Col du Glandon. Col du Galibier (1912)

mercredi 13 juillet 2022, par velovi

Vélocio, Le Cycliste, Septembre 1912, p.195-200. Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_12

7 et 8 juillet 1912,

Instruit par l’expérience, qui m’a démontré à plusieurs reprises que les grandes chaleurs me sont contraires, j’ai pris l’habitude de clore à fin juin ma saison randonnière et d’excursionner en juillet et août, tranquillement, quand j’excursionne, car, en pleine canicule, je préfère encore l’ombre et la fraîcheur de nos grands bois, aux routes poudreuses et ensoleillées. Cet été, par exemple  !...
L’excursion projetée à l’occasion du passage du Tour de France au Galibier, ne comptait donc ni allures vives, ni longs parcours. Deux étapes moyennes  ; la première, de Saint-Étienne au col du Glandon  ; la seconde, du col du Glandon à Grenoble, par le Galibier. Nous devions en prendre à notre aise  ; je dis nous, parce que l’un de nos randonneurs, ... et peut-être même 4 ; avaient promis de m’accompagner.
Tous, au dernier moment, eurent autre chose à faire, et j’allais partir seul quand arriva à Saint-Étienne, M. V. B..., un jeune Anglais, qui m’of­frit de venir avec moi, si toutefois il parvenait à doubler son unique développement de 5 m. 80 d’un petit pignon lui donnant environ 3 m. 50. Deux heures plus tard  ; c’était chose faite, et nous grimpions entre chien et loup au col des Grands-Bois, où nous passâmes la nuit.
Je souhaite à tous ceux qui cherchent le bon compagnon de route, d’en rencontrer d’aussi aimables et d’aussi érudits que M. Vernon Blake. Pourquoi ne le nommerai-je pas, puis­que déjà les lecteurs du Cycliste ont pu goûter le charme qui se dégage de ses récits  ?
Et comme l’artiste est ici, chose rare, doublé d’un bon randonneur, jugez de mon agréable surprise.
Au départ, le dimanche matin, à 3 heures et demie, temps douteux  ; nous avions vu la veille, des éclairs lointains illuminer l’horizon, devant nous, à droite, à gauche, presque de tous les côtés. Des orages se déchaînaient, dont nous ne tardâmes pas à trouver les traces, à mesure que nous nous rapprochions de Grenoble par Andance, Moras, Marcilloles, Rives et Voreppe.
M. V. B. montait une bicyclette légère, 12 kilos environ, avec boyaux de 28 mm., toile apparente, et il s’était muni de deux boyaux de rechange, bien qu’il m’assurât qu’en cours de route, il pouvait très bien, en vingt minutes, faire une réparation.
Parfait  ! j’allais donc m’instruire, et, in petto, je souhaitais qu’un silex, clou, épine, ou tout autre ennemi des pneus, nous fournit bientôt l’occasion de réparer un de ces boyaux.
Nous avions traversé Grenoble, Vizille, et nous quittions le Péage, quand je commence à talonner. Je démonte  ; nous étions justement sur le bord d’un petit étang, mais il fut inutile de plonger la chambre dans l’eau  ; je mis de suite, hélas  ! le doigt sur la perforation.
Depuis les mésaventures que me causèrent, à Pâques 1911, mes pneumatiques, je me suis muni de chambres à air interrompues, afin de n’avoir plus à démonter de roues en cours de route. Ces chambres sont très commodes, il est fâcheux qu’elles ne soient pas mieux fabriquées et qu’elles crèvent d’elles-mêmes, sans cause apparente, juste sur la ligne de partage entre la chambre proprement dite et les bouts inextensibles. A ce point précis, je découvre — c’est la troisième fois — un tout petit trou, le commencement d’une déchirure qui, sous la pastille obturatrice, ira s’élargissant. Je ne fais ni une ni deux, je remplace cette chambre que je renverrai au fabricant avec prière de trouver un remède à ce mal qui finirait par me ramener aux chambres continues. Et qu’il ne vienne pas me dire que l’accident est dû à un défaut de montage  ! excuse facile à laquelle trop souvent ont recours nos fournisseurs.
Qu’ils fassent plutôt leur profit des malfaçons que nous leur signalons, nous qui, à nos frais, risques et périls, expérimentons sur route leurs produits, et qu’ils les perfectionnent.
Mais il en est qui se laisseraient couper la tête plutôt que de reconnaître leur erreur.
