Discussion de l’école stéphanoise : « Du cas que l’on doit faire de l’opinion publique. » et «  De l’influence de la hauteur des roues sur le roulement d’une bicyclette » (Janvier 1907)

jeudi 18 novembre 2021, par velovi

17 janvier

La promenade de dimanche dernier fut charmante, tellement que nous aurions récidivé dimanche prochain, si le dégel n’était survenu. Mais le soleil jaloux a ravi aux grands bois leur parure hivernale ; le sol n’est plus crépitant, les fils télégraphiques ont perdu leur manchon de givre, et les sapins géants, dont les branches ployaient sous un manteau de glace, ont repris leur aspect ordinaire.
Ce fut une promenade charmante ; en quelques instants, passer des brumes et des neiges norvégiennes aux chauds et lumineux rayons d’un soleil d’Italie et revenir en quelques coups de pédale de la lumière à la nuit, du ciel bleu au brouillard opaque, qu’y a-t-il de moins monotone ?
Nous irons donc, dimanche prochain 20 janvier, d’un autre côté, vers Chazelles, Duerne, Sainte-Foy-l’Argentière, retour par Montrond ; une centaine de kilomètres que l’on couvrira sans précipitation entre 9 heures et 16 heures. Réunion à 8 heures et demie aux bureaux du Cycliste, 5, rue de la Préfecture.
Emporter quelques provisions pour s’alimenter en cours de route, car on ne s’arrêtera pas pour déjeuner.
Comme l’E.S. n’est pas seulement l’école buissonnière par excellence, qu’elle est aussi, et surtout, une école mutuelle des choses de la vie pratique ; comme enfin nous n’allons pas toujours à 30 à l’heure, ainsi que l’insinuent de mauvaises langues, nous avons l’habitude de discuter entre nous, en pédalant, de omnire scibili et quibusdam aliis.

Dimanche prochain, sera mise sur le tapis la proposition suivante :
« Du cas que l’on doit faire de l’opinion publique. »

24 janvier.

Au cours de la promenade de dimanche dernier, après une discussion assez longue qui permit aux idées les plus excentriques de se faire jour, il a été admis que l’opinion publique était une force sourde et aveugle mais brutale et irrésistible : qu’il était donc aussi stupide de lui obéir que maladroit et même imprudent de la braver ; qu’il convenait de la tourner habilement, de la capter, comme on capte un torrent dévastateur, pour s’en servir ; tout au moins de la dérouter, afin de n’être point bousculé au passage par les moutons de Panurge qu’elle entraîne...
Cependant, les kilomètres succédaient aux kilomètres et, à Chazelles, la nature avait déjà revêtu pour nous ses plus beaux atours ; le givre suspendait aux branches et aux moindres brindilles des dentelles d’une infinie délicatesse. En approchant de Duerne, le spectacle devint féerique, nous roulions sur une neige crépitante, et les bois d’essences diverses qui s’accrochent là, comme aux parois d’un gouffre, aux flancs de la montagne abrupte, rivalisaient entre eux d’élégance, chacun portant de façon différente les parures que la nature généreuse lui prodiguait.
Une brume épaisse nous enveloppa un instant : nous en sortîmes en plongeant rapidement de Duerne sur Sainte-Foy, 6 kilomètres à 7 % avec, dans le nez, une bise, mais une bise ! j’en frissonne encore. Dans la vallée, la boue succéda à la neige ; ce fut moins drôle, mais on pédala grand train pour se réchauffer, et par Montrond, nous rentrions à Saint-Étienne, avec 105 kilomètres au compteur, avant 16 heures, gais et contents, la tête froide, les pieds chauds et le ventre libre, ainsi que le veut l’école de Salerne, attendu que nous n’avions ingéré, chemin faisant, que cent grammes de pain et autant de dattes.
Dimanche prochain 27 janvier, réunion à 8 heures, au Cycliste : Montbrison, St-Germain Laval, Balbigny, Montrond, environ 130 kilomètres ; rentrée entre 16 et 17 heures sans arrêt, pour déjeuner ; emporter des provisions.

