Ventoux

jeudi 12 octobre 2023, par velovi

Paul de Vivie aurait souhaité que ses cendres soient dispersées par le mistral au sommet du Ventoux. C’est qu’à ce rude morceau, il s’y fut consacré souvent. Si le premier récit d’ascension cyclotouristique n’est pas de sa plume, il en fut l’initiateur. Il grimpa avec deux compagnons en mai 1901. La première tentative fut interrompue par un orage diluvien, ils durent la reprendre le lendemain. Il revint en 1903, 1905, 1913, 1926 et 1929. En 1903, il est accompagné par Marthe Hesse, l’héroïne du Tourmalet, qui fut ainsi la première femme connue à le gravir à vélo. En juillet 1931, Albert Raimond scella une plaque commémorative sur la façade de l’hôtel Vendran en hommage à Vélocio. Raymond Henry dans un article de la revue Le Randonneur (n°62 septembre 2016) a récapitulé l’histoire cyclotouristique du Ventoux, c’est sans doute la meilleure ressource disponible.

Le Mont-Ventoux (profil Dolin)
Les Alpes Françaises H.Dolin

Voici des extraits de ses excursions  :

SUR LE TERRAIN, 1901

«  À la Pentecôte, nous irons simplement, le premier jour, de Saint-Étienne au sommet du mont Ventoux (1,912 mètres) et nous en reviendrons le lendemain, après avoir assisté au lever du soleil qu’on dit fort beau de là-haut.  »
Vivie (de), Paul, «  Sur le terrain  », Revue mensuelle du Touring-Club de France, 1901, p.200

La première montée au Ventoux dura près de quatre heures depuis Bedoin, après le premier essai interrompu la veille par la pluie. Vélocio fut handicapé par ses trop grands développements et marcha beaucoup. Au sommet, le brouillard masqua la vue. Voici les deux descentes, contées par Ch. R.

EXCURSION DE LA PENTECÔTE AU MONT-VENTOUX, 1901

«  Vélocio, s’étant dessaisi momentanément de sa bicyclette de grand tourisme, s’était contenté d’une machine à deux vitesses, 8 mètres et 4 mètres 25, admirablement légère et roulante, mais peut-être insuffisante pour les routes que nous avions à parcourir.  »
[…]
«  Ah, cette descente sur Bedoin  ! Elle fut extraordinaire, je vous assure  ! Maintenant encore je ne puis y penser sans rire. La violence de la pluie était telle que notre route ressemblait à un torrent dans lequel nous pataugions comme autant de bateaux à aubes. De larges ruisseaux s’étalent formés qui dégringolaient de la montagne et traversaient le chemin en le dégradant. Nous les franchissions en machine, au petit bonheur, dans l’obscurité, et nous finissions même par prendre à ce jeu-là un plaisir très vif.  »
[…]
«  Il était près de onze heures lorsque nous commençâmes la descente. Nous la menâmes rondement, grâce surtout aux fagots dont nous nous servîmes à partir de la borne 15 et qui nous permirent d’atteindre sans danger le 30 à l’heure. Nous avions enlevé nos chaînes, ce qui, dans ce cas particulier, est bien la meilleure roue libre du monde et nous emballions ces grandes lignes droites à 10 %, que c’était merveille de se sentir ainsi emporté.  »
R.,Ch., Excursion de la pentecôte au mont Ventoux  », Le Cycliste, 1901, p.103-108, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, MAI 1903