Très satisfait, dès 1903, du rendement des pneus d’une grande marque anglaise, je n’en voulais plus d’autres, et, de saison en saison, j’en propageais davantage l’emploi parmi mes compagnons, quand j’en reçus un jour une paire qui ne semblaient différer des précédents sous aucun rapport mais qui, sur route, me firent l’effet de boulets que j’aurais attachés à mes roues. Je m’en pris à tout avant d’accuser les pneumatiques, tant ma confiance était grande en cette marque dont je n’avais eu qu’à me louer depuis plusieurs années. Il fallut pourtant se rendre à l’évidence et, pour en avoir le cœur net, je renvoyais cette paire de pneus en bois à Edinburgh, à mes frais, avec force explications, priant le fabricant d’enquêter à leur sujet, de les essayer sur route, comparativement à d’autres, afin de prévenir de semblables surprises. On me répondit poliment que j’avais dû rêver, que ces pneus étaient, de l’avis de MM. les ingénieurs qui les avaient examinés, de près, en tous points conformes aux autres et qu’aucun fabricant n’en pouvait faire de meilleurs. J’en fus pour mes frais de port aller et retour  ; mais, ayant à mon tour examiné, et encore de plus près que MM. les ingénieurs, ces pneumatiques, je découvris le pourquoi de leur manque absolu de souplesse dans la dureté des parois qui, quoique minces, manquaient totalement d’élasticité  ; un excès de chaleur pendant la vulcanisation, ou toute autre malfaçon en cours de fabrication avait enlevé au fil biais toutes ses qualités, tant et bien que la chambre était emprisonnée entre deux parois rigides.
Il va sans dire que, depuis lors, je n’ai plus employé ni conseillé ces pneumatiques, dont le fabricant est incapable de discerner les défauts et les qualités.
Pendant que je remplace ma chambre, mon compagnon croque des poires que nous avons achetées la veille. Quand j’ai fini et que nous allons repartir, son boyau arrière est à plat  ! Et , c’est à mon tour de croquer des poires en le re­gardant travailler. Pour les raisons déjà dites, cette réparation d’un boyau m’intéresse et j’en ai noté la durée, 18 minutes. Gonflant tout d’abord à bloc, on fait tourner le pneu à fleur de l’eau, et l’on découvre immédiatement le trou  ; le coupable, un morceau de verre, est encore dans l’enveloppe.
On décolle 5 centimètres d’un ruban collé sur les bords cousus du boyau, on découd, on extirpe la chambre, on colle une pastille, on recolle, et c’est fini. Me voilà fixé sur la facilité de réparation d’un boyau en cours de route 18 minutes, c’est à peu près le temps que je mets à réparer un démontable  ; donc, il n’y a plus de raison pour que je ne me serve pas de boyaux sur mes randonneuses, mais je veux des boyaux d’au moins 35 mm., des pneus-crayons me secoueraient trop.
L’heure fuit  ; nous ne sommes évidemment pas pressés, cependant il faut de la mesure en tout, et nous sommes loin encore, surtout en hauteur, du col du Glandon. Nous n’allons pourtant pas bien loin sans que ce coquin de boyau soit à plat de nouveau. La réparation a été sans doute trop hâtive  ; regonflons de temps à autre et arrêtons-nous pour déjeuner à Séchilienne  ; il est d’ailleurs midi, l’heure prandiale.
Au dessert, M. V. B. se décide à examiner son pneu, à le repasser dans l’eau  ; la réparation tient bien, mais il y a un autre trou, une autre pointe de verre  ; nouvelle réparation, aussi vite terminée que la première. Décidément, les col­lés montent en mon estime  ; je ne tarderai pas à en avoir aussi et je décollerai, découdrai et recoudrai, comme ces pauvres isolés du Tour de France que nous allons voir passer.
Le temps se gâte, quelques gouttes de pluie nous atteignent avant la plaine de Bourg-d’Oisans, et, pendant qu’à droite, vers le col d’Ornon, le ciel reste d’azur, à gauche, vers le col du Glandon, des nuages menaçants nous ca­chent les sommets.
Aux Sables, nous entrons dans la partie ex­cursion proprement dite  ; je ne suis jamais venu là et je me sens, dès le début, favorable­ment impressionné par la jolie position d’un village perché à flanc de coteau, d’une gorge où gronde un vrai torrent, au milieu d’une ver­dure exubérante  ; quelques escarpements, de la neige au loin, des cascades auprès, aussi peu de civilisation que possible, il ne m’en faut pas davantage pour me faire trouver la nature très belle. Je vais être servi à souhait. Ce passage d’ouverture relativement récente, entre les vallées de la Romanche et de l’Arc, est resté primitif, rude, farouche même, surtout quand la brume en éloigne le soleil.
Une usine électrique de transport de force et de lumière, un hameau, un pont, et voilà la montée qui commence. Qu’apercevons-nous premier détour  ? la montagne noyée dans une pluie intense, dont les premières gouttes nous atteignent. Demi-tour vivement et allons nous abriter. Ce n’est pas l’heure de prendre un bain complet. Il fait presque froid, le soir approcha et nous n’aurons plus le soleil pour nous sécher. L’hydrothérapie en cours de route doit être pratiquée intelligemment. Quand on a de belles suées et des heures chaudes en perspective, il importe peu de se laisser mouiller et tremper jusqu’aux os par une pluie battante  ; mais quand la température va fraîchissant, mieux vaut se tenir au sec et au chaud.
Nous attendons longtemps, et il est plus de 17 heures quand le temps se rassérène assez pour nous permettre de partir.
