Moyennes, vitesses, horaires
mercredi 12 juin 2024, par
- Vers la Méditerranée 1899
- 10 COLS ET 670 KILOMÈTRES (…)
- PLAINE OU MONTAGNE ?, 1900 (…)
- UNE RANDONNÉE AUTOMNALE, 1900
- DE L’IMPORTANCE DES MULTIPLES
- EXCURSION PASCALE DES 29, (…)
- EXCURSION DE LA TOUSSAINT, (…)
- MON RAID PASCAL, 1903
- LE PAYS DU SOLEIL, 1903
- EXCURSION PASCALE, 1905
- NOËL AU SOLEIL, 1905
- RANDONNÉE PASCALE 1907
- SAINTE-BAUME ET VENTOUX, 1913
- PROMENADE DE SANTÉ, 1914
- À LA TRAPPE D’AIGUEBELLE, 1927
- PENTECÔTE AU VENTOUX, 1929
- EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, (…)
Hier comme aujourd’hui, les moyennes et les distances parcourues par Paul de Vivie sont impressionnantes, ce qui mit en doute certains de ces récits pour des lecteurs. Voici des indications de temps ou de vitesses au fil des récits d’excursion dans la vallée du Rhône.
Vers la Méditerranée 1899
« Le mistral s’était un peu calmé et il ne reprit toute sa force qu’un instant après le lever du soleil. Cependant j’avais mis bas la veste et pour m’échauffer je m’apprêtais à pédaler vigoureusement. Je comptais mes tours de pédale et j’arrivais sans effort entre 50 et 80 tours, c’est-à-dire à l’allure de 30 à 35 kilomètres à l’heure. À un endroit où la route descend légèrement, j’appuyais davantage et montai à 100 tours (du 43 kilom. à l’heure !) pendant plusieurs minutes. J’étais arrivé à ce chiffre la veille en descendant des Grands-Bois à Bourg-Argental. On a vraiment du plaisir à se sentir emporté à cette vitesse-là ! Je traverse un village pavé ; le soleil est levé ; le vent qui était entièrement tombé se remet à souffler et je me maintiens à l’allure moyenne de 25 kilomètres à l’heure, petits arrêts et ralentissements compris. Je passe quelques villages dont un très pittoresquement situé au pied d’un rocher à pic ; on commence à voir des haies de cannes et de roseaux : cela sent de plus en plus le Midi. Le temps est d’ailleurs superbe, tel qu’on peut le désirer dans ce pays du soleil. Je ne dois pas être loin d’Orange, il est près de 8 heures, et à l’allure à laquelle j’ai marché, les 38 kilomètres qui me séparaient, au départ, de l’arc de triomphe de Marius doivent être derrière moi. Le voici, en effet, ce vieux débris des gloires romaines : je le contourne à droite et j’entre dans la ville que je ne fais, du reste, que traverser, l’ayant déjà visitée. Après Orange, la route devient, s’il est possible, encore meilleure et le vent plus régulièrement favorable, aussi je m’en donne à cœur joie et j’abats régulièrement le kilomètre en moins de 2 minutes jusqu’à Sorgues où le sol devient plus rugueux, la circulation plus intense, où commencent à réapparaître les rails des tramways. Me voici enfin aux portes d’Avignon, une heure dix minutes après mon entrée dans Orange ; ma moyenne a été de 30 kilomètres à l’heure entre ces deux villes, sans que j’aie été forcé de me démener d’une façon anormale, grâce à mon grand développement qui aurait pu, je crois, être augmenté sans inconvénient jusqu’à 9 mètres. Avec une roue libre, on aurait très bien pu faire les trois quarts du trajet les pieds au repos, à la condition de se contenter d’une allure un peu moindre. Obligé de choisir entre une Singer à roue libre et à deux développements et ma vieille Gauloise à quatre développements, j’avais préféré prendre pour mon voyage la machine qui m’offrait le plus de ressources en développements : j’aurais eu pourtant là une bien belle occasion d’appliquer la théorie du docteur Mathieu sur les intermittences d’action et de repos et de constater les avantages qui en résultent. Un très grand développement n’obligeant pas les jambes à de rapides mouvements, donne un peu l’illusion du repos sur les pédales, mais reste inférieur aux pédales indépendantes pour deux raisons : d’abord parce que les contre-pressions involontaires des jambes qui se laissent remonter détruisent une partie de la vitesse, ensuite parce que si quelques montées se présentent où il soit nécessaire d’appuyer sur les pédales, la grande multiplication peut devenir un obstacle insurmontable. »
10 COLS ET 670 KILOMÈTRES À BICYCLETTE : FRANCE – SUISSE – ITALIE, 1900
« Il paraît que je fais des choses tellement extraordinaires que l’illustre Tartarin ne sera bientôt, à côté de moi, qu’un tout petit garçon et que les esprits sensés refusent tout simplement de croire à la véracité de mes récits de voyage.