«  1.648 kilomètres en mai ont porté à 7.405 kilomètres mon kilométrage depuis le 1er janvier. Rien de sensationnel comme longueur d’étape, si ce n’est pour l’Ascension une excursion dominicale de 370 kilomètres du mercredi soir au vendredi matin, au cours de laquelle nous avons grimpé à bicyclette jusqu’à l’observatoire du mont Ventoux (22 kilom, élévation 1 600 m.). C’est la plus rude montée que j’aie, jusqu’à ce jour, placée à mon actif. Partis à 6 h. et quart de Bédoin, nous sommes arrivés au sommet à 9 heures après un arrêt de quinze minutes au 17e kilomètre, le seul où l’on trouve de l’eau. J’avais 2m,90 et mon compagnon L., qui m’a devancé de 10 minutes, avait 3m,25  ; nos bicyclettes pesaient de 16 à 17 kilos.
Descente en 45 minutes, et, après déjeuner, randonnée jusqu’à Arles puis à Tarascon, une centaine de kilomètres rendus pénibles par la chaleur, plutôt que par l’ascension préalable du Ventoux.
La route à peine débarrassée de la neige qui remplissait encore çà et là les fossés, était loin d’être bonne, et nous nous sommes promis de refaire cette ascension en septembre prochain, époque où le sol tassé est plus roulant. Ce qui rend, au printemps, la marche particulièrement pénible, c’est plutôt la couche mouvante de gravier et de cailloux qui recouvre le sol que la pente.
Que la route soit à peu près convenable et nous ne mettrons probablement pas plus de 2 h. ¼pour grimper sans arrêt de Bédoin à l’observatoire.
Il y a des passages particulièrement durs, surtout quand souffle le vent du Nord, même léger  ; la ligne droite qui aboutit au col des Tempêtes par exemple, où l’on ne doit pas pouvoir se tenir debout quand le mistral y passe à 38 mètres à la seconde, la plus grande vitesse enregistrée par l’anémomètre.
L’hôtel que M. Vendran a fait construire là-haut à grands frais n’étant pas encore ouvert, nous fûmes accueillis très cordialement par le gardien de l’observatoire qui nous offrit des rafraîchissements dont le besoin se faisait sentir.
De la plateforme qui couronne l’extrême sommet la vue s’étendait sur un immense panorama limité au Sud et à l’Ouest par la brume  ; la plaine au-dessous de nous se dessinait avec un relief saisissant. À pareille époque, en 1901, nous étions venus aussi au Ventoux, mais nous avions dû faire à la côte les honneurs du pied pendant 8 ou 10 kilomètres, ç’avait été pénible, et par surcroît un brouillard épais nous avait privés du spectacle inoubliable que nous avons contemplé cette fois pendant une bonne heure sans nous lasser. C’est pourquoi en 1902 nous nous étions abstenus de revenir, mais quand on a grimpé sans fatigue anormale, et vu, on a trop le désir de regrimper et de revoir pour ne pas revenir au moins une fois par an à Bédoin, et je comprends qu’on ait, comme nos amis A…, de Beaucaire, et B..., de Marseille, la hantise du Ventoux. Nous redescendons en 45 minutes, confiants dans nos freins sur jante  ; il y a deux ou trois lignes droites à 10 % que nous fîmes à la vitesse limite, et pendant lesquelles j’aurais voulu nous voir passer, nous ne devions pas être loin du 50 à l’heure  !  »
Vélocio, Excursions du “Cycliste”, Le Cycliste, 1903, p.96

LE VENTOUX. – À PROPOS DUTRO, 1903

« Voilà une affaire réglée. L’ascension du Ventoux en direct, sans mettre pied à terre de Bedoin à l’Observatoire  : 22 kilomètres et 1.600 mètres d’élévation se décomposant comme suit  : les 6 premiers, à pente moyenne de 4 %  ; les 6 suivants, à pente moyenne de 9 ½ % (alt. 558 à 1127) ; les 8 suivants, borne 12 à borne 20, à pente moyenne de 8 % (alt 1127 à 1760), et les deux derniers, qui n’ont en réalité que 1.800 m, à pente moyenne de 9 %, avec 300 mètres de 13 % à la fin.
L. et moi sommes partis de Bedoin le 27 septembre à 7 heures du matin, et à 9 h. 32 nous mettions pied à terre devant l’Observatoire sans avoir quitté la selle un seul instant. Je développais 3 m. 10 et L... 2 m. 70.
Le coryphée du retropédalage, M. Perrache, avait prétendu qu’il n’était possible de grimper d’une traite au Ventoux qu’en rétro  ; que des machines directes, quel que fût leur développement, étaient condamnées d’avance, car le point mort les aurait tuées bien avant le sommet.
Le théoricien n’avait pas chaussé ses lunettes quand il écrivit cette phrase monumentale, et il n’est pas permis de se moquer ainsi des gens que l’on prétend instruire et éclairer.
L’ascension du Ventoux en direct, même avec 3 m. 20, est relativement facile quand la route est bonne comme elle l’est en ce moment et l’on pourrait faire les 22 kilomètres en 2 heures et quart, ce qui battrait le temps de pas mal d’autos. De crainte en effet de trouver après le 13e kilomètre le sol empierraillé dont nous avions souffert en mai dernier, nous nous étions beaucoup ménagés au début  ; notre allure n’est allée s’accentuant que vers la fin.
Mlle Marthe Hesse qui donna, lors du concours 1902, un si éclatant démenti aux prévisions d’un autre théoricien, M. Bourlet, en grimpant au Tourmalet sans pousser un instant sa bicyclette, avait bien voulu nous accompagner au Ventoux, et elle a fait l’ascension totale en 3 h. et demie, un record qui ne sera pas battu de sitôt par une cyclettiste.
Mlle Marthe Hesse a été vivement félicitée par des chauffeurs marseillais qui l’avaient vue monter et que l’aisance gracieuse avec laquelle elle enlevait du 10 % à la pointe de la pédale, avaient émerveillés. Ils ne pouvaient comprendre comment une aussi mignonne enveloppe pouvait contenir tant d’énergie. On ne voit pas de telles cyclettistes à Marseille ni ailleurs. Malheureusement, toute médaille a son revers et la triomphatrice du Tourmalet est arrivée à l’Observatoire affligée d’une fringale carabinée  ; ceux d’entre nous qui pensaient pouvoir marcher à son allure et qui s’étaient chargés des provisions pour la route n’avaient pu suivre et s’étaient vu lâcher dès le huitième kilomètre  !
À la descente, H. fut, comme d’habitude, merveilleuse de sang-froid et les 22 kilomètres furent expédiés par elle et par nous en 40 minutes.
Le rétro avait auprès de nous un de ses sincères partisans, M. A. de Beaucaire, qui, avec 2 m. 60, est arrivé au onzième kilomètre sans descendre. Entre la borne 11 et la borne 12, le pourcentage moyen de la pente est exactement de 12 % (alt. 1007 à 1127).
À mon tour j’ai essayé de faire en rétro le dernier kilomètre, du col des Tempêtes à l’Observatoire, pendant lequel on trouve du 13 %. J’en suis venu à bout assez facilement, mais beaucoup plus lentement qu’en direct. »
Vélocio, «  Le Ventoux. – À propos du rétro  », Le Cycliste, Septembre 1903, p.161-163