Avec le petit développement, 2m,80, de ma chaîne flottante, la pente ne me paraît excessive, mais, avec 3 m, 50, mon compagnon trouve la pédale assez dure pour qu’à diverses reprises il soit obligé d’aller à pied, ce qui ne l’empêche pas d’arriver aussitôt que moi au Rivier, hameau de peu de feux, d’aspect bien sale et bien misérable. Vous pourrez cependant y trouver fin gîte quand la nuit vous y surpren­dra. Les alpinistes qui descendent des Sept-Laux s’y arrêtent assez souvent, et trois, cyclo- touristes stéphanois qui firent Le Glandon huit jours après nous, passèrent la nuit au Rivier  ; ils y mangèrent même très bien. Notre projet étant de dormir à 2.000 mètres d’altitude, nous continuons.
Non loin de là, un torrent sans gêne s’est emparé de la route et nous Soumit l’occasion de prendre un bain de pieds  ; j’ai, par endroits de l’eau jusqu’aux genoux.
V. B., alpiniste autant que cycliste, trouve le moyen de passer sans se déchausser et sans se mouiller, en sautant de pierre en pierre, de rocher en rocher, sa bicyclette légère sous le bras. Vous aurez bien encore quelques petits ruisseaux à traverser, nous annonce un montagnard qui suit son mulet et rentre dans un de ces burons accrochés aux flancs de la montagne comme nous en voyons, çà et là. Il faut vraiment bien aimer le coin de terre où l’on est né pour vivre en de telles solitudes.
Bien que nous ne soyons pas encore à de bien hautes altitudes, nous côtoyons des amoncellements de neige qui certainement résisteront aux chaleurs de l’été. A un certain endroit où la route traverse sur un pont une de ces congères, nous pouvons juger de son épaisseur et de sa hauteur au-dessus du ruisseau qui en ronge la base. Le soleil doit pénétrer difficilement au fond de cette gorge étroite, d’où nous allons pourtant finir par émerger. Loin et haut devant nous le torrent que nous remontons forme cascade et se précipite  ; la montée s’accentue, puis s’adoucit et nous roulons en palier, à côté d’un planiol où ces mêmes eaux, que nous venons de voir écumer et bondir, s’alanguissent paresseuses parmi les longues herbes couchées. A droite, s’élèvent d’assez hautes montagnes, abondamment pourvues de neige, et mon compagnon se sent redevenir alpiniste et parle d’y grimper. Grand bien lui fasse, ce n’est pas moi qui le suivrai  ! Herbe mouillée, brouillard, rochers glissants, neige traîtresse, je laisse à d’autres ces agréments et, pour l’instant, il me suffit de me démener comme un diable sur un sol gazonné, à ornières profondes, qui ne présente, en fait, de route cyclable, qu’une étroite bande de terre à peu près ferme dont il convient de ne pas s’écarter.
Une maison...... Serions-nous déjà à l’hôtel  ?
Que non pas  ! Nous en sommes encore à 6 kilomètres. Ici, c’est la grande maison, nous apprend un gamin accouru pour nous voir passer. Hâtons-nous donc, car il sera nuit de borne heure aujourd’hui, à cause de la brume qui par moments se résout en pluies. Un mulet qui flâne par la ne s’avise-t-il pas de nous suivre. La solitude lui pèse sans doute  ; et plus nous pédalons, plus il trotte  ; son nez est sur mon épaule il me souffle dans le dos, c’est tout de même trop de familiarité. Je m’y soustrais en forçant l’allure et je laisse le mulet à M. V. B., qui n’en sera débarrassé qu’en arri­vant au col  ; comprend-on cela  ?
La montée finit dans les fleurs  ; la flore du Glandon est loin de celle du Parpaillon, mais elle a tout de même quelque valeur  ; le sol redevient ferme à mesure que le pourcentage de la rampe se relève.
Une maison décoiffée proprement de son toit témoigne de la violence du vent dans ces parages  ; la charpente en son entier, à peine disloquée, a été transportée à cinquante mètres et déposée bien à plat dans la prairie.
Depuis la grande maison, nous voyons çà et là, des traces de bicyclettes toutes fraîches  ; allons-nous, par hasard, trouver des touristes au col  ? Et ce col y suis-je bientôt  ? Je ne vois pas mon compagnon, ni son quadrupède garde du corps.
Me voici maintenant en plein chantier, une maison en construction, des baraquements, des rails, des terres remuées, une forge en plein air et une équipe d’ouvriers baragouinant un ita­lien panaché de mauvais français..
Je suis au débouché de la route en construc­tion qui, par la Croix de fer, ira du col du Glandon à Saint-Jean-de-Maurienne, route uniquement touristique qui traverse, dit-on, de très baux sites. [1]
Quant à l’hôtel dont aux Sables on nous avait annoncé l’ouverture depuis huit jours, il n‘y en a que les quatre murs, et il est très peu probable qu’il soit mis cette année en état de recevoir des hôtes.
— Alors, où coucherons-nous  ?
— Voyez plus haut, chez le cantonnier.
