Le Ventoux.-A propos du rétro 1903

vendredi 22 avril 2022

Vélocio, «  Le Ventoux. – À propos du rétro  », Le Cycliste, Septembre 1903, p.161-163

Voilà une affaire réglée. L’ascension du Ventoux en direct, sans mettre pied à terre de Bedoin à l’Observatoire  : 22 kilomètres et 1.600 mètres d’élévation se décomposant comme suit  : les 6 premiers, à pente moyenne de 4 %  ; les 6 suivants, à pente moyenne de 9 ½ % (alt. 558 à 1127) ; les 8 suivants, borne 12 à borne 20, à pente moyenne de 8 % (alt 1127 à 1760), et les deux derniers, qui n’ont en réalité que 1.800 m, à pente moyenne de 9 %, avec 300 mètres de 13 % à la fin.
L. et moi sommes partis de Bedoin le 27 septembre à 7 heures du matin, et à 9 h. 32 nous mettions pied à terre devant l’Observatoire sans avoir quitté la selle un seul instant. Je développais 3 m. 10 et L... 2 m. 70.
Le coryphée du retropédalage, M. Perrache, avait prétendu qu’il n’était possible de grimper d’une traite au Ventoux qu’en rétro  ; que des machines directes, quel que fût leur développement, étaient condamnées d’avance, car le point mort les aurait tuées bien avant le sommet.
Le théoricien n’avait pas chaussé ses lunettes quand il écrivit cette phrase monumentale, et il n’est pas permis de se moquer ainsi des gens que l’on prétend instruire et éclairer.
L’ascension du Ventoux en direct, même avec 3 m. 20, est relativement facile quand la route est bonne comme elle l’est en ce moment et l’on pourrait faire les 22 kilomètres en 2 heures et quart, ce qui battrait le temps de pas mal d’autos. De crainte en effet de trouver après le 13e kilomètre le sol empierraillé dont nous avions souffert en mai dernier, nous nous étions beaucoup ménagés au début  ; notre allure n’est allée s’accentuant que vers la fin.
Mlle Marthe Hesse qui donna, lors du concours 1902, un si éclatant démenti aux prévisions d’un autre théoricien, M. Bourlet, en grimpant au Tourmalet sans pousser un instant sa bicyclette, avait bien voulu nous accompagner au Ventoux, et elle a fait l’ascension totale en 3 h. et demie, un record qui ne sera pas battu de sitôt par une cyclettiste.
Mlle Marthe Hesse a été vivement félicitée par des chauffeurs marseillais qui l’avaient vue monter et que l’aisance gracieuse avec laquelle elle enlevait du 10 % à la pointe de la pédale, avaient émerveillés. Ils ne pouvaient comprendre comment une aussi mignonne enveloppe pouvait contenir tant d’énergie. On ne voit pas de telles cyclettistes à Marseille ni ailleurs. Malheureusement, toute médaille a son revers et la triomphatrice du Tourmalet est arrivée à l’Observatoire affligée d’une fringale carabinée  ; ceux d’entre nous qui pensaient pouvoir marcher à son allure et qui s’étaient chargés des provisions pour la route n’avaient pu suivre et s’étaient vu lâcher dès le huitième kilomètre  !
À la descente, H. fut, comme d’habitude, merveilleuse de sang-froid et les 22 kilomètres furent expédiés par elle et par nous en 40 minutes.
Le rétro avait auprès de nous un de ses sincères partisans, M. A. de Beaucaire, qui, avec 2 m. 60, est arrivé au onzième kilomètre sans descendre. Entre la borne 11 et la borne 12, le pourcentage moyen de la pente est exactement de 12 % (alt. 1007 à 1127).
À mon tour j’ai essayé de faire en rétro le dernier kilomètre, du col des Tempêtes à l’Observatoire, pendant lequel on trouve du 13 %. J’en suis venu à bout assez facilement, mais beaucoup plus lentement qu’en direct.
 Depuis quatre ans je m’exerce à pédaler à retro et je recueille avec soin les impressions des retroïstes de mon entourage, de sorte que j’ai acquis une certaine expérience sur cette question controversée. Or, jusqu’ici, un seul avantage réel se dessine en faveur du rétro  : c’est qu’il permet de pédaler très lentement à la montée  ; et dame, plus lentement l’on va, moins l’on se fatigue. Mais en ce siècle où l’on songe avant tout à aller vite, cet avantage n’est guère fait pour séduire les masses  ; c’est pourquoi le retropédalage ne sera jamais, à mon avis, adopté que par le très petit nombre.
Quant à la retro-directe qui permet de pédaler aussi bien en direct qu’en retro, son avenir dépend surtout des perfectionnements qu’on ne manquera pas d’y apporter de saison en saison.
Elle a pour elle actuellement sa grande simplicité, son bon marché, la facilité d’adaptation du système à beaucoup d’anciennes machines, l’instantanéité du changement de vitesse, l’avantage de n’imposer aucun rapport fixe entre les deux vitesses qui peuvent être aussi éloignées ou aussi voisines l’une de l’autre qu’on le désire. Elle a contre elle l’obligation d’apprendre à retro-pédaler et la répugnance de beaucoup de cyclistes pour un mouvement qui paraît, de prime-abord, anti-naturel et que personne n’a encore osé qualifier d’élégant. Quelques-uns lui reprochent encore de supprimer le frein à contrepédale et d’imposer obligatoirement la roue libre partout.