J’ai, fort heureusement, trouvé cette fois pour m’accompagner deux amis T.C.fistes qui, au besoin, apporteront leur témoignage et qui, du reste, en ont fait très facilement tout autant que moi, ce qui prouve que mes soi-disant exploits ne dépassent pas une honnête moyenne et que tous les cyclistes montés et nourris comme nous le sommes, en feront autant et davantage quand ils le voudront. Sinon, je n’aurais certes pas osé conter ici par le menu ce merveilleux voyage au cours duquel, en 88 heures, nous avons de Genève à Interlaken traversé le Pays d’Enhaut, puis remonté l’Aar jusqu’à sa source, franchi le col de la Grimsel, salué en passant la source du Rhône que nous avons descendu à toute vitesse, pour, de Martigny, escalader le Grand Saint-Bernard, plonger en Italie et remonter le même jour à l’Hospice du Petit Saint-Bernard où nous avons dormi splendidement, avant de rentrer en France et de terminer notre randonnée par une pointe poussée jusque dans un repli du massif de la Grande Chartreuse. »
Vélocio, « 10 cols et 670 kilomètres à bicyclette : France – Suisse – Italie », Le Cycliste, 1900, p.185 à 196 et 197 à 201, Source rétrospective 1950, p. 243, 280, 315
PLAINE OU MONTAGNE ?, 1900 (REVUE TCF)
« Désormais, qu’un beau matin l’envie me prenne d’aller avant la nuit me baigner dans la grande bleue, respirer la brise marine, voir le soleil se coucher au sein de cette Méditerranée que j’aime à l’égal de mes montagnes ; et sans courir à la gare, sans consulter le livret Chaix, sans même délier les cordons de ma bourse, un coup de pompe dans mes pneus, ma chaîne sur la multiplication convenable, quelques pommes et une livre de pain dans mon sac, et me voilà parti, et me voilà arrivé. »
« Les 270 kilomètres qui séparent Saint-Étienne de l’extrémité nord de l’étang de Berre seront franchis en 15 heures, parfois même en 12 heures, sans fatigue anormale. Triomphe de l’alimentation exclusivement végétarienne et des machines à plusieurs développements ! Perfectionnements dont il ne faudrait pas cependant que l’on m’attribuât tout le mérite ainsi que l’a fait trop aimablement ici même pour l’un d’eux, un de nos camarades, car je n’en suis que l’applicateur et le propagateur, le vulgarisateur, si l’on veut. »
« La descente et la remontée de la vallée du Rhône, de Saint-Étienne à la mer, figuraient au programme et je constatai qu’en m’employant avec une multiplication convenable, de la même façon que je m’emploie pour gravir une rampe quelconque, il m’était possible d’obtenir sur les belles routes de cette vallée une vitesse de marche assez élevée. En effet partant à midi de Saint-Étienne, nous avons pu aisément, un ami et moi, malgré un accident de pneumatique plutôt grave (éclatement d’une enveloppe) et quelques petits arrêts non indispensables, aller coucher à Orange (182 kilomètres), remonter une autre fois d’Avignon à Saint-Étienne dans la journée (222 kil.) en prenant un peu le chemin de l’école. Donc en partant de Saint-Étienne ou de Lyon un matin de très bonne heure, je crois qu’il serait possible d’arriver à 6 heures du soir à Saint-Chamas (270 kil.) sans être le moins du monde — et j’attire l’attention sur ce point essentiel — excédé, fourbu, vanné. Il suffit pour cela d’être suffisamment habitué à la selle pour qu’elle ne vous blesse pas, de manger peu à la fois et des aliments de digestion facile, du riz qu’on peut très bien emporter sous forme de gâteau, des fruits, du pain. Il n’est même pas nécessaire de descendre de machine pour manger, on se contentera d’aller un peu moins vite afin que l’ingestion des aliments ne soit pas une cause d’essoufflement. Si l’on a soif, on se désaltérera en passant à une fontaine ; mais point de ces haltes de cabaret toujours trop longues ou trop courtes ; trop courtes pour qu’on en reçoive un réel délassement, trop longues à cause du temps précieux qu’on y gaspille. Une autre condition essentielle des longues étapes, c’est la régularité aussi parfaite que possible de l’effort sur la pédale et des mouvements des jambes. La vitesse de marche peut varier du simple au double et passer de 20 à 40 kilomètres à l’heure selon que les circonstances extérieures