Allons plus haut, chez le cantonnier. Une toute petite maison carrée avec, sur la porte, un bel écriteau  : Hôtel recommandé par le Club alpin  ! Nous entrons, le gérant nous explique la situation  : En attendant que l’hôtel soit cons­truit, il s’est installé dans la maison cantonnière où il recevra, tant bien que mal, les touristes de passage. C’est petit, c’est délabré, c’est encom­bré de tables, de chaises, de bouteilles  ; un lit occupe à lui tout seul la moitié du rez-de-chaus­sée. Pour tout personnel, une fillette et un ga­min, mais de braves gens, qui tous font de leur mieux pour nous héberger.
Sitôt que sont partis quelques terrassiers qui buvaient du pernod à notre arrivée, la maison nous appartient  ; on allume du feu, l’un va chercher de l’eau, l’autre du lait, et je confec­tionne promptement un potage aux nouilles et au lait assaisonné de gruyère. Il y en a pour tout le monde, et je reçois des éloges, mérités, j’ose te dire, pour la bonne mise au point de ce potage improvisé auquel succèdent quelques œufs à la coque et un peu de fromage. Vive la vie simple  !
J’aime peu avoir des compagnons de lit et j’aurais préféré dormir sur une table, roulé dans une couverture, mais il nous fallut bien, faute d’espace libre, nous contenter pour tous les deux du seul lit du cantonnier. Baste, une nuit est tôt passée quand on se couche à 22 heures et qu’on se lève à 4 heures. Mais comment au­rions-nous fait si les trois cyclistes dont nous avions suivi tes traces et qui étaient passés, sans heureusement s’arrêter, une heure avant nous, avaient aussi voulu dormir à l’hôtel du Glandon  ?
Quel beau réveil  ! Un temps idéal  ; un ciel d’un bleu profond, plein de lumière  ; sur lequel se profilent des sommets parfois abrupts, mais le plus souvent arrondis, plaqués de neige, séparés par des gorges que l’on devine et dont des flancs sont couverts de prairies.
Cela ressemble beaucoup au Lukmanier.
La descente emmène bien  ; il faut ouvrir l’œil, à cause surtout du mauvais état du sol raviné en maints endroits  ; des groupes de chalets sont pittoresquement disposés çà et là, et l’on atteint rapidement Saint-Colomban qui m’a paru un lieu de villégiature délicieux  ; les hôtels n’y manquent pas et les jolis sites, les buts de promenades variés autant que pittoresques y foisonnent. Les femmes y sont coiffées de bonnets blancs à ailes battantes, qui ne font pas mal dans le paysage.
Aux légères vapeurs qui s’en dégagent et qui lui font comme un panache, on devine au loin la vallée de l’Arc que nous franchissons enfin à La Chambre, pour rouler sur la route et dans la direction que vont suivre dans quelques ins­tants, les coureurs du Tour de France.
A Saint-Jean-de-Maurienne, nous déjeunons et nous filons rondement jusqu’à Saint-Michel. Déjà les soigneurs ont dressé des tables et disposé les breuvages et les mixtures préparés pour leurs poulains  ; la foule attend  ; les cham­pions locaux pérorent et s’apprêtent à grimper derrière les géants de la route.
Il est exactement 9 h. 20 quand j’aborde la montée. M. V. B. a quelque chose à débattre avec ses collés et me laisse partir seul. Au bout de peu de temps, je trouve qu’il fait bien chaud et comme la route est déserte, je me mets en tenue légère, je me rafraîchis à plusieurs sour­ces et grimpant régulièrement avec 2 m.80, je passe à 10 h. 25 devant un contrôleur qui, de l’entrée du tunnel du Télégraphe guette le pas­sage des coureurs à Saint-Michel. Il ne verra pas les premiers avant 10 h. 50 et il les verra monter ensuite un peu plus vite qu’il ne m’a vu grimper  !
J’en prends à mon aise et m’arrête assez long­temps à Valloire  ; j’y redéjeune à tout hasard, ne sachant où je pourrai manger ensuite.
Mon projet était d’attendre là les coureurs, d’en partir avec le premier, tâchant de le suivre juste assez longtemps pour mesurer son développement, de faire de même avec le second, le troisième, avec tous ceux qui me rattraperaient jusqu’à 15 heures, heure à laquelle je m’étais imposé de quitter le Galibier pour ne pas man­quer mon train de retour à Grenoble.
Mais, on se lasse vite d’attendre et à midi moins le quart, ne voyant rien poindre à l’ho­rizon, je continuai l’ascension m’attendant à être rattrapé à chaque instant. Des autos me dépas­sèrent  ; les coureurs n’étaient donc pas bien loin. Ici et là, postés aux bons endroits, quel­ques groupes de cyclistes, des officiers d’alpins, des touristes, guettent les arrivants  ; je cueille même au passage de discrets encouragements et toujours seul je traverse le torrent au plan de Lacha. Mais, à peine ai-je entamé la montée fi­nale de 6 kilomètres à 10 %, dont le premier la­cet domine la route,que j’aperçois au-dessous de moi, un cycliste, suivi de deux ou trois voitures. J’ai de 500 à 600 mètres d’avance et je suis rattrapé après 3 kilomètres et demi, un peu avant les chalets du Galibier  ; j’ai le temps de constater que le développement de Christophe est de 4 mètres à 4 m. 20 et j’admire l’aisance du coup de pédale de ce jeune homme qui, sans le moindre déhanchement, à peine penché, file, à 10 à l’heure environ, droit devant lui, sans zigzaguer.