MEETING DU VENTOUX, 1905

«  Quant à moi qui avais grimpé en 2 h. 32 sans arrêt en 1903 avec 3m,10, j’ai mis cette année 2 h. 30 arrêts compris en m’arrêtant trois fois, avec 3m,30 d’abord, puis 2m,65, et j’ai la certitude que si j’avais dès le cinquième kilomètre pris 2m,65, j’aurai gagné cinq minutes. Le progrès est peu sensible, mais il y a progrès, car la route, sillonnée d’automobiles et de motos qui nous forçaient à pédaler fréquemment dans l’herbe des accotements, était déjà bien ravagée par la course de la veille et nos temps respectifs auraient été meilleurs si nous avions grimpé l’avant-veille.
Ce n’est, en définitive, pas autant la roideur de la pente que l’état du sol qui fait du Ventoux la côte la plus dure que je connaisse et le véritable critérium des bons grimpeurs.
Pour ceux que tenterait le critérium du Ventoux, quelques mots sur nos machines respectives et sur les conditions que doit remplir la machine qui fera le meilleur temps, toutes autres choses égales.
B... et moi nous montions deux BSA du même type léger routier  ; la mienne avait 6 pignons, 2 chaînes, le moyeu à débrayage à la main de La Gauloise et six jeux de deux vitesses en marche. Celle de mon compagnon avait 3 pignons et, une chaîne qu’il déplaçait à la main, donc deux vitesses par contrariés  ; elle était plus simple et plus légère d’environ 3 kilos. Or, à la montée, aux faibles allures de 7 à 10 kilomètres, la résistance de l’air ne comptant pas, le poids est le principal facteur de la résistance et 3 kilos sur un total, homme et machine, de 70 kilos, me handicapaient de 4 % exactement  ; 6 kilos de plus sur une machine handicaperaient de 8 % et ainsi de suite. Le poids personnel gêne aussi, mais ses conséquences sont moins rigoureuses parce qu’on doit admettre que, dans une certaine mesure, des muscles plus lourds sont plus puissants, mais j’aime mieux tout de même peser 63 kilos que 80 kilos.
Donc celui-là grimpera au Ventoux dans le temps le plus court qui choisira une machine simple et légère avec des pneus collés, bref une bicyclette de piste  ; dans ces conditions le Ventoux en une heure et demie est dans les choses possibles  ; cela fait une élévation de 1.080 mètres et un travail de 114 tonnes-mètres à l’heure, 31,4 kgm à la seconde.
Est-ce la rétro, la lévo ou la directe qui permettra au moteur humain d’effectuer un tel travail dans les meilleures conditions  ?  »
Vélocio, «  Meeting du Ventoux  », Le Cycliste, 1905, p.152, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8