sont plus ou moins favorables, cela importe peu, mais la vitesse des jambes et l’effort sur la pédale doivent être toujours, autant qu’on le peut, maintenus au même chiffre. Ces deux facteurs varient nécessairement avec chaque cycliste ; ils dépendent des qualités de la machine, de sa plus ou moins intelligente adaptation à l’homme qui l’actionne, et ils varient surtout avec la multiplication. Pour mes muscles et pour la bicyclette dont je me sers habituellement, de 15 à 18 kilos sur la pédale et de 60 à 65 tours à la minute me semblent être les chiffres optimes et je puis approximativement, avec cela, marcher à 26-28 kilomètres à l’heure sur un terrain plat avec développement 7 m. 50, ou gravir du 8 % avec développement 2 m. 50, à 9-10 kilom. à l’heure. Le vent, l’état de la route peuvent faire varier la résistance à la marche, et la vitesse s’en ressentira, mais en abaissant ou en élevant proportionnellement la multiplication je retrouverai toujours mes 15-18 kilos et mes 60-65 tours. Le moteur humain, très élastique, se plie du reste mieux que tout autre moteur à des variations de résistance de 10 % au-dessus et de 10 % au-dessous de la normale. Donc, au point de vue physiologique, le cyclotouriste peut faire égale dépense de force en plaine aussi bien qu’en montagne et obtenir une excitation égale, excitation qui entre pour une bonne part dans le plaisir final. La satisfaction de la difficulté vaincue ne fait pas défaut, elle, non plus ; au lieu de l’altitude conquise, c’est la distance franchie ; c’est toujours un obstacle surmonté, une force domptée. »
Vivie (de), Paul, « Plaine ou montagne ? », Revue mensuelle du Touring-Club de France, 1900, p. 193-195
UNE RANDONNÉE AUTOMNALE, 1900
« Ceci n’est qu’un mémorial et une occasion de montrer une fois de plus ce qu’on peut faire produire au moteur humain par la bicyclette et par l’alimentation végétarienne.
Parti de Saint-Étienne le 1er novembre à 4 h. 30 du matin, je passe le col des Grands-Bois, redescends sur Andance et traverse Valence (92 kilom) de 9 heures à 9 h. 15 ; temps gris, léger vent du Midi qui m’empêche d’utiliser mon plus grand développement ; je devrai, jusqu’au soir, me contenter de 6 mètres. À Livron, 20 minutes d’arrêt pour un petit déjeuner (pain et café). Entre Andance et Tournon j’ai déjà délesté mon sac de quelques tranches de pain de Graham et de trois pommes. Loriol, Saulce, Montélimar défilent successivement, et me voici à Chateauneuf-du-Rhône, pittoresque village accroché aux flancs d’un coteau. Il est midi et demi, le soleil est chaud et le vent assez fort. Je franchis ledit coteau (2 kilom. à 6 %) avec mon plus faible développement et j’arrive à Donzère à une heure moins le quart ; je m’y arrête quelques minutes avant de continuer sur Pierrelatte où j’achète un kilo de belles poires qui, avec ce qui me reste de pain de Graham me conduiront jusqu’à destination. À 3 heures précises je passe à côté de l’arc de triomphe d’Orange (188 kilom.) et me fais indiquer la route de Roquemaure. Beaucoup de promeneurs, le cimetière est de ce côté : je vais lentement. Traversée du Rhône en un site inquiétant, propice aux guet-apens.
Belle vue sur Villeneuve-lès-Avignon dont beaucoup de maisons ont conservé des vestiges de leur noble condition d’antan, puis passage de 500 mètres abominablement empierré et troisième traversée du Rhône sur un pont interminable.
De l’autre côté du pont, j’erre un long moment avant de mettre les roues sur la route de Tarascon, si bien que je ne m’éloigne de la cité papale qu’à 5 heures, frôle la patrie de Tartarin à 6 h. 15 et descends enfin à 7 heures à Arles (258 kilom.) où m’attendent bon souper et bon gîte. Total de mes dépenses de route : soixante centimes. »
Vélocio, « Une randonnée automnale », Le Cycliste, 1900, p.208 à 210, Source Archives Départementales de la Loire, Per1328_7
DE L’IMPORTANCE DES MULTIPLES DÉVELOPPEMENTS, 1901
« Je puis passer d’une combinaison à l’autre en transportant une des chaînes ou les deux chaînes sur d’autres couples de pignons, opération qui, montre en mains, n’exige pas plus de 30 secondes et que je n’ai jamais l’occasion de faire plus de dix fois par jour.