La rampe est dure pourtant, le soleil chaud et le sol bien rocailleux  ; il n’a pas l’air de s’en apercevoir.
L’Auto nous a appris que Christophe a grimpé, de Saint-Michel au col, 33 kilomètres, dont 5 de descente et 1 de presque palier, en 2 h. 33. L’an passé, Georget monta un peu plus vite, et il y a quelques années, un randonneur lyonnais, H. B., a fait ce même trajet en avec, chose bizarre, le même développement, 4 m. 10, mais en touriste avec armes et bagages et des pneus démontables. Quant à moi
déduisant mes arrêts à Valloire et aux chalets du Galibier, j’ai mis exactement 3 h. 10. Bon nombre de coureurs ont mis plus longtemps que cela, pour s’élever de Saint-Michel au Galibier et, comme me l’écrivait un abonné du Cycliste, qui est allé voir passer le Tour de France au col d’Allos, il semble que, dans l’ensemble, les professionnels qui, en palier, contre le vent et même aux montées douces, sont si nettement supérieurs de 25 à 30 % aux randonneurs, leur sont tout juste égaux quand il s’agit de montées dures et longues. Cela, n’est pas naturel, et la supériorité de ces athlètes exceptionnels doit logiquement se manifester, aussi bien dans un cas que dans l’autre. Et je conclus que les coureurs du Tour de France ont encore à faire des progrès dans l’ascension des côtes  ; je leur conseille, d’essayer de plus faibles développements et de s’habituer surtout à pédaler à peu près aussi vite dans le 10 % que sur le plat, avec le développement convenable, bien entendu. Leur force, la cause réelle de leur supériorité, réside, en somme, uniquement dans leur fantastique vitesse de jambes. Une ca­dence de 100 tours, qui pour nous est exceptionnelle et nous essoufflerait à bref délai, leur est toute naturelle  ; or, Christophe tournait à 40 tours environ quand il passa devant moi  ; avec 2m, 80, je tournais beaucoup plus vite que lui  ! Mais les coureurs ne se rendront à l’évi­dence de ce raisonnement que lorsqu’on offrira un prix a ceux qui, le jour du passage des Tours de France, et concurremment avec eux, feront Saint-Michel-Galibier dans le minimum de temps.
Qu’un généreux sportsman offre 500 francs ou un objet d’art de cette valeur au recordman de ce trajet très spécial, et je suis persuadé qu’il se trouvera, ce jour-là, au pied de la côte, un bonne douzaine de cyclistes, dont quelques-uns pourraient bien être de simples randonneurs stéphanois, prêts à donner une leçon de choses aux professionnels du Tour de France.
Cette randonnée annuelle devrait, pour rester intéressante, devenir le prétexte de démonstra­tions de ce genre et l’occasion d’expériences comparatives entre le système de polymultiplication adopté par les coureurs et les systèmes que nous croyons supérieurs même pour les coureurs.
Aux chalets du Galibier je trouve nombreuse assistance  ; j’y suis, dès mon arrivée, cordiale­ment salué par des Audax parisiens que j’ai eu le plaisir de rencontrer l’an passé dans le Can­tal.
Je vous prie de croire que j’ai chaud et que j’ai soif. Je devrais boire de l’eau pure, mais j’entends parler d’Asti spumante  ; j’ai un faible pour ce nectar transalpin, et, persuadé que M. B. ne tardera pas à surgir pour m’aider à la vider, j’en demande une bouteille  ; c’est la vingt-cinquième que débite depuis deux heures le montagnard rusé et bon enfant qui a eu l’idée d’installer un comptoir dans ces parages, concurremment avec le tenancier du blockhaus de l’autre versant.
Mais mon compagnon ne vient pas  ; une dizaine de coureurs ont déjà passé, la plupart à pied, et j’ai déjà bu à petites gorgée à là moitié de la bouteille, en me disant, à chaque coup, que je fais une bêtise, que c’est stupide de s’alcooliser ainsi l’estomac vide et par cette, chaleur. Hélas ! la chair est faible...
Le destin veillait heureusement sur moi et son messager survint sous la forme d’un coureur qui, sans mot dire — c’était sans doute un étranger — empoigne le flacon, se le met sous le nez et en transvase en un clin d’œil le contenu dans son carburateur.
Dieu soit loué  ! Me voici débarrassé d’un grand souci, d’une grande crainte. Ce devait être un italien connaissant le vin d’Asti et capable de l’apprécier. Il repartit aussitôt, sans manifester d’opinion, pendant qu’un autre coureur s’emparait de la même façon, de la bouteille de limonade de mon voisin.
Ces façons sont excusables  ; le règlement défend en effet à tous les coureurs d’accepter quoi que ce soit d’un passant en cours de course  ; ils sont donc obligés de prendre sans demander de permission, afin de n’être pas pénalisé. De fait, les contrôleurs qui pointait là le passage, ne firent aucune observation, tandis je fus un peu plus tard témoin d’un incident pénible, au col même du Galibier.