SAINTE-BAUME ET VENTOUX, 1913

«  Nous allons aujourd’hui monter à l’assaut du Ventoux  ; pour moi, c’est la cinquième fois, et pour mon compagnon la troisième. J’aime cette montagne sévère qui défend contre le vent du nord si cruel aux primeurs, la plaine fertile de Pernes, ma ville natale, et la dernière fois que j’y monterai ce sera, je l’espère, sous forme d’une poignée de cendres, que mon compagnon d’aujourd’hui confiera au vent du col des Tempêtes, un jour où le mistral y passera à grande allure. Mais je compte bien y monter encore quelques fois, par mes propres moyens.
Il ne faut jamais attaquer le Ventoux sans déjeuner solidement à Bédoin, décrète le catéchisme de l’E. S. Donc, nous déposons le tandem à la porte de l’hôtel Vendran et nous redéjeunons avec du beurre, de la confiture et du café au lait. Nous remplaçons ici les olives par la confiture, parce que nous allons avoir un besoin immédiat de kilogrammètres, auquel l’absorption d’une bonne quantité de glucose pourra satisfaire, et l’assiettée de fruits confits qu’on nous apporte disparaît promptement. Nous buvons de l’eau abondamment, afin de faciliter la suée que nous prévoyons, car il fait chaud comme au gros de l’été, le vent souffle maintenant du sud  ; nous prenons enfin la tenue légère et nous démarrons à 10 h. 45. À 14 heures nous arrivions à l’observatoire. Défalcation faite du temps perdu en trois petits arrêts, il nous fallut donc trois heures pour faire en tandem les 22 kilomètres qui séparent les deux hôtels Vendran, celui du bas et celui du haut  ! Nous utilisâmes jusqu’à Saint-Estève le développement de 4 mètres, mais dès que la rampe entra dans le 10 % pour n’en plus sortir, nous trouvâmes 2m,50 bien suffisant. Plus l’on s’élevait, plus le sol était mou, et nous fûmes une fois débarqués par un dérapage  ; une autre fois dans le sable saturé de neige fondante, il fallut s’arc-bouter sur les pédales pour passer sans se mouiller les pieds. Vers la quatorzième borne, nous avions rencontré P. Trolett qui redescendait. Nous causâmes un instant  ; il nous avoua qu’il n’en pouvait plus, il était pourtant parvenu à l’Observatoire, mais après combien d’arrêts et au prix de quels efforts. Son opinion semblait s’être radicalement modifiée. Puis il nous photographia dans notre tenue très légère, nous nous souhaitâmes réciproquement bon voyage, et nous continuâmes à grimper. Ce Ventoux est un rude morceau, et je n’en ai trouvé nulle part de plus dur, surtout au printemps. En août le sol est relativement ferme jusqu’au sommet, et l’on peut aller plus vite  ; j’ai fait plusieurs fois ces 22 kilomètres en 2 h. 30 et 2 h. 35 à bicyclette, et M. B..., de Lyon, les fit un jour en 2 h. 13. Il y a quelques années, eut lieu une course de Carpentras à l’observatoire (36 kilomètres, avec élévation de 1.830 mètres), et le vainqueur, un jeune homme d’une vingtaine d’années, arriva en un temps invraisemblable, 1 h. 45 a-t-on dit à l’époque. Cela m’a paru toujours mal chronométré. Cependant, le gardien de l’observatoire, à qui j’en parlai, m’assura qu’il avait assisté à l’arrivée et que le pauvre garçon était tombé en syncope, ayant le cœur dans un état épouvantable, que depuis il ne s’était jamais remis de cet effort surhumain. Si Desgranges était vraiment sportif, il lancerait un jour sa meute du Tour de France sur le Ventoux, et nous aurions alors la confirmation de ce temps qui, jusqu’à ce qu’on s’en approche de nouveau, semblera incroyable à tous ceux qui savent ce qu’est ce parcours. Nous restâmes là-haut une heure environ, en compagnie du gardien, qui en sa demeure solide comme une forteresse et pourvue d’un chauffage central, nous offrit du café, et nous conta maintes choses intéressantes. Deux chamois vinrent un jour le distraire en sa solitude  ; les sangliers n’y sont pas rares  ; les truffes du Ventoux sont d’ailleurs réputées et les attirent sans doute. Le versant nord du Ventoux plonge en un à-pic de 1.000 mètres, dans un gouffre inaccessible, où l’on distingue des parties boisées, des prairies, des ruisseaux. Des alpinistes se risquèrent un jour dans ces parages, sous la direction d’un guide savoyard, Estienne. Mais, si habile que fût ce guide à manier le piolet, il trouva la tâche trop périlleuse, et le gouffre resta inexploré. Nous nous promenâmes ensuite sur la terrasse, l’air était étonnamment calme et la température douce. On pouvait apercevoir à l’extrême horizon un coin de la Méditerranée, mais le plus beau spectacle, nous était offert par la chaîne des Alpes, barrière ininterrompue de neige et de glaciers. Le temps fuyait trop vite  ; nous dûmes nous arracher à cette contemplation et songer au départ  ; 15 heures avaient sonné, et Montélimar, où nous devions prendre le train de retour, était bien loin  ! Notre tandem a trois freins à tenailles sur jantes, un sur la roue directrice, les autres sur la roue motrice  ; les jantes sont en bois et aluminium à bords plats, et les patins sont en liège aggloméré  ; cette combinaison donne un freinage doux et puissant tout à la fois. Un des freins d’arrière, le plus puissant, a deux commandes distinctes, une pour chaque équipier  ; le frein d’avant est aux mains du premier équipier, et le second frein d’arrière aux mains du second