Ces nombreux développements ont pour but de me permettre de pédaler constamment sans dépenser plus de force une fois que l’autre, quel que soit l’adversaire contre lequel j’ai à lutter : vent, plaine, montée, fatigue ou mauvaise disposition physique. Je m’applique à avoir toujours à peu près la même vitesse de jambes et la même pression sur la pédale. Seule varie, dans de grandes proportions naturellement, la vitesse de marche qui, de 7 ou 8 kilomètres, allure minima, peut s’élever à 40, voire 45 kilomètres l’heure sur les bonnes routes de la vallée du Rhône avec le mistral dans le dos. »
Vivie (de), Paul, « De l’importance de multiples développements », Le Cycliste, 1901, p.73-75, Source archives départementales de la Loire, cote Per1328_7
EXCURSION PASCALE DES 29, 30, 31 MARS, 1902
« Le soleil s’éteignait dans la mer, et l’ombre crépusculaire s’étendait rapidement autour de moi, quand je dévalais à grande allure sur la Couronne et jusque sur les bords de l’eau furieusement agitée. À 7 heures et demie je mettais enfin pied à terre devant le Grand-Hôtel de Carri-le-Rouet, où trois cyclistes marseillais avaient eu l’aimable pensée de venir m’attendre. J’avais, depuis Bourg-Argental, couvert en 13 heures 290 kilomètres, ce qui ne m’était pas arrivé de longtemps, mais le mérite doit en être attribué à l’excellence des routes et à l’aide du vent qui ne m’avait pas fait défaut un seul instant. Je m’étais alimenté, chemin faisant, de pain et de fruits sans mettre pied à terre, si ce n’est à Arles, où j’avais, en quelques minutes, absorbé une bolée de riz et une assiettée de pommes de terre ; ma vitesse moyenne avait été de 22 kilomètres à l’heure. Pour des trajets de cette longueur et en pays plat, je ne table en général que sur une moyenne horaire de 20 kilomètres, arrêts non déduits. »
Vélocio, « Excursion pascale du 29, 30 et 31 mars », Le Cycliste, 1902, p.47-51
EXCURSION DE LA TOUSSAINT, 1902
« L’excursion projetée dans le Midi, pendant les trois jours de fête de la Toussaint, a été favorisée par le temps ; nous avons rarement eu cette année trois journées consécutives aussi belles.
Partis deux, le samedi matin à l’heure fixée, 4 h. 30, de la Digonnière, nous entrons bientôt dans un brouillard intense et pénétrant dont nous ne sortons qu’à Rutianges : nous sommes à Andance à 7 h. 40, à Loriol à 10 h. 25 et à Pont-Saint- Esprit à 12 h. 30.
Notre moyenne de marche entre ces deux dernières localités est de 30 kilomètres à l’heure ; c’est dire que nous marchons souvent à 35 ; le vent nous est favorable.
Par Bagnols et Connaux nous arrivons à Valliguières à 14 h. 5 ; nous y rencontrons nos amis de Beaucaire qui, par Remoulins et Pont-du-Gard, Beaucaire et Tarascon, nous accompagnent à Arles où nous entrons à 16 h. 40. Nous avons en douze heures, tous arrêts compris, parcouru 255 kilomètres. Nous nous étions arrêtés aux Grands-Bois, à Arras, à Livron et à Pont-Saint- Esprit, environ deux heures. Les routes du Midi se prêtent admirablement aux grandes allures. La nuit très noire nous empêche de continuer par la route et nous gagnons Marseille par un train du soir. »
Vélocio, Excursion de la Toussaint, Le Cycliste, Octobre 1902, p. 193-194
MON RAID PASCAL, 1903
« Plus loin, avant Montélimar, je rencontre un tricycle à pétrole remorquant péniblement une voiturette, Philémon et Baucis. Cette pauvre Baucis effondrée derrière un coupe-vent de fortune fait de châles bariolés tendus sur des bâtons. Ça marche bien à douze à l’heure en laissant un sillage malodorant dont je me dégage en tournant momentanément à 90 tours (38 à l’heure). Je conserverais bien cette allure-là tant le vent accentue son concours à mesure que le soir approche si j’avais 8 mètres ou 8m,50 de développement, mais tourner à plus de 70/75 tours pendant longtemps est au-dessus de mes aptitudes, quand bien même la résistance de la pédale deviendrait nulle. Pour tourner vite, il me faut au contraire sentir sur la pédale une certaine résistance, faute de quoi je m’exaspère à trépigner dans le vide et je laisse filer en roue libre, pratiquant ainsi, malgré moi, la méthode dite des planements, détestable au point de vue du rendement optime, mais très agréable pour la promenade.