Un pauvre diable de coureur, affamé, exté­nué, arrive péniblement et accepte un sandwich que lui tend un spectateur. Il y mordait à plei­nes dents quand un contrôleur bien frais, bien rose, bien replet et fumant un cigare bagué, un type comme Faroux, mais moins gras tout de même, ou comme Desmarets, mais moins long, le menace de pénalisation s’il continue à manger et lui rappelle le règlement.
— Mais on me l’a donné sans que le demande, répliqua le malheureux.
— Vous ne deviez pas l’accepter.
— Il faut donc mourir de faim  !
Et, avec le regard mouillé d’un chien à qui l’on arrache un os, il jette dans la neige son morceau de pain.
C’était plutôt triste, mais, en somme, le contrôleur avait raison  ; quand on signe un contrat, il faut se conformer à toutes les clauses. Seulement, à mon, avis ; ce rappel, à l’ordre aurait dû sortir d’un moins gros ventre.
Devant le tunnel, beaucoup d’officiels en au­tomobile et une vingtaine de cyclistes. Entre les talus de neige, on peut circuler à l’aise. Je suis entouré de visages connus, Audax, venus de Paris, randonneurs stéphanois  ; je serre avec plaisir les mains qui me sont tendues. On cause, les coureurs se succèdent et nous les regardons changer de développement en retournant la roue motrice. On compte rapidement les dents des pignons  ; les développements sont, à peu de chose près, identiques, environ 5 m. 50 d’un côté et 4 mètres de l’autre côté. Quelques-uns ne changent pas au Galibier  ; ils changeront au Lautaret ou continueront jusqu’à Grenoble avec leur petit développement, à cause de la roue libre, le grand développement étant à roue serve..
Il en est qui semblerait avoir roue libre sur les deux développements  ; il est, en somme, impossible de savoir exactement comment chaque coureur est outillé... J’ai suivi pendant quelque temps, à la descente, entre le Dauphin et Le Freynet, le numéro 169, qui m’a semblé avoir conservé son petit développement et qui prati­quait la méthode des planements. En quelques pédalées rapides, il se lançait, puis pelotonné sur son guidon et sur ses pédales, il filait en roue libre pendant cent, deux cents, trois cents mètres, pour recommencer incessamment le même manège.
En manœuvrant ainsi quand un coureur se trouve dans un peloton, il peut, en palier bien entendu, ou en descente douce  ; faire sans pédaler des kilomètres comme dans un fau­teuil  ; il lui suffit de reprendre contact par quelques vigoureuses lancées, quand il est laissé distancer. Avec un grand développement de 7 à 8 mètres, il obtiendrait, même avec une roue serve, le même résultat, à la condition de pouvoir reprendre instantanément un dévelop­pement moyen si quelque incident le privait du peloton coupe-vent.
Je donc suivi un moment le n° 169 et me suis rendu compte qu’avec un très faible déve­loppement il marchait néanmoins avec la méthode des planements, à plus de 30 à l’heure.
J’ai vu d’autres coureurs filer, à la descente des Commères, à des allures folles  ; je les avais vus, en 1903 et 1904, malhabiles à la des­cente peu dangereuse de notre col des Grands- Bois, se laisser battre par de simples cyclotouristes. Ah  ! les gaillards ont fait des progrès  !
Il est difficile de comparer leur façon de pro­céder au cours de ces étapes en pays accidenté avec celle des randonneurs de l’E. S. sur le même terrain. On ne compare pas des choses par trop dissemblables.
Alors que, même quand nous sommes pres­sés, nous ne perdons pas une occasion de voir ce qu’a d’intéressant le paysage, que nous ra­lentissons souvent notre marche pour ce motif, que nous-causons entre nous, que nous nous attendons souvent les uns les autres, bref, que nous en prenons à notre aise, les coureurs s’en vont vers le but avec une hâte fébrile, ils ne voient pas, ils ne parlent pas  ; toutes leurs énergies sont concentrées dans l’effort, dans l’espoir de rattraper le concurrent qui est de­vant eux. S’ils desserrent parfois les lèvres, c’est pour demander s’ils sont loin, s’ils sont passés depuis longtemps  ; ils, c’est-à-dire ceux qui sont en tête, ceux qui vont leur enlever le prix.
Cet état d’âme, que nous ignorons, est pour beaucoup dans les magnifiques résultats des courses telles que le tour de France, où la vitesse commerciale se maintient le plus souvent autour de 28 à l’heure, pour beaucoup aussi les soins reçus en cours de route, l’allègement de la tenue, la position du corps, qui réduit au minimum la résistance de l’air.
Avez-vous jamais essayer quand vous luttez avec énergie contre un vent violent, de vous coucher à plat ventre sur le guidon  ? Immédiatement, vous avez, alors senti la pédale deve­nir plus légère et vous avez tenté d’augmenter le développement. C’est à moto, où la force du moteur est constante. qu’on se rend admirablement compte en pareil cas, de la diminution de la résistance qui se traduit par une aug­mentation très nette de l’allure. Si, buste bien droit, vous marchiez à 25 à l’heure, vous mar­cherez, buste aplati sur le guidon, à 30 à l’heure.