équipier. Tout cela a très bien fonctionné, mais j’ai regretté que ce deuxième frein d’arrière, qui joua le rôle de ralentisseur et resta appliqué pendant 12 kilomètres sans interruption, n’eût pas été muni d’une poignée à serrage continu  ; ma main droite en est encore meurtrie  ! Dès la borne 10 le sol est plus ferme et l’on peut s’offrir le 50 à l’heure, peut-être même un peu plus à certains endroits  ; les riverains sont habitués aux passages en trombe et la route n’est pas encombrée. Que n’en est-il de même partout  ! Pendant la partie dangereuse de la descente, nous fûmes toujours maîtres de notre vitesse et en état de nous arrêter en quelques mètres. Avec des jantes acier nos chambres auraient été rôties. Nous croisâmes quatre motos  ; la première, monocylindrique, montait bien et assez vite  ; la deuxième, à 500 mètres, bicylindrique, obligeait son propriétaire à pédaler de temps en temps  ; les deux autres, bicylindriques aussi, étaient loin derrière et arrêtées, pour cause d’échauffement  ; les motoristes fumaient des cigarettes en attendant que leurs moteurs voulussent bien repartir. Il nous fallut trois quarts d’heure pour revenir à Bédoin  ; à bicyclette, on dégringole aisément en quarante minutes. On ne peut d’une seule expérience tirer des conclusions, mais il semble qu’à la montée comme à la descente le tandem soit sur ce terrain exceptionnel inférieur de quelques points à la bicyclette. Les 12 kilomètres de Bédoin à Malaucène, au cours desquels on s’élève pourtant de 200 mètres, nous furent un soulagement  ; nous y lâchâmes un motoriste dont l’outil ne marchait à peu près qu’à la descente. Quand nous le dépassâmes à la montée, il crut habile de nous expliquer qu’il avait attrapé un clou. Sauvons la face, disent les Chinois  ! Malaucène est un pays charmant, frais, ombreux, paisible  ; un lieu favorable, entre tous, à la cure de repos. Le Ventoux versant nord écrase de sa masse et de son ombre toute la région et paraît beaucoup plus imposant que vu de Bédoin. On peut grimper de ce côté à l’observatoire par un sentier muletier de 19 kilomètres, impraticable aux cyclistes. Ch... s’y aventura l’an dernier pour redescendre plus tranquillement le jour de la course d’autos, et il s’en repentit, car il y creva trois fois ses pneus et fut finalement forcé d’aller à pied. Donc, jusqu’à nouvel ordre, abstenons-nous de monter par là au Ventoux, mais allons à Bédoin, via Malaucène, au lieu d’y aller comme toujours via Carpentras. Ce faisant, nous verrons presque depuis Montélimar le Ventoux sous son aspect le plus saisissant, masse formidable, qui surgira peu à peu du sein des collines du premier plan et qui, à Vaison et même avant, se déploiera devant nous dans toute sa majesté. Soyez là surtout au soleil couchant, passez la nuit à Malaucène et, dès la piquette du jour, avant même, si vous voulez voir un beau lever de soleil, grimpez à la fraîcheur  ; vous vous en trouverez mieux que de grimper en plein midi. Nous estimons utile et même indispensable de faire à Malaucène notre troisième et dernier repas de la journée et, dans un petit hôtel très bien tenu, nous obtenons le menu habituel des randonneurs  : olives noires, beurre, œufs à la coque et fromage frais, le tout arrosé d’eau. Ces menus légers mais substantiels ne fatiguent pas l’estomac, tout en dégageant dans l’organisme une grande quantité de calories que les muscles cyclomoteurs s’approprient. À 17 heures nous étions encore à table, et nous n’avons dû quitter Malaucène qu’à 17 heures et demie  ; deux heures plus tard, par Vaison, Buisson, Suze-la-Rousse, Saint-Paul-Trois-Châteaux, nous entrions dans Pierrelatte. À Suze, nous admirâmes en passant un très beau château moyenâgeux, en belle position pour commander la route de Nyons. On alluma la lanterne au passage à niveau, et l’on gagna Montélimar non sans crever une deuxième fois sur un caillou à la descente de Donzère. Notre excursion était terminée sans fatigue anormale, sans le moindre accident, et notre tandem qui achève ainsi ses 3.000 kilomètres s’est tiré à son honneur tant de la partie transport que de la partie excursion dans les mauvais chemins de la Sainte-Baume et du Ventoux. Mes impressions optimistes du début de l’année, après notre randonnée aux Saintes-Maries, se trouvent ainsi confirmées, et je considère le tandem polymultiplié comme le meilleur outil de tourisme familial, il est infiniment plus confortable, par ses gros pneus et la longueur du cadre, que la bicyclette, plus rapide de beaucoup en palier et contre le vent, plus rapide même quand le pourcentage des pentes ne dépasse pas le 6 %, et il nous a fallu grimper au Ventoux pour découvrir que, dans des rampes au-dessus de 8 %, où le tirage est aggravé par un sol mouvant, le tandem n’est pas supérieur à la bicyclette. Quand on fabriquera les tandems en série comme les bicyclettes, leur prix sera très abordable  ; en attendant, on peut se contenter d’un avant-train adapté à une bicyclette. C’est ainsi qu’est établi le tandem qui m’a servi pendant ces 3.000 kilomètres d’expérimentation, sans laisser voir la moindre défaillance.  »
Vélocio, «  Sainte-Baume et Ventoux  », Le Cycliste, 1913, p.111-117, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_12