Entre Livron et Montélimar j’absorbe, tout en pédalant, 200 grammes de dattes, là-dessus je bois un verre d’eau et je n’aurai pas besoin d’autre chose pour arriver à Orange. J’ai dans mon sac pour parer à toute éventualité 1.500 grammes de pâté aux pommes.
La montée de Donzère s’enlève rapidement et j’y vois encore assez pour négocier la descente, entre chien et loup, à la vitesse limite, c’est tout ce que j’ambitionnais. Rien ne m’est désagréable comme de descendre lentement à cause de la nuit une côte aussi entraînante et sans mauvais tournants. Après Donzère, je ralentis ; la lune est déjà haute, mais des nuages la couvrent parfois.
La première fois, en 1899, que, parti à midi et même à onze heures de Saint-Étienne pour une randonnée dans la vallée du Rhône, la nuit m’arrêta, c’est à Donzère que je fis halte après 8 h. 45 de marche : aujourd’hui pour effectuer ce même parcours (150 kilomètres), il ne m’a fallu que 6 heures, et pourtant la traversée des grands bois à pied dans la neige m’a fait perdre quelques minutes.
Par contre, en 1899 j’avais eu deux accidents de pneumatiques qui m’avaient retenu trois quarts d’heure à Valence. Les autres conditions : route, vent et développement étant égales et ma bicyclette pesant 7 ou 8 kilos de plus que celle de 1899 : je conclus qu’il y a progrès sensible et je l’attribue à l’heureuse évolution de l’organisme sous l’influence du régime végétarien. L’endurance augmente ; malheureusement, le demi-siècle est là qui va lui faire faire machine en arrière. »
Vélocio, « Mon Raid Pascal », Le Cycliste, Avril 1903, p. 65-77
LE PAYS DU SOLEIL, 1903
« Ce coquin de Midi exerce sur moi une fascination incompréhensible. Depuis que je sais qu’en quelques heures de vigoureuses pédalées je puis me transporter par delà la cité des papes, je ne me lasse pas, sitôt les Alpes fermées par la neige à nos pneumatiques, d’élaborer des itinéraires aboutissant quelque part le long de la mer bleue. Et cela dure jusqu’au printemps, jusqu’à l’été pour mieux dire, car la haute montagne ne s’est pas ouverte avant le Ier juillet, et encore ne faut-il pas aller, à cette date, au Parpaillon, ou au Galibier si l’on a peur d’un bain de pieds.
Cette fin d’année, ça été une véritable orgie de randonnées au pays des félibres.
Le 27 septembre, nous débutons par le Ventoux, c’est l’affaire d’un jour en s’aidant du P.-L.-M, entre Valence et Orange. Ce tour devient classique ; c’est en quelque sorte le bachot de l’E.S. dont les adeptes reçoivent là leur premier diplôme. Il faut du samedi soir (19 heures) au dimanche soir (24 heures) ou, limite extrême, au lundi matin (7 heures) faire l’aller-retour Saint-Étienne – Valence, 184 kilomètres, et Orange – Observatoire, 116 kilomètres, total : juste 300 kilomètres et 3.600 mètres d’élévation ; une belle épreuve d’endurance que les estomacs végétariens supportent en général mieux que les créophages, bien que, ainsi que nous l’avons souvent dit, ce soit seulement le deuxième ou le 3e jour que s’affirme nettement la supériorité des premiers, alors que les réserves sont épuisées et que l’on ne travaille plus qu’avec ce que l’on mange.
À l’occasion des fêtes de la Toussaint, nous filons en tandem jusqu’à Toulon par Avignon, Aix, Roquebrussanne avec, en passant, l’ascension de la Sainte-Baume.
Et voilà que Noël nous apporte trois jours de congé et que 1904 débute par trois autres jours de liberté, car nous avons, à Saint-Étienne, l’excellente coutume, toutes les fois qu’un jour non férié se trouve égaré entre deux jours fériés, de le tenir pour nul et non avenu et d’appliquer la loi des majorités. Cela s’appelle faire le pont.
Nous partons le jour de Noël dès 4 heures par un joli froid, passons le col des grands bois, retrouvons sur les bords du Rhône une température plus clémente et nous filons grand train par Tournon, Tain, Valence, Montélimar, Lapalud, Pont-St-Esprit et Tarascon jusqu’à Arles (250 kilomètres) où nous mettons pied à terre à 16 heures. Le lendemain à 6 h. ½, nous quittons Toulon où un train du matin nous avait amenés, et nous parcourons, sans hâte, l’admirable itinéraire suivant : Hyères, col de Grataloup, Cogolin, Sainte-Maxime, Saint-Raphaël, Corniche, Cannes, Esterel, Fréjus, environ 180 kilomètres. »
Vélocio, « Le pays du soleil », Le Cycliste, 1903, p.229-232
EXCURSION PASCALE, 1905
« Nous partîmes à 3 heures moins dix ; la pluie battante dont nous avions été gratifiés deux jours durant avait cessé depuis 5 heures seulement. C’est dire si nous trouvâmes de la boue, et quelle boue ! en montant à Planfoy ; à l’altitude de 1.000 mètres, la boue fit place à la neige dont l’épaisseur allait crescendo jusqu’au col ; il gelait ferme et les ornières dures et profondes nous désarçonnèrent maintes fois ; nous dûmes même aller à pied assez longtemps pendant les 10 kilomètres (borne 79 à 89) qui constituent le passage difficile en hiver de nos Cévennes.