Cette position du corps est trop incommode pour que nous la gardions longtemps, mais nous nous servons à l’occasion, subter­fuge, de ce truc, de ce jésuitisme, comme dirait Desgranges, pendant nos randonnées. Des cou­reurs, eux, truquent constamment. Ils nous sont surtout par là supérieurs.
Cette année, un de nos jeunes randonneurs stéphanois Panel, et parti, avec le n° 133, pour faire le Tour de France, tant pour se ren­dre compte de ses difficultés que pour faire voir au milieu de tous ses coureurs en maillot et de ses bicyclette de course à boyaux, un cyclo-touriste et une bicyclette de voyage équipée pour le voyage avec démontables, garde-boue, porte-bagages, etc.
On se moqua beaucoup de lui, paraît-il, au départ, et la gavrocherie parisienne dauba sur le baudet § qui s’attelait à pareille charrette pour faire 5000 kilomètres.
Or, il advint que ce randonneur dama le pion dès la première étape à pas mal de coureurs, qu’ils améliora encore son classement pendant la deuxième étape à pas mal de coureurs, de 390 kilomètres, et qu’à la fin de la troisième étape, à Belfort, après le ballon d’Alsace, il ne se trouva plus bien loin des dix premiers de sa catégorie qui, au départ de Paris comptait cent et quelques partants. On commençait à s’intéresser à cette charrette à six développements par Whippet et on ne trouvait plus si ridicule l’homme qui la faisait courir pendant des 300 et 400 kilomètres, à la bonne moyenne de 25 à l’heure. Car telle fut, de 24 à 25 à l’heure ; l’allure commerciale de Panel pendant les trois premières étapes. Et je suis bien certain qu’il ne se surmenait pas et que si l’on avait tenu compte pour le classement de la fatigue éprouvée par l’organisme au cours de l’étape, Panel aurait été parmi les tout premiers.
A Belfort, un maladroit le bouscula si malheureusement que sa machine en rendit l’âme, ou à peu près, puisque malgré deux réparations successives, elle ne put l’emmener à Chamonix qu’après la fermeture du contrôle.
C’est une expérience à recommencer, et ce jeune randonneur est un partant certain dans le tour de France 1913, si toutefois les isolés sont autorisés à se servir de la roue libre, car sans roue libre, pas de Whippet, et Panel tient à courir sur son Whippet «  le Chemineau  ».
Cependant nous pouvons, de ce commencement d’expérience comparative, retenir ceci  : qu’un randonneur de l’E. S. voit son rendement, autrement dit son allure moyenne, augmenter, machine et toutes choses égales, d’environ 20 % dès que, au lieu de randonner à la bonne franquette, comme nous faisons tous, il suit une course avec quelque pensée de perdre le moins de temps possible aux arrêts en cours de route et de bien se classer.
Pour qu’un tel résultat soit possible, il faut ou bien que l’homme soit musculairement l’égal de ses concurrents, ou bien qu’il soit armé mieux qu’eux et qu’il arrive à leur niveau, non par ses moyens personnels, mais grâce à un meilleur outil. Le bon outil, évidemment, ne suffit pas à faire le bon ouvrier, pas plus que l’habit ne suffit à faire le moine  ; mais, on peut très raisonnablement soutenir que tel ouvrier médiocre fera, avec un bon outil, d’aussi bonne besogne qu’avec un mauvais outil en ferait un bon ouvrier.
L’opinion de Panel est que, s’il a si bien dé­fendu sa chance contre des gaillards autrement vigoureux que lui et des habitués du Tour de France, c’est grâce à sa polymultipliée qui, en maintes occasions, lui a permis, tantôt avec un grand, tantôt avec un petit développement, de dépasser ses rivaux peinant à la montée en incapables avec leurs 5 mètres de suivre en pente douce ses 7 m. 50. Il ne s’est trouvé en état d’infériorité que sur le terrain, favorable à la mono légère de 5 mètres  ; sur les rampes de 3 à 5 %, courtes, et que les monos enlevaient à grande allure, il était de suite lâché, mais il rattrapait régulièrement à la descente suivante.
Contrairement à ce qu’on nous avait souvent dit des façons malveillantes et même déloyales des coureurs entre eux, Panel n’a eu qu’à se louer de ses camarades, tant groupés qu’isolés, et les a toujours trouvés prêts, à lui rendre ser­vice, du moment, bien entendu, où ils n’avaient rien à craindre pour leur classement. Des groupés lui ont même donné parfois de quoi manger, car ils ne parviennent pas à consom­mer tout ce dont on bourre leur sac à chaque contrôle, et leurs voisins sur la route profitent du trop-plein.
Une circonstance fortuite lui a permis de constater l’importance énorme des soins donnés au cours d’une étape et combien, entre un cou­reur soigné et un coureur livré à ses seules res­sources, entre un groupé et un isolé véritable car il y a des isolés qui ne le sont que dans les colonnes de l’Auto — la différence de ren­dement est grande.