QUES, 1926

«  Sous une allée de platanes centenaires, comme il y en a d’ailleurs à Vaison, à Bédoin et partout, dans ce Midi béni des dieux, je déjeune à Malaucène, station estivale très fréquentée d’où part un chemin cyclable pendant la belle saison et qui conduit en 19 km. au sommet du Ventoux. Un jeune couple cyclotouriste stéphanois devait le suivre le lendemain pour redescendre du côté de Bedoin, mais je doute qu’il ait pu passer à cause de la neige qui obstruait encore la route pendant les derniers kilomètres sur les deux versants. Il n’y avait donc plus lieu pour moi-même d’envisager l’ascension du Ventoux à bicyclette et tous les cyclistes qui y montèrent ce jour-là (ils étaient nombreux  : sept Montpelliérains, un Stéphanois, une Parisienne et deux Marseillais) furent obligés de faire à pied plus de 10 km., tant à cause de la neige que de la boue et des mottes de terre avec lesquelles on avait rechargé la route à partir du huitième kilomètre. Je n’avais donc aucun motif pour me presser et c’est en pur touriste que je fis les derniers 13 km. de Malaucène à Bédoin  ; ils valent bien qu’on s’y attarde. Je n’avais encore passé par là qu’une fois en 1913. J’étais en tandem derrière mon regretté Ch...  ; nous descendions du Ventoux dont nous avions eu quelque peine à gravir les 22 km. en trois heures, car les rampes dures au-dessus de 6 à 8 % ne sont pas favorables au tandem, parce qu’on ne va pas assez vite pour que la résistance de l’air ait de l’importance et parce que le désaccord entre les deux équipiers se fait vite sentir faute de force vive. Lorsque, au contraire, on peut conserver, même à la montée, une allure de 15 à 20 km., le tandem est avantagé, parce qu’à ce train-là il souffre bien moins qu’une bicyclette de la résistance de l’air, puisqu’il dispose de la force de deux cyclistes et n’offre à l’air que la surface d’un seul. Nous allions ce jour-là un peu vite, c’est certain  ; cela ne m’avait pas empêché d’admirer le site qui s’était déroulé sous mes yeux, et je m’étais promis d’y retourner. En s’éloignant de Malaucène, la route s’élève au-dessus d’une combe verdoyante et cultivée avec soin  ; partout où l’on peut irriguer, la garrigue stérile se transforme vite en grasses prairies  ; ainsi s’est transformée la Crau depuis que les eaux de la Durance la fécondent. Je laisse bientôt la route de Carpentras s’enfuir à droite et j’atteins un sommet où je suis cloué d’étonnement par le paysage tourmenté qui m’entoure  ; à gauche, des masses rocheuses font comme une ceinture défensive autour du Ventoux dont la tête domine depuis Vaison toute la région  ; à droite, des collines éventrées laissent voir des terres et des roches polychromes où le rouge, le vert, le jaune, le gris, toutes les teintes possibles sont représentées. Puis je traverse des bois de pins et je n’aperçois au loin la plaine du Comtat que par échappée, parfois même un toit caché dans la verdure m’apparaît à travers les arbres et me fait songer à la vie des champs, calme et reposante.
Une dernière descente et je mets pied à terre à Bédoin pour m’y informer de quelque réparateur qui pût vérifier mon débrayage. J’eus la chance d’en trouver un très habile qui n’avait jamais vu de pareil système, mais qui comprit promptement ce qu’il fallait faire et qui le fit en un quart d’heure. Dans le Midi, tout se fait dans la rue, ainsi en fut-il de cette réparation, si bien qu’en quelques minutes tous les cyclistes locaux s’assemblèrent et l’on discuta ferme sur la polyxion. Elle n’est pas en faveur à Bédoin et mon réparateur n’y a vendu, depuis six ans qu’il est établi, qu’un Chemineau dont il était très embarrassé. Aussi ne veut-il pas entendre parler de tous nos systèmes et j’aurais perdu mon latin à l’endoctriner. Sitôt en possession de ma bichaîne rétablie, je pris mon vol vers le Ventoux, pour y attendre quelque part mes compagnons à la descente  ; ce quelque part fut naturellement le virage de Saint-Estève, où l’on trouve une belle fontaine propice aux ablutions. J’y demeurai plus de deux heures, qui ne furent pas, avec soleil et eau à discrétion, perdues pour l’hygiène, sans voir passer autre chose que des autos et des motos qui ne tardaient pas à redescendre. Pour me rendre compte de l’état de mes muscles cyclomoteurs, je poussai avec 3 m. 30 jusqu’à la borne 8 (2 km. à 9 ½ %) et il me sembla qu’ils étaient revenus à leur état normal. J’en fus enchanté, comme bien l’on pense et surpris néanmoins de la promptitude avec laquelle natura médicatrix avait reconstitué mon moteur que mon étourderie présomptueuse avait, la veille, très endommagé. Le temps aussi, très douteux le matin, se remettait rapidement au beau fixe.
À midi, aucun cycliste n’apparaissant, j’embrayai mon 7 m. 30 et je revins à Bédoin à 40 à l’heure  ; j’y rencontrai un groupe de six cyclotouristes, dont deux en tandem venus d’Arles et de Maillane, d’excellents amis qui ne me laissent jamais passer à 100 km. de leur domicile sans venir me serrer la main. Pendant que je déjeunais, mes compagnons survinrent, déjeunèrent aussi et, à 15 heures, on se séparait et chacun rentrait chez soi.
Séparations et retours sont toujours un peu tristes et le nôtre ne fit pas exception à la règle, car nous devions nous séparer à Saint-Étienne d’un des nôtres, ou plutôt d’une des nôtres, qui était venue tout exprès de Paris pour prendre part à notre randonnée pascale. Or, Mme Masson est une cycliste d’une classe supérieure à celle de beaucoup de cyclotouristes. Elle a fait en se jouant, en 1925, toutes les épreuves des Audax et randonneurs parisiens de 200, 300 et 400 km.  ; elle fera, cette année, celle de 600 km. et, tout le long des 500 km. que nous avons couverts en sa compagnie, elle nous donna l’illusion qu’elle s’envolait, alors que nous peinions. On ne pédale pas trois jours durant avec une si parfaite cyclotouriste, quand on est soi-même un fervent de la route, sans s’y attacher et sans regretter qu’elle ne vienne plus souvent animer nos excursions. Trop rares sont aujourd’hui les dames passionnées pour notre sport favori. Plusieurs firent partie de l’École stéphanoise à ses débuts et nous laissèrent autrefois, comme nous laisse aujourd’hui Mme Masson, l’impression d’un idéal cycliste fait de grâce, de souplesse et de force, accessible évidemment à toutes les femmes et que nous découvririons sans bien chercher à Saint-Étienne et partout où le beau sexe consent encore à pédaler, mais auquel nous ne pourrons jamais prétendre, nous autres hommes, à qui toujours la grâce manquera.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste”  », Le Cycliste, mars-avril 1926, p.22-28, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3