Toutes ces causes de retard ajoutées les unes aux autres firent que nous n’arrivâmes à Andance qu’à 6 heures 5. La descente avait été ralentie par la boue, mais sur les bords du Rhône nous trouvâmes bonne route et bon vent. On prit l’allure transport et à 7 h. 25 nous étions à Valence (92 kilom ), à 9 h. 10 à Montélimar (136 kilom.), à 11 h. 15 à Orange (188 kilom.), où l’on fit une courte halte pour aller voir le théâtre romain et se lester de quelques provisions. Nous avions déjà, chemin faisant, englouti une livre de pain, des figues et 600 grammes de chausson aux pommes. À midi, nous étions à Sorgues (205 kilomètres) avec un de mes pneus crevé depuis Bédarrides, où nous avions vainement essayé de nous échapper vers Cavaillon pour couper au plus court. Une erreur nous avait ramenés sur la route nationale après un oblique à droite qui nous avait permis de juger de la force du vent de nord-ouest que nous avions, ce jour-là, pour auxiliaire. »
Vélocio, « Excursion pascale », Le Cycliste, avril 1905, p.66-74, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8
NOËL AU SOLEIL, 1905
« Je filais bon train sur cette route que je connais par cœur ; à 11 heures, je traversais Valence ; à 13 heures, Montélimar ; à 15 h. ½, je laissais Orange derrière moi, et une heure plus tard, j’arrivais à Carpentras en dépit d’une route devenue soudain mauvaise, où je retrouvai la boue dégelante et les ornières congelées de chez nous. C’est sans doute le voisinage du Ventoux qui entretient dans ces parages une température aussi basse que dans nos Cévennes. Pas le moindre incident de route ; quelques chiens trop agressifs que je dus éloigner parfois d’un coup de revolver. »
[…]
« Je ne note plus aussi exactement qu’au début de mes randonnées l’horaire de mes étapes-transport, cependant j’ai noté mon temps entre Donzère et Orange, 38 kilomètres que j’ai couverts en 1 h. 35, du 24 à l’heure sans le moindre vent. Je n’ai mieux fait avec grands pignons et grands développements qu’avec vent favorable. Il m’a semblé pourtant que je tournais à mon maximum et que si j’avais eu le mistral derrière moi je n’aurais pu en profiter pour activer l’allure en augmentant la cadence, à moins d’en arriver à une dépense anormale de calories. »
Vélocio, « Noël au soleil », Le Cycliste, décembre 1905, Page 224 à 230, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_8
RANDONNÉE PASCALE 1907
« Nous avons malheureusement trois heures de retard sur mon temps habituel qui, pour Saint-Étienne – Avignon, est de 10 heures, mon record étant de 9 heures avec vent favorable pour ces 220 kilomètres. »
Vélocio, « Randonnée pascale », Le Cycliste, mars 1907, p.41 à 45, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_9
SAINTE-BAUME ET VENTOUX, 1913
« Notre temps total de Saint-Étienne à Orange (188 kilomètres) est de 8 heures et quart, et mon record de 7 h. 45 en 1903 à bicyclette n’est pas atteint. Sans la pluie nous l’aurions certainement battu, bien que le vent nous ait été moins favorable qu’il ne le fut il y a dix ans. »
Vélocio, « Sainte-Baume et Ventoux », Le Cycliste, 1913, p.111-117, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_12
PROMENADE DE SANTÉ, 1914
« Pour la fête de la Pentecôte, j’avais deux projets : vent du sud, je partais pour Alésia ; vent du nord, j’allais faire les gorges de la Nesque. Le vent souffla du nord et je partis à 2 heures et demie, en compagnie de Thorsonnax, qui s’en allait photographier le Vercors sous toutes ses faces, car ce randonneur est doublé d’un chevalier de la plaque sensible.
Je partis aussi avec une mentalité toute nouvelle, que je m’efforçai, en grimpant à 8 ou 9 l’heure au col des Grands Bois, de faire comprendre à mon compagnon.