Pendant l’étape Dunkerque-Longwy, Panel rattrape un groupé très mal en point, souffrant, gagnant et peu disposé à faire du 35 à l’heure. Généreusement, il lui propose de lui servir d’entraîneur jusqu’au prochain contrôle, où il pourrait se faire soigner. On fit ainsi une cin­quantaine de kilomètres à 25/26 à l’heure, le groupé suivant roue dans roue l’isolé et jouant sur sa roue libre l’air des planements ou flânements qui déplaît si fort à Ravaud.
Au contrôle, le groupe s’arrête et Panel continue son 25/26 à l’heure  ; mais il n’avait pas fait 20 kilomètres que le malade de tout à l’heure le rattrape, guéri comme par enchante­ment et poussant comme un sourd. Il crie à Panel  :
- Allons, colle à ton tour. Tu m’as aidé, je vais t’aider et nous allons gagner des places.
Panel suit donc avec son grand développe­ment, mais l’allure n’est plus celle des randon­neurs, elle monte à 30, à 35, à 40 kilomètres, et elle s’y maintient. On avait donné à ce groupe quelque doping soigné, et il filait comme s’il avait eu le feu sous la selle.
Si l’on gagne des places  ? Il faut voir ça  ! Dès qu’un coureur est aperçu à quelque tournant de la route, on fonce sur lui  ; avant de le dé­passer, on reprend haleine, puis, en coup de vent, vlan l’on bondit à dix mètres, afin de l’empêcher de coller  ; le pôvre en est cloué sur place.
Seulement ce jeu dure un peu trop longtemps pour Panel qui finit par planter là son entraî­neur, après l’avoir remercié, et l’autre continue à gagner des places. Il méritait d’arriver pre­mier ce jour-là  !
En 1905, au deuxième concours du Tour de France, je vis un professionnel, du nom de Fourchotte qui, le premier jour, fut très nette­ment battu, tant à l’aller, de Grenoble Chambéry, qu’au retour, de Chambéry-Grenoble, par de simples collégiens  ; ce qui affligea beaucoup ses patrons..
Le second jour, nous ne vîmes pas Fourchotte à l’aller, il se reposait  ; mais nous le vîmes, au retour, escalader ce même col du Frêne qui, la veille l’avait réduit à quia, l’escalader, dis-je, à une allure ébouriffante, laissant sur place ses vainqueurs de la veille et gagnant près d’une heure sur le second  ! Ses patrons furent ravis et lui allouèrent une gratification rondelette.
Voilà les effets d’un doping soigné  ! nos ran­donneurs stéphanois n’ont pas l’habitude de se droguer de cette façon. Ils ont pour principe de ne jamais marcher par amour-propre et de rester toujours en dedans de leurs moyens. C’est pourquoi les très grandes allures ne sont point leur fait, si ce n’est pendant de courts instants.
Panel fit donc très bien de renoncer au béné­fice du coupe-vent que les circonstances lui avaient offert et de reprendre son train ordi­naire  ; il arriva frais et dispos, tandis que, pour gagner une heure, il serait arrivé éreinté.
Nous comprenons bien, par cet exemple, la différence qu’il y a entre un coureur et un ran­donneur.
Je ne savais encore rien de la mise hors course de Panel, et j’espérais, en descendant du Lautaret à Grenoble, en compagnie de trois Audax parisiens, MM. Cl... R... et Ch..., qui furent de charmants compagnons, le voir surgir tout à coup. Je crois que l’étape du Galibier lui aurait été favorable, car le parcours ne présente guère de ces rampes moyennes, où la poly est inférieure à la mono, et il abonde, au contraire, en rampes dures que nos faibles développements nous rendent faciles. Mais Panel ne sur­git pas, et pour cause.
À Grenoble, mon étape était terminée, cepen­dant je trouvai le moyen de rallonger de 85 kilomètres, grâce à un train de nuit que je signale aux cyclistes.
A 22 heures et demie environ, part de Gre­noble un train de marchandises qui emmène, cahin-caha, à 25 à l’heure, deux vagons de voya­geurs et dont le terminus est Bourgoin, où il arrive entre 2 et 3 heures. On y peut toujours disposer d’une banquette et l’on y dort, pen­dant trois bonnes heures, du sommeil du juste  ; si bien qu’en descendant à Bourgoin on se sent frais et dispos pour rentrer, par Heyrieux et Givors à Saint-Etienne, où l’on arrive aisément à 7 heures, car se sont là routes faciles. Il en résulte pour nous, qui toujours nous efforçons d’abaisser le prix de revient de nos randonnées, une notable économie et l’agrément de rentrer par la route.
Et je termine ce long récit, coupé d’encore plus longues digressions, en posant de nouveau la question  :
Pourquoi les constructeurs de polys, moyeux, Whippets, polychaînes, etc., ne se décident-ils pas à organiser un Tour de France ouvert à tous les perfectionnements et qui serait bien autrement intéressant que celui de L’Auto  ?
Vélocio.


[1Cette route a été ouverte à la circulation peu de temps après notre passage  ; des cyclistes stéphanois l’ont déjà suivie et en sont revenus enchantés. v.

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