Toutes les retro-directes qui ont été mises jusqu’à présent sur le marché ont deux chaînes distinctes. Cependant, dès le commencement de l’année 1902 la Gauloise nous offrait une combinaison J donnant deux vitesses interchangeables en marche, l’une en retro l’autre en direct, avec une seule chaîne et les développements ad libitum. Ce résultat était obtenu de deux façons  : soit par l’intercalation d’un axe secondaire et d’engrenages de renversement du mouvement, à prise extérieure, soit par la poulie de Viviès. Le premier dispositif entraînait les frottements parasites inhérents à tous les systèmes superposés  : le second dispositif conduisait forcément aux pignons contrariés qui n’ont pas l’heur de plaire à tout le monde, bien qu’au point de vue strictement pratique ils ne soient en rien inférieurs aux doubles pignons. Quelques échantillons de chaque type furent essayés, mais on préféra généralement s’en tenir à la retro-directe à deux chaînes, l’une à droite l’autre à gauche ou les deux du même côté  ; avec les deux chaînes, les pignons commandeurs et commandés restaient ben toujours en ligne et les bons principes mécaniques étaient sauvegardés. Seulement, pour avoir 4 vitesses, il fallait 4 chaînes, ce qui était bien un peu beaucoup, alors qu’en acceptant les pignons contrariés on pouvait obtenir les 4 vitesses interchangeables en marche, deux en rétro, deux en direct, avec 2 chaînes seulement.
Quelques amateurs à qui l’on avait livré des retro-directes avec les 2 chaînes côte à côte, c’est-à-dire avec 2 roues dentées au pédalier et 2 pignons à roue libre juxtaposés, découvrirent d’eux-mêmes qu’on pourrait avoir le même résultat avec une seule chaîne et obtenir mieux encore, puisque l’on pouvait commander les deux pignons à roue libre tantôt par l’une tantôt par l’autre des roues dentées du pédalier.
Supposons en effet que ces 2 roues dentées ont respectivement 60 dents et 40 dents et que les pignons à roue libre correspondants ont 18 et 35 dents ainsi disposées  :
60.....18
40.....35
Plaçons la chaîne unique sur 60 X 18 et 35, nous obtiendrons les 2 développements 7m,30 et 3,75. l’un rétro l’autre direct, et en plaçant la chaîne sur 40 X 18 et 35. nous obtiendrons les développements 4,90 et 2,50, l’un rétro et l’autre direct. C’est ce que, dans son catalogue, la Gauloise appelle  : avoir deux jeux de 2 développements en marche par pignons doublement contrariés.
Ce qui, dans cette combinaison J, n’est pas le moins intéressant, c’est qu’on peut indifféremment avoir le grand développement en rétro et le petit en direct ou vice-versa, le petit en rétro et le grand en direct ; même en cours de route, et en moins d’une minute, grâce au crochet P. de V. décrié par M. Bourlet dans son inoubliable Rapport sur le concours du T. C. F., on peut passer du grand rétro au petit rétro, du grand direct au petit direct. Ce détail, auquel il n’avait pas été songé tout d’abord, est de nature à faire accepter l’idée de la retro-directe dans les milieux les plus réfractaires au retro-pédalage, puisque du moment où il plaît d’avoir en direct tel ou tel développement, on peut se l’offrir. Un autre avantage moins important, puisque depuis 1896 la difficulté de la différence de tension des chaînes sur les divers couples de pignons a pu être tournée, réside en ce fait qu’aux «  deux chaînes retro-directes  » point n’est besoin de se préoccuper de la différence de tension, puisque les tendeurs sont supprimés et remplacés par les poulies de Viviès  ; chaque chaîne est tendue séparément, distinctement, sans que la tension de la chaîne voisine soit affectée le moins du monde.
Pour avoir 4 développements en marche, il faut caler deux autres pignons à roue libre sur un changement de vitesse à débrayage au pied ou à la main  ; on a alors 4 roues libres indépendantes sur le moyeu AR et il importe quelles soient très libres, car 3 d’entre elles opposent constamment une résistance passive, et dame, l’union fait la force partout et toujours. Là où la résistance d’une roue libre peut être tenue pour nulle, celle de 3 roues libres finit par compter. Or, l’on ne trouve pas encore sur le marché de roues libres jumelles à cliquets montés sur billes et d’une étroitesse acceptable.
Les inventeurs devront porter leurs efforts de ce côté, car sans être grand prophète, on peut prévoir une assez grande demande de roues libres jumelles, lesquelles conviennent aussi bien pour les changements de vitesse retro-direct que pour les directs-directs à 2 chaînes. Et le sentiment général se dessine de plus en plus en faveur des changements de vitesse juxtaposés d’où les engrenages seront systématiquement bannis.
La combinaison J à pignons contrariés et à poulie de Viviès présente, en outre des avantages que je viens d’énumérer, celui de se prêter de fort bonne grâce à la transformation à peu de frais des monomultipliées de tous modèles, même anciens, en retro-direct. Dans bien des cas, il ne sera même pas nécessaire de toucher aux tubes de chaînes.
Peut-être sera-ce par ce moyen détourné que le retro-pédalage finira par devenir d’usage commun parmi les cyclotouristes.
En ajoutant la R.-D.-M. au Variand ou aux moyeux et pignons à deux vitesses par superposés, on obtiendra des combinaisons, très intéressantes, de 3 ou 4 vitesses en marche avec une seule chaîne, et j’aurai à revenir sur ce côté de la question.
Vélocio.

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