« Il s’agit, lui disais-je, à mon âge — et peut-être bien à tout âge — de ne pas se fatiguer. Il faut donc que, du commencement à la fin de mon excursion, je marche à une allure récréative, sans souci de l’heure ni des kilomètres parcourus ou à parcourir. Il est temps que je me conforme sévèrement à ce précepte fondamental de l’E. S. : ne pédalons jamais par aïnou propre.
« Autrefois, j’entends à l’époque où, par la poly, me fut révélée la puissance du moteur humain, mes excursions ne furent que des démonstrations, des documentations, et j’eus grand soin de noter heures de départ et d’arrivée, altitudes et surtout développements employés dans telles et telles circonstances. Les horaires dont j’accompagnais mes récits me semblaient nécessaires pour qu’on se pénétrât bien de cette vérité : que désormais aucune région, si accidentée fût-elle, n’était interdite aux plus modestes cyclotouristes, qu’il n’y avait plus de ces rampes incyclables où nous devions pousser nos montures pendant des journées entières.
« Plus tard, mes excursions devinrent des randonnées ; vous avez été, d’ailleurs, vous-même, Thorsonnax, de cette époque-là, et il convient que vous continuiez, car j’ai randonné jusqu’à 60 ans, et vous êtes loin de cet âge.
« Aujourd’hui, j’entends que mes excursions ne soient que des promenades de santé, simplement destinées à reculer, si faire se peut, l’échéance fatale où l’arthritisme sous quelqu’une de ces formes, tantôt brutales, tantôt insidieuses qu’il aime à revêtir, viendra mettre un terme à mon activité physique et me condamnera à ne plus voyager qu’au tour de ma chambre.
« Donc, quand vous vous sentirez d’humeur à randonner, à poser des jalons pour vos successeurs, comme j’en posai qui ont été joliment distancés, ne vous attardez plus à mes côtés et n’essayez pas de m’entraîner, vous n’y réussiriez pas. »
Nous avions mis pied à terre au col (1.165 m.) pour nous couvrir un peu, en prévision de la descente. Thorsonnax regarda sa montre et m’annonça 4 heures moins le quart. « Ah ! je vous prends déjà en faute, mon ami, jetez cette montre dans le fossé ; qu’avons-nous besoin de savoir que nous avons mis 75 minutes pour grimper de Saint-Étienne ici, où vous êtes venu parfois en moitié moins de temps ! »
Cela n’empêcha pas mon compagnon de me dire à Andance qu’il était 5 h. 5 minutes et que nous avions perdu environ vingt minutes sur notre temps habituel, ni de me faire remarquer un peu plus loin que nous n’allions guère qu’à 20 ou 22 kilomètres à l’heure.
Chassez le naturel, il revient au galop. L’excuse de Thorsonnax est dans sa jeunesse : quand soixante et quelques hivers auront neigé sur sa tête, il regardera moins sa montre et l’allure ne lui paraîtra pas si lente.
Nous nous quittâmes à Tain ; après Valence, je pris à gauche la jolie petite route qui, par Étoile, conduit à Crest ; pour remplacer deux bananes et un petit pain que j’avais croqués chemin faisant, j’y achetai deux croissants, que mangeai avant le col de la Sauce. Le vent, tout d’abord, absolument nul, au point que nous nous étions demandé s’il n’était pas contraire, s’élevait peu à peu et devenait favorable à ceux qui fuyaient les brumes du septentrion. »
Vélocio, « Promenade de santé », Le Cycliste, Mai 1914, p.130-134,Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3
À LA TRAPPE D’AIGUEBELLE, 1927
« À midi 20’ nous traversions Montélimar ; en 1 h. 40’ j’avais donc franchi les 44 km. de Valence à Montélimar ; avec la même bicyclette Ballon, à Pâques dernières, au clair de la lune et avec un bon mistral à mes trousses, il m’avait fallu 1 h. 45’ et, à Pâques 1926, près de 3 heures pour couvrir cette même distance. Je montais en 1926 une bicyclette à petits pneus souples, mais gonflés à bloc, qui m’avaient cassé les cuisses.
