausser la pédale, sinon la jambe ne pourrait se détendre suffisamment et certains muscles de la cuisse seraient vite courbaturés.
Dans toutes les expériences que j’ai faites, soit en gravissant des rampes à 15 et 18 %, soit en transportant des fardeaux, soit en donnant mon maximum de vitesse avec des machines légères et dans les circonstances les plus favorables, j’ai constaté que la façon de pédaler variait sensiblement et que l’on avait un grand avantage à pouvoir modifier la position du pied sur la pédale, des mains sur les poignées et du buste sur la selle, ou plutôt la position de la selle elle-même par rapport au pédalier.
Il est important aussi de modifier le centre de gravité du fardeau transporté et il paraît désirable que le centre de gravité général passe toujours par une ligne située juste à mi-distance du pédalier et de l’axe de la roue motrice, desideratum qu’il n’est pas facile de réaliser.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)