EXCURSIONS DUCYCLISTE”, MARS AVRIL 1929

«  Ma randonnée pascale est terminée, j’appartiens maintenant à mon ami R..., venu m’attendre en tandem avec sa jeune nièce, cycliste émérite qui ne recule pas devant des étapes de plus de 200 km. et qui m’a promis de nous accompagner, le 19 mai prochain, au Ventoux. Je veux escalader une dernière fois ce géant de la Provence avant qu’il ne reçoive mes cendres, qu’il me plaît de voir déjà dispersées par le mistral sur mon pays natal, sépulture plus belle, plus poétique et assurément plus propre et moins encombrante que celle des Pharaons.  »
Vélocio, «  Excursions du “Cycliste” », Le Cycliste, Mars Avril 1929, p.30, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

PENTECÔTE AU VENTOUX, 1929

«  Le Ventoux est un gros morceau, difficile à avaler. Je le savais, je l’ai écrit maintes fois, et je l’ai trouvé, ce dimanche de Pentecôte, encore plus coriace que je ne m’y attendais. Je ne l’avais pas escaladé depuis 1913, année où, coéquipier de mon ami Ch..., mort des suites de la guerre et dont je me sens plus privé que jamais, je mis quelques belles randonnées à l’actif d’un tandem dont en quelques instants on pouvait faire une bicyclette ou une triplette, voire une quadruplette, et que j’avais conçu pour les besoins des jeunes ménages, qui vont, comme l’on sait, ou qui du moins allaient autrefois, croissant d’année en année et exigent des machines à rallonge, comme la table du chansonnier. Il nous avait fallu trois heures et quart, avec 2 m. 50 de développement, pour aller de Bedoin à l’Observatoire, alors qu’à bicyclette deux heures et demie avec 2 m. 80, en ce temps-là, me suffisaient. Il m’en a fallu juste le double cette année, avec 2 m. 65  ; ce développement me parut trop grand dès que j’abordai le 10 % et le mauvais sol pierreux qui commence à la sixième borne. Je dus faire avec quatre compagnons, parmi lesquels une toute jeune fille, Mlle R..., de Maillane, dont l’énergie et la volonté m’émerveillèrent, et qui consentirent à ne pas aller plus vite que moi, haltes sur haltes et franchir à pied les plus mauvais passages. De fréquents dérapages, sans être dangereux pour le cycliste, l’étaient pour la bicyclette, et ma manivelle gauche fut bientôt tordue, qui m’obligea à pédaler de guingois, à quoi l’on s’habitue très vite, heureusement, car nous étions encore à 14 km. du sommet, et si j’avais dû les faire à pied  ! On s’arrêta longtemps à La Grave, auprès de l’unique fontaine, à la borne 17, autant pour se restaurer que pour se rafraîchir, et nous finîmes par arriver à 14 heures, étant partis de Bedoin à 9 heures.
Pendant ce temps, H..., de Montpellier, grimpait d’une traite en 2 h. 35, jusqu’à l’observatoire. L..., de Saint-Étienne, le suivait à 5 minutes, mais s’arrêtait à l’hôtel, ainsi qu’un Maillanais qui se classa troisième et un vétéran montluçonnais, parti un peu avant nous et qui ne fut rejoint qu’en haut. Les honneurs de la journée se partagèrent donc entre quatre départements et, chose assez curieuse, les quatre premières machines étaient mêmes du même dérailleur stéphanois. Par contre, l’arrière-garde comprenait une flottante pure, une flottante conjuguée avec moyen B. S. A. et deux pignons ovales au pédalier, une Rétro-directe avec pignon ovale encore, et enfin deux autres dérailleurs, stéphanois toujours. Entre les deux groupes, s’échelonnaient au cours de la montée une dizaine de cyclistes armés de dérailleurs ou de roues à retournement. Il y a longtemps que le Ventoux ne s’était vu assailli par tant de cyclotouristes venus de tant de côtés différents.
[...]