Toutes les expériences comparatives que je fais depuis que je monte des pneus Ballon, tournent à l’avantage de ceux-ci et confirment ce que j’en ai toujours dit, mais il ne faut pas les confondre avec ce qu’on nous vend aujourd’hui sous la même étiquette et qui est loin de valoir, en fait de rendement, les fils biais pur Para et même certains pneus standard de bonne qualité qu’on voit sur la plupart des bicyclettes de tourisme. La bicyclette de mon compagnon P... est munie de simples Michelin qui ne sont que de peu inférieurs à mes Ballons, si ce n’est pourtant en confortable, mais la jeunesse peut se passer de confortable, pourvu qu’elle ait du rendement et qu’elle sente sa machine bondir au démarrage. »
Vélocio, « Excursions du “Cycliste” À la Trappe d’Aiguebelle », Le Cycliste, Nov.-Déc. 1927, p.94-99, Source Archives Départementales de la Loire, cote IJ871/3
PENTECÔTE AU VENTOUX, 1929
« Je m’étais mis en route dès la veille, accompagné de L..., jeune Stéphanois de 21 ans, qui me paraît avoir hérité la vaillance et la vigueur de mes compagnons d’antan. Partis à midi tapant de Saint-Étienne, nous étions à Andance à 15 h. 10, après une crevaison qui nous avait retenus un quart d’heure, puis sans plus d’arrêt qu’un autre quart d’heure pour nous restaurer à Montélimar de quelques bananes et oranges, nous étions arrivés à 21 h. précises devant l’Arc de triomphe, ci : 134 km. à la moyenne commerciale horaire de 23 km. C’était un bon début, qui fut peut-être favorable à mon jeune compagnon, mais auquel j’attribuai en partie ma mauvaise ascension du lendemain. Il faudra que je refasse le Ventoux en partant frais et dispos après une bonne nuit passée à Bedoin, à une heure plus matinale et avec un développement plus faible. L ... malgré ses 20 ans, s’était contenté de 2 m. 40, et j’aurais mieux monté, je crois, avec 2 m. 25 qu’avec 2 m. 65 »
Vélocio, « Pentecôte au Ventoux », Le Cycliste, mai-juin 1929, p. 42-45, Source Archives Départementales de la Loire, cote
EXCURSIONS DU “CYCLISTE”, MARS AVRIL 1929
« Je traverse Montélimar à 11 heures précises, ce qui met à mon actif 41 km. en l h. 45, moyenne de 25 à l’heure ; avec le mistral qui me pousse, j’aurais pu aller plus vite si j’avais eu un développement de 8 mètres, et c’est ici que triompheront les partisans des neuf, voire douze vitesses en marche ; c’est vrai, mais le développement n’est pas tout, et en compliquant par trop une machine et en l’alourdissant, on risque de diminuer son allure moyenne constante pour obtenir quelque avantage pendant de courts instants ; la somme algébrique risque d’être négative.
Deux heures après, j’étais à six kilomètres d’Orange et je m’arrêtais, près de Piolenc, dans un pré, sous quelques oliviers, pour déjeuner de pain, d’oranges et de bananes. Je suis loin de mon record ; il y a neuf heures que j’ai quitté Saint-Étienne, alors qu’à Pâques 1903, parti de chez moi à 13 heures, j’étais arrivé à Orange à 20 h. 45’. Le mistral fut, il est vrai, ce jour-là, plus violent qu’il ne l’est aujourd’hui et j’avais justement sur ma bichaîne un développement de 8 mètres, et puis l’on était un jeune cyclotouriste d’à peine 50 ans, enthousiaste et émerveillé de tout ce qu’il voyait, grâce à la bicyclette.
Ne nous attardons pas à des regrets superflus. « Regarde toujours devant toi, jamais derrière », nous dit la sagesse des nations. Je regarde donc devant moi et ce que j’y vois n’est pas fait pour diminuer mon ardeur à pédaler, lorsque, l’estomac satisfait, je remonte sur ma poly qui, depuis le col des Grands-Bois, aurait pu être une mono, car, sauf deux kilomètres à la montée de Donzère et quelques centaines de mètres après Loriol, j’ai tout fait avec mon 6 m. 60, et je crois que, le vent aidant, j’aurais pu ne pas avoir recours à mon deuxième développement de 5 mètres, puisque mon étape était courte et ne devait pas avoir de lendemain. Sinon, si l’on commence une étape de quarante heures et davantage, comme celle que ce même jour allaient terminer à Aix, à 18 heures, nos amis Marre et Grillot, c’est une autre affaire ; il est de rigueur de faire des économies de calories dès le début de la randonnée et de ne pas les prodiguer le premier jour, en escaladant les côtes ou en négociant la plaine avec des développements inadéquats au travail à fournir. Six vitesses se comprennent alors, et le tandem de ces vaillants randonneurs en avait neuf, qui leur ont permis de ne jamais se dépenser mal à propos, comme je l’aurais fait en gravissant la côte de Donzère avec 6 m. 60, ou celle de Planfoy avec plus de 3 m. 30 »
Vélocio, « Excursions du “Cycliste” », Le Cycliste, Mars Avril 1929, p.30, Source Archives Départementales de la Loire, cote PER1328_15