Objet de la discussion : De l’influence de la hauteur des roues sur le roulement d’une bicyclette.

31 janvier.

Un des objectifs de l’E. S. est la mise en valeur du moteur humain, dont le rendement tend à baisser à mesure qu’augmente celui des moteurs mécaniques. Il y a soixante ans, les fabricants de rubans stéphanois n’étaient pas rares qui s’en allaient à pied, en une petite semaine, de Saint-Étienne à Paris, soumettre leurs nouveautés aux acheteurs.
En ce temps-là, les affaires n’étaient sans doute pas menées à la vapeur comme aujourd’hui et les nouveautés ne vieillissaient pas en huit jours. Time étant devenu money, je ne conseillerai pas de revenir à cette mode désuète de voyager pour affaires, incompatible avec les exigences modernes de la lutte pour la vie. Il ne serait pourtant pas mauvais qu’on se maintint en état de faire aussi bien que nos pères sur le terrain de l’endurance physique et d’aller encore, à l’occasion, de Saint-Étienne à Paris, par ses propres moyens, mais en un seul jour et à bicyclette. Les affaires n’en souffriraient guère et nous verrions parmi nous moins d’obèses, d’emphysémateux, d’apoplectiques et autres cachexiques. Il suffit de le vouloir et de s’entraîner quelque peu.
C’est dans cette louable intention que, malgré le froid excessif et un vent du Nord aussi violent que glacial, nous partîmes cinq, dimanche dernier, à 8 heures, et ne revînmes qu’à 16 h. 1/2, après avoir fait le tour de la plaine du forez, par Montbrison ; Saint-Germain-Laval et Balbigny (108 kilomètres). Cependant que des milliers d’honnêtes gens se réjouissaient à la pensée de passer la matinée au lit, l’après-midi au café et le reste de la journée à table ; nous nous escrimions, à qui mieux mieux, contre Borée acharné à nous dépouiller de nos calories que nous nous empressions de reconstituer avec des dattes et du pain. A ce petit jeu, bienfaisant pour un organisme sain, passèrent 250 grammes de dattes et 200 grammes de pain, ration nettement plus forte que celle qui nous est habituellement nécessaire.
La discussion sur la hauteur des roues souffrit de la température polaire, car nous ne pouvions parler qu’à glaçons rompus, tant la bise obstruait de véritables banquises notre orifice buccal, pourtant j’ai cru comprendre que la majorité se rangeait à cet avis que le roulement des roues munies de pneumatiques était, sur routes normalement entretenues, indépendant de leur diamètre, contrairement à l’opinion généralement admise, laquelle veut qu’une roue roule d’autant mieux qu’elle est de plus grand diamètre. Cela peut être vrai pour des roues cerclées de fer, donc à surface de roulement indéformable : mais les pneumatique buveurs d’obstacles ont modifié la question du tout au tout.
Si l’aller jusqu’à Saint-Germain avait été pénible le retour égayé par un beau soleil fut délicieux ; le vent nous poussa avec la même furie qu’il avait mise à nous retenir et la fatigue du matin avait si bien disparu qu’en rentrant nous étions prêts à repartir.
Dimanche prochain, 3 février, nous referons le tour un peu élargi de la plaine du Forez, en attendant que le dégel s’accentuant ait rendu la montagne plus agréable.
Départ à 8 heures précises des bureaux du Cycliste : La Fouillouse, Saint-Galmier, Salt, Pouilly, Balbigny, digue de Pinay, Saint-Germain-Laval, Montbrison, Saint-Just, Saint-Genest-Lerpt ; environ 145 kilomètres ; rentrée à 17 heures.
Objet de la discussion : Risques et bénéfices de l’hydrothérapie sportive.
Vélocio, «  L’École stéphanoise  », Le Cycliste, Février 1907, p.27-28, Source Archives départementales de la Loire, cote PER1328_9

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