«  Là-haut, l’hôtel du Ventoux n’était ouvert que de la veille et nous fûmes accueillis très cordialement par M. et Mme Vandran, dont le fils est, à Paris, un chroniqueur sportif très écouté, qui s’intéresse particulièrement aux choses du cyclisme. M. Vandran m’accuse d’avoir été le premier, il y a trente ans, à violer à bicyclette la majesté du géant provençal, et il a voulu placer dans la salle à manger de son hôtel une photo de Vélocio pour rappeler peut-être à ses nombreux visiteurs qu’on peut gravir le Ventoux autrement qu’en automobile et aussi bien à 16 ans, comme Mlle R.., qu’à 76 ans, comme votre serviteur. Ce dont parut éberlué un gros homme dont la voiture nous avait dépassés en pleine rampe et qui m’ayant vu monter et arriver avec le sourire, me félicita bruyamment, puis me demanda non sans quelque ironie si j’excellais ainsi dans d’autres sports. Encore assez, fis-je négligemment, quitte à m’y reprendre à plusieurs fois, comme en montant aujourd’hui au Ventoux. Bien répondu, opina une femme élégante qui nous écoutait et qui cingla mon interlocuteur d’un sourire narquois plein de sous-entendus. Je m’inclinai, heureux de cette approbation, mais je devais avoir ce jour-là d’autres bonheurs. À peine arrivé sur la plateforme de l’observatoire abandonné depuis la guerre, on ne sait trop pourquoi, car il n’y a pas de lieu plus favorable aux observations météorologiques, je fus saisi à bras-le-corps par mon vieil ami C..., de Montluçon, qui s’écriait joyeusement  : «  Enfin, nous vous tenons au sommet du Ventoux d’où vous voulez que vos cendres soient jetées au vent du nord, qui justement souffle aujourd’hui. Nous allons vous brûler... — Je protestai vigoureusement... — En effigie seulement pour cette fois  ! — Et je fus amené devant un mannequin dûment étiqueté Vélocio, auquel on mit le feu incontinent. Le vent n’en fit qu’une flambée et mes cendres s’envolèrent vers Pernes, mon pays natal, heureux présage.
De tous les côtés la brume limitait l’horizon à quelques kilomètres, et la table d’orientation, déjà frappée et fendue par la foudre, nous indiquait les directions sans que nos veux puissent voir ce qui était au bout  : les sommets des Alpes et des Cévennes, la mer et les villes qui la bordent, la vallée du Rhône jusqu’à Lyon dont on aperçoit, paraît-il, les fumées. On eût été là, deux jours auparavant, aux premières loges pour voir évoluer par en dessus, le Graf-Zeppelin désemparé, devenu le jouet du mistral, heureux de se réfugier dans un port français qu’il avait orgueilleusement survolé la veille.
Mais le temps passait rapidement  ; sauf nous, les cinq lanternes rouges, tout le monde avait déjeuné et la légère collation de La Grave n’était pour nos estomacs qu’un vague souvenir. L’hôtel Vendran était là heureusement et nous fûmes bientôt en présence d’un menu substantiel auquel ne manqua qu’une certaine omelette aux truffes — les truffes du Ventoux sont recherchées par les gourmets du monde entier — dont nos amis L... et C... arrivés avant midi, s’étaient pourléchés les babines. Même au Ventoux, joue l’antique et dure loi du Tarde venientibus ossa. Bah  ! les os étaient encore bien bons et nous quittâmes la table vers les 17 heures, solidement lestés heureusement pour nous comme on le verra par la fin de l’étape.
Il nous fallait maintenant redescendre à Bédoin et je ne voyais rien de drôle à cette opération qui me valut, d’ailleurs, deux mauvaises chutes et quelques écorchures insignifiantes c’est entendu, grâce à la protection de mon saint patron Vélocio, mais que l’arrivée soudaine d’une auto ou d’une moto — et en passa des unes et des autres, plus de cinquante dans la journée, eût rendues très graves. Je ne fus pas seul à déraper dans les ornières, les pierres et le sable  ; personne ne fut, par bonheur, sérieusement touché et l’on se retrouva au complet, entre 18 et 19 heures, à Bedoin où l’on rechargea les machines des bagages dont on les avait allégées pour faire l’ascension. Je fis redresser ma manivelle par le même mécanicien qui, à Pâques 1926, m’avait réparé ma bichaîne et qui me parut tout aussi réfractaire à la Polyxion qu’il l’était il y a trois ans. Vous verrez qu’en dépit du Ventoux, Bedoin sera le dernier boulevard du monoxisme. «  Le Ventoux  ? Té, non ben, nous y montons en auto  ; c’est bon pour vous autres d’y monter à vélo, parce que vous êtes des piqués  ! Telle est la mentalité des cyclistes de Bedoin. Laissons-les donc à leurs truffes.  »
Vélocio, «  Pentecôte au Ventoux  », Le Cycliste, mai-juin 1929, p. 42-45, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15

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